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18 mars 2024 1 18 /03 /mars /2024 10:25

USBEK ET RICA

Série Actualités Humeur Tique

Avec Usbek et Rica

Sur les pas de Montesquieu

Dans la France de 2024

 

LE KGB à l’Assemblée Nationale…

Il est vrai que la Perse a bien changé avec les Ayatollahs de la pire espèce, mais je puis te dire Rica que la France aussi a bien changé…

            Il y a quelques jours, en zappant sur mon écran, tu connais ces écrans avec ces flux d’images qui envahissent la planète, je suis tombé sur un épisode judiciaire organisé par l’Assemblée Nationale sur les ordres de l’ARCOM, nouvelle autorité indépendante, chargée de garantir le pluralisme des chaines de la TNT, si j’ai bien compris...

            Je me suis cru revenu aux belles périodes d’une Union Soviétique qui savait faire rouler les procès et les têtes pour les punir de trahison ou de déviationnisme…

            Deux jeunes députés LFI s’étaient érigés en Procureurs chargés de débusquer les fautes, pour ne pas dire, les péchés contre le pluralisme démocratique, alors qu’ils appartenaient à un mouvement politique cultivant presque chaque jour des excès de comportement politique.

            Il s’agirait de savoir si la puissance publique, est habilitée à renouveler les autorisations d’émettre des chaines de la TNT en question…

 

SUS au Rassemblement National !

        SUS à l’extrême droite !

        Mais pas à l’extrême gauche ?

            Est-ce que la Macronie, sous la houlette d’un Président armé de sa baguette de chef d’orchestre quotidien, croit qu’il suffira de renouveler ce refrain pour neutraliser cet adversaire préféré ?        

Alors que ce type de pilonnage politique évite au Rassemblement National d’y répondre ! Pas besoin de faire de la propagande !

Dernière remarque, les électeurs de notre beau pays auraient-ils oublié que le Parti Socialiste n’hésita pas dans les années 1970 à s’allier avec un parti de l’Etranger : il s’agissait du Parti Communiste « Français » affilié, pour ne pas dire affidé à une URSS qui ne s’écroula qu’en 1989.

EN 1981, avec le Programme Commun, Mitterrand n’eut aucun scrupule politique à signer un Pacte de Gouvernement avec un parti de l’Etranger et à nommer des ministres communistes…

Pour les petits français qui ont la mémoire courte, un certain Chevènement fut alors un rédacteur inspiré de la bureaucratie communiste qui était promise  à mes hôtes.

               Jean Pierre Renaud

 

 

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12 mars 2024 2 12 /03 /mars /2024 11:30

Oyez, Oyez, Français et Françaises !

Le 27 mai prochain, l’Assemblée Nationale est invitée à voter le suicide assisté de la Macronie, quelques jours avant les élections européennes !

La loi promise par un Président sous le sceau d’une mort choisie en toute « fraternité »… promue par une convention citoyenne tirée au sort…

La nouvelle Française des Jeux de la Macronie !

Le Président envisage-t-il d’organiser une cérémonie pour sceller cette nouvelle « fraternité » de notre devise nationale ?

Les évêques de notre beau, encore, pays condamnent cette « tromperie ».

Français, Françaises, saisissez l’occasion des Européennes pour procéder au suicide assisté de la Macronie, « en toute fraternité », naturellement !       

Jean Pierre Renaud, le 12 mars 2024

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8 mars 2024 5 08 /03 /mars /2024 12:19

La France n’a plus confiance !

2017-2024

La France n’a plus confiance Monsieur le Président !

Votre hyperactivité médiatique et politique avec en permanence le tout et son contraire, vos têtes à queue politiques, votre goût pour le disruptif, ont contribué à rendre notre pays anxiogène…

Après les gilets jaunes et le Covid, l’Ukraine, et la flambée de violences urbaines de juin-juillet 2023, la France aspirait à retrouver l’équilibre des institutions, avec leur colonne républicaine, ce qui n’est pas le cas.

Vous nous donnez le tournis alors qu’avec  l’explosion des réseaux sociaux, leur pouvoir exorbitant, de plus en plus de nos concitoyens ne croient plus à rien !

Et pour ne rien ajouter une écologie de plus en plus anxiogène dans une ambiance des peurs millénaires de fin du monde !

Comment croire que le rythme endiablé des commémorations nationales que vous avez programmées suffiront à apaiser cette défiance nationale ?

Les Français vont finir par croire que ce type de gesticulation politique a pour but de pallier une carence au sommet …

                                                                           Jean Pierre Renaud

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1 mars 2024 5 01 /03 /mars /2024 16:09

Regards croisés des blancs et des noirs sur l’Afrique Occidentale (1890-1920)

 

Conclusions

 

« Ah ! il fallait pas, il fallait pas qu’il y aille

Ah ! il ne fallait pas, il fallait pas y aller

Mais il a fallu, il a fallu qu’il y aille

Mais il a fallu, il a fallu y aller »

 

Telle pourrait être la formule et le refrain la plus ramassée de mes réflexions sur la colonisation française !

Ainsi que le disait la chanson militaire bien troussée, intitulée « Le tambour miniature » !

 

 

            Mon ambition était de tenter de retracer les premiers échanges entre blancs et noirs, les premiers regards croisés, et d’examiner toutes les questions qui allaient se poser, au moment où la France installa définitivement son pouvoir colonial, en tout cas certains de ses enfants le croyaient-ils, en Afrique de l’ouest, une entreprise hardie, et sans doute impossible.

            Il s’agissait pour moi de mieux comprendre le processus colonial de la première phase de la colonisation, celle des années 1890-1914, et je serais sans doute imprudent d’en conclure que tel a été le cas.

 

            J’ai tenté de répondre à une des questions qui me taraude depuis la date de mes études, le pourquoi des conquêtes coloniales, le pourquoi de ma première vocation, très courte, qui fut celle du service de la France d’Outre- Mer, et le pourquoi du large échec de la colonisation.

 

            Tout feu, tout flamme, à cette époque de ma jeunesse, le rêve d’un service au service des autres, les Africains, avait effectivement bercé mes études, alors que je n’avais pas eu le temps, ou pris le temps de me pencher sur l’histoire détaillée de nos conquêtes coloniales et sur la connaissance que nous avions du continent africain. J’en savais toutefois, déjà assez, pour ne me faire aucune illusion sur la pérennité de notre présence coloniale en Afrique, mais je croyais qu’il était encore possible de fonder une nouvelle communauté de destins entre la France et ses anciennes colonies, ce qui n’a pas été le cas, et en tout cas pas sous la forme caricaturale de la Françafrique. 

            S’il est vrai que la conquête coloniale de l’Afrique de l’ouest fut, par bien de ses aspects, et de ses exploits, une sorte de saga militaire qui vit souvent s’opposer de grands adversaires, les couples Gallieni-Ahmadou, puis Archinard-Ahmadou, puis Archinard-Samory, fusse souvent avec la supériorité de notre armement, les premiers pas de la colonisation s’effectuèrent dans une paix civile relative, toute nouvelle, facilitée par la destruction des grands empires du bassin du Niger, celui d’Ahmadou, en pleine déliquescence, celui de Samory, en pleine puissance, et l’installation d’une nouvelle paix civile, celle de l’ordre public colonial,.

 

            Quelles conclusions tirer de notre analyse ?

            Les temps courts de la colonie

            Les temps de la conquête et de la colonisation ont été des temps courts, une trentaine d’années au maximum, pour la conquête et l’installation du nouveau pouvoir colonial, 1880/1890 – 1910/1914, une vingtaine d’années pour la « belle » période coloniale, 1920/1940, et moins de vingt années après la fin de la deuxième guerre mondiale, 1945/1960, alors que l’AOF était déjà entrée dans un autre monde, qui n’était plus celui de la colonisation.

            Ajoutez à cela que deux guerres mondiales avaient interrompu ou perturbé gravement les processus coloniaux : après le retour des anciens tirailleurs de la guerre de 14-18, le Blanc n’était déjà plus l’homme « miracle », et après la défaite de la France, en 1940, les changements intervenus chez les maîtres du monde, la toute puissance des Etats-Unis, le cours de l’Afrique devait inévitablement prendre un cours nouveau.

 

            La colonisation française se développa donc dans un temps historique très court, une période « utile » de l’ordre de cinquante années, interrompue par les deux guerres mondiales, et débouchant sur un après 1945, un nouveau monde, celui du déclin de l’Europe, de la tout puissance des Etats-Unis, et rapidement de la guerre froide, d’une Quatrième République dont l’objectif N°1 était la reconstruction du pays.

 

            Il est indispensable d’avoir ces données temporelles à l’esprit quand on a l’ambition de vouloir apprécier les tenants et aboutissants de la colonisation française, sinon ses résultats, car elles sont historiquement capitales.

 

            Des yeux plus gros que le ventre, toujours plus gros que le ventre, hier comme aujourd’hui, « la politique de grandeur » de la France.

            Les gouvernements de la Troisième République ne manquaient pas d’air pour se lancer dans de grandes expéditions coloniales en Afrique, en Asie, et à Madagascar,  alors qu’ils ignoraient tout, ou presque tout des peuples de ces nouvelles colonies, et qu’ils n’avaient jamais arrêté de politique coloniale.

            Il y a beaucoup d’anecdotes qui démontrent la grande ignorance que nos hommes politiques avaient du domaine colonial, et cela jusqu’à la décolonisation.

            C’est une des raisons, parmi d’autres qui me font répéter, que le peuple de France n’a jamais été concerné par les colonies que de façon marginale, lorsqu’il y eut de la gloire à glaner, celle que Montesquieu avait déjà mise en lumière comme une des caractéristiques de la psychologie des Français, ou inversement lorsqu’il fut nécessaire de lutter contre les révoltes violentes des peuples qui revendiquaient une indépendance tout à fait légitime.

            Dans le conflit indochinois, la Quatrième République se garda bien de mobiliser le contingent et fit appel aux éléments professionnels de son armée, décision qui marquait bien sa volonté de tenir le peuple à l’écart, et lorsque la même République envoya ses appelés en Algérie, mal lui en a pris, puisque la présence massive du contingent a plutôt été un facteur d’accélération de l’indépendance algérienne.

            Vous imaginez l’inconscience, la légèreté, la démesure, dont il fallait faire preuve, à la fin du dix-neuvième siècle, pour lancer la France dans de grandes expéditions militaires sur plusieurs continents, en Asie, à plus de dix mille kilomètres de la France, ou en Afrique, à quatre ou cinq mille kilomètres, même en tenant compte du saut technologique qui en donnait la possibilité théorique, la quinine, la vapeur, le câble, les armes à tir rapide, et le canal de Suez.

            La légèreté ou l’inconscience politique pour avoir l’ambition de conquérir des millions de kilomètres carrés sous n’importe quel climat, sans savoir par avance ce qu’on allait bien pouvoir en faire !

            Pour former ces expéditions, les gouvernements de la Troisième République se sont bien gardés de faire appel aux soldats de la conscription, mais déjà aux éléments professionnels de son armée, et surtout aux fameux tirailleurs sans le concours desquels aucune conquête n’aurait été possible.

            Le summum de cette folie fut l’expédition de Fachoda, en 1898, la France nourrissant l’ambition de contrer les Anglais dans la haute Egypte, alors que notre pays avait abandonné l’Egypte aux Anglais, quelques années auparavant, et que Kitchener remontait le Nil avec une armée moderne, des milliers d’hommes avec vapeurs, canons, et télégraphe. En face, une dizaine de Français, avec à leur tête le capitaine Marchand, pour y  planter notre drapeau, alors qu’il fallait faire des milliers de kilomètres dans une Afrique centrale encore à découvrir pour ravitailler la mission Marchand à Fachoda.

 

            Les premiers regards croisés

            Au cours de la première phase de contact entre les deux mondes, et hors période d’affrontement militaire, les premiers blancs, en tout cas ceux que nous avons cités, et qui nous ont fait partager leurs récits, leurs carnets d’expédition ou de voyage, n’ont pas porté un regard dépréciatif sur les sociétés africaines qu’ils découvraient, plutôt un regard d’étrangeté.

            Les lecteurs connaissent le débat qui a agité au dix-neuvième siècle le monde intellectuel et politique quant à la question des races et d’une supériorité supposée de la race blanche, nous avons déjà évoqué le sujet, mais sans introduire le critère racial, il est évident qu’un officier de marine français ou anglais, car les officiers de marine ont très souvent été les artisans des conquêtes coloniales, ne pouvait manquer d’éprouver un sentiment de puissance extraordinaire - tout devait leur sembler possible -  quand ils débarquaient sur les côtes africaines à partir de leurs monstres d’acier, car il faut avoir vu des images des parades des flottes militaires de l’époque, à Toulon, à Cherbourg, ou à Cronstadt, pour en avoir conscience.

 

            Pour faire appel à une comparaison anachronique, la perception des choses que pourrait avoir le commandant d’un paquebot de croisière, à l’ancre à Pointe à Pitre, une sorte d’immeuble de grande hauteur, en apercevant de son neuvième ou dixième étage, un piéton sur le quai.

            Dans un de ses romans, Amadou Hampâté Bâ, parlait des monstres d’acier, les vapeurs du Niger qu’il avait vu dans son enfance, mais qu’aurait-il pu dire alors s’il avait vu les autres grands monstres d’acier, avec leurs cheminées monstrueuses, qu’étaient les cuirassés ou les croiseurs des flottes anglaises, françaises, russes, ou japonaises.

            Tout a commencé à changer quand le système colonial à la française s’est mis en place, lorsque le colonisateur a voulu, pour des raisons de facilité et de simplicité évidentes, administrer les Noirs sur le même modèle, établir le nouvel ordre colonial en usant soit de la palabre, soit, et plus souvent de la violence, comme nous l’avons vu en Côte d’Ivoire.

            Du côté africain, nous avons tenté de proposer un aperçu des regards qu’ils pouvaient porter sur ces premiers blancs, avec le sentiment que les Africains trouvaient encore plus étranges ces blancs que les blancs ne pouvaient les trouver eux-mêmes étranges, sortes de créatures venues d’un autre monde, familières de leur propre monde imaginaire.

 

            Dans les apparences, un grand bouleversement des sociétés africaines en peu de temps, avec une grande immobilité au-dedans des mêmes sociétés africaines.

            Ce serait sans doute ma première remarque sur les changements intervenus dans cette région du monde, des changements qui furent souvent de vrais cataclysmes pour beaucoup de sociétés africaines repliées jusque-là sur elles-mêmes, souvent aux prises avec des voisins prédateurs, des sociétés qui vivaient d’une certaine façon en dehors du temps, dans leur propre temps, mais en même temps capables de se refermer sur elles-mêmes comme des huitres.

            Dans les pages qui précèdent le lecteur aura pris la mesure de l’écart considérable qui pouvait exister entre le fonctionnement de ces sociétés, le contenu de leurs cultures et croyances, et la société française de la même époque, un écart que seuls les bons connaisseurs du monde africain avaient pu mesurer tout au long de la période coloniale.

            Nous avons fait appel à des témoins compétents et non « colonialistes » dans le sens anachronique que certains leur prêtent, pour éclairer le lecteur sur les caractéristiques de cette société africaine, ou plutôt de ces sociétés africaines, tant elles étaient variées, des caractéristiques religieuses et culturelles qui compliquaient la tâche du colonisateur, pour ne pas dire, la rendait impossible.

            Un bouleversement immense, peut-être plus en surface, dans les organes politiques apparents, les circuits d’un commerce encore faible, qu’en profondeur, alors que le monde noir vivant restait souvent à l’abri, très résistant dans ses convictions magiques et religieuses.

            Les témoignages de Delafosse, Labouret, Delavignette, et Sœur Marie Saint André du Sacré Cœur illustrent bien cette situation paradoxale et marquaient bien les territoires de la pensée et des croyances africaines qui échappaient à la colonisation, et ils étaient fort nombreux.  

            Ces grands témoins étaient lucides, et comment ne pas citer à nouveau ce qu’écrivait Delafosse dans le livre « Broussard », paru en 1922, longtemps avant le temps des indépendances, quant à la possibilité qu’une bombe explose à Dakar, comme elle avait déjà explosé dans un café d’Hanoï.

 

            L’ouverture au monde

            Aucun historien africain sérieux ne viendra contester, je pense, le fait que la colonisation française a marqué l’Afrique de l’ouest par son ouverture au monde.

            Richard-Molard avait relevé qu’un des handicaps majeurs de cette région d’Afrique était son « trop plein de continentalité ».

            Il ne fallut pas vingt ans pour que la nouvelle Afrique s’ouvre vers la côte atlantique, tourne en grande partie le dos à son économie continentale, tournée vers le désert, le bassin du Niger, une économie de traite assez anémique, grâce à: quelques ports, quelques lignes de chemin de fer, quelques milliers de kilomètres de routes, quelques lignes de navigation sur les fleuves Sénégal et Niger, et sur la lagune de Côte d’Ivoire, et la construction d’un réseau de lignes télégraphiques. Ces dernières avaient, sans doute, et en partie, rendu obsolète l’usage du tam-tam pour communiquer.

            La réorientation des circuits d’échanges humains et économiques fut une vraie révolution, même si elle ne toucha pas en profondeur, jusqu’en 1914, le fonctionnement des sociétés africaines. Tout changea avec le travail forcé que le colonisateur mit en place pour assurer les travaux d’équipement du pays, mais aussi pour fournir de la main d’œuvre à des colons.

            Il convient toutefois de noter que l’effectif des colons fut faible, sinon inexistant dans la plupart des colonies d’Afrique occidentale

            Aujourd’hui, il est de bon ton de condamner le travail forcé, alors qu’on s’était félicité d’avoir supprimé l’esclavage, mais cette forme de travail n’était pas très éloignée de celle qui était encore pratiquée dans les villages sous l’autorité des chefs, et de notre vieille servitude communale de corvées, un jour remplacée par une taxe communale. Il y eut toutefois beaucoup d’abus, qui furent condamnables, d’autant plus quand cette exploitation humaine fut mise au service de certains intérêts privés.

            La solution du travail forcé est une des contradictions de la colonisation française, une de plus. On veut moderniser, on veut civiliser, mais comme on n’en a pas les moyens, on revient à une des vieilles et bonnes méthodes du pays. En y ayant recours, la plupart des administrateurs n’avaient sans doute pas l’impression qu’ils « transgressaient » une loi morale, d’autant moins que la plupart d’entre eux avaient en mémoire les pratiques de nos corvées rurales.

 

            Quelle solution les bonnes âmes devaient-elles apporter pour financer les travaux collectifs, alors que l’impôt n’existait pas, ou quasiment pas, et que, dès 1900, la Chambre des Députés avait formellement exclu que la métropole subventionne les belles colonies dont elle s’était dotée?

 

            La réponse serait sans doute celle qui aurait aujourd’hui ma faveur : il ne fallait pas y aller ! Puisque la France n’en avait pas les moyens, que l’Afrique occidentale n’était décidemment pas un nouvel éden, et qu’au bout du compte, le motif qu’a donné le grand historien Brunschwig pour expliquer la ruée coloniale de la France, c'est-à-dire donner un exutoire au nationalisme français après la défaite de 1870, y trouvait chaque jour ses limites. D’autant plus qu’il nous détournait de la fameuse « ligne bleue des Vosges », chère entre autres à Clemenceau !

 

            Une politique coloniale inexistante et une politique indigène impossible à définir et à appliquer

            Pour qui part à la recherche de la politique coloniale de la France, au cours de la période examinée, court le risque de n’en trouver aucune.

            Les débats de la Chambre des députés qui ont entouré les expéditions du Tonkin, en 1885, et de Madagascar, en 1895, ont été on ne peut plus confus, animés souvent par des députés qui n’avaient aucune connaissance de l’outre-mer, et n’ont apporté aucune clarté sur le contenu de la politique coloniale française, au-delà des grands mots.

            Que voulait la Chambre ? Personne ne le savait vraiment, alors qu’elle hésitait toujours entre une grande politique d’assimilation, qui flattait son amour propre, alors qu’elle était irréalisable sur le terrain, et une politique d’association, mais avec quel pouvoir local, puisqu’en Afrique de l’ouest, pour citer cet exemple, on avait refusé toute coopération avec les grands souverains locaux qu’étaient Ahmadou, Samory, ou Tiéba.

            A Madagascar, lorsqu’il a été question de savoir si la France jouait le jeu de la monarchie, avec la formule du protectorat,  ou établisse une nouvelle colonie « républicaine », Gallieni imposa un choix républicain, le sien.

            Dans la pratique, les affaires coloniales étaient entre les mains des spécialistes, les experts, souvent issus de la marine ou du grand commerce maritime des ports du Havre, de Bordeaux, ou de Marseille.

 

            Quant à la politique indigène, mieux vaut ne pas trop s’interroger sur la connaissance qu’en avaient les gouvernements de la République, car ils laissèrent leurs gouverneurs et administrateurs s’en débrouiller, avec les deux ou trois outils qu’ils leur avaient procuré, les lois au gré des proconsuls qu’étaient les gouverneurs, le code de l’indigénat pour simplifier et faciliter l’administration des vastes territoires conquis, et le travail forcé des indigènes, seul capable, faute d’épargne locale suffisante, d’assurer la réalisation de grands équipements, notamment le réseau routier, une des ambitions de la république coloniale.

 

            Une exception toutefois dans le dispositif, celle des quatre communes du Sénégal, dont les habitants se virent reconnaître le statut de citoyens français grâce à l’action déterminée du député Diagne pour soutenir l’effort de guerre de Clemenceau.

            La définition d’une politique indigène était de toute façon une tâche impossible, tant étaient différentes et variées les sociétés africaines de l’Afrique de l’ouest, tant en niveau de développement, qu’en termes de mœurs, de croyances, de culture.

            Quoi de commun entre les Peuls de Bandiagara, les Malinkés de Kankan, les Baoulés ou les Gouros de Côte d’Ivoire ? Entre les ethnies islamisées du bassin du Niger ou les ethnies fétichistes de la forêt tropicale ?

 

            Delavignette notait :

« Le Gouvernement Général de l’Afrique Occidentale Française promène ses administrateurs de l’âge de pierre à l’âge du pétrole. Le danger, c’est qu’ils établissent une hiérarchie entre les différents pays et qu’ils jugent ceux de l’âge du pétrole supérieurs à ceux de l’âge de pierre. » (p,70)

            Et de noter plus loin :

            « Sur la Côte Occidentale d’Afrique vous ne vous associerez avec des anthropophages que s’ils assimilent un autre régime carné, et au Sahel vous n’assimilerez les Touareg et les Maures que si vous les fixez comme des sédentaires – et s’ils n’en meurent pas. La réalité échappe aux catégories dans lesquelles nous prétendons l’enfermer. Et ces catégories mêmes, qui paraissent claires et commodes, ne sont pas ou ne sont plus des méthodes de connaissance. Elles immobilisent l’esprit. » (p,88)

 

            Vaste programme !

            C’était dire la difficulté, sinon l’impossibilité qu’il y avait déjà à vouloir définir une politique indigène et conduire les noirs à l’assimilation proposée par des rêveurs, des idéalistes, pour ne pas dire quelquefois des menteurs, car ce n’était pas sérieux.

            Les témoignages auxquels nous avons fait appel pour mieux comprendre l’état religieux et culturel de l’Afrique ont permis de relever la somme des obstacles que la colonisation française aurait dû franchir pour avoir la prétention de construire d’autres Frances noires, sur le modèle de notre République.

            Encore, un seul exemple, comment aurait-il été possible d’organiser des élections, alors que la population n’avait pas fait l’objet d’un recensement sérieux, qu’elle était illettrée à presque 100%, et que le concept d’élection était complètement étranger au monde culturel et religieux du pays.

 

            Alors tous les discours anachroniques que l’on a l’habitude d’entendre des deux côtés de l’Atlantique sur cette République coloniale qui n’a pas tenu ses engagements de citoyenneté, de scolarisation, de développement économique, sonnent faux, à partir du moment où l’on prend le temps de se renseigner, de se documenter, pour pouvoir se former une opinion sérieuse.

            La vraie question n’est pas celle du procès qu’il est possible de faire à la France « Coloniale » ou « Colonialiste », au choix, pour avoir abusé, enfreint telle ou telle loi, ou telle ou telle promesse, mais celle d’un rêve éveillé complètement fou, celui d’une supposée civilisation denrée d’exportation, ou d’une assimilation que les bons connaisseurs de l’Afrique ont su rapidement impossible, et ce fut le cas d’un bon africaniste comme Delafosse, comme nous l’avons vu.

 

            Et pour en terminer, j’aimerais évoquer deux sujets, le premier, un instrument on ne peut plus familier aux bons petits Français d’un passé encore récent, la charrue, le deuxième, une des philosophies d’Asie, le tao.

 

            La charrue

            Pourquoi la charrue ? Parce que cela fut un bon instrument de l’approche de la société rurale africaine, une bonne pierre de touche de leur capacité de résistance et de progrès.

            Labouret, un de nos grands témoins de l’Afrique coloniale, a écrit un livre remarquable sur les « Paysans d’Afrique Occidentale », et à la fin de cet ouvrage, il évoque longuement l’emploi de la charrue, véritable instrument de progrès :

 

            « En fait, il s’agit d’amener en quelques années les sédentaires africains, possesseurs de bœufs, mais ignorant l’emploi de la roue, du stade de la culture au bâton à enfouir et à la houe à celui de la charrue. Cela suppose un dressage préalable des animaux, l’achat d’appareils nouveaux, leur emploi par les indigènes qu’il faut instruire à les utiliser, par conséquent un changement complet d’habitudes et de techniques pour des populations entières. L’exploitation du sol, basée aujourd’hui sur le nomadisme agricole, pratiqué dans un parcours donné, impose la culture extensive avec ses effets ordinaires : la possession p)lus ou moins précaire, l’existence de droits particuliers que nous avons indiqués…

            Les bœufs étant considérés par les habitants de ces pays comme une marque vivante de richesse, on imagine aisément la résistance ouverte ou sournoise, opposés à l’administration par les propriétaires de ces animaux, qui se refusent à les livrer aux instructeurs agricoles, chargés de les dresser. »

 

            Et Labouret de conclure :

            « Ces initiatives diverses ont contribué à rénover les méthodes archaïques de l’agriculture et de l’élevage, à implanter dans l’esprit des indigènes des notions nouvelles. Ils semblent acquis désormais à la technique de la charrue, mais ils ne pourront la mettre tous en œuvre avant de longues années. » (page,240)

 

            Delavignette, également bon connaisseur du paysannat noir, partageait cet avis, et rappelait :

            « En Guinée, en 1913, le gouverneur Poiret – Père de la charrue africaine – introduisit deux charrues. En 1938, l’AOF en a plus de 30 000 sans compter les herseuses et les semoirs. Et des bœufs sont dressés. Œuvre plus remarquable qu’il n’y parait. Il est plus facile d’apprendre à un Noir à conduire un camion qu’à pousser la charrue ; c’est que le bœuf n’est pas une mécanique et la vie rurale une affaire de robot. » (p.202)      

            Ces observations soulignent à juste titre l’importance des mœurs et de la culture dans la compréhension des comportements.

 

            Dans son livre « Tour du monde d’un sceptique » (1926), Aldous Huxley notait au cours de son voyage en Inde des traits de civilisation très comparables :

            A Jodhpur,

            « L’après-midi touchait à sa fin quand nous passâmes en voiture devant le palais de Justice. Les affaires quotidiennes étaient expédiées et les balayeurs étaient à l’œuvre, nettoyant tout pour le lendemain. Devant l’une des portes du bâtiment se trouvait une rangée de corbeilles à papier pleines à ras bord ; comme si c’était des mangeoires, deux ou trois taureaux  sacrés s’y approvisionnaient en mangeant lentement et majestueusement. Quand les paniers étaient vides, des mains obligeantes venaient les remplir d’une nouvelle ration de papier déchiré et barbouillé. Les taureaux continuaient à brouter : c’était un festin littéraire. » (page 79)

 

            Le tao

            Pourquoi le tao ?

            Tout d’abord parce que je pense que la philosophie asiatique du tao rend assez bien compte du mouvement du monde, d’un mouvement qui échappe le plus souvent à l’autorité de quiconque, religieuse, politique, ou culturelle, avec à sa source le moteur de changement ou de progrès, un autre âge de modernité.

            Il est possible de disserter à longueur de temps sur le colonialisme ou sur le capitalisme, ou sur le communisme qui a pour le moment disparu de la planète, car son expression chinoise ou vietnamienne est le bel habillage idéologique d’une nouvelle sorte de capitalisme.

            L’Afrique noire n’existait pas à la fin du dix -neuvième siècle, on l’ignorait, et on ne la connaissait pas. Comment était-il possible de croire qu’elle pouvait échapper au courant du monde moderne, fait à la fois de curiosité, de convoitise, mais avant tout d’une toute nouvelle puissance technologique ?

            L’Afrique noire ne risquait pas d’échapper à cette nouvelle modernité ravageuse et puissante des nouvelles technologies qui offrait à ses détenteurs, et dans tous les domaines, des bottes de sept lieues. Dans leurs premiers regards, certains africains ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en pensant rencontrer les fantômes d’un autre monde.

            Alors, il est possible d’accuser les puissances coloniales de tous les défauts de la terre, de tous les péchés, mais le vrai problème est plutôt celui du péché de l’ignorance des mondes noirs, d’orgueil d’une nation française, venue récemment à la République, dirigée par une élite aventureuse, qui s’est voulue porteuse fantasmagorique d’un nouvel ordre colonial à la française, une France officielle qui rêvait donc toute éveillée, d’une République coloniale.

            Le rêve des « technocrates » politiques de la Troisième  République, un rêve dont se moquait bien le peuple français.

            Mais en définitive, la colonisation n’a pas eu que des effets négatifs en Afrique occidentale. Comme l’a noté Hampâté Bâ, elle a laissé une langue commune en héritage à ses peuples, qui jusque- là n’étaient pas en mesure de communiquer entre eux.

            Elle a laissé aussi un autre héritage dont personne ne parle jamais, celui d’une véritable encyclopédie écrite et illustrée de l’Afrique occidentale, dans ses âges successifs, cette Afrique que les blancs ont découverte, décrite, et souvent appréciée.

                 Jean Pierre Renaud      Tous droits réservés

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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 09:58

Crise de l’Agriculture Française ?

Non crise de la Civilisation Française !

         Au-delà de l’échec  de la politique agricole de la France et de l’Union Européenne, c’est l’avenir de la civilisation française de nos racines, de nos terroirs, de notre culture, qui est en cause.

         C’est tout autant l’avenir de nos enfants et petits enfants qui est en cause, menacé !

         Ce n’est pas à coups de Com, ou sur un Ring, que notre pays mettra en chantier une nouvelle politique agricole qui redonne de l’espoir et un moyen de vivre à nos agriculteurs en proie au désespoir. 

         Cette crise appelle un sursaut politique de type révolutionnaire avec la création d’une force politique de proposition et d’action d’urgence composée d’hommes et de femmes compétents, ayant fait leurs preuves, sur le modèle de ce que fit la Résistance après 1945.

         A eux de définir une action d’ensemble partant de nos territoires !

         La crise actuelle est le symbole d’une France qui souffre et qui crie : ça suffit !

         Notre France refuse de crever !

                  Jean Pierre et Marie Christine Renaud

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 10:11

« La Comédie du Pouvoir »

Le titre de l’Editorial par Yves Thréard dans le  Figaro du 9 février 2024

Pages 2 et 3 : « Macron complète son gouvernement au prix d’une crise dans sa majorité »

En petits caractères

« Faute d’avoir obtenu satisfaction, François Bayrou a renoncé à entrer au gouvernement. L’équipe a été complétée jeudi soir par 20 ministres et secrétaires d’Etat, un mois après la nomination de Gabriel Attal à Matignon »

A lire ces deux pages, je dirais plutôt

« La Farce du Pouvoir »

 

Quatre plumes du journal nous livrent les confidences recueillies dans les coulisses de ce théâtre médiatique, des confidences et bruits de couloir politiques anonymes qui ont animé cet épisode.

Toujours anonymes : j’en ai compté huit : « petit comité », « proches », « une source », « un visiteur régulier du Palais », « un confident du chef de l’Etat », « l’un de ses proches », « un député Renaissance », « les réseaux sociaux »…

Je vous avouerai que chaque fois que je lis ce type d’écriture politique, je me demande ce que peuvent en penser et en tirer les Français qui le lisent également, sauf à dire que ce type de texte a pour cible les cercles du Figaro qui recoupent souvent les réflexes du microcosme parisien, le système parisien.

Personnellement, j’apprécie ces textes qui fleurent les parfums des anciennes cours des princes… et notre capitale compte un nombre appréciable de ces nouvelles cours.

Bayrou aurait déclaré à ce sujet : « Je pense que l’enjeu de 2027 c’est précisément qu’on arrive à réconcilier la France qui se bat en bas avec la France qui décide en haut. »

Au moins, l’homme de Pau aurait - il enfin compris qu’une crise grave ébranlait les fondements de notre République, celle de la solidarité entre la France d’en haut et la France d’en bas, avec la nécessité existentielle de redistribuer les pouvoirs.

L’homme de Pau aurait-il enfin compris qu’il avait semé des graines sur le terreau parisien de la macronie ? Commémorer à tout va ne veut pas dire incarner.

Bayrou vient d’être relaxé d’un délit qui mettait en cause le Modem, d’autant plus curieusement que cette relaxe revenait à dire que Bayrou n’était pas le vrai « chef » du Modem : le Parquet de Paris semble avoir fait le même constat.

Paris ou Province ? Sur ce blog, je milite depuis des années, non pas pour une « décentralisation » des pouvoirs au profit de nos provinces, mais pour un « transfert du pouvoir non régalien au profit de nos régions et départements.

Jean Pierre Renaud                    Tous droits réservés

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6 février 2024 2 06 /02 /février /2024 10:45

La Méthode Hidalgo

L’entourloupe politique

Votation sur les SUV

Le 4 février 2024

Le Média France Info !

Le 5 février 2024 à 10 heures

« Votation sur les SUV : les Parisiens approuvent à près de 55% le triplement des tarifs de stationnement pour les voitures les plus lourdes »

Sauf qu’un peu moins de 6% d’électeurs parisiens ont voté hier !

Il est vrai qu’à ce tarif statistique, c’est beaucoup mieux que le succès d’Hidalgo aux Présidentielles 2022, 1,75%...

Revenons à la politique sérieuse !

  La question posée est tout à fait caractéristique de la méthode Hidalgo qui laisse à croire qu’à cette occasion elle a fait progresser la vie de la cité.

&

         Le Canard Enchaîné du 5 février 2024 a publié une caricature qui nous rappelle un bon souvenir, celui de la crise des retraites, au cours de laquelle, en violation de ses fonctions légales de maire, elle se crut autorisée à encourager les syndicats à faire la grève des poubelles.

         Avec la crise agricole, le Canard a remis au goût du jour le Paris des poubelles et des rats, avec une caricature intitulée « Le Siège de Paris »

« Nous allons peut-être devoir manger des rats ? Comme en 1870 ? »

« La bonne nouvelle, c’est qu’on a de quoi tenir longtemps ! »

Sauf s’il s’agit non pas de rats mais de surmulots aux dires d’une certaine conseillère de Paris…

Jean Pierre et Marie Christine Renaud

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3 février 2024 6 03 /02 /février /2024 11:04

Chapitre 7

Commentaire sur les trois témoignages Mage, Péroz et Toutée

Rappelons tout d’abord que ces trois témoignages se situent à trois époques différentes (1864-1865), (1886-1887), et (1894-1895) et qu’ils émanent de trois officiers de la marine et de l’infanterie coloniale.

                      Le grand historien colonial Henri Brunschwig notait dans son livre « L’Afrique noire au temps de l’Empire français », qu’à la différence d’autres nations, notamment la Grande Bretagne, la France n’avait pas été une des premières à se lancer dans des explorations. Il relevait également que les explorations françaises eurent souvent «  un caractère artisanal », et furent surtout le fait d’officiers chargés de missions politiques.

             Ces trois témoignages portent sur trois contrées géographiques différentes, le bassin du Niger (Ségou), le Haut Niger (Bissandougou), et l’hinterland du Dahomey.

           Les trois récits décrivent leur voyage exploratoire dans trois types de royaumes africains, ceux d’Ahmadou, fils d’El Hadj Omar, de Samory, et des rois du Dahomey.

           Il s’agit de véritables reportages de voyage, géographiques, militaires et politiques, mais avec une dimension scientifique qui n’est pas négligeable.

         Les voyageurs décrivaient de façon minutieuse les régions traversées, établissaient leur carte topographique, et y joignaient souvent leurs observations botaniques, géologiques,  ou zoologiques.

            Incontestablement, ces trois récits ne s’inscrivent pas dans un discours dépréciatif des civilisations africaines, et le témoignage de Toutée est significatif à cet égard, loin de certains discours racistes de l’époque.

           Et comment ne pas noter que ces officiers de l’infanterie coloniale ne rentraient absolument pas dans la catégorie des « traîneurs de sabre » dont l’historien Person, auteur d’une somme monumentale sur Samory, affublait volontiers ces officiers ?

       Mais il est évident qu’avec le recul que nous donne l’histoire de ces pays, une meilleure connaissance de ces royaumes africains, on ne peut s’empêcher de penser que ces officiers n’avaient pas d’autre solution que de proposer une description superficielle des mondes noirs qu’ils rencontraient.

           Leur témoignage s’inscrit dans la première période de la conquête coloniale au cours de laquelle ces officiers remplissaient une sorte de fonction de reporters, recueillant le maximum d’informations sur les contrées traversées, mais passant inévitablement à côté du fonctionnement concret des sociétés africaines, de leurs mœurs, traditions, et croyances.

       Et pourtant, deux de ces officiers, Mage et Péroz, avaient la possibilité de s’entretenir à peu près correctement avec leurs partenaires africains dans un des dialectes couramment utilisés en Afrique occidentale, mais leur mission était de courte durée, et sa nature n’était pas « ethnologique » .

           Grâce à cette capacité de s’entretenir dans les dialectes locaux, ces deux officiers avaient la possibilité de mieux analyser les sociétés rencontrées, mais il leur fallait aussi recourir à leurs interprètes, l’interprète avait toujours un rôle essentiel, et c’est souvent par leur truchement qu’ils pouvaient entrevoir les réalités d’une Afrique encore largement inconnue, et vivante.

          C’est aussi grâce à ce truchement qu’ils pouvaient se former une opinion sur l’image que les blancs renvoyaient alors dans le monde noir de l’époque, souvent celle du premier blanc rencontré, du mystère qui l’entourait, pour ne pas dire de la magie qui était toujours familière aux noirs.

           Il convient à présent de tenter d’esquisser, à partir de quelques témoignages d’intellectuels noirs, le portrait que le monde noir se faisait du blanc dans les débuts de la colonisation.

 Jean Pierre Renaud                Tous droits réservés

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2 février 2024 5 02 /02 /février /2024 14:34

 

 

Toutée en mission de Cotonou à Gaya, sur le Moyen Niger: 1894-1895

 

 

Troisième témoignage d’un homme « blanc » sur les hommes du monde noir de l’Afrique occidentale

 

Carte

            Dans le chapitre relatif à la problématique des premiers échanges entre monde « blanc » et monde « noir », nous avons déjà fait appel au témoignage du capitaine Toutée : ce dernier relativisait beaucoup les témoignages qu’il était possible de recueillir, selon qu’il s’agissait du monde noir de la côte ou de celui de l’hinterland, que personne ne connaissait alors.

 

            Polytechnicien et artilleur, le capitaine avait déjà fait connaissance avec le monde colonial, mais un monde très différent de l’Afrique, celui de l’Asie, en Indochine, dans les années 1880.

La mission Toutée

      La mission confiée au capitaine s’inscrivait dans la compétition que les puissances européennes avaient engagée dans toute l’Afrique pour conquérir le maximum de terres africaines, qu’elles considéraient, avec beaucoup d’hypocrisie, comme n’appartenant à personne, c'est-à-dire des « res nullius », sous les prétextes de la civilisation ou de la liberté du commerce.

            Dans le cas de Toutée, il s’agissait de délimiter les zones d’influence française et anglaise entre le Dahomey, récemment conquis, et la Nigéria, et notamment de pouvoir s’assurer d’un point de navigation français, sur le Niger, au sud des chutes de Boussa.

            Le lecteur doit savoir que la Nigéria avait la particularité  d’avoir été concédée par le gouvernement britannique à une compagnie à charte, privée, la Royal Niger Company, à laquelle l’armée britannique apportait, étrangement et officiellement, son concours.

            Pour atteindre son objectif, Toutée avait pour instruction de ne pas emprunter le cours inférieur du Niger, d’ailleurs navigable, en grande partie sous contrôle britannique, et de gagner par la nouvelle colonie du Dahomey, le cours moyen du fleuve dans la région de Boussa.

            « L’itinéraire devait tenir compte de la ligne provisoire de démarcation des zones d’influences française et anglaise, qui va en suivant le méridien d’Adjarra, jusqu’au neuvième parallèle.

            Au nord de ce parallèle, aucune attribution de territoire n’avait encore été faite à des puissances européennes, de sorte qu’une fois parvenue à l’extrémité nord du couloir formé par les deux méridiens qui bordent le Dahomé, la mission avait liberté de manœuvre pour gagner le fleuve en se tenant le plus près possible du neuvième parallèle.

            Tout le long de cet itinéraire, elle devait chercher à nouer des relations avec les chefs des pays traversés, afin d’assurer une ligne continue de territoires soumis à notre autorité depuis la côte jusqu’au point du fleuve où nous arriverions. – Des postes devaient être établis là où ils seraient nécessaires pour consolider ou affirmer notre influence.

            Ce nouvel itinéraire rendait très problématique le succès de la mission en tant  qu’exploration hydrographique du Niger…

             Dans ces conditions, on ne pouvait guère espérer que, parvenue par le plus grand des bonheurs à travers les sentiers de ces différents pays, à plus de 600 kilomètres de son point de départ, affaiblie dans ses organes de direction par la maladie des blancs… la mission fût encore en état d’entreprendre une navigation de quelque étendue sur le fleuve. » (page .XX)

           Le déroulement de la mission

            « Le 17 novembre 1894 au soir, mes instructions étant signées, je prenais congé du ministre, et, le 18, je partais en compagnie du lieutenant de réserve de Pas pour Marseille, où nous devions embarquer le 20. »Le capitaine embarqua sur le vapeur l’Isly pour Dakar, et Cotonou, où il devait débarquer pour accomplir sa mission. Le port disposait déjà d’un warf qui permettait de franchir l’obstacle de la barre, permanent sur cette côte, tout en obligeant passagers ou marchandises, à l’embarquement ou au débarquement, à être transbordés par un panier, du wharf au bateau et inversement.

     Le monde noir de la côte :

            «  Pendant des centaines et des milliers de kilomètres nous rencontrerons dans l’intérieur des noirs de toutes races. Ils nous recevront plus ou moins amicalement, plus ou moins agréablement ; nous trouverons des gens plus ou moins intelligents, plus ou moins irrésolus ou barbares, mais à, 50 kilomètres de la mer, nous perdrons de vue l’état social, anormal, et monstrueux qui règne à la côte. Pendant tant de jours désormais, nous vivrons dans un monde si raisonnable, qu’on nous reprocherait de quitter, sans en signaler quelques traits, le pays des folies moricaudes que nous ont décrit tous les auteurs de notre jeunesse. Tous leurs récits venaient de capitaines anglais - négriers pour la plupart - qui n’avaient jamais quitté leur  bateau. Ces navigateurs nous ont donné des noirs l’idée qu’ils en avaient et qui était exacte pour ceux de la côte. » (p.47)

        Le capitaine passa par l’ancienne capitale du roi Behanzin, Abomé, puis par Tchaourou, Tchaki, pour arriver au Niger, le 13 février 1895, où il fonda le nouveau poste d’Arenberg.

            Arrivé sur le fleuve, il fit la reconnaissance des chutes de Boussa, situées plus au nord, une reconnaissance qu’il poursuivit en direction de Tombouctou, jusqu’à Saye, Farka, et Kirotschi.  Il eut alors maille à partir avec les Touaregs qui dominaient cette zone.

            Toutée revint alors à Arenberg pour rejoindre Cotonou, Porto Novo, et la France, en naviguant sur le Niger.

            « J’étais arrivé à Arenberg épuisé, l’absence de quinine et de laudanum m’ayant causé des séries de crises dont chacune m’affaiblissait d’autant. » (p.332)

      « Enfin, le 3 août 1895 à six heures du soir, je grimpais joyeusement les fondrières de la place Amiral-Cuverville et faisais ma rentrée à Porto Novo. » (p.338)

        Il convient de rappeler que le poste d’Arenberg fut en définitive abandonné à l’occasion de négociations anglo-françaises qui suivirent, la France obtenant alors que sa colonie du Dahomey touche le fleuve Niger à Gaya.

             La thématique des observations

          Monde blanc et monde noir : regard, impressions, images réciproques

           C’est un sujet difficile, que celui de la représentation réciproque que pouvait avoir tel ou tel blanc et tel ou tel noir de l’autre, lors des premiers contacts, de la découverte mutuelle d’êtres et de croyances étranges.

 La tentation de l’anachronisme et de la généralisation sophiste s’est donc souvent emparée de beaucoup d’interprètes qui se voulaient ou se prétendaient savants.

            Imaginez un peu le choc que pouvait constituer le premier contact d’un blanc avec un groupe ethnique nu, alors qu’un autre était habillé comme chez nous, mais avec des vêtements différents des nôtres, ou la découverte de la magie, des fétiches, et des sacrifices, chez les uns, et de l’islam chez les autres

            En ce qui concerne les premières impressions des blancs, nous avons la chance de disposer de beaucoup de récits de voyageurs, d’explorateurs, de missionnaires et d’officiers. Les mêmes récits nous donnent aussi quelquefois une version des premières impressions des noirs au contact des premiers blancs, une sorte de représentation réciproque par truchement, fiable ou pas.

            Comme nous l’avons déjà vu, les blancs avaient une représentation ancienne des noirs, une image très contrastée selon les époques, et les témoignages. Des images  non représentatives du monde noir, des mondes noirs, car il convient toujours de rappeler que l’Afrique est un vaste continent. Hier, comme aujourd’hui, toute image « noire », sortie de son contexte de date, de lieu, et d’origine, est par nature caricaturale, et donc fausse.

            Avant les explorations géographiques, les aventures missionnaires, et la conquête coloniale elle-même, les blancs avaient donc une image un peu folklorique de l’Afrique, faite de témoignages de côtiers, et surtout par le truchement de noirs ou de blancs qui connaissaient peu de choses sur l’hinterland.

            Que dire alors des noirs, lorsqu’ils découvrirent les premiers blancs ? Dans les chapitres consacrés à Mage et à Péroz, l’occasion nous a déjà été donnée d’avoir un aperçu de ces premiers contacts, mais le témoignage du capitaine Toutée est plein d’intérêt à ce sujet.

       Premier contact de Toutée avec les Mahis

            Toutée est chez les Mahis :

            « Ce qui contribuait à les tranquilliser, c’est qu’ils savaient qu’étant déjà pourvu je ne venais pas chercher femme chez eux. Comme ils ne se mettent en campagne que pour conquérir des femmes, ils comprenaient difficilement que je fusse venu pour autre chose. Mahmadou leur avait déjà dit que non seulement j’en avais une, mais que je voyageais avec son portrait et qu’au moyen du fil (le télégraphe) je lui parlais tous les soirs. Comme ils m’en parlaient à leur tour, je leur montrai les photographies que je portais sur moi et ils échangèrent longtemps leurs impressions. « Est-il vrai que tu n’aies qu’une femme ? – Oui – C’est sans doute que les femmes blanches coûtent très cher, plus cher que les nôtres ? – Oh, oui – ça se comprend, elles sont bien plus jolies. Et le tout petit, pourquoi n’est-il pas sur le même papier que les autres ? – C’est sa mère qui a voulu. – Alors, c’est comme chez nous, vous aimez mieux le dernier venu. – oui, tant qu’il est tout petit. – C’est comme chez nous.

            J’eus ensuite avec eux une longue conversation sur les choses agricoles ; ils apprirent avec intérêt que j’avais deux cents moutons et que lors de mon départ un grand nombre d’entre eux étaient malades parce qu’il avait plu dessus. – Tout cet échanges d’idées insignifiantes  avait pour but et eut en grande partie pour résultat  de me faire considérer par eux comme un être humain semblable à eux et accessible à toutes idées de sens commun, et non un sorcier vivant de maléfices et de son commerce avec les loups-garous, ce qui – chacun le sait – est le propre des blancs.     En revanche la séquestration de Béhanzin ne fut pas bien comprise. Non seulement les Mahis n’avaient jamais vu la mer, (le cas de votre serviteur avant dix huit ans), mais ils n’ont pas la notion de ce qu’est une île, et Abdul, pour leur expliquer, ayant fait avec le doigt un petit cercle autour duquel il étendit les bras pour figurer l’immensité des flots, ils crurent que Béhanzin se tenait toujours debout sur un espace aussi étroit que celui qu’Abdul avait dessiné. L’infortuné leur apparut comme une sorte de saint Jean le Styliste malgré lui, et le supplice qui lui était infligé leur sembla d’une malice véritablement diabolique.

            C’est le lendemain, dans les conversations sans fin qui revenaient au sujet du déporté de la Martinique, que j’appris la fausse notion qu’ils s’étaient faite de sa situation et j’ai noté le fait pour montrer un exemple, combien les notions les plus simples – un prisonnier dans une île – exigent en réalité de connaissances acquises étrangères à des hommes relativement intelligents et civilisés. » (p.90)

      A Savé, le roi Achémou

          Lors de son passage à Savé, où il fut fort bien accueilli par le roi Achémou, un Nago, Toutée rapportait une observation intéressante recueillie à l’occasion de l’une de ses rencontres avec le roi :

            « Enfin, je n’ai pas pu savoir s’il partageait la croyance de la plupart des noirs, qu’il faut éviter de croiser son regard avec un blanc sous peine d’être ensorcelé. Cette croyance est si répandue et si profondément enracinée, que j’ai connu des gens incontestablement braves, auxquels elle donnait une physionomie timide et irrésolue tout à fait en désaccord avec leur valeur réelle. » (p.101)

            Longues conversations avec le même roi :

            « Nous passâmes de longues heures ce soir-là et le lendemain à parler de la France, des femmes, des enfants, des domestiques, des chevaux, de l’agriculture, et du service militaire. » (p.103)

            Et toujours la même curiosité des noirs à l’égard des blancs qui campaient momentanément dans leur village ou cité.

 A Gobo, Toutée notait :

            « Rien ne se passa d’extraordinaire dans la soirée, sauf l’arrivée subite par diverses ruelles donnant sur notre camp de cavaliers isolés, toujours la lance au poing et toujours au galop. Nous nous installâmes pour dîner dans la cour du chef et tous vinrent, pendant notre repas, satisfaire leur curiosité, relativement soit à nos personnes, soit à nos mets, soit à notre vaisselle.

            Comme on parlait de la chaleur intense qu’il avait fait dans la matinée, et de l’absence de lune qui nous interdirait de partir de trop bonne heure, quelqu’un avança qu’un blanc avait autrefois prédit une éclipse de lune aux gens d’Abeokouta. Je leur dis alors qu’il y en aurait une le 10 mars, et que si vers cette époque ils voyaient repasser par leur pays quelques uns de mes enfants, ils devaient les traiter comme les fils d’un homme qui ne se trompe pas. » (p.122)

  A Tchaki

            «  Eh bien, il y avait si peu de résidence et de médecins anglais à Tchaki, qu’un de nos plus grands ennuis dans cette ville fut l’obsession continuelle de la foule, laquelle n’avait jamais vu de blanc. (p.259) »

       L’accueil et l’hospitalité

        Le roi d’Abomey

      Au début de son voyage, le capitaine rendit visite au roi Abogliagbo, à Abomey, car comme il l’expliquait :

            «  J’avais un intérêt majeur à connaître ce potentat, car pour voyager dans les pays noirs, il est d’usage qu’on soit accompagné d’un « récadère » du roi, sorte d’introducteur qui vous « présente » aux autorités locales des pays traversés. Tout inconnu qui entre dans un village sans y être annoncé par le roi ou sans être accompagné par un récadère du roi, est par là même suspect. Il est tout d’abord et justement suspect de ne pas avoir fait de cadeaux au roi : or ces cadeaux représentent tout simplement nos droits de douanes. A de rares exceptions près, les rois n’entretiennent pas de douaniers aux frontières de leurs Etats, la perception de leur maigres droits serait trop onéreuse. Ils prescrivent simplement que quiconque se présente pour entrer vienne les voir ou en demande la permission. Le cadeau reçu directement, sans aucun grappillage d’intermédiaire, entrera tout entier dans le trésor royal, ce qui n’est pas le cas de tous les impôts dans des pays plus civilisés.

            Le voyageur qui s’est vu, suivant la formule consacrée, ouvrir les routes de la frontière à la capitale, se les voit fermer s’il veut continuer sa route sans que le roi ait reçu un cadeau suffisant, et dès lors, sans qu’on se livre à des coupables violences, il est simplement boycotté partout où il va, et ne trouve nulle part personne qui veuille entrer en relations avec lui, même à prix d’or, même pour lui donner un épi de maïs ou un verre d’eau. C’est la condamnation à mort par oubliette en plein air ou par prétérition.

            Quand le roi ne se contente pas d’ « ouvrir les chemins » au voyageur, mais qu’il veut l’honorer particulièrement, il remet au récadère chargé de l’introduire auprès de ses sujets, un bâton royal. C’est une baguette de 50 centimètres de long avec bec de cane argenté.

            Ce bâton est un symbole représentant le roi lui-même, et sa personne est censée être présente là où est présent son bâton. C’est là un usage général dans les pays dahoméens, mahis, ou nagos, et à Allada notamment, le roi envoyait chaque matin son bâton se présenter au résident (de la colonie) à l’heure du rapport »  (p.68)

            L’accueil n’était pas toujours aussi formaliste, mais presque toujours sympathique.

       Chez le roi de Papa

            Toutée notait l’hospitalité exceptionnelle du roi de Papa, dès son arrivée :

            «  Pendant qu’il me demandait des nouvelles de mon voyage, des esclaves qui étaient massés derrière la ligne des notables apportaient près de ma tente des paniers d’œufs, des monceaux d’igname, de bananes et de papayes, attachaient des chèvres et des poulets...

            Pendant qu’il parlait, je vis mes porteurs qui buvaient dans de grandes jarres disposées à l’avance sous les grands arbres et remplies d’eau par les femmes du village.

            Je ne crois pas que dans aucune des villes de France, avec la population la plus sympathique, les autorités les plus zélées, le service d’intendance le plus habile, une troupe de l’importance de la mienne puisse être en moins de temps, à moins de frais, avec plus de discrétion féconde, mieux satisfaite dans tous les besoins d’installation et d’alimentation, reçue en un mot avec plus de correction et de dignité que nous le fûmes dans cette bourgade de Papa…. Le lendemain matin, il nous restait tellement de vivres que nous ne pouvions les emporter. (p.172)

      Chez le roi de Kitchi

            Un autre exemple de l’hospitalité locale, à Kitchi :

            « Mon séjour à Kitchi fut donc fort assombri par la maladie des deux seuls Français qui fussent encore avec moi.

             En revanche c’est à Kitchi que j’ai reçu l’accueil le plus expansivement sympathique de tout mon voyage… »

       Le capitaine réussit à faire signer par le roi un traité d’allégeance, et la signature de ce document fut l’occasion d’une grande cérémonie officielle et populaire :

            «  Quand j’arrivai chez le second roi (le premier étant impotent), il ne me donna pas le temps de descendre de cheval, m’envoya quelqu’un pour me faire ranger mes fanfaristes à droite et à gauche et s’avança au milieu de cette haie, suivi de ses serviteurs et de six femmes en grande toilette. Il esquissait un pas de danse et arrondissait les bras en cadence avec la musique, derrière lui, ses suivants et suivantes l’imitaient.

            Toute cette petite cérémonie était si bien machinée qu’il n’y avait pas la moindre place pour le ridicule, et au bout de quelques instants, au milieu de l’enthousiasme général, mes clairons et tirailleurs se mirent à danser pour leur compte, en accord avec les exécutants de Kitchi. » (p.184)

    Le sauvetage de la mission par les villageois de Garafiri :        

            Une dernière anecdote : à son retour, le capitaine Toutée descendait en pirogue le cours du bas Niger, en direction de la côte, lorsque sa pirogue chavira en franchissant une série de récifs, de rapides, et de chutes. :

            «  Vingt cinq mètres plus loin, la pirogue revient à la surface, complètement débarrassée par les lames de tout ce qui la chargeait. Nous suivons l’épave à la nage. Au bout de 300 mètres environ, frappé sous l’aisselle gauche par une pointe de rocher, je perds un instant la respiration et coule à fond. Ressaisi par mes laptots et ramené à la surface, je reprends connaissance et me dirige, rive droite, vers les branches d’un arbre près duquel le courant nous pousse… »

            Les trois groupes de pirogues du capitaine sont isolés en pleine nuit, sur le fleuve. Le capitaine grimpe sur la berge et trouve un sentier qui le conduit vers un village à onze heures du soir. Il s’agissait du village de Garafiri.

            « Le chef et les notables, aussitôt réveillés, accoururent, me frottant avec des étoffes sèches, me gorgeant de bière chaude et de nourriture et me prodiguant les marques de leur compassion et de leur admiration. Ces manifestations amicales auxquelles chaque nouvel arrivant se croyait obligé de procéder, durèrent toute la nuit. Vers trois heures, nous partîmes avec 200 bateliers munis de leurs pagayes… A midi, tout mon monde sain et sauf, tous mes bateaux, dont deux représentés par quatre morceaux, étaient rendus à Garafiri. Tout le village, hommes et femmes, s’employait à nous remettre en état de naviguer : vingt quatre heures après, nous repartions. » (p.324)

  Et au sujet de la construction des pirogues :

            « Les gens d’Ilo sont, comme ceux de Boussa, de remarquables bateliers, et bien que le calme de leurs eaux ne leur ait point donné l’occasion d’acquérir au même degré de sang-froid et d’intrépidité de leurs frères installés sur les rapides, on y trouverait peut-être plus de ressources en batellerie qu’à Boussa même. Cela tient à ce qu’il existe auprès d’Ilo une forêt d’arbres à bois très dur, très favorable à la construction de pirogues. Le type de grandes pirogues que j’ai rencontré à Boussa et qui circule de Saye à Rabba, est en effet originaire d’Ilo. Ces pirogues portent facilement de trois à cinq tonnes, et, ainsi que vous pourrez vous en assurer en lisant mon rapport spécial sur ce point, elles exigent pour leur construction un art personnel consommé de la part du charpentier. Il n’y a pas en France quatre ouvriers d’art sur cent qui soient capables d’un pareil travail. Cette industrie est moins développée à Boussa, où elle est d’importation récente, car les frères Lander (des explorateurs anglais)  ne parlent que de pirogues en tronc d’arbres, et certes, s’ils avaient vu une seule pirogue du modèle de celles que nous utilisons, ils n’eussent pas manqué de le signaler. » (p.272)

     Hospitalité, mais aussi propreté

      Fermière peuhl et fermière bretonne 

     Péroz avait évoqué le bain des Nausicaa du pays malinké, Toutée met en scène le talent et la propreté de la fermière peuhl :

            «  Tandis que la paysanne bretonne tient son étable et sa laiterie presque aussi malproprement que l’auge où elle mange elle-même, et voit cailler son lait presque aussitôt qu’il est trait, la femme peuhl, depuis avant que Pasteur fût né, traite son produit suivant les règles de la plus rigoureuse antisepsie. Parfaitement propre de sa personne, elle lave encore ses mains et le pis de la vache à l’eau chaude avant de la traire. Les calebasses dont elle se sert, pourtant si altérables par la matière dont elles sont faites (des demi-courges à écorce dure), sont tenues indemnes de tout germe malsain. Elle les passe à l’eau bouillante avant et après chaque usage. Le rebord de ce vase est garni chaque jour d’un lait de chaux qui forme une bordure blanche jusqu’au niveau que doit araser le liquide. Ce badigeon immaculé protège le bord de la tasse contre le contact des doigts et des lèvres ; les mouches évitent de s’y poser pour descendre au lait et sont ainsi réduites à faire un plongeon ou à s’abstenir. Enfin, dès que le lait est trait, il est mis dans l’endroit le plus frais de la case, recouvert d’une tresse légère, qui laisse passer l’air sans permettre l’accès des poussières ni des insectes.

            La conséquence de ces soins est celle-ci : que dans un  pays où la température parait rendre la conservation du lait impossible, on peut en boire le matin, à midi et le soir. Inversement, en Bretagne, où la température de l’été est une des plus fraîches de France, le lait s’aigrit beaucoup plus vite. Si on en demande dans une ferme, on se voit servir un plat de caillé, et la Bretonne s’étonne de votre désir, remettant au moment de la traite l’heure fugitive où l’on boit du lait doux, comme si, le propre du lait était d’être aigri.

            On trouvera peut-être surprenante cette digression sur le produit des vaches, mais comme je dois la vie à la propreté et à l’intelligence des femmes peuhls, que beaucoup de blancs la leur doivent ou la leur devront comme moi, je pense que ceux-là au moins trouveront le sujet intéressant pour eux. (p.151)

  Propreté aussi de beaucoup de villages :

 

      A Abomé :

            « Les villages dahoméens sont si propres et si bien tenus que le roi peut les parcourir tous sans avoir à redouter pareille occurrence. (mettre le pied sur un fétu de paille ou un brin d’herbe, auquel cas les plus grands malheurs étaient à redouter)

             Déjà en entrant à Abomé, le jour de la prise de cette capitale, nos camarades avaient admiré l’extrême propreté de la voirie. S’il en était ainsi dans les jours désastreux où la monarchie croulait et où chacun fuyait la capitale envahie, qu’on juge ce qu’il devait en être à la cour du roi en ce jour de fête.

            Combien il serait à souhaiter que les maires de certains de nos villages – voire de nos villes importantes – puissent s’inspirer des principes de propreté édilitaire en vigueur dans l’ancien royaume de Behanzin ! Dans ce malheureux pays, ruiné par la guerre et par les mesures de dévastation systématique que le vaincu, avec une inlassable ténacité, opposait pied à pied à l’invasion, on aperçoit partout des ruines, mais pas un immondice.

            L’histoire ne dit pas que Rostopchine ait passé sous revue les maisons de Moscou, et ait fait cirer tous les parquets avant d’ordonner l’incendie, tandis qu’il semble qu’avant de mettre le feu à sa case chaque femme dahoméenne ait eu soin de faire le ménage à fond. Maintes fois, je suis entré en France dans des maisons villageoises et, arrivant le matin, j’y ai trouvé les enfants ébouriffés et chassieux, le lit défait, les hardes en tas dans la chambre, le balai en mouvement ou en suspens. La meilleure ménagère a de ces moments dont elle s’excuse et dont on l’excuse : je n’ai jamais surpris un intérieur dahoméen dans ce désarroi passager. »

        A Iloua          

      Le lecteur doit toutefois savoir que ce tableau d’une propreté idyllique n’était pas toujours le cas dans le nord du pays :

            « Iloua a bien le caractère de toutes les villes nagotes : population nombreuse et grouillante, laborieuse et affairée. Mais on voit que nous sommes loin du Dahomé. La propreté laisse à désirer » (p.138)          

           Combattants et cannibales

            Et Toutée de donner son opinion sur les combattants dahoméens :

            «  Nous nous sommes longtemps laissé représenter les sujets de Gleglé et de Béhanzin comme d’affreux cannibales indignes de toute estime… il fallait à ce petit peuple des qualités militaires peu ordinaires (cinquante cinq jours de combat presque ininterrompu). Ce n’est pas le seul courage individuel qui permet d’obtenir de tels résultats, il faut en outre une instruction et une organisation qui soient susceptibles d’en tirer parti, il faut que l’esprit de solidarité, de discipline, et de dévouement au roi ou au pays soit développé à un point que les institutions sociales et militaires réputées les plus solides et les plus perfectionnées ne sont pas sûres de procurer aux Etats les plus civilisés. (p.73)

     Des mondes noirs moins souriants

      Les esclaves et les captifs

            Pour utiliser une expression populaire, ne tournons pas autour du pot.

            Les premiers blancs que nous avons cités comme témoins d’un monde noir qu’ils ont fréquenté entre 1860 et 1900, ont tous relevé que la traite des noirs existait bien en Afrique de l’ouest, comme elle avait déjà existé auparavant pour alimenter la traite négrière transatlantique.

            Comme nous l’avons déjà indiqué, et au risque de se répéter, Il est possible de disserter sur le sens du concept « captif », car il est vrai que la condition de captif couvrait beaucoup de situations concrètes, aussi bien celle du conseiller du prince, de chef de guerre, de griot, de paysan auprès d’un maître, sorte de serf chez son seigneur, ou de domestique de la famille. A la base, il s’agissait bien d’une condition de serf à seigneur, et quand il y avait capture, il s’agissait souvent d’esclaves promis à la vente.

            Les trois témoignages de Mage, de Péroz, et de Toutée, font état de la présence de beaucoup de captifs dans les contrées traversées, ainsi que de convois de captifs ou d’esclaves.

            Le lecteur a relevé dans le récit de Toutée, la présence d’esclaves à la cour du roi de Papa, mais aussi l’accueil magnifique que ce dernier réserva au capitaine.

            D’où venaient ces captifs ?  Des guerres que tel ou tel roi local lançait pour capturer de nouveaux captifs, conservés ou vendus comme esclaves, car la vie humaine avait un prix tarifé et connu sur les marchés.

       De Tchaourou  à Tchaki 

       Sur son itinéraire de Tchaourou à Tchaki, le capitaine notait :

       « Je veux parler de la capture des noirs destinés à l’esclavage et des atrocités qui accompagnent cette opération.

            Les captures d’esclaves sont faites en Afrique soit par des expéditions à portée restreinte entre peuplades voisines, c’est le genre dahoméen, soit par des entrepreneurs de capture qui ne font que cela toute leur vie et organisent au travers de l’Afrique entière la capture d’abord, la caravane d’exportation ensuite : c’est le monde arabe. Dans l’un et l’autre cas, la capture cause la destruction radicale du village qui est attaqué. On sait que les hommes libres seraient difficiles à emmener au loin en caravane : ils seraient tentés de se sauver ou de se révolter, donc on les tue. Dans beaucoup de guerres de peuplades à peuplade, on leur coupe une jambe, ce qui revient au même. Les Dahoméens s’offraient le luxe de les transporter à dos d’homme jusque dans leur capitale et attendaient un jour de fête pour les exécuter. Ainsi faisaient les Romains ; d’ailleurs dans toute l’antiquité l’extermination du peuple vaincu était la règle.

            On tue également ceux des enfants et des vieillards qui seraient incapables de supporter la marche. Puis on organise une caravane pour emmener le reste, dont les femmes forment la majorité. On charge ces malheureux du maigre butin qu’on a pu faire en plus d’eux, et leur calvaire commence…

            Un chiffre a été donné et admis, c’est qu’il meurt en route les deux tiers de ces malheureux, soit de faim, de soif ou de fatigue, soit égorgés parce qu’ils ne peuvent plus suivre.

            Comme on a déjà tué les deux tiers de la population au moment de la capture, on voit qu’une opération qui concerne 100 têtes, en tue 89 pour en livrer 11 au marché. Encore ceux qui survivent, comme ceux qui succombent, ont-ils tous subi un martyre épouvantable.

            Et ce ne sont pas là propos de femme sensible et il n’y a pas que les âmes tendres que le récit de souffrances pareilles infligées à une notable partie de l’humanité, doive émouvoir et exaspérer…

            Que nous empêchions les peuplades soumises à notre dévolu de se faire la guerre entre elles pour se prendre des hommes, cela va de soi ; que nous les garantissions des guerres que les autres pourraient leur faire dans la même intention, cela n’est pas beaucoup plus difficile. Moyennant quoi des pays à moitié déserts se repeupleront, ceux qui sont simplement habités grouilleront de monde et nous aurons laissé à nos successeurs la plus grande richesse qu’on puisse souhaiter sur une terre fertile, c'est-à-dire n’en déplaise à Malthus, des hommes. (p.162)…

                                         Première Partie

           

 

 

 

 

 

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2 février 2024 5 02 /02 /février /2024 11:33

 

Chapitre 4

 

1886-1887 : Péroz vers le Niger et l’Empire de Samory à Bissandougou

 

Un deuxième témoignage « blanc » sur le monde noir de l’Afrique Occidentale (1886-1887)

 

A titr(e d’information complémentaire, j’ai publié, en 2011, un livre consacré au capitaine Péroz, dont le titre était « Les confessions d’un officier des troupes coloniales »

Niger (Samory). Guyane (Dreyfus). Tonkin (Dé-Tham)

 

Une carte

 

 

            Lorsque  le capitaine Péroz exécuta la mission que lui avait confiée le lieutenant-colonel Gallieni, sur instruction du Ministre de la Marine et des Colonies, à savoir, négocier un traité de protectorat avec l’Almamy Samory, et donc se rendre dans le Ouassoulou, jusqu’à Bissandougou, siège de son pouvoir, le capitaine avait déjà acquis une bonne connaissance du monde noir, mais en qualité d’officier combattant.

 

            En 1884, il avait guerroyé sous les ordres du Commandant Combes, contre les sofas de Samory, et s’était illustré, à la fin de 1884 et au début de 1885, en défendant le nouveau fort de Niagassola contre les sofas de l’Almamy.

             Au printemps 1886, il avait accompagné le capitaine Tournier auprès de Samory pour négocier un traité de protectorat que la France n’estima pas satisfaisant. Améliorer et compléter ce premier accord fut donc la mission  du capitaine Péroz.

 

            Il intervenait donc dans les affaires du Haut Sénégal dans une tout autre qualité que celle de soldat, et c’est tout l’intérêt de sa contribution à la connaissance du monde noir, et notamment celui de Samory, dont l’histoire et l’organisation politique étaient alors quasiment inconnues.

            Ce sont donc les observations recueillies au cours de sa mission qui nourrirent le récit de l’ouvrage intitulé « Au Soudan », publié chez Calmann - Lévy, en 1889.

 

            La topographie de l’explorateur et ses cartes

           

            Le capitaine Péroz était accompagné du lieutenant Plat chargé de toute l’intendance de la mission, et en particulier de l’établissement des cartes :

            «  L’arrivée au campement, alors que tout le monde se repose des fatigues de la marche, il faut qu’il traduise sur la carte notes et observations et qu’il passe la soirée penché sur sa table, suant sang et eau par quarante degrés de chaleur, à dessiner son itinéraire. Tel est au moins le rôle de l’explorateur consciencieux qui veut rapporter de ses voyages un carte sérieuse et non des itinéraires faits d’approximation et destinés à être controuvés à chaque contrôle ultérieur… Aussi les résultats topographiques de la mission dépassèrent-ils tout ce qu’on pouvait espérer. Ce jeune officier y joignit en outre un précieux album de vues, croquis et types, saisissants de vérité, qui pourront aider puissamment à la connaissance du pays mandingue. (p.107) »

 

            De son côté, le docteur Fras, outre l’ample mission d’informations scientifiques recueillies, enrichissait la collecte de la mission par des photos.

 

            L’habitat

 

            Relevé des pistes, description des paysages, géographie aussi de l’habitat. L’auteur consacrait de nombreuses pages à la description des habitations de Nafadié, la ville, sainte du Mandingue musulman :

            «  On y voit encore les ruines de la gigantesque mosquée construite il y a une cinquantaine d’années par le roi Kankan-Mahmadou, qui venait chaque année y faire ses dévotions pendant le rhâmadan… Elle a été incendiée, en 1873, par Nassikha-Madhi, frère de Samory, pendant le siège qu’il fit de cette ville.

            Les maisons, dans cette région, sont beaucoup plus confortables que dans le Haut Sénégal et le Soudan français. Elles se composent, comme sur la rive gauche du Niger, d’une muraille circulaire en pisé couverte d’un chapeau conique ; mais elles sont beaucoup plus spacieuses. Nombre d’entre elles ont un étage séparé du rez-de-chaussée par un plancher en bambous très bien ajustés et couvert d’argile durcie…(336)

 

            Et Péroz de décrire en détail l’aspect et la composition de ces habitations dans les pages qui suivaient.

 

            De même, il s’attardait sur la merveille du pont du  Bangalanko :

 

            « Les indigènes ont jeté sur le Bangalanko, - que nous avons à franchir avant d’atteindre Bangalan puis Diangana où nous camperons, - un pont qui est une véritable merveille dans son genre. A ce point, la rivière, large de 50 mètres, coupe, à une profondeur de 5 mètres, dans des berges taillées à pic, le tuf ferrugineux du sous-sol. De grands arbres ont poussé au milieu de son lit, qui demeure presque à sec une partie de l’été ; d’autres ont cramponné puissamment leurs racines dans les fissures des parois verticales des berges. C’est sur leurs maîtresses branches que les habitants de Bangalan ont installé leur pont.

            A l’aide d’un enchevêtrement inextricable de bois de toutes longueurs et de toutes grosseurs, ils ont établi une sorte de tablier sur lequel un lit de fascines a été placé ; puis des menus branchages ; enfin sur le tout trois couches alternatives d’argile durcie et de paille…(342)

           

L’accueil  et l’hospitalité

 

            Péroz  constatait que l’hospitalité était une coutume bien ancrée dans les mœurs malinké et une règle de vie fidèlement appliquée dans la plupart des villages du Soudan traversés, en tout cas dans les zones où la paix civile régnait.

            A Kankan, il relevait :

            « Pendant la journée, de tous les villages voisins, et ils sont nombreux, il nous arrive des dons de tout genre qui dénotent la grande richesse du pays en céréales, en légumes diverses et en troupeaux.

            Un des bœufs qui nous fut ainsi offert, magnifique taureau noir, vraie bête de sacrifice, était d’une nature tellement sauvage qu’il faillit mettre à mal plusieurs hommes de mon camp. » (347)

            Urbanité des rapports, palabres de salutations, échange traditionnel de cadeaux, telles étaient souvent les caractéristiques de ses rapports avec les chefs et notables de villages.

 

            A son arrivée à la frontière des Etats de Samory, sur les rives du fleuve Niger, le capitaine lui adressa un courrier pour l’aviser de sa présence et de son désir de le rejoindre à Bissandougou pour l’entretenir.

            « Il est d’usage, dans le Soudan, que lorsqu’un chef se présente sur les confins des possessions d’un autre prince, il adresse à celui-ci quelque cadeau de bienvenue. Pour me conformer à cette coutume, je mets à profit l’occasion que me présentent ces diulhas (les colporteurs traditionnels du pays) pour prier l’un d’eux de se détacher de la caravane et d’aller à Bissandougou ; il y fera hommage à l’almamy, de notre part, d’un fort joli fauteuil pliant couvert de dorures, à fond de soie brodée, que nous transportions comme une châsse depuis notre départ de Kayes

            Comme on le voit, nous n’avions rien négligé pour faire sous d’excellents auspices une prompte entrée dans les Etats du conquérant malinké. Néanmoins, nous attendîmes neuf longs jours une réponse de lui. (323) »

 

            Comme en atteste l’exemple ci-après, les échanges entre blancs et noirs n’étaient pas uniquement verbaux, contrairement à ce que certains croient à tort : les chefs noirs les plus importants, adeptes de l’islam, avaient à leur disposition des lettrés arabes capables de rédiger leur courrier en arabe. Tel était le cas de Samory, lequel adressa  sa réponse au capitaine Péroz. Cette missive est intéressante à lire : elle donne une idée du style fleuri, tout imprégné d’images tirées du Coran, qu’employaient les malinkés érudits.

            Voici en quels termes elle était conçue :

 

            « Louange à Dieu, qui nous a donné la faculté d’écrire au capitaine Péroz, qui est loin de nous.

            Nous appelons les bénédictions de Dieu sur son prophète.

            Cette lettre, c’est nous qui l’écrivons, almamy Khébir. Nous adressons mille saluts au capitaine Péroz. Que ces salutations lui soient plus douces que le miel et le sucre ; qu’elles aillent à notre ami dont la vue réjouit nos yeux, dont la présence est douce au cœur comme le fruit du tamarinier et en chasse le chagrin…

            Nous sommes heureux, très heureux de son arrivée auprès de nous. Nous avons hâte de le voir. Que notre ami vienne vite. Qu’il vienne vite. Car, auprès de nous, tout lui viendra à bien.

            Salut ! » (326) 

 

            Les captifs

 

            Alors que la traite négrière était interdite et encore combattue sur le plan international, elle continuait à exister en Afrique occidentale. Tous les récits de cette époque l’attestent, et le capitaine Péroz confirmait à cet égard les observations que Mage avait faites plus de quarante ans auparavant.

 

            Passant à Kita, Péroz notait :

            «  Les captifs, qui sont la grande marchandise d’échange du Soudan, y abondent et se vendent à une portée de fusil du fort. L’autorité ferme les yeux sur ce trafic, car nous n’arriverons à repeupler le pays qu’en autorisant, pendant plusieurs années encore, les caravanes à se débarrasser de leurs captifs sur notre territoire où ils deviennent des agriculteurs, et des hommes libres après une génération. » (185)

 

            L’auteur racontait encore :

            «  Au moment où nous nous engageons sous les bois au milieu desquels coule le ruisseau Kolamini où nous allons camper, nous nous croisons avec une caravane de quarante cinq captifs allant à Kita. Ce sont surtout des femmes et des enfants. Ces derniers gambadent insouciants autour de leurs mamans et paraissent peu affligés de leur sort. Les femmes, sauf les plus vieilles, sont chargées d’un ballot de noix de kola ou de pains de beurre de karité.

            Hier à Goubanko, nous avons vu une caravane du même genre ; toutes deux viennent du Ouassoulou. » ( l’Etat de Samory).(209)

 

            Sans nous attarder, pour le moment, sur ce sujet sensible, signalons que beaucoup dissertent sur la signification du mot captif, et de la situation des captifs au Soudan, en faisant valoir que le captif n’avait rien à voir avec l’esclave, et que sa condition était en définitive assez proche de celle de nos serfs du Moyen Age. Ils précisent aussi que beaucoup de captifs ou d’anciens captifs jouaient un rôle important auprès des chefs, comme Mage l’avait déjà noté. C’est vrai, mais il n’en reste pas moins qu’en parallèle, il existait bien alors un commerce des esclaves, c’est à dire une traite négrière. Il n’était non moins vrai que beaucoup des guerres locales étaient tout simplement motivées par la razzia de nouveaux captifs.

 

            Les mœurs, les coutumes, la philosophie de la vie des Malinkés

 

                        « A notre arrivée, nous fûmes fort étonnés de leur paresse et des difficultés que nous éprouvions à secouer leur torpeur, même en leur faisant espérer une rétribution très élevée du travail que nous leur demandions. Cependant, les causes de cette apathie étaient facilement visibles.

            A la façon dont ils envisageaient la vie, ils n’avaient rien à désirer lorsqu’ils possédaient une case, une ou deux femmes, un fusil, quelques captifs, une vache, de rares moutons et assez de mil dans leurs greniers pour préparer le couscous quotidien, et de temps à autre, une calebasse de dolo (bière de mil). Leur grand luxe était un morceau de guinée ou de calicot transformé en boubou et jeté par-dessus les vêtements que les captifs leur avaient tissé à leurs moments perdus ; une couverture légère dans laquelle ils se roulaient la nuit, et avec laquelle ils paradaient aux grands jours, constituait le summum du confort.

            Les Européens de même que tous les peuples civilisés cherchent à amasser beaucoup d’argent…

            Mais les jouissances de la civilisation, les besoins qu’elle crée sont inconnus du Malinké. La maison est parfaite lorsque, comme toutes les cases voisines, elle se compose d’un cylindre de terre battue couverte d’un chaume pointu…

            Que lui donnerons-nous en échange des labeurs et des peines que nous lui imposerons ? De l’argent : mais qu’en ferait-il ? Lorsqu’avec quelques centaines de francs, il aura atteint le maximum de son ambition en devenant chef de cases avec le modeste train de vie que je viens de dire, à quoi emploierait-il le surplus ? Le fondra-t-il et en ferait-il des bracelets ? Malgré son amour pour cet ornement, il ne peut cependant s’en couvrir de la tête aux pieds. Acheter des captifs ? Depuis que nous sommes maîtres chez lui, ils deviennent introuvables.

            Aussi, béatement couché sur son tara (lit), il passera ses journées à fumer ou à priser le tabac récolté dans son enclos ; le soir, sous « l’arbre » en compagnie des fortes têtes de l’endroit, il devisera bien tard en buvant du dolo et en regardant les jeunes gens danser et se divertir devant une grande flambée de paille et de brindilles. Son existence s’écoulera de la sorte douce et tranquille, et elle ne sera remplie que par un seul désir, celui de vivre longtemps ainsi sans qu’aucun tracas, aucun souci ; vienne le tirer de sa douce torpeur. » (137)

 

            L’auteur faisait remarquer que le Malinké n’avait pas du tout la même notion du temps que les blancs.

            «  Pourquoi donc s’inquiéter ?

            Que les blancs soient les bienvenus! La terre est assez grande pour tous. Mais qu’ils ne nous demandent rien ; surtout pas de travail, pas de soucis ; qu’ils ne nous jettent pas toujours le fastidieux « demain » à la tête, et nous laissent notre quiétude. (138)

            Le temps n’est rien pour les indigènes, les distances peu de choses. (200) »

 

            Un tableau peut être un peu caricatural, car les observations de l’auteur sur la qualité des cultures qu’il rencontra lors de  son parcours, témoignaient au moins autant du labeur d’une partie de la population.  A l’approche du fleuve Niger, il décrivait l’état florissant des cultures et leur variété, riz, maïs, coton, tabac, karité, fruit du travail d’une population fort laborieuse. Il notait aussi que la qualité du riz n’avait rien à envier au riz « caroline », et que « beau… le maïs l’est incontestablement plus que celui de France. » (250)

 

            Les femmes

 

            Le récit de Péroz est particulièrement intéressant à leur égard.

            « Au tournant de la route, notre attention est attirée par de sonores coups de hache s’abattant sans relâche sur les arbres voisins. Ce sont des femmes de Kita, jeunes et vieilles, qui font leur provision de bois pour préparer le repas de leurs maris qui, je le parierais volontiers, somnolent béatement sur le seuil de leur porte, la pipe aux lèvres, se réchauffant aux douces caresses du soleil levant.

            La femme malinkèse est très rarement maltraitée, peu rudoyée, et la qualité de mère la fait respecter à l’égal d’une madone ; toutefois  aucun labeur, même les plus durs, ne lui est épargné. Elle occupe peu de place au foyer où le maître de la maison la considère simplement comme la mère de ses enfants et une domestique de confiance, soumise et résistant aux plus rudes fatigues. Cependant, les femmes des chefs de cases riches (chefs de famille) n’ont généralement guère d’autres occupations que la culture et l’arrosage des jardins. Ce travail est encore assez pénible, à cause de la façon rudimentaire dont on puise l’eau avec une calebasse dans les puits, mais enfin, c’est le seul, avec la préparation de la nourriture du maître.

            Malgré ces travaux manuels nombreux, elles sont toujours, et sur elles-mêmes et sur leurs vêtements, d’une propreté parfaite. Chaque jour, aux heures de la sieste, alors que leurs maris somnolent à l’ombre, vautrés dans la poussière, elles vont au ruisseau voisin, mettent bas tout leur vêtement, et se lavent à grande eau. Puis elles nettoient leurs vêtements et le linge de la maison, non sans s’asperger encore une fois, alors que ce travail est terminé.

            Tout étranger, arrivant à midi près d’un village peut voir se renouveler à son profit la scène de Nausicaa et de ses suivantes, quittant leurs gais ébats dans l’onde pour courir au devant du voyageur altéré, et, dans leur précipitation à étancher sa soif, oubliant de remettre leurs vêtements qu’elles avaient étendus sur l’herbe pour les faire sécher.

            Les ablutions continuent le soir dans les jardins après l’arrosage. Et c’est un spectacle vraiment curieux et d’un très vif coloris que celui que présentent au coucher du soleil, ces femmes et ces jeunes filles nues, les bras levés, inondant de l’eau de leurs calebasses leurs corps de bronze se profilant nettement sur le rouge ou le bleu tendre du couchant, encadré par une végétation sombre et épaisse toute dentelée d’un étrange feuillage. (198)

 

            Les  diulhas

 

            A l’occasion de son voyage, le capitaine Péroz rencontra à maintes reprises des caravanes de diulhas, comme nous l’avons déjà vu en évoquant le problème des captifs. Il était en effet obligé d’emprunter les seules pistes qui existaient alors.

            La corporation des diulhas jouait alors un rôle majeur dans l’ensemble du commerce soudanais entre le sahel et la côte atlantique, sortes de marchands de gros qui affrétaient des caravanes pour acheminer leurs marchandises, produits (sel, bestiaux, mil, or ou kola) ou captifs.

            Il convient d’indiquer au lecteur qu’au tout début de sa vie, Samory partagea la vie des diulhas.

            «  A peine en route, nous avons rencontré une longue procession de marchands colporteurs, diulhas, suivis de leurs femmes. Pendant que ces messieurs marchent tout à l’aise, les mains ballantes, le large chapeau sur la tête et le fusil sur l’épaule, la crosse en arrière, leurs épouses ploient sous le faix d’énormes fardeaux placés en équilibre sur leurs têtes : les bébés qu’elles allaitent, et dont presque toutes sont pourvues, sont soutenus sur les reins de leurs mères par une large bande d’étoffe ; ils ballottent endormis deçà delà, leurs petites têtes crépues rejetées en arrière, dans un balancement cadavérique. C’est ici la coutume ; foin de galanterie ! Aux hommes les doux loisirs, aux femmes, les pesants fardeaux, les durs labeurs, sans que les devoirs conjugaux soient en rien amoindris.

            Les malheureuses n’ont même pas la ressource de la coquetterie pour amadouer leurs tyrans : un morceau d’étoffe enroulé autour des reins, quelques verroteries au cou et de l’ambre dans les cheveux relevés en forme de cimier constitue tout leur accoutrement. Quant aux hommes, dans les pays malinkés de la rive gauche du Niger, diulhas ou paysans, chef ou pauvre, voici comment ils s’habillent.

            Les coiffures sont de trois sortes : chapeau, bonnet ou turban…

            La pièce principale du vêtement est une sorte de blouse très ample, sans manches, descendant jusqu’à la ceinture ou jusqu’aux genoux, suivant les ressources de chacun ; elle est blanche, bleue ou jaune… Le pantalon, jusqu’au Niger, a l’apparence d’une jupe de zouave raccourcie jusqu’au-dessus du genou… La chaussure se compose uniformément d’un cothurne fait d’un morceau de peau de bœuf découpé d’après la forme du pied et de lanières qui le retiennent au cou de pied et au talon…

            Si les vêtements, surtout pour les femmes, sont d’une simplicité exemplaire, en revanche les bagues, les bracelets, les morceaux d’ambre, les verroteries de toute sorte font une large compensation à la légèreté du costume. »

 

            L’Empire de Samory

 

            A l’occasion de la défense du fort de Niagassola contre les sofas de Samory,  au cours de l’hiver 1884-1885, le capitaine Péroz avait déjà eu l’occasion de se faire une opinion sur son armée, et  de recueillir des informations sur le nouvel empire, car son origine historique ne datait que des années 1870. Sa mission lui donna la possibilité de confirmer certaines de ses impressions, mais surtout de découvrir toutes les facettes de l’organisation politique et militaire des Etats de l’Almamy.

            Il en relata tout d’abord l’histoire, une création qui devait beaucoup aux qualités exceptionnelles de Samory, de chef et de combattant. Déjà la légende de ses conquêtes, de ses faits d’armes, alimentait les chroniques orales de tout le Soudan. Le rôle qu’on attribuait à sa mère Sokhona parait cette saga de toutes les vertus humaines.

 

            De magnifiques cultures

            Arrivé à proximité du chef lieu de Bissandougou, Péroz fut très favorablement impressionné par l’état des cultures de l’Almamy :

            « Le 13 février nous couchons à Sana : et enfin, le lendemain, à peine en marche, nous entrons dans les cultures particulières de l’almamy-émir. Elles s’étendent sans discontinuité jusqu’à 15 kilomètres au-delà de Bissandougou, couvrant une superficie de 200 kilomètres carrés, entièrement cultivés. Une population de plusieurs dizaines de mille habitants est employée à ces cultures, et elle les entretient d’une façon vraiment remarquable. De distance en distance, à côté de bouquets de bois respectés à dessein, on a construit d’innombrables greniers. A l’ombre des arbres, des cases proprettes et de vastes gourbis sont aménagés pour abriter l’almamy lorsqu’il vient visiter ses propriétés.

            A dix heures, nous arrivons dans un de ces refuges qui nous a été assigné comme dernier campement, avant de faire notre entrée solennelle à Bissandougou.

            Les cases et les vérandas ont des proportions gigantesques et sont construites avec un soin extrême ; le sol est partout recouvert d’un fin cailloutis très doux sous le pied et qui le préserve de tout contact avec la terre. Ce campement est abrité du soleil par l’épais feuillage de hauts ficus, qui y entretiennent une fraîcheur délicieuse. Tout autour et à perte de vue, s’étend un immense champ cultivé avec un soin presque inconnu en France, à l’exception de celui apporté communément au jardinage proprement dit. Pas un brin d’herbe ne pointe entre les pousses de riz, mil, maïs, patates, kous, ognons, niambis, diabrés, haricots,, coton, indigo ou autres plantes ; chaque espèce particulière est séparée des autres par de larges chemins bien entretenus et, dans chaque carré, le terrain est préparé d’une façon différente, appropriée à l’espèce plantée. (p,354) »

 

            Une très brillante réception

            A Kankan, le capitaine avait été accueilli en fanfare par le fils préféré de l’Almamy, Karamoko.  Nous évoquerons plus loin le personnage et le rôle que la France voulut lui faire jouer auprès de son père et de sa cour, à l’occasion du voyage qui fut organisé à son intention à Paris, mais surtout pour donner à son père le témoignage de notre puissance.

 

            Sa réception de Bissandougou fut éclatante. Elle était à l’image de la puissance et de la richesse de Samory.

            « A peine sommes-nous installés qu’une dizaine de cavaliers arrivent à fond de train sur nous. Ils sont vêtus de rouge et précédés du chef des griots de l’almamy, armé d’un splendide arc d’apparat orné de bandes d’argent ciselé et en peau de fauve. Il est coiffé d’un bonnet de fourrure en forme de mitre, terminé par derrière par une longue bavette qui descend jusqu’à sa ceinture ; son vêtement de cuir souple, curieusement ouvragé de mille mosaïques aux couleurs vives, son pantalon en drap pourpre rayé de bandes de peau de panthères lui font un costume aussi bizarre que lui seyant bien ; ses mains, ses bras et ses jambes sont littéralement couverts de bijoux qui bruissent avec un cliquetis argentin à chacun de ses gestes dont il scande ses paroles.

            En passant devant nous, il saute à terre sans arrêter son cheval, et, après s’être prosterné, le front touchant le sol, il se relève et nous parle au nom de son maître dont il est le héraut, tandis que ses cavaliers, qui ont arrêté leurs chevaux dans leur galop furieux, gardent derrière lui une immobilité de statue. » (p,354)

            Nous invitons le lecteur curieux à se reporter au texte lui-même qui décrit avec beaucoup de couleur et de précision la cour de l’almamy, les logements, l’entourage, Samory lui-même, son armée et ses nombreuses femmes.

 

            Un royaume puissant

 

                        Le capitaine découvrait donc  un royaume riche, puissant, et bien organisé, sur le plan politique, judiciaire, et militaire. Par comparaison, la cour d’Ahmadou décrite par Mage faisait triste figure.

            Péroz fut légitimement impressionné à la fois par l’accueil fastueux dont il bénéficia, et surtout par tous les signes qui lui étaient donnés d’une organisation politique et militaire qui fonctionnait bien, et qui n’avait rien à voir avec ce que les blancs connaissaient ailleurs.

 

            Péroz fut un des rares blancs à fréquenter longuement la cour de Samory et le personnage lui-même, et il fut un des rares officiers aussi à préconiser une recherche d’entente avec l’almamy. Péroz ne cachait toutefois pas que le pouvoir de l’almamy s’exerçait souvent par la terreur, et qu’une certaine cruauté ne lui répugnait pas toujours, même quand il s’agissait de très proches. Accusant son fils Karamoko de trahison, il le fit enfermer et mourir de faim.

 

            Le capitaine avait enfin glané des informations sur la situation de l’Islam dans les Etats de Samory. La religion qu’il tentait d’implanter dans des territoires encore attachés à l’animisme était relativement modérée, accommodante avec les anciennes croyances.

            «  L’almamy-émir est chef des croyants et interprète le Coran, dont les préceptes ne paraissent pas préoccuper outre mesure ses sujets. Il est aidé dans cette tache par un jeune marabout, élève des Trarzas, très doux et fort tolérant, dont il a fait son guide spirituel ; grâce à ce conseiller, aussi intelligent qu’aimable, la tolérance est à l’ordre du jour dans l’empire… La seule obligation à laquelle l’almamy contraint strictement les principaux de ses sujets est l’envoi régulier de leur fils à l’école. (414)

           

            Enfin pourquoi ne pas noter une certaine condescendance dans certaines observations, car le capitaine Péroz, comme tous ses pairs de l’infanterie de marine, était convaincu que la civilisation occidentale était supérieure aux civilisations noires de son époque ?

Toutefois, ses carnets d’exploration ou de campagnes ne contiennent aucun mépris de sa part, aucun racisme, se bornent donc à une sorte de description technique, comme savaient le faire les bons officiers.

            Le lecteur doit savoir aussi que tous les récits de campagne de Péroz, au Soudan, au Tonkin, et dans le territoire Niger-Tchad, portent la marque d’une grande objectivité, d’un grand respect de l’autre, lorsque dans son comportement, il ne heurtait ni son humanisme, ni sa morale.

Jean Pierre Renaud     Tous droits réservés

 

 

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