SUPERCHERIE COLONIALE - Conclusions Générales
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Pourquoi critiquer sur le fond, et sur la méthode, le discours de ce collectif de chercheurs ?
Ce n’est pas leur choix des supports d’une culture coloniale ou impériale supposée, que nous contestons, mais leur analyse fondamentale.
Il n’est pas possible, sur le plan de l’honnêteté intellectuelle, de tirer des conclusions à partir du moment où l’on se refuse à tenter de mesurer le poids de chaque support, par exemple, le tirage des journaux aux différentes époques, la place qu’ils réservaient aux colonies, l’écho que les journaux parisiens ou provinciaux donnaient à tel fait colonial. Or rien de cela n’a été fait par ce collectif, et la thèse Blanchard n’apporte d’informations à ce sujet , que tout à fait relatives, avec un choix restrictif des titres, pour une période de temps limitée et un champ géographique également limité.
Absence d’analyse quantitative (colonnes, superficie, année par année…) et qualitative : est-ce que les journaux disaient du bien ou du mal des colonies, ou étaient-ils simplement indifférents, comme l’ont déclaré un certain nombre de spécialistes.
Donc analyse, sans doute après échantillonnage statistique, garanti, du poids du support d’information et de culture, analyse du poids relatif de l’article ou des articles, de l’image ou des images consacrés à la chose coloniale, et analyse qualitative des contenus positifs, négatifs ou neutres.
Peut-être aurait-il été nécessaire de mesurer les effets positifs, négatifs, ou neutres, d’un événement colonial sur l’opinion publique, en choisissant ceux qui ont pu l’agiter et ceux qui auraient du l’agiter, par exemple la guerre du Rif au Maroc, dans les années 1925-1926, ou la révolte de Yen Bay, en 1930, en Indochine, si tel a été le cas.
Nous avons donné plusieurs exemples concrets de ce type de méthode statistique de lecture et d’interprétation dans le chapitre Presse, dont celui du journal Ouest Eclair, dans les années qui ont précédé la deuxième guerre mondiale.
Des corpus d’images étriqués, non représentatifs de la réalité de l’époque, alors qu’en même temps des chiffres énormes sont cités, quelquefois contradictoires, sans le moindre commencement de preuve, par exemple dans le domaine des cartes postales ou des affiches. Les contributions du Colloque ainsi que celles du livre Images et Colonies portent sur quelques dizaines d’images et illustrations, et rarement sur des centaines, sans que l’on sache jamais quel est leur poids dans une iconographie spécialisée, qu’il s’agisse de la carte postale, de l’affiche, du dessin de presse, de l’illustration de livre, des peintures, ou des films.
Le lecteur aura pu prendre la mesure de ces insuffisances et imprécisions dans presque tous les cas de figure, et notamment dans le domaine des livres scolaires, domaine dans lequel les travaux connus contredisent le discours mémoriel. D’autant plus que les pages consacrées aux colonies figuraient en fin de livre, c'est-à-dire à la fin du programme scolaire : qui peut assurer qu’elles ont été effectivement lues ou commentées par les enseignants, juste avant les grandes vacances?
Mais les mêmes insuffisances et approximations existent pour les cartes postales, les affiches, le cinéma, ou la propagande elle-même.
Chiffres changeants, incertains, dont il conviendrait de démontrer la consistance et l’origine, alors que les contributions elles-mêmes du Colloque ou du livre Images et Colonies portent sur des séries généralement réduites ou flottantes, ce qui n’empêche pas nos chercheurs d’en tirer des conclusions mirobolantes.
Le colloque a examiné environ six cents images (C/141), mais l’introduction du livre Images et Colonies fait état d’un recensement du groupe de recherche de l’Achac qui porterait sur plus d’un million d’images qui auraient été analysées au sein de son séminaire, et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’Achac à la Bibliothèque nationale en janvier 1993, suivi de la publication des actes. (IC/8) Il s’agit du même colloque et le chiffre du million parait surprenant, compte tenu des propos qui ont été précisément tenus à ce colloque.
L’analyse que nous avons effectuée sur les différents supports a démontré qu’il manquait une évaluation quantitative et qualitative des supports d’information et de culture et de la place qu’ils accordaient à la chose coloniale, ainsi que de leurs effets sur l’opinion, pour pouvoir prétendre énoncer telle ou telle conclusion sur leur rôle respectif dans la formation d’une culture coloniale, posée comme postulat.
La démonstration historique reste donc à faire pour savoir si la presse a été ou non coloniale, si l’école, les cartes postales, le cinéma, les affiches, les expositions, ont joué le rôle que lui prête ce collectif de chercheurs. Textes ou images, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes, et il est difficile d’admettre que l’interprétation des images, en tant que telles, et dans leur champ spécifique des signes, soit laissée à la seule initiative des historiens.
Les images- A l’occasion du chapitre Affiches, le lecteur a pu constater qu’il était possible de faire dire n’importe quoi à une affiche, notamment à propos de la fameuse affiche de publicité du parfum d’Yves Saint Laurent.
Il faut donc ouvrir le chantier des images coloniales aux sémiologues, d’autant plus que beaucoup d’entre elles sont purement et simplement des images publicitaires, et non des images de propagande en tant que telles.
Ou alors, il faut dire qu’une affiche de chocolat, de rhum, ou de banane, est par nature une affiche de propagande coloniale.
Le discours de ce collectif de chercheurs fait apparaître une grande ambiguïté dans l’analyse, sans qu’on sache si elle porte sur l’image ou sur le texte, sur une image de propagande ou sur une image publicitaire, sur une image de propagande ou sur une image artistique.
La même difficulté a été notée dans l’interprétation des films dits coloniaux, d’autant plus grande, qu’en grande majorité, ils concernaient le Maghreb. Laisser croire que les films tournés au Maghreb, et surtout au Maroc, avec de nombreux réalisateurs étrangers, sont des films coloniaux, est une tromperie intellectuelle.
Leur discours mémoriel n’apporte pas de réponses aux questions qui étaient posées dans le prologue sur les méthodes de lecture des images, et d’ailleurs parfaitement exposées dans certaines communications du Colloque de 1993.
L’effet de loupe- Le discours de la méthode du Colloque de 1993 mettait en garde ses participants sur les dangers de l’effet de loupe, et nous avons vu, avec l’exemple du grain de riz de l’Indochine présenté comme le symbole d’une propagande coloniale tonitruante, à quelles conclusions erronées pouvait conduire ce type de déformation visuelle, mais d’abord intellectuelle.
Encore conviendrait-il de remarquer que le mot propagande pour le bon socialiste qu’était Marius Moutet n’avait pas du tout le même sens que pour les fascistes, les communistes ou les nazis. Et d’ajouter qu’elle n’avait rien à voir avec celle de Tchakhotine et de son viol des foules.
Effet de loupe sur l’objet même de l’étude à partir du moment où jamais n’est mis en comparaison l’imaginaire colonial, pour autant qu’il ait existé et qu’il existe encore, avec d’autres imaginaires puissants qui ont pu exister dans les différentes étapes de la chronologie historique : la saignée de la première guerre mondiale, la crise des années 30, la montée de la menace nazie et fasciste, la lutte fratricide franco-française pendant l’occupation allemande, puis le rêve américain et la guerre froide.
Même effet de loupe pour le Petit Lavisse, les zoos humains, les indigènes nues, Mauresques de préférence, Banania, ou Tintin au Congo ! Bled, Pépé le Moko, ou l’Atlantide ? Oublierait-on que Banania fut avant tout une publicité pour le petit déjeuner des enfants.
Effet de loupe qui occupe plusieurs étages, les sous-sols de l’inconscient qui disputent la place des étages supérieurs, où se situent des imaginaires dominants ou dominés, en conflit, imaginaires qu’il conviendrait de définir et de délimiter aux différentes époques historiques. Le collectif de chercheurs n’a proposé à ce sujet aucune méthodologie, et naturellement aucun résultat.
Donc, un puissant effet de loupe, ce qui veut dire sophisme du raisonnement historique, puisque l’effet de loupe procède d’un raisonnement sophistique.
Nous avons vu en effet, au fil des chapitres, que nos chercheurs n’hésitaient pas à généraliser une observation, un fait, une image, sans se préoccuper de la question de leur représentativité dans un corpus déterminé. Selon le bon exemple du Français qui débarque sur les quais de la Tamise, voit une anglaise rousse, et en conclut que toutes les anglaises sont rousses.
Anachronisme- Sophisme historique et anachronisme ? Car nous avons vu également que leur discours ne respectait pas toujours la chronologie historique, et qu’ils avaient tendance à faire souvent des raisonnements rétrospectifs, projetant leurs convictions ou leurs fantasmes sur le passé colonial de la France, le fameux imaginaire colonial étant beaucoup plus leur propre imaginaire, que celui dont ils auraient démontré l’existence et les effets aux différentes époques considérées.
Car il nous faut revenir à présent sur les Actes du Colloque et sur le livre Images et Colonies pour apprécier leur discours par rapport au découpage chronologique de ces deux sources.
Le Colloque n’avait pas, d’après les actes, d’ambition chronologique et historique, et n’avait pas encadré sa réflexion dans un calendrier historique précis. Il s’agissait plus de la part de ses participants d’un premier défrichage intellectuel du sujet, que d’un travail d’approfondissement de travaux déjà largement engagés.
Il est d’ailleurs important de noter que l’objet du colloque était le suivant : Quelles représentations de l’Afrique ont aujourd’hui, les Français et les Européens ?
Il ne s’agissait donc pas d’un travail historique collectif proprement dit.
Le livre Images et Colonies proposait lui un ensemble de contributions très variées, souvent de bonne qualité, qui s’inscrivaient dans une chronologie acceptable, 1880-1913, 1914-1918, 1919-1939, 1940-1944, 1945-1962. La prise en compte séparée des deux périodes de guerre était tout à fait justifiée, car on ne peut pas mettre sur le même plan la situation de l’opinion publique, en temps de paix et en temps de guerre. C’est à peu de choses près, le découpage chronologique qu’avait proposé M.Gervereau au Colloque de 1993. (C/56)
A chacune des périodes examinées, la facture de ces contributions était quelquefois historique, quelquefois artistique, ou simplement intellectuelle, et leurs auteurs n’avaient pas toujours l’ambition ou l’intention d’en faire un aliment pour une guerre des mémoires à venir.
Le découpage chronologique du discours du collectif est tout à fait différent :
- La Culture coloniale est analysée entre 1871 et 1931, avec un premier plan entre 1871 et 1914, un second entre 1914 et 1925, et un troisième entre 1925 et 1931, donc sans tenir compte de la coupure de la première guerre mondiale. Et quelle peut être la justification historique de la coupure de 1925 ? La guerre du Rif ? Cela n’aurait pas beaucoup de sens.
- La Culture impériale est étudiée entre 1931 et 1961, les plans d’analyse se succédant de 1931 à 1939, puis de 1940 à 1953, et enfin de 1954 à 1961, également sans isoler l’analyse de la deuxième guerre mondiale, et en se demandant également quelle peut être la justification historique de la coupure de 1953 ?
Le découpage chronologique choisi favorise donc la confusion des genres entre analyses de temps de paix et analyses de temps de guerre, alors que la lecture de ce discours pose déjà la question du mixage anachronique des observations qui passent très souvent du présent au passé, ou d’une période à l’autre.
Et jamais un éclairage par le contexte de chaque époque, notamment le facteur international ou national toujours dominant, la crise de 1929, les menaces des dictatures nazies, fascistes, ou communistes, puis la guerre froide, contexte qui était de nature à relativiser l’intérêt des Français pour leurs colonies.
L’exploitation systématique des journaux des débats des assemblées nous en aurait appris beaucoup plus long sur la culture coloniale ou impériale de la France officielle, la France politique, que ce discours mémoriel flottant, et pour tout dire, vaseux.
Et qui plus est, ce découpage n’a pas servi à faire une différence d’analyse entre une période historique privée de sondages, donc de mesure de l’opinion publique, et une autre riche en sondages.
Alors que l’objet même du Colloque de 1993, l’évaluation des représentations que les Français et les Européens d’aujourd’hui ont de l’Afrique, le Colloque n’a pas suggéré de procéder à un sondage en vraie grandeur, à l’initiative de la puissance publique, qui aurait pu mettre au clair cette question, question à laquelle le sondage de Toulouse n’a pas apporté de réponse.
Les Actes de ce Colloque n’ont malheureusement pas débouché, en tout cas, à notre connaissance sur la mise au point de méthodes d’évaluation historique des textes et images de notre histoire coloniale moderne.
Et, comme nous l’avons souligné plus haut, faute de preuves, des historiens distingués ont ouvert à cette occasion la porte du ça colonial, de l’inconscient collectif, indéfini et indéfinissable, qui appelle à des interventions historiques ou mémorielles, liées à la psychanalyse, et qui sait à la sorcellerie.
Des erreurs historiques : Au-delà des contradictions et des approximations, quelquefois de graves erreurs historiques.
Dans le livre La République coloniale, on écrit à propos de la conquête française du Soudan et du Dahomey :
C’est une guerre sans grandeur et sans chefs (à l’image du mépris pour Samory ou Béhanzin), sans stratégie et finalement sans vraie bataille et sans gloire. (RC52)
Un texte contraire à la vérité historique de ces conquêtes : les conquêtes du Soudan et du Dahomey ont connu de vraies batailles. L’armée de Samory comptait des milliers d’armes modernes, qui valaient bien celles des Français, des fusils à tir rapide achetés en Sierra Leone, mais il n’avait jamais réussi à se procurer des canons, ce qui fit souvent la différence. Nombreux étaient les officiers français qui reconnaissaient à l’Almamy Samory les qualités d’un grand chef de guerre, mais souvent cruel.
Citons à ce sujet, et pour ne prendre qu’un exemple, les analyses de L’histoire générale de l’Afrique (Unesco -1987- Tome VII) sous la direction de A.Adu Boahen, dans les pages consacrées aux « Initiatives et résistances africaines en Afrique occidentale de 1880 à 1914 :
C’est en 1892 qu’eut lieu le principal affrontement entre les Français et Samori Touré. Désireux d’en finir, Humbert envahit la partie centrale de l’empire en janvier 1892 à la tête d’une armée de 1 300 fusiliers triés sur le volet et de 3 000 porteurs. Samori Touré commandait personnellement une armée de 2 500 hommes d’élite pour faire face à l’envahisseur Bien que ses hommes « se battirent comme des diables, défendant pied à pied chaque pouce de terrain avec une énergie farouche » pour reprendre les mots de Person, Samori fût battu et Humbert pût s’emparer de Bissandougou, de Sananankoro et de Kerwane. Soulignons toutefois que Humbert lui même dût avouer que le résultat était bien maigre, eu égard aux lourdes pertes qu’il avait subies. De plus, Samori Touré avait ordonné aux populations civiles de faire le vide devant les troupes françaises. »(page 149)
Indiquons au lecteur que les troupes française avaient alors pris la capitale de l’Empire de Samori Touré.
En ce qui concerne Behanzin, il faut citer les quelques lignes tirées du même ouvrage. A la suite d’un traité signé avec la France en 1890, le roi Behanzin eut le souci de renforcer son armée.
« Toutefois soucieux de défendre le reste de son royaume, le roi entreprit de moderniser son armée en achetant aux firmes allemandes de Lomé, entre janvier 1891 et août 1892, « 1 700 fusils à tir rapide, 6 canons Krupp de divers calibres, 5 mitrailleuses, 400 000 cartouches assorties et une grande quantité d’obus. » (page 151)
Les deux adversaires se livrèrent à plusieurs batailles sévères.
Et plus loin, du même tonneau, à propos de la conquête de Madagascar :
Face à la canonnière et aux fusils français, les armes des Malgaches sont dérisoires.(RC/81).
Alors que l’armée malgache disposait d’armes modernes, fusils et canons, et que sur les plateaux, elle pouvait aligner une artillerie plus puissante que celle des Français ! 48 canons Krupp et 7 canons Hotchkiss, contre douze canons lors de la prise de Tananarive, le 30 septembre 1895.
Dans L’Illusion Coloniale, le même type d’erreur, puisque le commentaire fait de Gallieni le conquérant de Madagascar, en 1895, alors qu’il n’y a débarqué qu’en 1896. (ILC/42)
Histoire ou Mémoire, Repentance ou Révisionnisme
Ce débat est sans doute étranger à un grand nombre de Français, qui ne comprennent pas que la repentance fascine, comme à l’habitude une minorité d’intellectuels, toujours enclins à flatter le masochisme de nos échecs nationaux.
Il nous faut tout d’abord rappeler les définitions que le Petit Robert propose pour les deux concepts d’histoire et de mémoire :
- Histoire, une relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (groupe ou activité) qui sont dignes ou jugés dignes de mémoire.
Donc toute l’ambiguïté attachée à la dignité de, donc aux disciplines intellectuelles capables de lui donner des garanties d’objectivité. Mais il ne faut pas être historien pour savoir que l’histoire n’est pas une science exacte et qu’elle est soumise à des modes, à des courants de pensée, situation qui n’autorise toutefois pas à écrire n’importe quoi.
- Mémoire, la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passée et ce qui s’y trouve associé, faculté collective de se souvenir.
Or le discours de ce collectif de chercheurs part continuellement à l’assaut de l’histoire et de la mémoire, et s’inscrit dans ce qu’on appelle communément la nouvelle guerre des mémoires. Et à cet égard le livre La République coloniale (Blanchard, Bancel, Vergès) est incontestablement le plus provocateur, le plus outrancier dans le verbe et dans la pensée, pour ne pas utiliser un adjectif plus fort. Le livre suivant La Fracture coloniale ne fait pas mal non plus dans le genre.
Dans le premier ouvrage, les auteurs nous proposent tout simplement de déconstruire le récit de la république coloniale (RC/V), de déconstruire les fondements de son imaginaire (RC/160), et comment construire une mémoire (RC/140). Notons que dans leur conclusion du Colloque, les deux historiens Debost et Manceron avaient ouvert la voie, en écrivant :
La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier (C/148)
Affirmation bien gratuite compte tenu du défaut d’analyse de ce fameux imaginaire colonial, alors et encore aujourd’hui ! Ce collectif a manifesté son incapacité à en démontrer l’existence au temps des colonies et à notre époque.
Le livre La Fracture coloniale s’inscrit dans la même ligne, projet inédit de décoloniser les esprits (FC/200), il faut sans cesse prendre les représentations imaginaires issues du passé colonial comme sujet pour tenter de les déconstruire. (FC/219), comment décoloniser les imaginaires ? (FC/237)
Une politique de la mémoire, redisons-le, devrait s’attacher à déconstruire les deux versants de ces perceptions, à savoir une strate que l’on pourrait qualifier d’ « immédiate » et l’autre de « profonde » (FC/289)
Et dans le registre de ces citations et pour en égayer un peu la liste, un auteur n’hésite pas à écrire : Mais il y a bien des Français pas comme les autres qui analysent le regard dépréciateur, le déni de droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. (FC/200)
Afin d’éclairer ce débat, donnons la parole à deux spécialistes, le sociologue Keslassy et le philosophe - psychologue Rosenbaum, qui viennent d’écrire un livre clair et roboratif sur le sujet, dans la collection Mémoires – Vives - Pourquoi les communautés instrumentalisent l’Histoire.
Les auteurs écrivent que toute histoire est une sorte de roman national, et qu’il est toujours difficile de séparer mémoire et histoire, que l’histoire récente a eu de la peine à réintégrer Vichy et la déportation, et qu’elle rencontre également des difficultés à revenir sur son passé colonial.
L’historien qui souhaite faire la lumière sur le passé colonial de la France doit naviguer à contre-courant d’une opinion publique qui n’a pas nécessairement envie de voir ressurgir cette histoire dérangeante. (MV/40)
En mettant en avant leur mémoire, en s’appuyant sur des historiens qui surfent sur les « abus de mémoire », certains activistes issus des minorités postcoloniales (MV/46) ; La mémoire se situe à un autre niveau que l’histoire : en jouant d’abord sur l’affectif, elle empêche les faits historiques d’apparaître dans toute leur complexité.(MV/48)
Histoire dérangeante, hors le cas de l’Algérie, est-ce bien le cas ? Car la plupart des historiens ou politologues ont la fâcheuse tendance de réduire notre histoire coloniale à celle de l’Algérie, et aux répressions de révoltes coloniales. Hors le cas de l’Algérie, il parait difficile de mettre sur le même plan Vichy, la déportation, et notre passé colonial.
Les auteurs établissent un constat équilibré de la situation et sont partisans d’aider à l’élaboration d’une histoire partagée qui ne mette pas en cause le pacte républicain, mais en même temps, ils dénoncent :
Nos nouveaux entrepreneurs de mémoire, à l’affût, guettent ces désirs et ces tourments. Ils savent les instrumentaliser. (MV/59)
Pourquoi ne pas rappeler que dans une controverse récente sur la repentance, entre deux historiens chevronnés, Mme Coquery-Vidrovitch et M.Lefeuvre, la première a défendu l’historien Blanchard en le qualifiant précisément d’historien entrepreneur ?
Ce qui revient à reconnaître aujourd’hui le rôle du marché, de la concurrence, de l’argent et du profit dans les travaux de recherche historique et mémorielle !
Je dois reconnaître que le concept d’historien entrepreneur dérange, même quand, sur les pas de Paul Valéry, dans le texte que nous avons proposé au début de cet ouvrage, notre regard sur l’histoire reste lucide et notre esprit en éveil.
Mais dans le cas présent de ce collectif de chercheurs, l’histoire devient encore plus problématique, puisqu’elle est faite d’affabulation historique.
Et les deux chercheurs de préciser que, souvent dans ce débat, il existe une concurrence entre les mémoires qui met en cause le terrain mémoriel qu’occupe la Shoah, par rapport à l’esclavage par exemple, ou d’autres génocides, mais de noter aussi :
Il n’y a donc pas à s’étonner que l’on assiste périodiquement à l’efflorescence de rhétoriques de combat portées par des intellectuels ou des agitateurs en mal d’auditoires. Ce sont tout simplement ceux dont les luttes mémorielles sont devenues le gagne-pain. (MV/111)
De la colonisation à l’exclusion contemporaine…
L’une des explications qui a surgi dans le débat ces dernières années consiste à avancer que les inégalités de traitement dont souffrent les minorités postcoloniales proviendraient d’une fracture coloniale qui persisterait dans la société française. Dans l’esprit de ses promoteurs, cette expression, - d’une efficacité redoutable - renvoie certes à l’occultation subie par l’histoire de la colonisation dans le récit national… mais qui trouverait aussi sa source dans la poursuite d’une logique coloniale déterminant certaines politiques publiques – comme, par exemple, celle de l’urbanisation (MV/116,118)
La fracture coloniale n’est pas restée un constat d’intellectuels. Cette thèse a eu un fort impact au sein de la société civile. Différents groupes, plus ou moins vindicatifs, ont pu se servir des travaux de ces historiens pour affirmer que l’insuffisante connaissance des faces cachées de la république trouvait aujourd’hui son prolongement (MV/119)
Et les auteurs d’observer que cet usage du passé offre une grille d’analyse à la fois restrictive et dangereuse : la confusion entre le racisme institutionnalisé d’hier et le racisme que nous combattons aujourd’hui est un ferment puissant de la culture de la victimisation qui imprègne déjà si fortement notre démocratie. (MV/119)
Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne soit pas nécessaire de revenir sur les failles du récit national, mais encore faut-il procéder de manière à ce que la communauté demeure un horizon pour tous. (MV/133)
Nous ne partageons pas complètement ce constat, pour la raison que les historiens entrepreneurs n’ont pas réussi à démontrer jusqu’à présent qu’une culture coloniale ait imprégné ou imbibé, au choix, la mentalité des Français, et que par les voies mystérieuses de l’inconscient collectif, le ça colonial, elle serait à la source d’une fracture coloniale. Quant à la notion de racisme institutionnalisé d’hier, elle mériterait un débat à elle toute seule.
Et avec le bémol déjà exprimé sur l’Algérie ! Car exprimées ou sous-entendues, ce sont les histoires de l’Algérie et celle de sa guerre, qui forment la véritable trame mémorielle de l’ensemble de ces livres, un des derniers en date, La Fracture coloniale, leur faisant une large place, notamment avec la fameuse enquête mémorielle de Toulouse
Comment alors ne pas accuser ces historiens entrepreneurs de poser, innocemment ou non, des bombes idéologiques construites de toutes pièces, au sein de la société française, au risque de faire exploser un pacte républicain fragile.
Au risque d’engager ou d’entretenir un processus d’autoréalisation de ces fantasmes de la mémoire. La conclusion de l’introduction des Actes du Colloque de 1993, consacrés au thème « Arts et Séductions » annonçait déjà la couleur, en rappelant les propos de l’historien Debost (Négripub), dont nous avons croisé la route à plusieurs reprises :
Quand l’exposition « Images et Colonies » sera présentée en Afrique, toutes les images que nous avons visionnées deviendront une réalité pour les ex-colonisés qui ne les ont jamais vues. Tant que ces images, parfois oppressantes, voire violentes, n’auront pas été vues par ceux qu’elles étaient sensées montrer, il y aura un dialogue de sourds, car les ex-colonisés ne connaissent nos référents, ni ceux de nos parents. » (C/91)
Grâce à l’exposition, le fantasme colonial deviendra donc réalité, au même titre qu’on peut craindre que le discours mémoriel de ces chercheurs ne devienne réalité dans les banlieues.
Et avec de telles méthodes de diagnostic et de soins, on peut craindre, qu’à l’exemple des médecins de Molière, ils ne fassent crever le malade.
Quant à la repentance, comment ne pas inviter ses promoteurs et défenseurs à méditer sur le sort des filles repenties de l’ancien régime, lesquelles trouvaient quelquefois le secours de refuges religieux ?
Dans un tel contexte, repentance ou non, révisionnisme ou non, de tels mots n’ont guère de sens, sauf à nous faire revenir dans les temps de l’histoire chrétienne ou totalitaire, du monde communiste en particulier.
Mais il faut garder la République française à l’abri de ces discours mémoriels qui propagent tout simplement leur supercherie, au risque effectivement de voir cette supercherie s’autoréaliser en mythe explosif. »
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