Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
14 janvier 2025 2 14 /01 /janvier /2025 11:52

France – Algérie

1962- 2025

63 ans déjà !

L’Algérie des « Tanguy » !

Comme si c’était hier, plus de 60 ans après, l’Algérie FLN poursuit une guerre mémorielle  qui, grâce aux accords diplomatiques, lui  donne la possibilité de venir chez nous comme si elle était chez elle depuis l’indépendance de 1962.

Nous avons eu le tort en 1962 de laisser le pouvoir au FLN alors qu’il violait les Accords d’Evian et martyrisait des milliers d’Algériens et d’Algériennes qui nous avaient accompagné pendant la guerre d’Algérie.

Dans les années 90, l’Algérie n’avait pas hésité à venir se réfugier chez nous pour fuir les barbus.

Bref ! Les Algériens et les Algériennes méritent mieux que cela !

L’Algérie du FLN n’a pas encore gagné son « indépendance », à voir l’attachement qu’elle met à cultiver ses anciens liens coloniaux avec la métropole !

Une copie de l’excellent film « Tanguy » de Etienne Chatiliez, sorti en 2001, dont le thème porte sur l’impossibilité du fils  Tanguy de quitter le logis familial à l’âge de 28 ans.

Le scénario décrit alors les initiatives que prennent les parents pour pourrir la vie de leur enfant…

Un Exemple à suivre ?

&

Pour avoir servi la France et l’Algérie en 1959-1960, comme officier SAS dans la vallée de la Soummam, pour avoir aimé la Petite Kabylie et ses habitants, je me contenterai de publier une sorte de conclusion tirée du livre que j’ai publié en 2000 intitulé « Guerre d’Algérie Années 1958-1959- 1960 - Vallée de la Soummam »

Quarante ans après mon service militaire.

Fin du témoignage, pages  273, 274,275

« L’aventure »

« Pour paraphraser Albert Camus, une chose au moins était sûre, « la République Française n’avait pas atterri en Algérie » (Camus disait le Christ), et en tout cas si elle tenta de s’y poser tardivement, ce fut dans les pires conditions possibles.

Et quel fossé entre la conversation des intellectuels et des journalistes des cafés de la place de la Sorbonne et du boulevard Saint Michel, dans les éléments éthérés, et dans le djebel, l’attentat, la guérilla, la contre-guérilla et la guerre des soldats français en Algérie !

Jusqu’à de Gaulle, les gouvernements de la 4ème République n’ont jamais su ce qu’ils voulaient. Ils se sont laissé manipuler par les groupes de pression et les médias, les uns pour l’Algérie Française, les autres pour l’indépendance de l’Algérie.

Une guerre pleine d’ambiguïté et de non-dits trouvait ses racines à Paris. La France ne savait pas où elle allait et son armée ne savait pas pourquoi elle combattait.

Dans sa grande majorité, l’armée avait une vision républicaine et française de l’Algérie. Elle faisait preuve de beaucoup plus d’esprit libéral qu’on ne voulait bien lui reconnaître, mais il s’agissait en fait d’un rêve fou, irréalisable.

Quarante ans après, il est beaucoup plus facile d’avoir des certitudes !

D’un côté, une délectation masochiste des intellectuels en faveur d’une guerre perdue, une fois de plus perdue, puisqu’il s’agissait d’une guerre coloniale.

De l’autre, une délectation poétique et enivrante de la guerre au son des tambours, aux couleurs du chantre de la guerre, des soldats et de la mort, sur une petite musique de Walt Whitman.

L’armée et le contingent étaient pris entre ces deux feux. Les jours de bulle, ils étaient fascinés par le spleen romantique, intellectuel et masochistes des guerres inutiles et perdues d’avance, et les jours d’opérations, enivrés par l’odeur capiteuse de la poudre et du baroud.

La guerre n’avait jamais été un jeu d’enfant de chœur. Le soldat la vivait au quotidien, en côtoyant la beauté et la saloperie, et à certains moments et dans certains endroits, pourquoi le cacher, plus la saloperie que la beauté.

Guerre sordide ou guerre esthétique, guerre misérable ou guerre glorieuse ?

Mais pourquoi nier que la guerre était vécue par beaucoup comme une aventure. Ils prenaient goût à la violence, à cette sorte de drogue animale, et se prenaient au jeu, quels que soient leurs mobiles, nobles ou morbides.

Au moins ne pouvait-on pas reprocher aux soldats de risquer leur peau car les beaux parleurs ne pouvaient en dire autant !

L’immense majorité d’entre eux n’avait pas choisi de faire cette guerre, et la France ne les avait pas convaincus que la cause qu’ils défendaient valait véritablement d’y perdre la vie, mais convaincus ou pas, ils étaient condamnés à faire une guerre banale, une chasse à l’homme banale, et ils n’avaient pas d’autre issue.
Car la mécanique militaire était diabolique une fois que le train était mis sur les rails. Il fallait nécessairement obéir et tout dépendait donc des officiers, il y en avait de toutes les espèces comme des hommes, et du commandement, il y en avait également de toutes les sortes, et pas toujours des meilleures.

Les officiers n’étaient pas tous de petits saints, mais après tout l’armée était aux ordres de gouvernements qui ne faisaient pas leur travail.

La guerre, l’aventure, et s’il ne restait aux hommes que la guerre pour aventure ? Un des derniers lieux où l’homme ait gardé un contact vrai, avec la nature, l’éternité ? L’art de la guerre ?

La guerre, dernier refuge de l’aventure humaine dans un monde fini ?

Pour ceux qui refusaient d’avoir à jamais l’âme rapetissée, de faire des croisières dans des bateaux ripolinés, accostant à des escales aseptisées et déodorisées, débarquant dans des îles désinfectées, démoustiquées, astiquées, sur des promenades bordées de palmiers en polystyrène, en compagnie de passagers couverts de fleurs multicolores en nylon ?

Pour ceux qui refusaient que tout soit répertorié, étiqueté, classé, photographié, encadré, numéroté, rangé ! Paradoxalement, comme dans l’armée, mais leurs yeux étaient aveugles !

Hors les grandes aventures du haschich, de l’opium ou des amphétamines, où trouver l’aventure, sinon dans de bonnes petites guerres, comme les hommes savent en mijoter, partout dans le monde, de l’Asie à l’Afrique, et de l’Amérique à l’Europe.

Un jeu plus émoustillant tout de même qu’une aventure dans la forêt de Fontainebleau, avec ses fourmis, ses papiers gras et ses moisissures ! 

Plus émoustillant que les décoctions de notre belle intelligentsia toujours passionnément intimistes, ésotériques, masochistes, masturbantes et nombrilistes !
Alors, mesdames et messieurs, attention, avant d’embarquer ! Quand la France s’ennuie, gare à la guerre ! »

Fin de l’extrait du livre « L’aventure ».

Jean Pierre et Marie Christine Renaud            Tous droits réservés 

Partager cet article
Repost0
9 décembre 2024 1 09 /12 /décembre /2024 11:41

Chapitre 2

LA PRESSE

 

II

Les sources de ce discours (p,68)

Les actes du Colloque de 1993 n’ont fait qu’effleurer le sujet.

L’historienne Coquerv-Vidrovitch fit une intervention sur le thème Apogée et crise coloniale, en précisant qu’elle « abordera le contexte d’idéologie coloniale dans lequel s’est développée l’iconographie coloniale. C’est d’ailleurs pourquoi je ne présenterai pas pour ma part d’image » (C/27).

Donc pas d’images, mais pas non plus d’analyse de la presse, alors qu’elle propose ses réflexions sur l’opinion publique.

L’historien Rivet, dans sa communication sur Les Bâtisseurs d’Empire, fait état de sondages, sans plus de précisions

Des sondages dans L’Illustration et dans le Monde Colonial illustré durant l’entre deux guerres et dans Paris Match après 1945, il ressort la place restreinte, secondaire des bâtisseurs d’Empire. (C/67).

 

Le livre Images et colonies contient plusieurs contributions qui abordent ce sujet. L’historienne Hugon, sous le titre Conquête et exploration de l’Afrique noire (1880-1913) nous livre quelques réflexions sur les images et textes publiés dans la presse de l’époque, mais elle ne nous fournit aucune évaluation précise, sauf dans sa note 2 (p.23)

« La production d’images sur la conquête et l’exploration, bien qu’assez constante, connait cependant des périodes de pointe dues à l’actualité. Ainsi les expéditions françaises au Dahomey et à Madagascar font-elles l’objet de maintes gravures dans les années 1891-1893 et 1894-1896 respectivement : dans le supplément illustré du Petit Journal, quatorze gravures sur le Dahomey entre 1891 et 1893, dont dix pour la seule année 1892 (le supplément hebdomadaire comportait en général deux illustrations en couleur, soit environ cent gravures par an. »

L’historien Holo, L’œuvre civilisatrice de l’image à l’image (IC/158)(1880-1913) traite de différents sujets, le génie colonisateur, l’évangile du progrès, la supériorité occidentale, le parti colonial à la conquête de l’opinion, les discours et représentations, l’image couramment transmise de l’Afrique par la presse illustrée, et cite à la fois des textes et des images de presse à leur sujet, images et textes qui se répartissent chacun sur moitié de la surface.

Mais aucune évaluation de la presse et du discours colonial dont il pourrait faire état.

L’historien Meynier, L’organisation de la propagande (IC/113) (1919-1939), ne donne aucune évaluation sur la presse, alors qu’elle pouvait être l’instrument privilégié de cette propagande, sur l’existence de laquelle, il est d’ailleurs plutôt réservé, comme nous le verrons dans notre chapitre sur la propagande.

Émergent alors, après avoir traversé cette sorte de désert sans oasis, les seules contributions qui tentent d’apporter quelques informations sur le rôle de la presse, mais nous sommes à présent transportés dans la deuxième guerre mondiale, et dans le contexte historique tout à fait trouble que fut la période de Vichy.

Dans la contribution la plus longue, celle de l’historien Blanchard et de l’anthropologue Boëtsch, La Révolution Impériale (IC/186), le rôle de la presse est évoqué à plusieurs reprises. Les auteurs, après avoir rappelé le message diffusé par la presse de droite avant 1939, notent :

« Entre 1939 et 1944, la presse va largement promouvoir le discours sur l’Empire du nouveau régime, avec de nombreuses rubriques coloniales » (IC/190), mais en faisant référence à nouveau à la presse de droite de l’époque.

« Entre 1940 et 1944, les articles comme les dessins de presse, abordent plus régulièrement les questions coloniales qui occupent dorénavant une place plus importante dans la société française ». (IC/192).

Résultat : peu de lumières sur le rôle réel de la presse qui s’exerçait de toute façon dans un contexte historique exceptionnel, celui de l’occupation allemande.

La deuxième contribution intitulée La presse et l’Empire (IC/215), sous la seule signature de l’historien Blanchard ne dépasse pas une page et brosse un tableau rapide des différents organes de presse. et notamment de ceux qu’il connaissait le mieux, grâce à sa thèse, pour conclure :

« Presse collaborationniste, presse maréchaliste, ou presse sous contrôle allemand, toutes sont d’incessantes propagatrices de l’idée coloniale, sur des tons et avec des idées différentes mais aussi des buts souvent opposés. La presse .fut néanmoins. avec l’image, l’arme par excellence de Vichy, pour diffuser largement son discours colonial dans l’opinion publique » (IC/215).

Donc aucune évaluation, pour autant qu’elle ait pu avoir un réel intérêt, à l’époque considérée, pour apprécier l’ampleur des convictions coloniales de la presse tout au long de la période coloniale.

Dans cet esprit, il serait intéressant d’en savoir plus sur la note 13 p. 231, qui se réfère à la période de l’Union Française, et non de l’Empire, c’est-à-dire postérieure à 1945, quant au dépouillement de la presse : La presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle qui a fait l’objet dans le cadre des recherches entreprises par l’Achac d’un dépouillement systématique. » (page 70)

Fin 2ème Partie

 

Voir les commentaires

Partager cet article
Repost0
9 décembre 2024 1 09 /12 /décembre /2024 10:53

Les règles de publication des textes sur le blog, le décompte des mots m’ont obligé à les fractionner

                              « Le livre « Supercherie coloniale »

                                             CHAPITRE  II

                                                            (Pages 64 à 82)

                                                                            La presse

                                                                Première Partie (page 64 à 68)

                  " Aux nombreuses questions que l’on peut légitimement se poser sur l’existence ou non d’une relation, d’une filiation, pour ne pas utiliser le terme préféré de généalogie de nos historiens, entre l’histoire coloniale et l’histoire nationale, l’analyse de la presse nationale et régionale, c’est-à-dire des très nombreux journaux publiés entre 1871 et 1939, pourrait sans doute apporter un début de réponse, sinon une réponse.

                     Incontestablement, la presse constitue un des rares supports d’information et de culture qui a existé tout au long de cette période, à la différence des autres supports. Elle a également l’immense mérite de pouvoir faire l’objet d’un travail d’évaluation, de mesure statistique des textes et des images en termes de colonnes et de pages, ainsi que d’un examen qualitatif des contenus.

Les grandes conquêtes coloniales, Tombouctou (1893), Tonkin (1885), Dahomey (1892), Madagascar (1895), ou Fachoda (1898) ont fait l’objet d’articles de reportages, de gravures et de photographies. Il est donc possible, avec les archives de la presse de procéder à un sérieux travail d’évaluation statistique exhaustive ou par échantillon : surface et fréquence des articles, ou des images, dans la presse nationale et régionale par rapport à la surface totale des supports de presse d’information et de culture, analyse des contenus, favorables ou défavorables à la conquête. Nous verrons qu’un exercice de ce type a été effectué sur un grand quotidien provincial, ainsi que sur d’autres journaux de province.

Quelques chiffres tout d’abord pour fixer les idées (Histoire générale de la presse, 1972) :

En 1880, 94 titres de quotidiens parisiens, avec un tirage total de 3.500.000. Quatre journaux ont les tirages les plus importants : le Petit Journal 583.820, La Petite République : 196.372. La Lanterne : 150.531, le Figaro : 104.924.

La même source ne donne pas le chiffre des tirages de la presse provinciale à la même époque, mais le chiffre des quotidiens, beaucoup plus élevé que celui de Paris : 252 quotidiens en 1882.

En 1910. le tirage des quotidiens parisiens passe à 4.950.000 pour 76 titres. Quatre journaux ont les tirages les plus importants :

Le Petit Parisien :         1.400.000

Le Petit Journal :           835.000

Le Journal :      810.000

Le Matin :          670.000

En 1939, le tirage des quotidiens parisiens est de 5.500.000, et les quatre journaux les plus importants sont :

Paris Soir          1.739.584

Le Petit Parisien :         1.022.401

Le Journal :      411.021

L’Humanité :   349.587

En 1939, la presse de province fait plus que jeu égal avec la presse parisienne avec un tirage total de 6 millions d’exemplaires pour une centaine de titres, dont les plus importants sont :

L’Ouest Eclair :              350.000,

La Petite Gironde :       325.000,

L’Echo du ²Nord :          300.000,

La Dépêche de Toulouse :      260.000.

                           Ne figurent pas dans les premiers les journaux de la région de Marseille qui ont fait l’objet de l’attention privilégiée de l’historien Blanchard dans sa thèse.

Donc un potentiel de textes et d’images d’archives considérable, disponible pour des chercheurs qui auraient eu l’ambition de mesurer l’importance du fait colonial dans l’information et la culture des lecteurs français tout au long de la période coloniale moderne.

Cette fresque  rapide éclairera notre propos sur le parti historique qu’en a tiré notre nouvelle école de recherche historique dont nous critiquons tout à la fois les méthodes, les travaux et les conclusions, le seul travail de base à ce sujet étant la thèse de M.Blanchard dont nous analyserons le contenu.

                     Donc, un potentiel de textes et d’images d’archives considérable, disponible pour des chercheurs qui auraient l’ambition de mesurer l’importance du fait colonial dans l’information et la culture des lecteurs français tout au long de la période coloniale moderne.

                    Cette fresque rapide éclairera notre propos sur le parti historique qu’en a tiré notre nouvelle école de recherche historique dont nous critiquons tout à la fois les méthodes, les travaux et les conclusions, le seul travail de base à ce sujet étant la thèse de M. Blanchard dont nous analyserons le contenu.

                     Le discours sur la presse

                              Pour l’essentiel, ce discours est contenu dans Culture Coloniale pour la période 1871-1914, baptisée Imprégnation d’une Culture.

En effet les grands journaux participaient à cet intérêt, se faisant l’écho des conquêtes (CC/43), et plus loin, La grande presseLe Petit Journal et Le Petit Parisien – multiplient les sujets ayant trait aux expéditions coloniales ; d’autres journaux furent créés autour de ces thèmes porteurs comme le Journal des voyages en 1877 (CC/49).

Dans la phase baptisée, Fixation d’une appartenance (après 1914), « l’Agence (des Colonies) "inondait", gérait et générait son propre discours en s’assurant la maîtrise de sa production et des relais de diffusion. Interlocuteur privilégié, elle s’octroya ainsi un monopole en contrôlant tous les maillons de la chaîne d’informa­tion. » (CC/139).

                                Le chapitre 7 que nous consacrerons à la propagande coloniale fera plus que nuancer ce discours et dans la troisième phase dite, Apogée d’un dessein, Entre 1929 et 1931... « La grande presse est devenue coloniale en quelques mois... » et plus loin, une remarque de tonalité contraire : « Même si cet engouement sera bien vite mis de côté à la fin de l’année 1932, la mode de l’empire était sans doute passée. » (CC/213)

L’auteur fait-il référence à sa thèse universitaire ?

Ses réflexions portent sur un certain nombre de sujets de presse, notamment sur la presse de droite qu’il a effectivement analysée dans sa thèse pour la période 1930-1945, sur celle de Maurras,

« L’ensemble de ce contexte politique se retrouve dans la multitude d’articles de presse concernant l’Exposition Internationale de 1931, qui est d’une remarquable uniformité et très révélatrice de cette évolution doctrinale » (CC/223).

L’auteur cite à ce sujet l’Ami du peuple, La Victoire, le Figaro, Candide, et en sous-titrant La presse au diapason colonial.

« Un rapide tour d’horizon du monde médiatique français permet de remarquer une démultiplication du nombre d’articles abordant, et cela dès la première page, des questions coloniales » (CC/225).

A ce sujet, l’auteur cite sa thèse universitaire pour appuyer sa démonstration (note 13 p. 225). Notons que les journaux cités ci-dessus avaient une audience très limitée.

Enfin, après avoir cité d’autres titres, l’auteur écrit : « A travers ces quelques exemples (que l’on pourrait multiplier à l’iden­tique) on constate aisément que la presse dans son ensemble, montre alors un intérêt prononcé pour le domaine colonial au cours de cette année "impériale" ».

Oui, mais après 1931, et en 1932 ? Comme l’auteur en a fait état plus haut. De quoi,  parlons nous en définitive ?

Dans La République Coloniale, les auteurs écrivent au sujet de la popularisation pour l’ailleurs… la création de journaux populaires, tels Le Tour du Monde et surtout le Journal des Voyages qui tirent à la fin des années 1870 à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires… Les grands journaux populaires généralistes illustrés, tels Le Petit Parisien, Le Petit Journal, L’Illustration, consacrent de nombreux articles aux explorations. Le thème est en vogue et fait vendre (p. 60).

Mes recherches personnelles sur les tirages annoncés ont été infructueuses.

Dans l’ouvrage Culture Impériale, l’historienne Lemaire relève « l’importance de l’emprise propagandiste sur l’information écrite » (CI/51).  "  page 68

Voir les commentaires

Partager cet article
Repost0
7 décembre 2024 6 07 /12 /décembre /2024 10:41

 

ANNONCE DE PUBLICATION

LA PRESSE COLONIALE ?

SELON « L’HISTORIEN MILITANT" PASCAL BLANCHARD »

Au temps des colonies, la Presse selon l’historien Pascal Blanchard !

L’historien en question sait faire appel à ses amis. On le voit sur ARTE dans le  club du journaliste Renaud Dély avec son ami Claude Askolovitch , récemment dans une table ronde de C politique avec le journaliste Thomas Snégaroff, sans faire appel à ses compétences d’historien. Mais le 2 décembre 2024, sur LCP, la chaine  a fait appel à ses compétences d’historien à propos des recrutements de main d’œuvre dans la période postcoloniale, une compétence non démontrée en dépit d’une démonstration verbale à la cadence d’une mitrailleuse.

Hier, mon blog a eu l’honneur de recevoir la visite d’une personne curieuse de lire ce que j’avais écrit et publié en 2008 dans le livre « Supercherie coloniale » sur la presse à l’époque coloniale entre 1870 et 1960, très précisément celle décrite par l’historien Blanchard.

Pourquoi ne pas publier à nouveau le texte en question qui en dit beaucoup plus long sur la pertinence historique des thèses idéologiques de l’historien en question ? Ce chapitre apporte la preuve que la presse métropolitaine, telle que décrite par l’historien n’était pas spécialement coloniale ?

Le Figaro du 5 décembre 2024 , page 17 « Champs libres   Idées »  vient de publier une chronique intitulée

« Le décolonialisme, une imposture intellectuelle »
Eugénie Bastié

« Il faut décoloniser nos imaginaires, disait encore récemment l’historien militant Pascal Blanchard , commissaire du Musée de l’immigration . Comme lui, beaucoup d’universitaires à la mode préconisent de tout décoloniser : … »

La véritable question : A la condition que la ou les histoires racontées par « l’historien militant » soient pertinentes !

Réponse dans les pages à publier à partir du 9 décembre 2024.

Jean Pierre Renaud, « Chercheur impénitent », licencié en droit, docteur en sciences économiques, breveté de l’Ecole Nationale de la France d’Outre Mer (major de promotion)

Ancien Préfectoral

 

Partager cet article
Repost0
13 octobre 2024 7 13 /10 /octobre /2024 15:33

Conclusions générales

3

 

Bain colonial, accès de fièvre coloniale, ou accès d’exotisme ?

        Les colonies de la République française ou celles du peuple français ?

            Et si la France coloniale n’avait pas été plutôt la France officielle au lieu de celle du peuple français, la France des pouvoirs, des institutions officielles, de leurs corps constitués, publics et privés, rassemblés, gouvernement, administration, armée, églises, et grand capital ? Comme hier et aujourd’hui, la Françafrique ?

            Avec des réseaux d’influence parallèles, hier comme aujourd’hui ? Comment ne pas être surpris, en particulier, par la résistance et la puissance encore des relations maçonnes, et tout autant religieuses !

            Et si l’imaginaire des Français avait été plus attiré par un ailleurs étranger, et par toute autre chose que la colonie ou l’empire, dont on nous dit qu’ils étaient symboles de racisme et de mépris de l’autre ?

            Au terme de notre analyse, le lecteur éprouvera des doutes sur le sérieux du discours mémoriel et médiatique de ces chercheurs qui n’ont pas apporté, jusqu’à présent, de preuves à l’appui de leur discours.

            Nous sommes donc encore loin de pouvoir recenser et définir notre culture coloniale, selon la définition Herriot, pour autant qu’elle existe, par ce qui reste quand on a tout oublié.

            Puisqu ‘on ne connaît pas encore ce reste ! 

            Ce reste largement hypothéqué, et par les suites de la guerre d’Algérie et par la forte proportion de populations européennes ou maghrébines issues du Maghreb, et surtout d’Algérie, actuellement en France. Mais de là à tendre le voile de cette mémoire sur toute notre histoire coloniale, une telle option n’est pas fondée.

            On peut aussi, partant de la communauté de langue et de cultures officielles coloniales, affirmer que les populations coloniales qui ont connu l’administration française et sa justice, ses  écoles, ses dispensaires et hôpitaux, ses grands travaux, ont leur mémoire marquée par une culture coloniale, mais il faudrait le démontrer. Et aussi ses révoltes, guerres ou blessures, et il faudrait aussi le démontrer. Car les anciennes colonies sont devenues indépendantes, il y a plus de quarante cinq ans, et la Constitution de 1946 avait déjà modifié profondément le régime politique de ces colonies, donc plus de soixante deux ans avant. On touche là aux souvenirs de générations en partie disparues, pour autant que cette histoire ait marqué la mémoire des peuples des anciennes colonies.

             Pour prendre l’exemple de Madagascar, existait-t-il à ce sujet, dans la grande Ile et en métropole, les fameux stéréotypes coloniaux, lorsque que le Président Chirac donna sa caution à la repentance, lors de son voyage de 2005 ?

            A deux reprises, en 2005, à Majanga et à Tananarive, le Président se crut obligé d’évoquer «  les pages sombres de notre histoire commune –il y en a eu- et donc il faut avoir conscience du caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial. En 1947, le sentiment national montait sur la Grande Ile où s’enchaînèrent des événements tragiques. Rien ni personne ne peut effacer le souvenir de toutes celles et de tous ceux qui perdirent injustement la vie et je m’associe avec respect à l’hommage qu’ils méritent. »

            Les Malgaches n’en attendaient pas tant, pas plus d’ailleurs que les Français informés, mais pour des raisons différentes. Beaucoup d’eau avait coulé, depuis, sous les ponts, d’autres générations s’étaient succédé, et le message avait été parfaitement inaudible.

            Si la démonstration historique avait été faite par les auteurs du livre en question, l’expression République coloniale répondrait mieux à l’analyse qui reste encore à faire sur la réalité de cette République coloniale. Mais comme nous l’avons écrit, ce livre développe un discours idéologique, le plus souvent outrancier, et ne se penche absolument pas sur les formes qu’ont pu revêtir, ses groupes de pression, politiques, religieux, économiques, maçons, et surtout sur les effets réels de cette superstructure « coloniale » sur l’opinion des Français.

            Car, s’il a bien existé un groupe parlementaire colonial, un groupe de pression économique et financier colonial, plus proche des industries traditionnelles que modernes, une toile d’araignée maçonne qui, à travers les différentes institutions françaises, a poursuivi avec la plus grande constance ses objectifs de plus grande France, au nom d’impératifs de plus en plus désuets, tels que la civilisation, le bien des peuples colonisés, le peuple français n’a jamais eu la fibre coloniale, pas plus qu’il n’a eu la fibre maritime ou commerçante.

            Et aussi en parallèle, les églises, mais qui n’ont pas toujours, et loin s’en faut, porté ce discours d’une plus grande France.

            La France coloniale a été la France officielle, et c’est la thèse historique que nous proposons, jusqu’à preuve du contraire. Celle des pouvoirs, des institutions, et rarement celle du peuple. Car il est difficile de ranger dans la catégorie d’une culture coloniale ou impériale, l’écho populaire que pouvaient recevoir les récits des conquêtes militaires, la chute de Behanzin au Dahomey avec ses ingrédients médiatiques incomparables, les sacrifices humains et les Amazones, la prise de Tananarive après la calvaire de l’armée française, ou l’épopée de Fachoda, à travers les marais

            Ou encore la conquête du Sahara avec les chevauchées fantastiques des spahis, en plein désert, au pays de la soif et de la chaleur, contre les rezzous des Touaregs.

            Il ne faut jamais oublier que dans notre histoire nationale, notre roman national, selon les termes des deux auteurs cités plus haut, l’esprit de gloire montré du doigt par Montesquieu, n’a jamais été loin des Français. Non plus d’ailleurs que celui de croire qu’on aimait les petits Français pour eux-mêmes !

            On pourrait aussi disserter à loisir sur le point de savoir si ces engouements temporaires ne ressemblent pas étrangement à ceux que provoquent les grands exploits sportifs, ou la découverte de mondes nouveaux, et c’est ici que notre réflexion bifurque : une France au goût de l’exotisme, plus qu’une France coloniale.

            Ce qui ne devrait pas empêcher de jeunes chercheurs de se lancer dans une quête nouvelle, celle de la ressemblance tout à fait étrange qui pourrait exister entre la France officielle de la 5ème République avec la France de Jules Ferry et de ses suivants, cette France au sein de laquelle une petit groupe d’hommes, et souvent un seul, sous la 5ème République, décide de poursuivre une politique africaine qui a incontestablement des relents d’ancien régime ou de lancer, toujours pour d’excellents motifs de paix, ou de grandeur internationale, des expéditions militaires à l’étranger, le Parlement étant toujours mis devant le fait accompli.

            Les partisans de ces interventions, défenseurs d’une grandeur passée, font valoir qu’elles sont faites aujourd’hui, et c’est nouveau, à l’initiative de l’ONU, c’est vrai, mais le gouvernement a-t-il demandé l’approbation du Parlement pour intervenir en Côte  d’Ivoire, ou au Darfour ? C’est à l’occasion de votes sur d’autres sujets, le budget, ou les lois, ou d’élections générales, que les parlementaires et les électeurs, auraient l’occasion d’approuver ou de refuser de telles initiatives, mais elles sont toujours un élément, parmi d’autres, d’un paquet politique à prendre ou à laisser.

            Il en est donc aujourd’hui à peu près comme du temps de Jules Ferry. Et ce n’est qu’à partir du moment où une initiative extérieure perturbe gravement la vie du pays que ce dernier s’y intéresse, comme cela a été le cas pour la guerre d’Algérie.

            Croyez vous que le peuple français se sentait plus concerné par les aventures coloniales que par nos aventures modernes en Afrique ou au Moyen Orient ? En principe humanitaires !

            Dans le livre Images et Colonies, l’historien Meynier avait accordé, dans ses analyses, une place à l’exotisme, notamment en tentant de classer par thème colonial les différents supports d’information et de culture qui avaient été mis à sa disposition. (IC/124), supports dont le nombre était à la fois faible, et non représentatif, pour les raisons citées dans le corps de cet ouvrage.

            Ces réserves faites, il avait relevé le thème de l’exotisme dans la moitié des affiches (sur 30), dans le tiers des illustrations de magazines et livres coloniaux (sur 76), et dans les quatre cinquièmes des cartes postales (sur 116).

            Goût de l’exotisme, curiosité de l’étranger, découverte de l’Orient, de l’Egypte, et maintenant de l’Afrique, l’engouement des Français pour un ailleurs de rêve ou d’étrangeté suivait les modes des époques.

            Des Français attirés par l’exotisme, sans doute, peut être aussi par les mœurs étranges des peuples africains ou asiatiques , mais cela était-ce tellement différent de la curiosité que l’ancienne France avait manifesté pour le Canada ou la Louisiane ? Ou de celle des téléspectateurs de l’an 2007 qui s’intéressent aux Papous de Nouvelle Guinée, aux Himbas de Namibie, ou aux Nenets de Sibérie, sous la conduite de Charlotte de Turckheim ?

            La route des épices et les mirages, mais aussi les richesses des Indes orientales ou occidentales ? Est-ce qu’un  Français devait être colonial, sans le savoir et sans le vouloir, au prétexte qu’il buvait du café ou chocolat, sirotait du rhum, ou assaisonnait ses mets de poivre ou de cannelle ? Ou encore mange quelques grains de riz disputés à la volaille ?

            Est-ce que la France a jamais été coloniale dans ses profondeurs, à Paris et dans ses provinces ? Histoire coloniale d’une France officielle plutôt que celle de son peuple, d’attirance pour l’exotisme plus que pour les colonies ou l’Empire ?

            Et pour terminer, comment ne pas évoquer un souvenir récent, lors d’une visite à la cathédrale de Chartres et à ses vitraux magnifiques ? Dans un des salons de thé de la vieille ville trônait sur un coin du comptoir une magnifique statue en plâtre, d’environ un mètre de haut,  d’un jeune antillais au teint chocolat,  pieds nus, avec un chapeau sur la tête, portant sur son épaule un magnifique régime de bananes, prunelles noires sur globes oculaires blancs.    Cela ne vous rappelle pas les billes de loto de Négripub ?

            Personne ne semblait voir cette belle statue colorée, alors qu’elle s’inscrivait parfaitement dans le panorama mémoriel abondamment décrit par ce collectif de chercheurs, comme un phare au coin du comptoir - caisse de ce salon de thé. Incontestablement, un des symboles de l’inconscient colonial des Français !

            Et tout cela est bien dommage, parce que beaucoup de ces images ressorties des placards étaient souvent belles !

 

            Alors, s’il ne s’agissait que d’une invitation au voyage de Baudelaire ?

            « Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

                        Luxe, calme, et volupté. »

            Mais cher lecteur, vous ne partageriez peut-être pas le goût de l’exotisme de Baudelaire qui le portait vers les canaux plutôt glacés et embrumés de la Hollande. Ne préféreriez-vous pas les plages blanches de Gauguin, celles des îles Marquises, et les eaux émeraude des îles du Pacifique ?

Page 281

7/06/07

                                                                           &

 

Fin de publication annoncée pour plusieurs textes choisis dans le livre Supercherie Coloniale.

A voir l’évolution de la société française et de la France depuis les années 2000, il est difficile de ne pas constater que l’entreprise de démolition systématique de notre histoire contribue à déstabiliser notre pays.

Une des dernières « couches » a été celle du Président actuel en tournée électorale en Algérie en 2016 déclarant que la colonisation fut un crime contre l’humanité…

Un candidat décidément bien informé de notre histoire nationale et internationale…

 

Jean Pierre  Renaud    Tous droits réservés, le 13 octobre 2024

Partager cet article
Repost0
13 octobre 2024 7 13 /10 /octobre /2024 11:31

SUPERCHERIE COLONIALE   -  Conclusions Générales

                                                                             2

 

Pourquoi critiquer sur le fond, et sur la méthode, le discours de ce collectif de chercheurs ?

            Ce n’est pas leur choix des supports d’une culture coloniale ou impériale supposée, que nous contestons, mais leur analyse fondamentale.

            Il n’est pas possible, sur le plan de l’honnêteté intellectuelle, de tirer des conclusions à partir du moment où l’on se refuse à tenter de mesurer le poids de chaque support, par exemple, le tirage des journaux aux différentes époques, la place qu’ils réservaient aux colonies, l’écho que les journaux parisiens ou provinciaux donnaient à tel fait colonial. Or rien de cela n’a été fait par ce collectif, et la thèse Blanchard n’apporte d’informations à ce sujet , que tout à fait relatives, avec un choix restrictif des titres,  pour une période de temps limitée et un champ géographique également limité.

            Absence d’analyse quantitative (colonnes, superficie, année par année…) et qualitative : est-ce que les journaux disaient du bien ou du mal des colonies, ou étaient-ils simplement indifférents, comme l’ont déclaré un certain nombre de spécialistes.

            Donc analyse, sans doute après échantillonnage statistique, garanti, du poids du support d’information et de culture, analyse du poids relatif de l’article ou des articles, de l’image ou des images consacrés à la chose coloniale, et analyse qualitative des contenus positifs, négatifs ou neutres.

            Peut-être aurait-il été nécessaire de mesurer les effets positifs, négatifs, ou neutres, d’un événement colonial sur l’opinion publique, en choisissant ceux qui ont pu l’agiter et ceux qui auraient du l’agiter, par exemple la guerre du Rif au Maroc, dans les années 1925-1926, ou la révolte de Yen Bay, en 1930, en Indochine, si tel a été le cas.

            Nous avons donné plusieurs exemples concrets de ce type de méthode statistique de lecture et d’interprétation dans le chapitre Presse, dont celui du journal Ouest Eclair, dans les années qui ont précédé la deuxième guerre mondiale.

            Des corpus d’images étriqués, non représentatifs de la réalité de l’époque, alors qu’en même temps des chiffres énormes sont cités, quelquefois contradictoires, sans le moindre commencement de preuve, par exemple dans le domaine des cartes postales ou des affiches. Les contributions du Colloque ainsi que celles du livre Images et Colonies portent sur quelques dizaines d’images et illustrations, et rarement sur des centaines, sans que l’on sache jamais quel est leur poids dans une iconographie spécialisée, qu’il s’agisse de la carte postale, de l’affiche, du dessin de presse, de l’illustration de livre, des peintures, ou des films.

            Le lecteur aura pu prendre la mesure de ces insuffisances et imprécisions dans presque tous les cas de figure, et notamment dans le domaine des livres scolaires, domaine dans lequel les travaux connus contredisent le discours mémoriel. D’autant plus que les pages consacrées aux colonies figuraient en fin de livre, c'est-à-dire à la fin du programme scolaire : qui peut assurer qu’elles ont été effectivement lues ou commentées par les enseignants, juste avant les grandes vacances?

            Mais les mêmes insuffisances et approximations existent pour les cartes postales, les affiches, le cinéma, ou la propagande elle-même.

            Chiffres changeants, incertains, dont il conviendrait de démontrer la consistance et l’origine, alors que les contributions elles-mêmes du Colloque ou du livre Images et Colonies portent sur des séries généralement réduites ou flottantes, ce qui n’empêche pas nos chercheurs d’en tirer des conclusions mirobolantes.

             Le colloque a examiné environ six cents images (C/141), mais l’introduction du livre Images et Colonies fait état d’un recensement du groupe de recherche de l’Achac qui porterait sur plus d’un million d’images qui auraient été analysées au sein de son séminaire, et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’Achac à la Bibliothèque nationale en janvier 1993,  suivi de la publication des actes. (IC/8) Il s’agit du même colloque et le chiffre du million parait surprenant, compte tenu des propos qui ont été précisément tenus à ce colloque.

            L’analyse que nous avons effectuée sur les différents supports a démontré qu’il manquait une évaluation quantitative et qualitative des supports d’information et de culture et de la place qu’ils accordaient à la chose coloniale, ainsi que de leurs effets sur l’opinion, pour pouvoir prétendre énoncer telle ou telle conclusion sur leur rôle respectif dans la formation d’une culture coloniale, posée comme postulat.

            La démonstration historique reste donc à faire pour savoir si la presse a été ou non coloniale, si l’école, les cartes postales, le cinéma, les affiches, les expositions, ont joué le rôle que lui prête ce collectif de chercheurs. Textes ou images, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes, et il est difficile d’admettre que l’interprétation des images, en tant que telles, et dans leur champ spécifique des signes, soit laissée à la seule initiative des historiens.

            Les images-     A l’occasion du chapitre Affiches, le lecteur a pu constater qu’il était possible de faire dire n’importe quoi à une affiche, notamment à propos de la fameuse affiche de publicité du parfum d’Yves Saint Laurent.

            Il faut donc ouvrir le chantier des images coloniales aux sémiologues, d’autant plus que beaucoup d’entre elles sont purement et simplement des images publicitaires, et non des images de propagande en tant que telles.

            Ou alors, il faut dire qu’une affiche  de chocolat, de rhum, ou de banane, est par nature une affiche de propagande coloniale.

            Le discours de ce collectif de chercheurs fait apparaître une grande ambiguïté dans l’analyse, sans qu’on sache si elle porte sur l’image ou sur le texte, sur une image de propagande ou sur une image publicitaire, sur une image de propagande ou sur une image artistique.

            La même difficulté a été notée dans l’interprétation des films dits coloniaux, d’autant plus grande, qu’en grande majorité, ils concernaient le Maghreb. Laisser croire que les films tournés au Maghreb, et surtout au Maroc, avec de nombreux réalisateurs étrangers, sont des films coloniaux, est une tromperie intellectuelle.

            Leur discours mémoriel n’apporte pas de réponses aux questions qui étaient posées dans le prologue sur les méthodes de lecture des images, et d’ailleurs parfaitement exposées dans certaines communications du Colloque de 1993.

            L’effet de loupe-       Le discours de la méthode du Colloque de 1993 mettait en garde ses participants sur les dangers de l’effet de loupe, et nous avons vu, avec l’exemple du grain de riz de l’Indochine présenté comme le symbole d’une propagande coloniale tonitruante, à quelles conclusions erronées pouvait conduire ce type de déformation visuelle, mais d’abord intellectuelle.

            Encore conviendrait-il de remarquer que le mot propagande pour le bon socialiste qu’était Marius Moutet n’avait pas du tout le même sens que pour les fascistes, les communistes ou les nazis. Et d’ajouter qu’elle n’avait rien à voir avec celle de Tchakhotine et de son viol des foules.

            Effet de loupe sur l’objet même de l’étude à partir du moment où jamais n’est mis en comparaison l’imaginaire colonial, pour autant qu’il ait existé et qu’il existe encore, avec d’autres imaginaires puissants qui ont pu exister dans les différentes étapes de la chronologie historique : la saignée de la première guerre mondiale, la crise des années 30, la montée de la menace nazie et fasciste, la lutte fratricide franco-française pendant l’occupation allemande, puis le rêve américain et la guerre froide.

            Même effet de loupe pour le Petit Lavisse, les zoos  humains, les indigènes nues, Mauresques de préférence, Banania, ou Tintin au Congo ! Bled, Pépé le Moko, ou l’Atlantide ? Oublierait-on que Banania fut avant tout une publicité pour le petit déjeuner des enfants.

            Effet de loupe qui occupe plusieurs étages, les sous-sols de l’inconscient qui disputent la place des étages supérieurs, où se situent des imaginaires dominants ou dominés, en conflit, imaginaires qu’il conviendrait de définir et de délimiter aux différentes époques historiques. Le collectif de chercheurs n’a proposé à ce sujet aucune méthodologie, et naturellement aucun résultat.

            Donc, un puissant effet de loupe, ce qui veut dire sophisme du raisonnement historique, puisque l’effet de loupe procède d’un raisonnement sophistique.

            Nous avons vu en effet, au fil des chapitres, que nos chercheurs n’hésitaient pas à généraliser une observation, un fait, une image, sans se préoccuper de la question de leur représentativité dans un corpus déterminé. Selon le bon exemple du Français qui débarque sur les quais de la Tamise, voit une anglaise rousse, et en conclut que toutes les anglaises sont rousses.

            Anachronisme- Sophisme historique et anachronisme ? Car nous avons vu également que leur discours ne respectait pas toujours la chronologie historique, et qu’ils avaient tendance à faire souvent des raisonnements rétrospectifs, projetant leurs convictions ou leurs fantasmes sur le passé colonial de la France, le fameux imaginaire colonial étant beaucoup plus leur propre imaginaire, que celui dont ils auraient démontré l’existence et les effets aux différentes époques considérées.

            Car il nous faut revenir à présent sur les Actes du Colloque et sur le livre Images et Colonies pour apprécier leur discours par rapport au découpage chronologique de ces deux sources.

            Le Colloque n’avait pas, d’après les actes, d’ambition chronologique et historique, et n’avait pas encadré sa réflexion dans un calendrier historique précis. Il s’agissait plus de la part de ses participants d’un premier défrichage intellectuel du sujet, que d’un travail d’approfondissement de travaux déjà largement engagés.

            Il est d’ailleurs important de noter que l’objet du colloque était le suivant : Quelles représentations de l’Afrique ont aujourd’hui, les Français et les Européens ?

            Il ne s’agissait donc pas d’un travail historique collectif proprement dit.

            Le livre Images et Colonies proposait lui un ensemble de contributions très variées, souvent de bonne qualité, qui s’inscrivaient dans une chronologie acceptable, 1880-1913, 1914-1918, 1919-1939, 1940-1944, 1945-1962. La prise en compte séparée des deux périodes de guerre était tout à fait justifiée, car on ne peut pas mettre sur le même plan la situation de l’opinion publique, en temps de paix et en temps de guerre. C’est à peu de choses près, le découpage chronologique qu’avait proposé M.Gervereau au Colloque de 1993. (C/56)

            A chacune des périodes examinées, la facture de ces contributions était quelquefois historique, quelquefois artistique, ou simplement intellectuelle, et leurs auteurs n’avaient pas toujours l’ambition ou l’intention d’en faire un aliment pour une guerre des mémoires à venir.

            Le découpage chronologique du discours du collectif est tout à fait différent :

            - La Culture coloniale est analysée entre 1871 et 1931, avec un premier plan entre 1871 et 1914, un second entre 1914 et 1925, et un troisième entre 1925 et 1931, donc sans tenir compte de la coupure de la première guerre mondiale. Et quelle peut être la justification historique de la coupure de 1925 ? La guerre du Rif ? Cela n’aurait pas beaucoup de sens.

            - La Culture impériale est étudiée entre 1931 et 1961, les plans d’analyse se succédant de 1931 à 1939, puis de 1940 à 1953, et enfin de 1954 à 1961, également sans isoler l’analyse de la deuxième guerre mondiale, et en se demandant également quelle peut être la justification historique de la coupure de 1953 ?

            Le découpage chronologique choisi favorise donc la confusion des genres entre analyses de temps de paix et analyses de temps de guerre, alors que la lecture de ce discours pose déjà la question du mixage anachronique des observations qui passent très souvent du présent au passé, ou d’une période à l’autre.

            Et jamais un éclairage par le contexte de chaque époque, notamment le facteur international ou national toujours dominant, la crise de 1929, les menaces des dictatures nazies, fascistes, ou communistes, puis la guerre froide, contexte qui était de nature à relativiser l’intérêt des Français pour leurs colonies.

            L’exploitation systématique des journaux des débats des assemblées nous en aurait appris beaucoup plus long sur la culture coloniale ou impériale de la France officielle, la France politique, que ce discours mémoriel flottant, et pour tout dire, vaseux.

            Et qui plus est, ce découpage n’a pas servi à faire une différence d’analyse entre une période historique privée de sondages, donc de mesure de l’opinion publique, et une autre riche en sondages.

            Alors que l’objet même du Colloque de 1993, l’évaluation des représentations que les Français et les Européens d’aujourd’hui ont de l’Afrique, le Colloque n’a pas suggéré de procéder à un sondage en vraie grandeur, à l’initiative  de la puissance publique, qui aurait pu mettre au clair cette question, question à laquelle le sondage de Toulouse n’a pas apporté de réponse.

            Les Actes de ce Colloque n’ont malheureusement pas débouché, en tout cas, à notre connaissance sur la mise au point de méthodes d’évaluation historique des textes et images de notre histoire coloniale moderne.

            Et, comme nous l’avons souligné plus haut, faute de preuves, des historiens distingués ont ouvert à cette occasion la porte du ça colonial, de l’inconscient collectif, indéfini et indéfinissable, qui appelle à des interventions historiques ou mémorielles, liées à la psychanalyse, et qui sait à la sorcellerie.

            Des erreurs historiques : Au-delà des contradictions et des approximations, quelquefois de graves erreurs historiques.

            Dans le livre La République coloniale, on écrit à propos de la conquête française du Soudan et du Dahomey :

            C’est une guerre sans grandeur et sans chefs (à l’image du mépris pour Samory ou Béhanzin), sans stratégie et finalement sans vraie bataille et sans gloire. (RC52)

            Un texte contraire à la vérité historique de ces conquêtes : les conquêtes du Soudan et du Dahomey ont connu de vraies batailles. L’armée de Samory comptait des milliers d’armes modernes, qui valaient bien celles des Français,  des fusils à tir rapide achetés en Sierra Leone, mais il n’avait jamais réussi à se procurer des canons, ce qui fit souvent la différence. Nombreux étaient les officiers français qui  reconnaissaient à l’Almamy Samory les qualités d’un grand chef de guerre, mais souvent cruel.

            Citons à ce sujet, et pour ne prendre qu’un exemple, les analyses de L’histoire  générale de l’Afrique (Unesco -1987- Tome VII) sous la direction de A.Adu Boahen, dans les pages consacrées aux « Initiatives et résistances africaines en Afrique occidentale de 1880 à 1914 :

            C’est en 1892 qu’eut lieu le principal affrontement entre les Français et Samori Touré. Désireux d’en finir, Humbert envahit la partie centrale de l’empire en janvier 1892 à la tête d’une armée de 1 300 fusiliers triés sur le volet et de 3 000 porteurs. Samori Touré commandait personnellement une armée de 2 500 hommes d’élite pour faire face à l’envahisseur Bien que ses hommes « se battirent comme des diables, défendant pied à pied chaque pouce de terrain avec une énergie farouche » pour reprendre les mots de Person, Samori fût battu et Humbert pût s’emparer de Bissandougou, de Sananankoro et de Kerwane. Soulignons toutefois que Humbert lui même dût avouer que le résultat était bien maigre, eu égard aux lourdes pertes qu’il avait subies. De plus, Samori Touré avait ordonné aux populations civiles de faire le vide devant les troupes françaises. »(page 149)

            Indiquons au lecteur que les troupes française avaient alors pris la capitale de l’Empire de Samori Touré.

            En ce qui concerne Behanzin, il faut citer les quelques lignes tirées du même ouvrage. A la suite d’un traité signé avec la France en 1890, le roi Behanzin eut le souci de renforcer son armée.

            « Toutefois soucieux de défendre le reste de son royaume, le roi entreprit de moderniser son armée en achetant aux firmes allemandes de Lomé, entre janvier 1891 et août 1892, « 1 700 fusils à tir rapide, 6 canons Krupp de divers calibres, 5 mitrailleuses, 400 000 cartouches assorties et une grande quantité d’obus. » (page 151)

            Les deux adversaires se livrèrent à plusieurs batailles sévères.

            Et plus loin, du même tonneau, à propos de la conquête de Madagascar :

            Face à la canonnière et aux fusils français, les armes des Malgaches sont dérisoires.(RC/81).

             Alors que l’armée malgache disposait d’armes modernes, fusils et canons, et que sur les plateaux, elle pouvait aligner une artillerie plus puissante que celle des Français ! 48 canons Krupp et 7 canons Hotchkiss, contre douze canons lors de la prise de Tananarive, le 30 septembre 1895.

            Dans L’Illusion Coloniale, le même type d’erreur, puisque le commentaire fait de Gallieni le conquérant de Madagascar, en 1895, alors qu’il n’y a débarqué qu’en 1896. (ILC/42)

            Histoire ou Mémoire, Repentance ou Révisionnisme

        Ce débat est sans doute étranger à un grand nombre de Français, qui ne comprennent pas que la repentance fascine, comme à l’habitude une minorité d’intellectuels, toujours enclins à flatter le masochisme de nos échecs nationaux.

        Il nous faut tout d’abord rappeler les définitions que le Petit Robert propose pour les deux concepts d’histoire et de mémoire :

            - Histoire, une relation des événements du passé, des faits relatifs à l’évolution de l’humanité (groupe ou activité) qui sont dignes ou jugés dignes de mémoire.

            Donc toute l’ambiguïté attachée à la dignité de, donc aux disciplines intellectuelles capables de lui donner des garanties d’objectivité. Mais il ne faut pas être historien pour savoir que l’histoire n’est pas une science exacte et qu’elle est soumise à des modes, à des courants de pensée, situation qui n’autorise toutefois pas à écrire n’importe quoi.

            - Mémoire, la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passée et ce qui s’y trouve associé, faculté collective de se souvenir.

            Or le discours de ce collectif de chercheurs part continuellement à l’assaut de l’histoire et de la mémoire, et s’inscrit dans ce qu’on appelle communément la nouvelle guerre des mémoires. Et à cet égard le livre La République coloniale (Blanchard, Bancel, Vergès) est incontestablement le plus provocateur, le plus outrancier dans le verbe et dans la pensée, pour ne pas utiliser un adjectif plus fort. Le livre suivant La Fracture coloniale ne fait pas mal non plus dans le genre.

            Dans le premier ouvrage, les auteurs nous proposent tout simplement de déconstruire le récit de la république coloniale (RC/V), de déconstruire les fondements de son imaginaire (RC/160), et comment construire une mémoire (RC/140). Notons que dans leur conclusion du Colloque, les deux historiens Debost et Manceron avaient ouvert la voie, en écrivant :

            La réflexion entamée par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier (C/148)

            Affirmation bien gratuite compte tenu du défaut d’analyse de ce fameux imaginaire colonial, alors et encore aujourd’hui ! Ce collectif a manifesté son incapacité à en démontrer l’existence au temps des colonies et à notre époque.

            Le livre La Fracture coloniale s’inscrit dans la même ligne, projet inédit de décoloniser les esprits (FC/200), il faut sans cesse prendre les représentations imaginaires issues du passé colonial comme sujet pour tenter de les déconstruire. (FC/219), comment décoloniser les imaginaires ? (FC/237)

            Une politique  de la mémoire, redisons-le, devrait s’attacher à déconstruire les deux versants de ces perceptions, à savoir une strate que l’on pourrait qualifier d’  « immédiate » et l’autre de « profonde » (FC/289)

            Et dans le registre de ces citations et pour en égayer un peu la liste, un auteur n’hésite pas à écrire : Mais il y a bien des Français pas comme les autres qui analysent le regard dépréciateur, le déni de droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. (FC/200)

            Afin d’éclairer ce débat, donnons la parole à deux spécialistes, le sociologue Keslassy et le philosophe - psychologue Rosenbaum, qui viennent d’écrire un livre clair et roboratif sur le sujet, dans la collection Mémoires – Vives - Pourquoi les communautés instrumentalisent l’Histoire.

            Les auteurs écrivent que toute histoire est une sorte de roman national, et qu’il est toujours difficile de séparer mémoire et histoire, que l’histoire récente a eu de la peine à réintégrer Vichy et la déportation, et qu’elle rencontre également des difficultés à revenir sur son passé colonial.

            L’historien qui souhaite faire la lumière sur le passé  colonial de la France doit naviguer à contre-courant d’une opinion publique qui n’a pas nécessairement envie de voir ressurgir cette histoire dérangeante. (MV/40)

            En mettant en avant leur mémoire, en s’appuyant sur des historiens qui surfent sur les « abus de mémoire », certains activistes issus des minorités postcoloniales (MV/46) ; La mémoire se situe à un autre niveau que l’histoire : en jouant d’abord sur l’affectif, elle empêche les faits historiques d’apparaître dans toute leur complexité.(MV/48)

            Histoire dérangeante, hors le cas de l’Algérie, est-ce bien le cas ? Car la plupart des historiens ou politologues ont la fâcheuse tendance de réduire notre histoire coloniale à celle de l’Algérie, et aux répressions de révoltes coloniales. Hors le cas de l’Algérie, il parait difficile de mettre sur le même plan Vichy, la déportation, et notre passé colonial.

            Les auteurs établissent un constat équilibré de la situation et sont partisans d’aider à l’élaboration d’une histoire partagée qui ne mette pas en cause le pacte républicain, mais en même temps, ils dénoncent :

             Nos nouveaux entrepreneurs de mémoire, à l’affût, guettent ces désirs et ces tourments. Ils savent les instrumentaliser. (MV/59)

            Pourquoi ne pas rappeler que dans une controverse récente sur la repentance, entre deux historiens chevronnés, Mme Coquery-Vidrovitch et M.Lefeuvre, la première a défendu l’historien Blanchard en le qualifiant précisément d’historien entrepreneur ?

            Ce qui revient à reconnaître aujourd’hui le rôle du marché, de la concurrence, de l’argent et du profit dans  les travaux de recherche historique et mémorielle !

            Je dois reconnaître que le concept d’historien entrepreneur dérange, même quand, sur les pas de Paul Valéry, dans le texte que nous avons proposé au début de cet ouvrage, notre regard sur l’histoire reste lucide et notre esprit en éveil.

            Mais dans le cas présent de ce collectif de chercheurs, l’histoire devient encore plus problématique, puisqu’elle est faite d’affabulation historique.

            Et les deux chercheurs de préciser que, souvent dans ce débat, il existe une concurrence entre les mémoires qui met en cause le terrain mémoriel qu’occupe la Shoah, par rapport à l’esclavage par exemple, ou d’autres génocides, mais de noter aussi :

            Il n’y a donc pas à s’étonner que l’on assiste périodiquement à l’efflorescence de rhétoriques de combat portées par des intellectuels ou des agitateurs en mal d’auditoires. Ce sont tout simplement ceux dont les luttes mémorielles sont devenues le gagne-pain. (MV/111)

            De la colonisation  à l’exclusion contemporaine…

            L’une des explications qui a surgi dans le débat ces dernières années consiste à avancer que les inégalités de traitement dont souffrent les minorités postcoloniales proviendraient d’une fracture coloniale qui persisterait dans la société française. Dans l’esprit de ses promoteurs, cette expression, - d’une efficacité redoutable - renvoie certes à l’occultation subie par l’histoire de la colonisation dans le récit national… mais qui trouverait aussi sa source dans la poursuite d’une logique coloniale déterminant certaines politiques publiques – comme, par exemple, celle de l’urbanisation (MV/116,118)

            La fracture coloniale n’est pas restée un constat d’intellectuels. Cette thèse a eu un fort impact au sein de la société civile. Différents groupes, plus ou moins vindicatifs, ont pu se servir des  travaux de ces historiens pour affirmer que l’insuffisante connaissance des faces cachées de la république trouvait aujourd’hui son prolongement (MV/119)

            Et les auteurs d’observer que cet usage du passé offre une grille d’analyse à la fois restrictive et dangereuse : la confusion entre le racisme institutionnalisé d’hier et le racisme que nous combattons aujourd’hui est un ferment puissant de la culture de la victimisation qui imprègne déjà si fortement notre démocratie. (MV/119)

            Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne soit pas nécessaire de revenir sur les failles du récit national, mais encore faut-il  procéder de manière à ce que la communauté demeure un horizon pour tous. (MV/133)

            Nous ne partageons pas complètement ce constat, pour la raison que les historiens entrepreneurs n’ont pas réussi à démontrer jusqu’à présent qu’une culture coloniale ait imprégné ou imbibé, au choix, la mentalité des Français, et que par les voies mystérieuses de l’inconscient collectif, le ça colonial, elle serait à la source d’une fracture coloniale. Quant à la notion de racisme institutionnalisé d’hier, elle mériterait un débat à elle toute seule.

            Et avec le bémol déjà exprimé sur l’Algérie ! Car exprimées ou sous-entendues, ce sont les histoires de l’Algérie et celle de sa guerre, qui forment la véritable trame mémorielle de l’ensemble de ces livres, un des derniers en date, La Fracture coloniale, leur faisant une large place, notamment avec la fameuse enquête mémorielle de Toulouse

            Comment alors ne pas accuser ces historiens entrepreneurs de poser, innocemment ou non, des bombes idéologiques construites de toutes pièces, au sein de la société française, au risque de faire exploser un pacte républicain fragile.

            Au risque d’engager ou d’entretenir un processus d’autoréalisation de ces fantasmes de la mémoire. La conclusion de l’introduction des Actes du Colloque de 1993, consacrés au thème « Arts et Séductions » annonçait déjà la couleur, en rappelant les propos de l’historien Debost (Négripub), dont nous avons croisé la route à plusieurs reprises :

            Quand l’exposition « Images et Colonies » sera présentée en Afrique, toutes les images que nous avons visionnées deviendront une réalité pour les ex-colonisés qui ne les ont jamais vues. Tant que ces images, parfois oppressantes, voire violentes, n’auront pas été vues par ceux qu’elles étaient sensées montrer, il y aura un dialogue de sourds, car les ex-colonisés ne connaissent nos référents, ni ceux de nos parents. » (C/91)

            Grâce à l’exposition, le fantasme colonial deviendra donc réalité, au même titre qu’on peut craindre que le discours mémoriel de ces chercheurs ne devienne réalité dans les banlieues.

            Et avec de telles méthodes de diagnostic et de soins, on peut craindre, qu’à l’exemple des médecins de Molière, ils ne fassent crever le malade.

            Quant à la repentance, comment ne pas inviter ses promoteurs et défenseurs à méditer sur le sort des filles repenties de l’ancien régime, lesquelles trouvaient quelquefois le secours de refuges religieux ?

            Dans un tel contexte, repentance ou non, révisionnisme ou non, de tels mots n’ont guère de sens, sauf à nous faire revenir dans les temps de l’histoire chrétienne ou totalitaire, du monde communiste en particulier.

            Mais il faut garder la République française à l’abri de ces discours mémoriels qui propagent tout simplement leur supercherie, au risque effectivement de voir cette supercherie s’autoréaliser en mythe explosif. »

            .Page 276

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir les commentaires

Partager cet article
Repost0
13 octobre 2024 7 13 /10 /octobre /2024 11:05

SUPERCHERIE COLONIALE

Pages 253 à 281

 

 

Conclusions

« Critique de l’histoire coloniale impure » :

Supercherie coloniale ou rêve exotique ?

 

 

            « Second médecin

            A Dieu ne plaise, Monsieur, qu’il me tombe en pensée d’ajouter rien à ce que vous venez de dire ! Vous avez si bien discouru sur tous les signes, les symptômes et les causes de la maladie de Monsieur ; le raisonnement que vous en avez fait est si docte et si beau, qu’il est impossible qu’il ne soit pas fou, et mélancolique hypocondriaque ; et quand il ne le serait pas, il faudrait qu’il le devint, pour la beauté des choses que vous avez dites, et la justesse du raisonnement que vous avez fait.

            Molière, Monsieur de Pourceaugnac, Acte I, Scène VIII »

 

            Cher lecteur, je ne suis pas sûr qu’au fil des chapitres, vous ayez pu apprécier la même beauté des choses, mais j’espère que vous avez pu vous faire une juste opinion sur le raisonnement de ces nouveaux médecins de l’histoire coloniale.

            J’avouerai que lire et annoter les livres qui contiennent le discours incriminé fut un vrai purgatoire, et jamais un exercice de plaisir. Et pour cette raison, mériterais-je déjà, et à ce titre, les indulgences plénières de l’Eglise.

            Une écriture souvent boursouflée dans la forme et dans le fond, quelquefois purement et simplement extravagante, et à titre exceptionnel, franchement hilarante, comme celle dissertant sur l’effet corporel du scoutisme sur les stéréotypes coloniaux, ou sur d’autres, de la même espèce, logés dans un corps.

            Alors, au lieu de la fréquentation de cette littérature historique, d’une littérature qui ne craint pas, presque à chaque page, de montrer son bout de l’oreille idéologique, je conseillerais vivement au lecteur de s’adonner à d’autres lectures de littérature historique, plus distrayantes, et aussi plus rafraîchissantes, la saga des paysans de Claude Michelet, celle des Messieurs de Saint Malo de Bernard Simiot, qui a du reste un rapport avec notre histoire coloniale, ou sûrement plus dépaysante, celle du Clan des Otori de Lian Hearn.

            Résumons succinctement le discours mémoriel de cette école de chercheurs, flot incantatoire de mots, d’affirmations sans preuves et d’approximations, de jugements définitifs assénés en miroir des uns et des autres : une culture coloniale populaire aurait existé en France, entre 1871 et 1939, puis une culture impériale, entre 1931 et 1962, lesquelles auraient ancré dans l’inconscient des Français d’aujourd’hui, les stéréotypes de la fracture coloniale, principalement le racisme et le mépris de l’Autre.

              Ne revenons pas sur les mots et expressions hypertrophiés qui visaient à nous convaincre que la France avait été immergée dans un bain colonial dont elle ne serait sortie qu’imprégnée profondément par son passé colonial.

            Les écrits de ces chercheurs sont en complet décalage :          

            Les travaux en question sont en complet décalage avec ceux du Colloque de janvier 1993 et ceux du livre Images et Colonies, publié la même année. Entre 1993 et 2003, aucun progrès dans la méthode et dans les résultats ! Alors que le Colloque avait soulevé d’importantes questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons, et auxquelles ces chercheurs n’ont pas répondu, mais aussi, avec beaucoup moins de bonheur, ouvert la boite de Pandore du ça colonial.

            A la lecture de leurs écrits, il est possible de se demander si ces chercheurs ont vraiment fréquenté beaucoup de récits, de livres d’histoire coloniale, et consulté beaucoup d’archives ; s’ils ont jamais eu la chance de se frotter concrètement au continent africain, à ses mœurs et à ses cultures ; et avant tout, si on leur a jamais enseigné un discours de la méthode historique.

            Une étrange morale de l’écriture

            Il faut par ailleurs se poser une toute autre question plus grave, parce qu’elle touche à la morale de l’écriture :

            - A lire leurs écrits et à les comparer à ceux des contributions historiques qui leur ont servi sans doute de sources, il existe une distance intellectuelle incontestable entre les analyses des historiens Ageron et Meynier, notamment sur la propagande coloniale, et leur propre analyse, et nous avons démontré les graves insuffisances de l’analyse Lemaire sur la propagande coloniale.

            Les introductions des Actes du Colloque et du livre Images et Colonies ne paraissent pas traduire fidèlement le contenu des contributions qui y figurent, et pour parler clair, elles semblent orientées, en posant des postulats non démontrés, ni par les communications du Colloque, ni par le contenu des contributions de ce livre.

            - Au dire et au témoignage d’autres chercheurs, les responsables de ces travaux prendraient incontestablement des libertés avec les textes qui leur sont soumis pour être publiés ou les contenus des communications verbales qui sont faites  à l’occasion des colloques.

             Deux exemples concrets m’ont été donnés : celui d’une contribution écrite sur les cartes postales que devait contenir le livre Images et Colonies, et celui de l’exploitation des communications et débats du Colloque très médiatisé, organisé à Marseille, les 8 et 9 juin 2001, colloque dit des « Zoos humains ».

            Dans le premier cas, le texte livré par l’auteur, Philippe David, a été modifié sans son accord.

            Dans le deuxième cas, le bulletin de l’association Images et Mémoires de l’automne 2001, sous la signature de son président, Philippe David, rendait compte des débats qui avaient agité le colloque  de Marseille.

            Le Président de l’association rappelait en quelques mots la thèse provocatrice (ils le reconnaissent) des organisateurs, assénée avec agressivité et outrecuidance depuis deux ou trois ans dans la grande presse ...la presse spécialisée… et sur les ondes/…On nous affirme en substance que la France, en tant que « République coloniale » a eu, pendant trois générations, le « triste privilège » d’avoir organisé des exhibitions d’indigènes de ses colonies au sein de zoos et derrière des clôtures, pour mieux enfoncer le grand public dans le racisme et le mépris de l’Autre, trois quarts de siècle de relations entre les Français et les Noirs d’Afrique pouvant en conséquence être symbolisés par l’image des Nègres à qui on jette des cacahuètes et des mégots à travers un grillage au jardin d’Acclimatation de Paris...

            Au mépris de la vérité historique, la thèse des « zoos humains » doit tout englober, tout regrouper, tout expliquer et pendant deux jours, il n’est pas apparu que le Colloque ait été fait pour entendre ou admettre les discordances...

            Certes la plume était libre… La parole l’était moins...

            De conclusion, qui aurait pu nous permettre de formuler avec plus de hauteur nos vues sur l’ensemble des thèmes abordés et les critiques de fond exprimées par écrit dans des papiers qui n’avaient pu être lus, il n’y en eut pas. Ou du moins, elle fut faite en dix minutes par les quatre organisateurs du colloque eux-mêmes sans qu’aucun autre participant n’ait été invité à donner, même brièvement, son mot de la fin. Peut-être ont-ils voulu verrouiller jusqu’à la dernière minute le déroulement d’une rencontre qui à l’évidence n’avait pas toujours conforté leur point de vue…

            Il est des dérives historiques d’autant plus dangereuses qu’elles sont claironnées et admises sans vérification dans de nombreux milieux plus sensibles à la mode et au sensationnel qu’à la simple vérité...

            Lue en séance, la liste des principales contre-vérités écrites depuis deux ans par les organisateurs a paru parfois si énorme qu’elle a fait rire une bonne partie de l’assistance. ».

            Ces témoignages sont instructifs : ils éclairent les méthodes de travail des chercheurs dont nous contestons le discours mémoriel et médiatique, plus qu’historique. En 1993, la même équipe avait dirigé la publication du livre Images et Colonies, dans le sillage du Colloque de janvier 1993, sans même faire mention de son existence.

            En touchant à des points sensibles de notre histoire, ces chercheurs ont su  médiatiser leurs initiatives, et obtenir, de façon surprenante, le soutien d’une puissance publique, au choix, inconsciente ou incompétente, qui, par le biais de certaines de ses institutions, leur a accordé patronage et subventions, alors qu’ils propagent une interprétation de notre histoire coloniale tronquée et fallacieuse.

            Alors on aimerait mettre ces dérives historiques au compte des péchés de jeunesse, mais comment accepter que plus de dix ans après leurs premiers travaux, ils continuent à se dire historiens et à colporter une histoire coloniale qui n’est pas la nôtre, en tentant d’accréditer que le mal de vivre de certaines de nos banlieues y trouve ses racines dans un inconscient collectif indéfini et indéfinissable.

            Car leurs travaux souffrent de très graves carences de méthode !

            Les carences de méthode

            Pour utiliser un adjectif fétiche de nos chercheurs, il n’est pas superflu de revenir sur le contenu d’un article fondateur de l’historien Ageron qui, dès 1990, dans la Revue Française d’Histoire d’Outre Mer posait les bonnes questions méthodologiques de base que soulevait l’étude des colonies devant l’opinion publique française entre 1919 et 1939.

            Il y notait que les techniques de sondages étaient encore à peine connues en France, et que seuls quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939, étaient à la disposition des historiens. Ce point a déjà été évoqué dans le chapitre Sondages.

            Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire de l’opinion », celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche…

            Pour qui ne veut pas s’en tenir à l’étude de l’idéologie coloniale et à sa diffusion appréciée intuitivement à travers la seule littérature politique, il importe de rassembler tous les éléments d’information épars qui  permettront, par approche, indirecte, de se faire une idée plus précise du sentiment public français vis-à-vis de son empire colonial. Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur. S’agissant d’opinion contemporaine, elle devra porter aussi, tout naturellement, sur le volume et le contenu des informations et des images diffusées par les radios, le cinéma et la presse filmée hebdomadaire, voire par les manifestations et expositions coloniales diverses parisiennes et provinciales. Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un  travail d’équipe.

            L’historien avait alors presque tout dit des préalables qu’il convenait de lever avant de pouvoir donner une lecture crédible de cet objet de recherche, mais il ne semble pas que cette leçon de méthode ait eu beaucoup de succès. En tout cas, ce collectif de chercheurs ne nous pas aidé à dépasser le stade de la préhistoire.

            On peut regretter aussi que les pouvoirs publics se soient défaussés sur une association pour lancer à Toulouse, un sondage et une enquête, dont la finalité ne répondait pas aux préoccupations de l’historien Ageron, alors que faite au plan national, sous l’égide de l’Insee, elle aurait pu, avant qu’il ne soit trop tard, faute de cible, nous éclairer sur la conscience coloniale des Français nés avant 1939, et donc entrer dans la catégorie des sondages rétrospectifs de l’historien. Et plus largement une enquête par sondage sur tous les thèmes de l’histoire coloniale qui font débat, et souvent mauvais débat.

             Et ce n’est pas non plus le sondage très sélectif de l’historien Blanchard, dont il a fait état dans sa thèse qui peut apporter une vraie réponse. Comme nous l’avons écrit dans le chapitre 8, la cible était celle d’un public âgé classé à droite, domicilié dans le sud-est de la France.

            Presque tout dit, pas complètement en effet, parce que l’image coloniale est entrée en scène au Colloque de janvier 1993, auquel l’historien Ageron participait d’ailleurs. L’image, avec toutes les questions de méthodologie qu’elle soulevait, parallèlement à celles des textes, avec la spécificité de son interprétation, domaine de prédilection des sémiologues, lesquels dans le sillage de Barthes, ont aidé à la constitution de cette nouvelle discipline, profession complètement ignorée, semble-t-il, de ces chercheurs.

            Le Colloque de janvier 1993 avait posé de bonnes questions de méthode pour aborder le nouveau sujet des images, alors que l’introduction ambiguë des Actes du Colloque cadrait déjà le sujet, en considérant comme des faits acquis, des postulats historiques déjà démontrés, le bain colonial, la multitude des images, l’image, allié puissant du colonialisme, tout en écrivant, contradictoirement, que :

            L’étude du thème colonial dans la production iconographique du XXème  siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation reste à faire.

             Et plus loin :

            Nous nous attacherons ici à ne présenter que des images dont on peut  évaluer la diffusion et qui, par conséquent, ont été vues par les Français.

            Ce qui n’est pas vrai, car il n’y a jamais eu d’évaluation de cette diffusion.

            La synthèse de la partie du colloque consacrée au thème Images et Messages était beaucoup plus nuancée et prudente, en abordant le problème des discours de la méthode :

            Plusieurs intervenants ont rappelé, même sans insister outre mesure, le fait que l’iconographie coloniale ne représentait qu’une quantité modique, voire infime, de la production iconographique dans la France du XXème siècle. Daniel Rivet remarquait en introduction que les « grands hommes » de la colonisation passionnaient visiblement moins le grand public que les « grands hommes » tout court ! Quant à Laurent Gervereau, il signalait en conclusion que les affiches politiques sur la colonisation ne constituaient qu’un pourcentage minime du corpus global. Pour être iconoclastes, dans la mesure où elles amènent à nuancer l’idée d’une propagande massive et tous azimuts sur l’Afrique coloniale, ces affirmations ne doivent pas surprendre. En effet, elles rappellent que la recherche sur un point précis produit souvent un phénomène de loupe à l’issue duquel on peut être amené à exagérer l’importance relative du fait étudié. (C/55)

            D’un point de vue plus général, l’ensemble des intervenants a rappelé combien délicat est le décryptage iconographique.

            Ils déplorent l’absence d’une méthode éprouvée qui, pour le commentaire de texte, permette non seulement de décrire l’image mais encore de l’analyser. (C/57)

            Et dans la synthèse des actes relatifs au thème Arts et Séductions, et à propos de la contribution de Gilles Boëstch, intitulée : La Mauresque aux seins nus : L’imaginaire érotique colonial dans la carte postale, Barbara  Boëm rappelait les observations de l’historien Debost, sur la méthode d’analyse des images, et notamment :

            « Je pense donc que le travail d’analyse sur cette fiction, le décodage des messages, ne peuvent se faire que si nous maîtrisons parfaitement l’histoire des systèmes de représentation, la sémantique, l’icologie (sic). » (C/58)

            Ces textes sont intéressants, mais ils suscitent naturellement beaucoup de questions que nous allons examiner, en faisant le tour des questions de méthode que posent les travaux que nous incriminons.

            J’aurais souhaité, en ce qui me concerne, que les propos du Colloque aient été beaucoup plus iconoclastes, car ces bons conseils et ces saines mises en garde ne semblent pas avoir été beaucoup entendues par nos chercheurs : mesure des corpus, effet de loupe, interprétation des images. Appartient-il à un historien de se lancer dans l’interprétation des images ? Comment se fait-il qu’en 1993, l’historien Debost recommande à ses pairs une méthode qu’il n’a pas mis en oeuvre lui-même dans l’interprétation des images de l’exposition Négripub, en 1987, pas plus qu’il ne l’a d’ailleurs fait dans ses contributions ultérieures sur les affiches, comme nous l’avons vu ? Alors que les séries statistiques sur lesquelles il s’est appuyé en 1987 sont on ne peut plus contestables. Ce qui ne l’a pas empêché d’écrire dans Images et Colonies, sous le titre La Publicité (1945-1962) :

             On l’a vu (2), l’image du Noir dans la publicité sur la longue période reflète dans son ensemble l’imaginaire dominant des occidentaux vis-à-vis des Noirs. Mépris, stéréotypes outranciers, mise en valeur de l’extrême différence, fascination pour le corps noir…

            Ce que l’on peut tout d’abord remarquer c’est que la récurrence du personnage africain dans l’affiche publicitaire est en très nette régression par rapport à la période de l’entre deux guerres. 1920-1939 : 45 récurrences ; 1945-1964 : 23 récurrences, soit deux fois moins. (IC/238)

            La note (2) renvoie au livre Négripub que nous avons critiqué dans le chapitre Affiches. Il faut tout de même avoir un sacré toupet pour habiller d’un semblant de preuve scientifique une analyse tout à fait insuffisante.

            En ce qui concerne l’interprétation des images coloniales, aucun progrès n’a été enregistré, entre 1993 et 2003, qui permettrait de lever les ambiguïtés attachées à leur lecture que nous avons observé dans le prologue. Où sont donc passés les sémiologues ? Est-ce que nos chercheurs en connaissent l’existence ?

            Concrètement, les méthodes improvisées, mais orientées, de lecture et d’interprétation

des images coloniales, risquent de déboucher sur une nouvelle querelle des images religieuses qui a connu de beaux jours sous l’Empire de Byzance, aux huitième et neuvième siècles, avec la lutte de l’Eglise contre les sectes iconoclastes, iconoclastes contre idolâtres.     (Page 262)

Partager cet article
Repost0
12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 10:23

Chapitre 9

 

Le ça colonial ! L’inconscient collectif !

Freud au cœur de l’histoire coloniale

Avec l’Algérie, l’Alpha et l’Omega de la même histoire coloniale !

 

1

Pages 235 à 246

 

            Il est tout à fait étrange de voir des historiens, normalement adeptes du doute, de la méthode scientifique de reconnaissance des faits, des dates, des preuves, s’adonner, ou s’abandonner aux délices, ou aux délires, de l’inconscient, le ça du célèbre docteur Freud.

            Car les chiens de l’inconscient ont été lâchés dans l’histoire coloniale !

 

            Nous sommes arrivés presque au terme de l’analyse et de la contestation du discours de ce collectif de chercheurs et nous espérons que le lecteur aura eu le courage d’en suivre les péripéties au fil des chapitres qui avaient l’ambition d’examiner, un par un, les grands supports d’une culture coloniale posée comme postulat, et d’apprécier le bien fondé de la démonstration historique qui leur était proposée. Au risque d’avoir très souvent éprouvé une grande perplexité devant le flot des mots, des approximations, et des sentences historiques

 

            Notre conclusion est que cette démonstration n’a pas été faite, et reste éventuellement à faire. Ce n’est pas en invoquant à tout bout de champ le refoulement, les stéréotypes, l’imaginaire et l’inconscient collectif, les imprégnations, les schèmes, les fantasmes, les traces et les réminiscences, et bien sûr l’impensé, que leur discours trouve un véritable fondement scientifique.

 

            L’inconscient collectif est incontestablement un concept à la mode, avec d’autant plus de succès que personne ne sait exactement ce que c’est !

            Il est vrai qu’au Colloque de janvier 1993, sur le thème Images et Colonies, l’historienne Coquery-Vidrovitch avait fait une communication intitulée Apogée et crise coloniales et fait remarquer que pour des raisons personnelles, elle n’avait pas eu envie de venir à ce colloque, indiquant : « Pour comprendre un réflexe de ce type, il faut faire la psychanalyse de l’historien » (C/30).

Confidence d’une historienne confirmée confrontée par son passé à ce type de question.

            Nous proposons donc au lecteur de faire un voyage initiatique dans le labyrinthe du nouveau Minotaure colonial, en quête d’un des dieux de l’Olympe ou de Delphes, d’un papa Lemba du culte Vaudou, ou encore d’une nouvelle pierre philosophale de l’histoire, qui va transformer l’inconscient collectif en histoire. Et pour ce faire, et pour doper sa quête de l’inconscient colonial, qu’il n’hésite donc pas à faire appel aux racines hallucinatoires de l’iboga gabonaise.

            Ou encore à s’immerger dans le grand secret des familles coloniales, théorie psychologique et psychanalytique à la mode, puisqu’au même colloque, un historien distingué n’a pas hésité à appeler la génétique à l’aide de sa démonstration.

            On voit déjà que certains historiens, chevronnés et réputés, avaient ouvert une belle boite de Pandore au profit de jeunes chercheurs, sans doute émoustillés par la nouveauté, comme par du champagne, et à l’affût de trésors éditoriaux.

 

            Le discours du collectif de chercheurs sur le ça colonial.

            L’ensemble des livres rédigés par le collectif de chercheurs fait constamment appel à l’inconscient.

            Dans le livre Culture coloniale, et dès l’introduction, les auteurs écrivent : « comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir, sans même l’anticiper. Non pas coloniaux au sens d’acteurs de la colonisation ou de fervents soutiens du colonialisme, mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel. »(CC/8)

            « L’école républicaine joue ainsi un rôle majeur en ancrant profondément dans les consciences la certitude de la supériorité du système colonial français… le bain colonial… »(CC/13)

            « Une culture au sens d’une imprégnation populaire et large. …une culture invisible. » (CC/15,16)

            « La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française, puis par héritage, à la république. « (CC/25,26)

 

            Après la fameuse et grande exposition de 1931 :

             « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale et de cette puissance retrouvée grâce à l’empire » (CC/36)

            Le lecteur aura pu se rendre compte, notamment dans le chapitre consacré aux expositions coloniales, de la réalité de cette imprégnation, partie rapidement en fumée.

            « Les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française en ce sens qu’elles renforcent, légitiment et alimentent le régime dans sa dynamique interne. »(CC/39)

            « Une culture coloniale encore rémanente plus de quarante après les indépendances dans la France du XXIème siècle. » (CC/91)

            « Le discours fut véhiculé par des médias touchant des millions d’individus, permettant de répandre et d’enraciner le mythe d’une colonisation « bienfaisante et bienfaitrice » et surtout légitime, dans l’inconscient collectif. » (CC/143)

            « Dans le cadre d’une société française totalement imbibée de schèmes coloniaux. »(CC/160)

 

            Le livre suivant, Culture impériale (1931-1961), développe le même type d’explication.

            « Pour la grande majorité des Français de cette fin des années 1950, imbibés consciemment ou pas de culture impériale, le domaine colonial est effectivement une utopie parfaite. » (CI/26)

            Alors que nous avons vu qu’il en était très différemment dans le résultat des sondages d’opinion publique.

            « Ces éléments marquent sans aucun doute l’importance qu’a prise peu à peu l’Empire dans les consciences tout autant que dans l’inconscient français. » (CI/54)

            Sa force réelle (la propagande) réside alors dans la constitution véritable d’une culture impériale sans que les français en soient forcément pleinement conscients. C’est tout le succès de la propagande coloniale au cours de ces années qui parvient à banaliser le thème colonial. C’est bien le concept de colonisation « modérée » qui fut ancré par ce biais dans les esprits. (CI/57)

 

            Et pour couronner le tout des citations, et à propos des effets du scoutisme sur l’inconscient colonial des Français :

            « L’étude de ces deux médiations  singulières (qu’ont été l’école et l’action extrascolaire) permet, d’une part, de rendre compte de la complexité et de la profondeur de l’éducation à la chose coloniale à laquelle a été soumise la jeunesse durant l’entre-deux guerres ; d’autre part, d’approfondir la compréhension du jeu subtil qui s’instaure entre l’ordre de la transmission raisonnée des connaissances (dans l’institution scolaire), et celui de l’incorporation inconsciente des valeurs –(au sein des mouvements de jeunesse issus du scoutisme). »(CI/93,94)

 

            Cher lecteur, pour rien au monde, je n’aurais voulu vous priver de cette belle citation ! Car elle valait le détour littéraire ! Elle mériterait de figurer dans un livre des records de bêtise intellectuelle !

 

            Le livre La République coloniale s’inscrit dans la même démarche de pensée :

« Il existerait un impensé dans la République (RC/III). Notre rapport à l’Autre serait travaillé par le colonial (RC/21)

            « Nous avons donc choisi de revenir à l’héritage, de comprendre comment se construit la généalogie moderne de la république, et comment cette généalogie lie en profondeur lie l’héritage républicain à la dimension coloniale. » (RC/40)

            « Ces éléments nous conduisent à établir une généalogie républicaine de l’intrication national/colonial. »(RC/103)

            « La France s’est imprégnée en profondeur de l’idée coloniale (RC/108)…Lorsque l’on veut comprendre la profondeur de l’imprégnation sociale du colonial en France. » (RC/117)

            « Long serait le florilège de ce qui, dans les discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés durant la période coloniale. »(RC/144)

            « Car la France continue de se voir à travers l’impensé colonial. » (RC/150)

            « L’omniprésence souterraine de ce passé. »(RC/160)

 

            Alors un bon conseil : chers historiens ! Il vous faut aller consulter les psy !

 

            Le livre suivant, La Fracture coloniale, ne fait pas non plus dans le détail à ce sujet.

            Dans l’introduction, signée Bancel, Blanchard, Lemaire, les trois animateurs du collectif de chercheurs que nous incriminons, ils écrivent :

            « Une littérature récente a d’ailleurs montré que la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savant (ce que l’on nommera ici une culture coloniale), dans les discours et la culture politique, le droit ou les formes de gouvernance. Il est par ailleurs légitime d’excéder les chronologies politiques qui rythment notre appréhension de la période coloniale : il serait trop simple de croire que les effets de la colonisation ont pu être abolis en 1962, après la fin de la guerre d’Algérie marquant celle de l’Empire français. Dans tous les domaines que l’on vient d’évoquer – représentations de l’Autre, culture politique, relations intercommunautaires, relations internationales, politique d’immigration, imaginaire …- ces effets se font toujours sentir aujourd’hui. » (FC/13,14)

            Le problème est que les trois auteurs renvoient dans la note 15, évidemment à leurs livres, c'est-à-dire ceux qui ont fait l’objet de notre analyse critique.

            Comment appeler en bonne logique ce type de raisonnement, sinon un cercle vicieux. ?

            Plus loin, les historiens Bancel et Blanchard écrivent :

            « Incontestablement, la République a contribué à forger politiquement les archétypes relatifs aux populations coloniales, en légitimant sur la longue durée leur subordination – le Code de l’indigénat étant la plus évidente expression de cette domination légalisée sous cette forme à partir de 1881 –selon un principe originellement racial, jusqu’à inventer culturellement l’ « homme/non homme » et le « citoyen/non citoyen » qu’est l’indigène. (FC/41)

            Est-ce que ces deux historiens croient et peuvent apporter la preuve historique que les Français, mis à part quelques spécialistes et une minorité de Français expatriés, aient jamais connu l’existence  du fameux code ?

 

            Mais le pire est encore à venir, lorsqu’on lit que « la mesure des discriminations et des vexations qu’ils subissent se trouve dans leur corps, que les réminiscences restent palpables, et que le déni du droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. » (FC/200)

 

            Une histoire donc en mal d’exorcisme ou de recette fétichiste capable de faire sortir du corps le mauvais esprit !

            Le même auteur, sociologue, n’hésite pas à écrire que les femmes indigènes ont eu à subir une double oppression qui ne fut jamais dénoncée, et que l’érotisation et la prédation sexuelle accompagnèrent toute l’histoire coloniale, en ce qui concerne les deux sexes pour faire bonne mesure. (FC/202) Est-ce que cet auteur a jamais fréquenté des récits d’explorateurs, pas uniquement colonialistes, ou des analyses des sociétés et des cultures africaines rencontrées ?

            Je renverrais volontiers l’auteur à la réflexion du début, celle de l’historienne Coquery-Vidrovitch quant à l’opportunité, dans le cas présent, d’une psychanalyse, et à une invitation à mieux connaître la condition de la femme dans certaines cultures maghrébines ou africaines.

            Mais le pire est encore à venir dans un propos d’un jeune de banlieue, rapporté par un autre sociologue :

« Quand j’étais dans les couilles de mon père, j’entendais déjà ces mots. « (FC/215) C'est-à-dire les mots de République, citoyen ou intégration.

            Comme quoi, la généalogie coloniale fonctionne effectivement !

 

Les sources historiques du ça colonial

            Et pour cela, il nous faut revenir au fameux Colloque de janvier 1993 dont le thème était Images et Colonies. Ce colloque savant a ouvert la boite de Pandore du ça colonial, ainsi que celle des envolées éditoriales que nous connaissons.

            Le ton est donné dès l’introduction aux Actes de ce colloque (Blanchard et Chatelier) :

            « Ce qui frappe, après un période de refoulement du passé colonial, c’est le retour ces dernières années à l’exotisme. » (C/11)

            « Mais surtout, il faut maintenant exploiter les images, non comme simple illustration de la période coloniale, mais bien comme une représentation. Car l’image est, comme il a été montré au cours du colloque, un élément important de la diffusion de l’idéologie coloniale en France au XXème siècle. Elle fut l’allié puissant du colonialisme…Aujourd’hui encore elle est présente, comme par exemple dans le numéro spécial de mars 1993 « Faut-il avoir peur des Noirs ? » de la revue Max…

            Ces représentations, véhiculées par une multitude de supports, se sont immiscées tant dans la vie quotidienne que dans la vie publique. Leurs influences nous semblent prépondérantes, puisque la grande majorité des Français n’a connu le fait colonial et le colonisé que par le prisme déformant de ces images. » (C/12)

            « Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (C/14)

            « Il semble que ces images soient devenues des « réalités » pour une majorité de Français, qui ne se doutent pas de leur véracité. » (C/15)

 

            La synthèse de la partie Mythes, Réalités et Discours, reprend brièvement les évocations et invocations d’un inconscient auxquelles se sont livrés quelques uns des hommes et femmes de science participant à ce colloque.

            Tout d’abord celle déjà citée de l’historienne Coquery-Vidrovitch. Dans sa communication Apogée et crise coloniale, elle déclare :

            « C’est d’ailleurs pourquoi je ne présenterai pas d’images. Comment s’est constituée cette collection d’images, souvent très belles, qui n’en sont pas moins des stéréotypes qui ont marqué de leurs préjugés l’imaginaire français ? » (C/27)

            A propos de l’exposition de 1931 :

            « Il s’agit de la naissance volontaire et inconsciente mais définitive de stéréotypes coloniaux qui sont construits et systématisés. » (C/29)

            Et d’évoquer le rôle du Petit Lavisse et d’écrire : « Cette iconographie a eu la vie longue, et combien d’adultes d’aujourd’hui la portent-ils encore en eux. » (C/30)

            Est-ce qu’à part son cas personnel, l’historienne a apporté la moindre preuve de ce propos ? Non ! Alors que cette historienne s’est illustrée, tout au long de sa carrière, par des travaux historiques très sérieux, en apportant une contribution importante à l’historiographie coloniale française.

            « Auraient-elles disparu d’ailleurs, les images n’en demeurent pas moins dans les esprits qu’elles ont contribué à façonner. » (C/31)

            « Les images vont nous apprendre énormément sur l’idéologie coloniale française, mais peut être plus encore sur l’image que nous portons, consciemment ou inconsciemment, en nous. »

            L’historienne Rey-Goldzeiger, (Aux origines de la guerre d’Algérie-2002 - Le Royaume Arabe- Politique algérienne de Napoléon III-1977) écrivait :

            « A partir de 1918 l’image du Maghrébin et du pays se modifie et va définitivement amener les stéréotypes maghrébins dans le conscient et plus grave, dans l’inconscient collectif. Pourquoi et comment ? » (C/37)

            Et dans le passage l’Impact de l’image, l’historienne de noter que :

             « L’étude en est beaucoup plus difficile et demande une recherche méthodologique nouvelle. Car la perception ne suffit pas pour faire entrer l’image dans le champ du conscient et de l’inconscient de ceux à qui elle est destinée. »

            Et de philosopher sur le déroulement du temps à propos de l’intrusion de plus en plus prégnante de l’image dans le domaine idéologique :

            « Les événements vont vite dans le temps court cher à Braudel, la conscience est plus lente et se situe dans le temps moyen ; quant à l’inconscient, il suit le temps long. Entre ces trois temps, il y a décalages. »(C/38)

            Les temps longs de l’histoire relèvent-ils du domaine de l’inconscient ? Est-ce qu’il ne faut pas manifester une certaine inconscience pour énoncer ce type de propositions ? S’agit-il d’histoire, de littérature, de psychologie, de psychanalyse, ou encore de philosophie ?

            Et de rattacher ses réflexions à la guerre d’Algérie, et à la difficulté que la France a rencontrée pour aboutir à une paix négociée en raison d’un décalage : « Question de décalage de temps ! »(C/38)

            Ou tout simplement en raison du décalage qui a toujours existé entre les ambitions de la France officielle, celle des pouvoirs établis, obnubilés de grandeur, toujours la grandeur, et toujours l’aveuglement, et celles du peuple français.

            Et plus loin : « Aussi l’image se fait vie et va alimenter jusqu’à l’inconscient qui s’appuie sur une symbolique de virilité, de chasse, et d’érotisme. »(C/39)

            « En quelques années, la conscience française, ainsi préparée est capable de percevoir l’image de la colonisation française, miracle qui a créé le Maghreb et le Maghrébin, d’intégrer à sa conscience la notion de supériorité de la civilisation française qui fait le bonheur des autres, de faire passer dans l’inconscient toute la puissance des mythes, qui bloque les actions rationnelles pour donner l’avantage à la passion. » (C/40)

            J’avoue que je n’avais jamais trouvé, jusque là, une explication du drame algérien par le rôle de l’inconscient colonial. Et d’expérience concrète de la guerre d’Algérie, j’ai souvent rencontré des soldats du contingent qui répugnaient, en toute conscience, à faire la guerre que la France officielle, celle des pouvoirs constitués légitimes, leur faisait faire, et qui n’était ni la leur, ni en définitive celle du peuple français. A l’expérience de leur épreuve, l’Algérie française n’était qu’un mythe, le contraire de celui que diffusait la propagande, mais malheureusement, il y vivait plus d’un million de Français.

 

            Continuons l’inventaire avec la communication de l’historien Meynier.

            Le titre de sa contribution a le mérite de la clarté en affichant : Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux-guerres

            L’historien établit un constat qui ne va pas dans le sens des analyses de notre collectif, comme nous l’avons déjà noté, mais il pose la question :

            « Compte tenu de ce constat et des images officielles propagées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan lorsque l’on évoque les colonies

            Imaginaire colonial et inconscient colonial

            Inconscient français et mythes coloniaux : salvation et sécurisation. » (C/45)

            L’auteur n’hésite pas à rapprocher le mythe de Jeanne d’Arc à celui de Lyautey, ce qui est plutôt très hardi.

 

            Et dans sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent les stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français et doit très peu au grand large. » (C/48)

            Alors cher lecteur, si on y trouve les concepts de stéréotypes, d’inconscient français et d’imaginaire, incursion scientifique plutôt surprenante de la part de l’historien, elle concerne beaucoup plus l’inconscient français, prioritairement hexagonal,  que l’inconscient colonial.

            Les conclusions de ce colloque étaient ambiguës, et ne pouvaient éviter de l’être, compte tenu de l’impasse faite sur les questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons dans les conclusions.

            Il faut avancer dans la maîtrise de la méthodologie de lecture de l’image, qui est à la fois représentation figurative et forme de discours. D’une manière générale, peu d’historiens ont écrit sur les méthodes d’analyse et d’interprétation de l’image. Comme l’a montré Jean Devisse, il reste énormément à faire : ouvrir le chantier de la méthode mais également celui de la constitution d’un corpus. » (C/148)

            On peut effectivement se poser la question de la validité scientifique du corpus, car nous avons vu que son élaboration souffrait d’une grave carence d’évaluation quantitative  et qualitative, mais aussi de la capacité de la discipline historique à interpréter une image historique, sans faire appel au sémiologue.

 

            Ce qui n’empêcha pas les auteurs de la conclusion d’écrire :

            « La réflexion entamée  par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier. « (C/148)

 

            Il faut donc tout à la fois, ouvrir le chantier de la méthode, mais aussi chercher à déconstruire l’imaginaire édifié pendant des décennies !

            Tout cela est-il bien sérieux ?

            Le collectif de chercheurs dont nous avons dénoncé le discours s’est engouffré dans les voies obscures de l’inconscient collectif encensé par des historiens confirmés et aussi dans celles d’une célébrité médiatique provisoire.

 

            Il est tout de même difficile de fonder une interprétation de notre histoire coloniale, pour le passé et pour le présent de la France, sur le fameux ça, avec en arrière-plan l’obsession permanente de l’Algérie.

            Comment laisser croire aux Français qu’ils sont imbibés de culture coloniale, alors qu’elle leur a été étrangère, même au temps béni des colonies ?

 

Page 246 du livre

 

Partager cet article
Repost0
12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 10:01

Chapitre 9

 

Le ça colonial ! L’inconscient collectif !

Freud au cœur de l’histoire coloniale

Avec l’Algérie, l’Alpha et l’Omega de la même histoire coloniale !

 

1

 

            Il est tout à fait étrange de voir des historiens, normalement adeptes du doute, de la méthode scientifique de reconnaissance des faits, des dates, des preuves, s’adonner, ou s’abandonner aux délices, ou aux délires, de l’inconscient, le ça du célèbre docteur Freud.

            Car les chiens de l’inconscient ont été lâchés dans l’histoire coloniale !

 

            Nous sommes arrivés presque au terme de l’analyse et de la contestation du discours de ce collectif de chercheurs et nous espérons que le lecteur aura eu le courage d’en suivre les péripéties au fil des chapitres qui avaient l’ambition d’examiner, un par un, les grands supports d’une culture coloniale posée comme postulat, et d’apprécier le bien fondé de la démonstration historique qui leur était proposée. Au risque d’avoir très souvent éprouvé une grande perplexité devant le flot des mots, des approximations, et des sentences historiques

 

            Notre conclusion est que cette démonstration n’a pas été faite, et reste éventuellement à faire. Ce n’est pas en invoquant à tout bout de champ le refoulement, les stéréotypes, l’imaginaire et l’inconscient collectif, les imprégnations, les schèmes, les fantasmes, les traces et les réminiscences, et bien sûr l’impensé, que leur discours trouve un véritable fondement scientifique.

 

            L’inconscient collectif est incontestablement un concept à la mode, avec d’autant plus de succès que personne ne sait exactement ce que c’est !

            Il est vrai qu’au Colloque de janvier 1993, sur le thème Images et Colonies, l’historienne Coquery-Vidrovitch avait fait une communication intitulée Apogée et crise coloniales et fait remarquer que pour des raisons personnelles, elle n’avait pas eu envie de venir à ce colloque, indiquant : « Pour comprendre un réflexe de ce type, il faut faire la psychanalyse de l’historien » (C/30).

Confidence d’une historienne confirmée confrontée par son passé à ce type de question.

            Nous proposons donc au lecteur de faire un voyage initiatique dans le labyrinthe du nouveau Minotaure colonial, en quête d’un des dieux de l’Olympe ou de Delphes, d’un papa Lemba du culte Vaudou, ou encore d’une nouvelle pierre philosophale de l’histoire, qui va transformer l’inconscient collectif en histoire. Et pour ce faire, et pour doper sa quête de l’inconscient colonial, qu’il n’hésite donc pas à faire appel aux racines hallucinatoires de l’iboga gabonaise.

            Ou encore à s’immerger dans le grand secret des familles coloniales, théorie psychologique et psychanalytique à la mode, puisqu’au même colloque, un historien distingué n’a pas hésité à appeler la génétique à l’aide de sa démonstration.

            On voit déjà que certains historiens, chevronnés et réputés, avaient ouvert une belle boite de Pandore au profit de jeunes chercheurs, sans doute émoustillés par la nouveauté, comme par du champagne, et à l’affût de trésors éditoriaux.

 

            Le discours du collectif de chercheurs sur le ça colonial.

            L’ensemble des livres rédigés par le collectif de chercheurs fait constamment appel à l’inconscient.

            Dans le livre Culture coloniale, et dès l’introduction, les auteurs écrivent : « comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir, sans même l’anticiper. Non pas coloniaux au sens d’acteurs de la colonisation ou de fervents soutiens du colonialisme, mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel. »(CC/8)

            « L’école républicaine joue ainsi un rôle majeur en ancrant profondément dans les consciences la certitude de la supériorité du système colonial français… le bain colonial… »(CC/13)

            « Une culture au sens d’une imprégnation populaire et large. …une culture invisible. » (CC/15,16)

            « La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française, puis par héritage, à la république. « (CC/25,26)

 

            Après la fameuse et grande exposition de 1931 :

             « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale et de cette puissance retrouvée grâce à l’empire » (CC/36)

            Le lecteur aura pu se rendre compte, notamment dans le chapitre consacré aux expositions coloniales, de la réalité de cette imprégnation, partie rapidement en fumée.

            « Les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française en ce sens qu’elles renforcent, légitiment et alimentent le régime dans sa dynamique interne. »(CC/39)

            « Une culture coloniale encore rémanente plus de quarante après les indépendances dans la France du XXIème siècle. » (CC/91)

            « Le discours fut véhiculé par des médias touchant des millions d’individus, permettant de répandre et d’enraciner le mythe d’une colonisation « bienfaisante et bienfaitrice » et surtout légitime, dans l’inconscient collectif. » (CC/143)

            « Dans le cadre d’une société française totalement imbibée de schèmes coloniaux. »(CC/160)

 

            Le livre suivant, Culture impériale (1931-1961), développe le même type d’explication.

            « Pour la grande majorité des Français de cette fin des années 1950, imbibés consciemment ou pas de culture impériale, le domaine colonial est effectivement une utopie parfaite. » (CI/26)

            Alors que nous avons vu qu’il en était très différemment dans le résultat des sondages d’opinion publique.

            « Ces éléments marquent sans aucun doute l’importance qu’a prise peu à peu l’Empire dans les consciences tout autant que dans l’inconscient français. » (CI/54)

            Sa force réelle (la propagande) réside alors dans la constitution véritable d’une culture impériale sans que les français en soient forcément pleinement conscients. C’est tout le succès de la propagande coloniale au cours de ces années qui parvient à banaliser le thème colonial. C’est bien le concept de colonisation « modérée » qui fut ancré par ce biais dans les esprits. (CI/57)

 

            Et pour couronner le tout des citations, et à propos des effets du scoutisme sur l’inconscient colonial des Français :

            « L’étude de ces deux médiations  singulières (qu’ont été l’école et l’action extrascolaire) permet, d’une part, de rendre compte de la complexité et de la profondeur de l’éducation à la chose coloniale à laquelle a été soumise la jeunesse durant l’entre-deux guerres ; d’autre part, d’approfondir la compréhension du jeu subtil qui s’instaure entre l’ordre de la transmission raisonnée des connaissances (dans l’institution scolaire), et celui de l’incorporation inconsciente des valeurs –(au sein des mouvements de jeunesse issus du scoutisme). »(CI/93,94)

 

            Cher lecteur, pour rien au monde, je n’aurais voulu vous priver de cette belle citation ! Car elle valait le détour littéraire ! Elle mériterait de figurer dans un livre des records de bêtise intellectuelle !

 

            Le livre La République coloniale s’inscrit dans la même démarche de pensée :

« Il existerait un impensé dans la République (RC/III). Notre rapport à l’Autre serait travaillé par le colonial (RC/21)

            « Nous avons donc choisi de revenir à l’héritage, de comprendre comment se construit la généalogie moderne de la république, et comment cette généalogie lie en profondeur lie l’héritage républicain à la dimension coloniale. » (RC/40)

            « Ces éléments nous conduisent à établir une généalogie républicaine de l’intrication national/colonial. »(RC/103)

            « La France s’est imprégnée en profondeur de l’idée coloniale (RC/108)…Lorsque l’on veut comprendre la profondeur de l’imprégnation sociale du colonial en France. » (RC/117)

            « Long serait le florilège de ce qui, dans les discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés durant la période coloniale. »(RC/144)

            « Car la France continue de se voir à travers l’impensé colonial. » (RC/150)

            « L’omniprésence souterraine de ce passé. »(RC/160)

 

            Alors un bon conseil : chers historiens ! Il vous faut aller consulter les psy !

 

            Le livre suivant, La Fracture coloniale, ne fait pas non plus dans le détail à ce sujet.

            Dans l’introduction, signée Bancel, Blanchard, Lemaire, les trois animateurs du collectif de chercheurs que nous incriminons, ils écrivent :

            « Une littérature récente a d’ailleurs montré que la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savant (ce que l’on nommera ici une culture coloniale), dans les discours et la culture politique, le droit ou les formes de gouvernance. Il est par ailleurs légitime d’excéder les chronologies politiques qui rythment notre appréhension de la période coloniale : il serait trop simple de croire que les effets de la colonisation ont pu être abolis en 1962, après la fin de la guerre d’Algérie marquant celle de l’Empire français. Dans tous les domaines que l’on vient d’évoquer – représentations de l’Autre, culture politique, relations intercommunautaires, relations internationales, politique d’immigration, imaginaire …- ces effets se font toujours sentir aujourd’hui. » (FC/13,14)

            Le problème est que les trois auteurs renvoient dans la note 15, évidemment à leurs livres, c'est-à-dire ceux qui ont fait l’objet de notre analyse critique.

            Comment appeler en bonne logique ce type de raisonnement, sinon un cercle vicieux. ?

            Plus loin, les historiens Bancel et Blanchard écrivent :

            « Incontestablement, la République a contribué à forger politiquement les archétypes relatifs aux populations coloniales, en légitimant sur la longue durée leur subordination – le Code de l’indigénat étant la plus évidente expression de cette domination légalisée sous cette forme à partir de 1881 –selon un principe originellement racial, jusqu’à inventer culturellement l’ « homme/non homme » et le « citoyen/non citoyen » qu’est l’indigène. (FC/41)

            Est-ce que ces deux historiens croient et peuvent apporter la preuve historique que les Français, mis à part quelques spécialistes et une minorité de Français expatriés, aient jamais connu l’existence  du fameux code ?

 

            Mais le pire est encore à venir, lorsqu’on lit que « la mesure des discriminations et des vexations qu’ils subissent se trouve dans leur corps, que les réminiscences restent palpables, et que le déni du droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. » (FC/200)

 

            Une histoire donc en mal d’exorcisme ou de recette fétichiste capable de faire sortir du corps le mauvais esprit !

            Le même auteur, sociologue, n’hésite pas à écrire que les femmes indigènes ont eu à subir une double oppression qui ne fut jamais dénoncée, et que l’érotisation et la prédation sexuelle accompagnèrent toute l’histoire coloniale, en ce qui concerne les deux sexes pour faire bonne mesure. (FC/202) Est-ce que cet auteur a jamais fréquenté des récits d’explorateurs, pas uniquement colonialistes, ou des analyses des sociétés et des cultures africaines rencontrées ?

            Je renverrais volontiers l’auteur à la réflexion du début, celle de l’historienne Coquery-Vidrovitch quant à l’opportunité, dans le cas présent, d’une psychanalyse, et à une invitation à mieux connaître la condition de la femme dans certaines cultures maghrébines ou africaines.

            Mais le pire est encore à venir dans un propos d’un jeune de banlieue, rapporté par un autre sociologue :

« Quand j’étais dans les couilles de mon père, j’entendais déjà ces mots. « (FC/215) C'est-à-dire les mots de République, citoyen ou intégration.

            Comme quoi, la généalogie coloniale fonctionne effectivement !

 

Les sources historiques du ça colonial

            Et pour cela, il nous faut revenir au fameux Colloque de janvier 1993 dont le thème était Images et Colonies. Ce colloque savant a ouvert la boite de Pandore du ça colonial, ainsi que celle des envolées éditoriales que nous connaissons.

            Le ton est donné dès l’introduction aux Actes de ce colloque (Blanchard et Chatelier) :

            « Ce qui frappe, après un période de refoulement du passé colonial, c’est le retour ces dernières années à l’exotisme. » (C/11)

            « Mais surtout, il faut maintenant exploiter les images, non comme simple illustration de la période coloniale, mais bien comme une représentation. Car l’image est, comme il a été montré au cours du colloque, un élément important de la diffusion de l’idéologie coloniale en France au XXème siècle. Elle fut l’allié puissant du colonialisme…Aujourd’hui encore elle est présente, comme par exemple dans le numéro spécial de mars 1993 « Faut-il avoir peur des Noirs ? » de la revue Max…

            Ces représentations, véhiculées par une multitude de supports, se sont immiscées tant dans la vie quotidienne que dans la vie publique. Leurs influences nous semblent prépondérantes, puisque la grande majorité des Français n’a connu le fait colonial et le colonisé que par le prisme déformant de ces images. » (C/12)

            « Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (C/14)

            « Il semble que ces images soient devenues des « réalités » pour une majorité de Français, qui ne se doutent pas de leur véracité. » (C/15)

 

            La synthèse de la partie Mythes, Réalités et Discours, reprend brièvement les évocations et invocations d’un inconscient auxquelles se sont livrés quelques uns des hommes et femmes de science participant à ce colloque.

            Tout d’abord celle déjà citée de l’historienne Coquery-Vidrovitch. Dans sa communication Apogée et crise coloniale, elle déclare :

            « C’est d’ailleurs pourquoi je ne présenterai pas d’images. Comment s’est constituée cette collection d’images, souvent très belles, qui n’en sont pas moins des stéréotypes qui ont marqué de leurs préjugés l’imaginaire français ? » (C/27)

            A propos de l’exposition de 1931 :

            « Il s’agit de la naissance volontaire et inconsciente mais définitive de stéréotypes coloniaux qui sont construits et systématisés. » (C/29)

            Et d’évoquer le rôle du Petit Lavisse et d’écrire : « Cette iconographie a eu la vie longue, et combien d’adultes d’aujourd’hui la portent-ils encore en eux. » (C/30)

            Est-ce qu’à part son cas personnel, l’historienne a apporté la moindre preuve de ce propos ? Non ! Alors que cette historienne s’est illustrée, tout au long de sa carrière, par des travaux historiques très sérieux, en apportant une contribution importante à l’historiographie coloniale française.

            « Auraient-elles disparu d’ailleurs, les images n’en demeurent pas moins dans les esprits qu’elles ont contribué à façonner. » (C/31)

            « Les images vont nous apprendre énormément sur l’idéologie coloniale française, mais peut être plus encore sur l’image que nous portons, consciemment ou inconsciemment, en nous. »

            L’historienne Rey-Goldzeiger, (Aux origines de la guerre d’Algérie-2002 - Le Royaume Arabe- Politique algérienne de Napoléon III-1977) écrivait :

            « A partir de 1918 l’image du Maghrébin et du pays se modifie et va définitivement amener les stéréotypes maghrébins dans le conscient et plus grave, dans l’inconscient collectif. Pourquoi et comment ? » (C/37)

            Et dans le passage l’Impact de l’image, l’historienne de noter que :

             « L’étude en est beaucoup plus difficile et demande une recherche méthodologique nouvelle. Car la perception ne suffit pas pour faire entrer l’image dans le champ du conscient et de l’inconscient de ceux à qui elle est destinée. »

            Et de philosopher sur le déroulement du temps à propos de l’intrusion de plus en plus prégnante de l’image dans le domaine idéologique :

            « Les événements vont vite dans le temps court cher à Braudel, la conscience est plus lente et se situe dans le temps moyen ; quant à l’inconscient, il suit le temps long. Entre ces trois temps, il y a décalages. »(C/38)

            Les temps longs de l’histoire relèvent-ils du domaine de l’inconscient ? Est-ce qu’il ne faut pas manifester une certaine inconscience pour énoncer ce type de propositions ? S’agit-il d’histoire, de littérature, de psychologie, de psychanalyse, ou encore de philosophie ?

            Et de rattacher ses réflexions à la guerre d’Algérie, et à la difficulté que la France a rencontrée pour aboutir à une paix négociée en raison d’un décalage : « Question de décalage de temps ! »(C/38)

            Ou tout simplement en raison du décalage qui a toujours existé entre les ambitions de la France officielle, celle des pouvoirs établis, obnubilés de grandeur, toujours la grandeur, et toujours l’aveuglement, et celles du peuple français.

            Et plus loin : « Aussi l’image se fait vie et va alimenter jusqu’à l’inconscient qui s’appuie sur une symbolique de virilité, de chasse, et d’érotisme. »(C/39)

            « En quelques années, la conscience française, ainsi préparée est capable de percevoir l’image de la colonisation française, miracle qui a créé le Maghreb et le Maghrébin, d’intégrer à sa conscience la notion de supériorité de la civilisation française qui fait le bonheur des autres, de faire passer dans l’inconscient toute la puissance des mythes, qui bloque les actions rationnelles pour donner l’avantage à la passion. » (C/40)

            J’avoue que je n’avais jamais trouvé, jusque là, une explication du drame algérien par le rôle de l’inconscient colonial. Et d’expérience concrète de la guerre d’Algérie, j’ai souvent rencontré des soldats du contingent qui répugnaient, en toute conscience, à faire la guerre que la France officielle, celle des pouvoirs constitués légitimes, leur faisait faire, et qui n’était ni la leur, ni en définitive celle du peuple français. A l’expérience de leur épreuve, l’Algérie française n’était qu’un mythe, le contraire de celui que diffusait la propagande, mais malheureusement, il y vivait plus d’un million de Français.

 

            Continuons l’inventaire avec la communication de l’historien Meynier.

            Le titre de sa contribution a le mérite de la clarté en affichant : Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux-guerres

            L’historien établit un constat qui ne va pas dans le sens des analyses de notre collectif, comme nous l’avons déjà noté, mais il pose la question :

            « Compte tenu de ce constat et des images officielles propagées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan lorsque l’on évoque les colonies

            Imaginaire colonial et inconscient colonial

            Inconscient français et mythes coloniaux : salvation et sécurisation. » (C/45)

            L’auteur n’hésite pas à rapprocher le mythe de Jeanne d’Arc à celui de Lyautey, ce qui est plutôt très hardi.

 

            Et dans sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent les stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français et doit très peu au grand large. » (C/48)

            Alors cher lecteur, si on y trouve les concepts de stéréotypes, d’inconscient français et d’imaginaire, incursion scientifique plutôt surprenante de la part de l’historien, elle concerne beaucoup plus l’inconscient français, prioritairement hexagonal,  que l’inconscient colonial.

            Les conclusions de ce colloque étaient ambiguës, et ne pouvaient éviter de l’être, compte tenu de l’impasse faite sur les questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons dans les conclusions.

            Il faut avancer dans la maîtrise de la méthodologie de lecture de l’image, qui est à la fois représentation figurative et forme de discours. D’une manière générale, peu d’historiens ont écrit sur les méthodes d’analyse et d’interprétation de l’image. Comme l’a montré Jean Devisse, il reste énormément à faire : ouvrir le chantier de la méthode mais également celui de la constitution d’un corpus. » (C/148)

            On peut effectivement se poser la question de la validité scientifique du corpus, car nous avons vu que son élaboration souffrait d’une grave carence d’évaluation quantitative  et qualitative, mais aussi de la capacité de la discipline historique à interpréter une image historique, sans faire appel au sémiologue.

 

            Ce qui n’empêcha pas les auteurs de la conclusion d’écrire :

            « La réflexion entamée  par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier. « (C/148)

 

            Il faut donc tout à la fois, ouvrir le chantier de la méthode, mais aussi chercher à déconstruire l’imaginaire édifié pendant des décennies !

            Tout cela est-il bien sérieux ?

            Le collectif de chercheurs dont nous avons dénoncé le discours s’est engouffré dans les voies obscures de l’inconscient collectif encensé par des historiens confirmés et aussi dans celles d’une célébrité médiatique provisoire.

 

            Il est tout de même difficile de fonder une interprétation de notre histoire coloniale, pour le passé et pour le présent de la France, sur le fameux ça, avec en arrière-plan l’obsession permanente de l’Algérie.

            Comment laisser croire aux Français qu’ils sont imbibés de culture coloniale, alors qu’elle leur a été étrangère, même au temps béni des colonies ?

 

Page 246 du livre

Partager cet article
Repost0
12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 09:31

LE LIVRE SUPERCHERIE COLONIALE

 

Chapitre 8

Le sondage comme mesure de la culture coloniale ou impériale

I Page 209 du livre

            Etrangement, le collectif des chercheurs, qui tiennent imperturbablement le discours que nous dénonçons, semble ignorer la question préalable de la mesure et de l’évaluation quantitative et qualitative, à la fois des supports de la culture dite coloniale ou impériale et de leurs effets au cours des époques étudiées entre le 19ème et le 20ème siècle, donc dans une chronologie déterminée.

            Car il ne suffit pas de projeter sur le passé ses fantasmes et ses partis pris idéologiques, ou pour faire plus simple, à pratiquer un anachronisme permanent, pour démontrer leur réalité, leur enracinement, un des mots de l’historienne Lemaire.

            Or nous avons vu que cette évaluation était quasiment absente pour tous les supports d’information et de culture qui ont fait l’objet d’un examen dans les chapitres précédents consacrés aux livres scolaires, à la presse, aux expositions, aux cartes postales, au cinéma, et aux affiches.

            Cette carence est d’autant plus manifeste qu’avant l’existence de sondages d’opinion publique, les premiers datant de 1938, on ne peut avoir une idée de l’importance et des effets possibles d’une information, publicité, ou propagande coloniale, qu’en exploitant systématiquement la presse, nationale et provinciale, seul vecteur accessible et mesurable dans ses pages ou colonnes, en ne se contentant pas de limiter l’exercice au parcours d’une presse du midi de la France et dans l’espace de temps des années 1930 à 1945 (cf.thèse Blanchard).

            Nous avons vu qu’un seul exercice statistique sérieux de ce type avait été effectué avec le journal Ouest Eclair pour les années 1936-1939, et que cet exercice n’avait pas été fait à l’initiative de ce collectif. Il est possible que d’autres exercices de ce genre aient été réalisés dans d’autres facultés et soient encore ignorés.

            Ces chercheurs ont été d’une grande discrétion sur les quelques sondages faits avant 1939, et sur les nombreux sondages réalisés après 1945.

            L’historienne Lemaire n’a pas évoqué le sujet dans sa première contribution du livre Culture Coloniale, intitulée : Propager : l’Agence générale des Colonies (p.137), alors qu’elle a longuement analysé l’action de cette agence de propagande, en concluant ainsi son propos :

            Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était parfaitement intériorisée. Elle se mesure encore actuellement à travers les mêmes images, les mêmes discours tenus sur des pays du « tiers monde » ou en « voie de développement » ou « les moins avancés ».(p.147)

            Une conclusion surprenante eu égard aux éléments d’analyse que nous avons fourni au lecteur, en lui rappelant que cette analyse fait référence à la période 1871-1931, et que cette agence de propagande, compte tenu de son organisation et de ses moyens, aurait fait des prodiges..

            Dans le chapitre précédent, le lecteur a pu mesurer la grande modicité de ses moyens comparativement à d’autres budgets.

            Dans le livre suivant, Culture Impériale, la même historienne a évoqué le sujet en recommandant de le traiter « avec « d’infimes précautions », sans doute un erratum pour « infinies », dans sa contribution intitulée : Promouvoir : fabriquer du colonial. (p.45).

            Mais sans faire référence explicitement aux travaux de l’historien Ch.R.Ageron sur les sondages d’opinion publique à l’égard des colonies, alors que le discours Lemaire sur la propagande coloniale de la République affirme à la fois son omniprésence et son influence sur la mentalité des Français, propagande qui aurait été organisée et menée, tout au long des années 30 particulièrement, de main de maître, sous l’égide de l’Agence générale des colonies, puis du Service Intercolonial d’information et de propagande, créé à l’initiative du Front Populaire.

            Il est peut être dommage que l’historienne n’ait pas pleinement utilisé les premiers sondages susceptibles de donner une mesure non idéologique des effets de la dite propagande, sondages réalisés en 1938 et 1939.

            Le même collectif de chercheurs s’est en revanche beaucoup attardé sur le sondage qui a été réalisé, sous son égide, dans l’agglomération de Toulouse, au cours de l’année 2003.

            Certains diront, il n’est jamais trop tard pour bien faire.

            Nous évoquerons donc successivement les travaux de Ch.R.Ageron et l’enquête de Toulouse, afin de savoir s’il est possible d’en tirer l’hypothèse qu’une culture coloniale ou impériale aurait existé, baigné les Français, juste avant la deuxième guerre mondiale, et dans les années qui l’ont suivi.

            Les travaux de cet historien sur l’opinion publique et les sondages ont fait l’objet d’une communication faite en 1984 au Colloque du CNRS Les prodromes de la décolonisation de l’empire français (1936-1984), communication intitulée  L’opinion publique face aux problèmes de l’Union Française, et d’un long article paru dans la Revue Française d’Outre-mer en 1990, article intitulé « Les colonies devant l’opinion publique française ((1919-1939). »

            Regrettons que le collectif de chercheurs ait ignoré ces deux contributions, de nature à enrichir, et sans doute nuancer, le discours que ce collectif a commencé à tenir quelques années plus tard, alors qu’il n’existait pas, faute de mieux, de meilleur instrument de mesure que le sondage pour évaluer l’engouement ou le désintérêt de l’opinion publique pour les colonies.

Un discours discret, tronqué, et ambigu sur les sondages

            En ce qui concerne les sondages antérieurs à 1940 :    

            Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’historienne Lemaire évoque le sujet dans la démonstration qu’elle tente de faire sur la propagande coloniale dans une contribution du livre Culture Impériale, intitulée Promouvoir : fabriquer du colonial (p.45).

            En conclusion de ce texte, elle écrit :

            Aussi, aux questions de savoir comment apprécier à partir de la presse, des débats parlementaires ou des élections- ce que pensaient réellement les Français sur l’Empire, ou tenter de mesurer ce qu’ils savaient, ce qu’ils ignoraient, on peut, avec d’infimes (sic) précautions, se servir notamment des sondages réalisés à l’époque. En les reprenant comme indicateurs de l’imprégnation de l’idée impériale en métropole, nous savons qu’à la question posée par l’IFOP à la fin de décembre 1938 : « Pensez–vous que la France doit rendre à l’Allemagne les colonies qui nous ont été confiées par la SDN ? » 70% des Français interrogées répondirent non, 22% oui, 8% ne se prononçant pas. Ces chiffres révèlent un changement d’opinion au cours de cette année 1938, en raisons d’une propagande qui a exploité la menace qui pesait sur l’Empire…. Cela reflète les positions du Parlement et du Sénat, le gouvernement déclarant préférer un « conflit armé » que de céder un « pouce de l’Empire »

            Ce sentiment est alors partagé par 53% des Français qui, lors d’un sondage de l’IFOP en février 1939, déclarent que « céder un morceau de notre Empire colonial est aussi pénible que de devoir céder un morceau du territoire national ». Un tel discours aurait été impensable un quart de siècle plus tôt. Mais en réalité, malgré cette réelle évolution, ce dernier sondage montre clairement que les Français attendaient plus de l’Empire qu’ils n’étaient prêts à lui sacrifier. Ainsi, le soutien de la France d’outre-mer était bien ancré dans les esprits. (p.58)

            Notre premier commentaire : remarques pertinentes sur la méthode, en début de propos, au sujet du problème posé par l’évaluation de l’état de l’opinion en matière coloniale, mais pourquoi ne pas en avoir tiré profit dans son analyse de la propagande coloniale et de ses effets, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent. Ce qu’elle n’a pas fait !

            L’historienne s’est abstenue, d’autre part, de citer le sondage d’octobre 1938, dont les résultats étaient assez différents, puisqu’à la question : «  Pensez-vous qu’il faut donner des colonies à l’Allemagne ? » 59% des Français interrogés avaient répondu oui, 33% non, 8% ne sachant pas.

            Donc 33% non, au lieu de 70% !

            En ce qui concerne le sondage de février 1939, il est dommage également  que l’historienne n’ait pas donné les résultats de la première question qui étaient assez différents.

            A la question posée aux Français de savoir « s’ils sont décidés à se battre plutôt que de céder la moindre partie de nos possessions coloniales », 44% répondirent non, 40% oui, 16% ne sachant pas.

            L’historien Ageron concluait au sujet des Français: Au moins ils sont perplexes, car ces majorités sont peu nettes.  (p.70,RFOM)

            Ce que l’on peut dire c’est que l’opinion publique était très partagée, volatile, et qu’elle était beaucoup plus soumise à l’évolution des tensions internationales, à l’approche de la deuxième guerre mondiale qu’à des convictions coloniales solidement ancrées… dans les consciences (CI/p.59).

            Il semblerait donc que l’évolution de l’opinion ait plus suivi celle de la situation internationale et de ses menaces de guerre que celle d’une propagande coloniale plus efficace.

            L’historien Ageron cite un autre sondage qui n’a pas été effectué dans les règles de l’art, mais dont les enseignements sont très intéressants, compte tenu de la couleur politique du journal et du chiffre important de lecteurs qui ont manifesté leur opinion. (RFHOM-286-p,66)

            En décembre 1936, en pleine période du Front Populaire, alors que le ministre socialiste des colonies, Marius Moutet tentait de redonner du tonus à la propagande coloniale, l’Oeuvre, journal radical de gauche, fit un sondage auprès de ses lecteurs. A la question : « Faut-il céder des colonies à l’Allemagne ? » 43% étaient prêts à céder des colonies à l’Allemagne, alors que 57% s’y refusaient. 182 555 lecteurs avaient répondu, un chiffre considérable. En 1939, l’Oeuvre tirait à 236 045 exemplaires.

            L’opinion des lecteurs était donc loin d’être unanime sur les colonies, en accord avec les résultats du sondage d’octobre 1938 cité plus haut, presque deux ans plus tard.

            Le sondage de février 1939 montrait que les convictions coloniales des Français étaient loin d’être  « ancrées », alors que le gouvernement effectuait en effet le forcing de la propagande de l’Empire, présenté comme le dernier recours de la France en cas de guerre.

            Dans sa contribution d’Images et Colonies, intitulée L’Empire et ses mythes (101,IC), l’historien Ageron écrivait au sujet des deux sondages d’octobre 1938 et février 1939 :

            On en déduira donc, pour employer le langage des coloniaux, qu’en février 1939 un Français sur deux avait accédé à la conscience impériale. En revanche deux Français sur cinq (43%) se refusaient à considérer que « l’Empire c’était la France »(103,IC)

            Et dans sa conclusion :

            A la veille de la Seconde Guerre mondiale, un seul thème du mythe impérial devenait obsessionnel : l’Empire par sa puissance économique et militaire garantira la sécurité de la France…

            L’Empire devint « la dernière carte de la France », le suprême recours, et beaucoup de Français naguère indifférents ou sceptiques se persuadèrent que l’Empire restait la seule porte ouverte sur l’avenir. (IC/109)

.           Sondages ou pas, l’historienne Lemaire n’hésite pas à conclure :

            La propagande, par une variété de supports inédite, a donc parfaitement atteint ses buts. Le masque posé sur la réalité coloniale fut dès lors efficace, les témoignages de cette réussite pouvant se lire dans les permanences de l’écran propagandiste qui s’exprime, entre autres, dans la vision contemporaine de l’ex-Empire colonial français et qui continuent d’abreuver en mythologies les discours nostalgiques les plus divers. (IC/59)

            Rien de moins ! Le verbe mythique qui nous abreuve encore ! Il ne manquerait plus, pour que le tableau soit complet, d’invoquer les figures imposées du révisionnisme historique et de la filiation supposée entre histoire coloniale et crise des banlieues !

            En conclusion, l’existence de ces premiers sondages d’opinion réalisés sur l’état de l’opinion par rapport à l’Empire colonial mérite effectivement d’être rappelée, même si leur signification est délicate à interpréter, tant l’évolution de l’opinion publique fluctuait avec l’évolution de la situation internationale. Il semble toutefois qu’ils marquent une réelle distance avec un Empire qui ne se trouvait pas en relation fusionnelle avec la nation française, comme ce collectif de chercheurs voudrait, à longueur de pages, le faire accroire.

            Et en définitive, ces sondages constituent quasiment la seule mesure des effets d’une propagande coloniale, qui tous supports confondus, aurait imprégné la nation française d’une supposée culture coloniale ou impériale.

            Le Colloque de 1993 avait également été discret sur les sondages ;

            Le conservateur Gervereau avait observé dans sa contribution sur l’affiche politique française :

            Aussi nous avons sondé la production commerciale pour comprendre quelles furent les premières représentations.  (C/1)

            Sans donner aucune autre précision de méthode.

            L’historien Rivet traitant des bâtisseurs d’Empire écrivait :

            Des sondages dans l’Illustration et le Monde colonial illustré durant l’entre deux guerres, et dans Paris Match après 1945, il ressort la place restreinte, secondaire des bâtisseurs d’Empire. C’est là une surprise pour le chercheur. (C/67)

            Sans donner aucune précision de méthode.

            En ce qui concerne les sondages postérieurs à 1945 :

            Le discours du collectif de chercheurs est encore plus incomplet et plus discret sur les sondages de cette période, alors qu’ils ont été nombreux, étudiés en détail par l’historien Ageron, afin de mesurer l’attachement des Français à l’Empire, et dès 1945, à l’Union Française. Car on aurait tort, comme on le fait trop souvent, de confondre l’Empire avec l’Union Française qui lui a succédé en 1945,  dans un état quasiment mort-né.

            Nous avons déjà souligné à ce sujet, que le titre Images d’Empire, d’un beau livre d’images, d’images qui à plus de 90% d’entre elles étaient postérieures à l’Empire, était trompeur.

            Evocation d’autant plus discrète qu’ils ont longuement traité et exploité les résultats du sondage que leur équipe a effectué en 2003, à Toulouse sur les mémoires urbaines, et tout particulièrement la mémoire coloniale. Sujet abondamment traité dans le livre La Fracture Coloniale (2005), sur lequel nous reviendrons plus loin.

            Le livre Culture Impériale fait allusion au seul sondage de 1949 :

            Un sondage réalisé en 1949 par l’INSEE auprès de mille bacheliers révélait que 85% d’entre eux estimaient que la France pouvait être « fière de son œuvre dans les pays français d’outre-mer »  et parmi les motifs les plus fréquemment invoqués pour cette prise de position la première place revenait à «  l’action sociale, civilisatrice, et culturelle. En outre 84% de ces lycéens pensaient que la France devait maintenir l’Union avec les territoires d’outre- mer, notamment pour des « raisons économiques et de défense nationale ».

            Notons simplement pour l’instant qu’il est difficile d’interpréter un état de l’opinion publique sans la mettre en rapport avec la situation nationale ou internationale, alors que le pays sortait à peine des convulsions de la guerre et que l’empire avait effectivement joué un rôle majeur dans son histoire.

            La contribution Blanchard Boëtsch du livre Images et Colonies, intitulée La Révolution Impériale, Apothéose coloniale et idéologie raciale livre un texte ambigu :

            L’effort de la guerre de l’Empire, qui vient de sauver la France, a sans aucun doute marqué les esprits. Mais très vite, les Français de métropole retrouvèrent leur indifférence d’avant-guerre pour cette Union française qui leur semble bien loin de leurs préoccupations du moment.

            Quand on interroge, dans les années 50 (il s’agit du sondage de 1949 cité dans Culture impériale !),  des jeunes bacheliers, ils sont près de 85% à se sentir fiers de l’oeuvre accomplie par la France « dans ses colonies ». De même au moment des indépendances, à la suite de ces milliers d’images qui formèrent une propagande incessante, beaucoup de métropolitains ne comprendront pas les revendications nationalistes dans les Territoires d’Outre-mer. (p.210)

            Commentaire étrange : 1) Les Français auraient donc été indifférents avant-guerre, alors que le discours de ce collectif de chercheurs nous répète à longueur de livres le contraire. 2) Pourquoi ne pas avoir parlé des autres sondages Ageron qui donnaient une appréciation plus juste de l’état et de l’évolution de l’opinion publique française sur les colonies ? 3) Enfin, juxtaposition surprenante entre ce sondage des jeunes et l’observation sur les indépendances.

            Le commentaire renvoyait d’ailleurs à une note 29 plus détaillée (p.213) plus détaillée, en tout petits caractères qui faisait état des mêmes informations que celles citées par l’historien Ageron.

            Les sondages effectués après la guerre donnent des indications intéressantes sur l’évolution de l’opinion :

            Deux sondages rapprochés montrent que l’opinion française ne tarda pas à estimer que la France était redevenue une Grande Puissance : 30% seulement était d’un avis contraire en décembre 1944, mais ils n’étaient plus que 10% à la fin de mai 1945. (CNRS/p.3)

            En réalité, les Français, dans leur majorité, acceptaient l’idée d’un empire rénové fondé sur l’égalité, par reconnaissance due aux soldats de l’Empire. Lors d’un sondage réalisé en mars 1946, les Français se prononçaient à la majorité très significative de 63% pour «  l’octroi aux populations des colonies des mêmes droits qu’aux citoyens français ». Même si certains avaient accepté le principe en l’assortissant de restrictions catégorielles, il reste que 22% seulement étaient d’un avis contraire, parce qu’ils redoutaient, disaient-ils, que « la France fût gouvernée par une majorité de Noirs et de Jaunes. » (3,4)

            Toutefois un sondage effectué en mai 1946 permet de préciser les limites de la générosité française. A la question : « Devons- nous administrer nos colonies surtout au profit de la France ou surtout au profit ders populations indigènes ? » 31% des personnes interrogées répondirent « Au profit de la France », 28% « Au profit des populations indigènes », et 25% au profit des deux. Les mentalités avaient donc évolué moins vite que ne pouvaient le laisser supposer les généreuses décisions des Constituants et les pieuses exhortations  de la presse. (p.4)

            Mais comme le souligne cet historien, les français ignoraient quasiment tout de cette Union Française qui était censée avoir remplacé l’Empire.

            Selon un sondage de l’INSEE, réalisé à la fin de l’année 1949, sur le thème des territoires d’outre-mer.

            32% des personnes interrogées (et 42% chez les ruraux) avouèrent n’avoir aucune information et 52% (56% chez les ruraux) se déclarèrent même indifférentes à ces questions…Ainsi 27% seulement des Français prêtaient quelque intérêt aux informations concernant leurs territoires d’outre-mer.

            Concernant le niveau des connaissances, le sondage se révélait encore plus accablant : 19% des Français ne connaissaient le nom d’aucun territoire d’outre-mer tandis que 28% seulement pouvaient en citer cinq ou plus. Ces pourcentages doivent être  considérés comme particulièrement faibles eu égard aux évènements de l’actualité. L’Afrique occidentale française n’était citée que par 12% des Français, l’AEF par 11%.(p.8)

            Ignorance qui n’empêchait pas les Français de répondre à la question :

            « Pensez-vous que la France a intérêt à avoir des territoires d’outre-mer ? Or 81% des gens interrogés répondirent par l’affirmative, alors que 14% n’avaient point d’avis.

            Un autre sondage fait en février 1950, celui cité par l’historien Blanchard, réalisé seulement auprès d’un millier d’élèves de classes terminales de l’enseignement secondaire et des classes préparatoires aux grandes écoles répondaient sur l’intérêt pour la France de maintenir « l’Union française avec les territoires d’outre-mer », 84% de ces grands élèves répondaient affirmativement…

            Les oscillations de l’opinion pendant les crises de l’Union française…

            Un sondage réalisé à l’automne 1951 montre que les Français en ignoraient totalement l’intérêt et il en fut ainsi jusqu’en 1953 où 12% des Français situaient le problème de l’Union française au 4ème rang des problèmes de la nation. L’indécise guerre d’Indochine ne parvenait pas à retenir leur attention. En mai 1953, trois français sur dix seulement déclaraient « suivre les nouvelles » de ce conflit et ils n’étaient plus que 23% en février 1954. Toutefois l’indifférence ou l’ignorance n’interdisent pas au public de porter jugement. Deux mois avant la capitulation de Diên Biên Phu, 60% des Français se prononçaient soit pour l’abandon de l’Indochine, soit pour la négociation avec le Viêt Minh

            Après 1945, la France était entrée dans un monde nouveau, un autre monde et l’opinion ne semblait pas plus convaincue qu’avant 1939 de l’intérêt d’une Union française que la plupart ignorait, une Union française qui s’inscrivait bien dans la continuité d’une France coloniale officielle, coloniale dans ses gouvernements, ses institutions, et ses partis politiques, mais pas du tout coloniale dans les profondeurs de la nation.

            Le pays n’a jamais fait de la guerre d’Indochine sa guerre, pas plus qu’il ne l’a fait plus tard de la guerre d’Algérie, à partir du moment où le contingent, c'est-à-dire l’expression la plus forte de la nation, s’est trouvé confronté à une guerre coloniale.

            En 1956, alors que le pays était engagé dans le conflit algérien,

            Un sondage réalisé en avril 1956 montre que 83% des Français percevaient désormais la situation du Maghreb (63%) et celle de l’Union française (20%) comme les problèmes dominants. Cela ne signifiait pas toutefois que pour cette majorité « la sauvegarde » des colonies et d’abord de l’Algérie fut devenue « le but essentiel de la politique française ». Les Français ne sont en avril 1956 que 17% à mettre cette « sauvegarde de l’Union française »  au premier rang des buts possibles qu’ils souhaitaient voir assignés à la politique du pays. Les objectifs prioritaires demeuraient à leurs yeux l’augmentation du niveau de vie, l’extension de la justice sociale (ensemble 32%) et le désarmement général (22%). Enfin ils situaient au dernier rang des objectifs qu’on leur proposait l’augmentation du prestige de la France (8%) et la construction de l’Europe (8%)

            En avril 1956, 31% seulement des Français croient que « l’Algérie sera encore française dans cinq ans » ; en juillet 1956, ils ne sont plus que 19%. Poussés par une question en forme de dilemme à dire ce qu’ils feraient « S’il fallait choisir entre deux solutions : donner l’indépendance ou écraser la rébellion », 39% choisissent d’accorder l’indépendance en avril 1956 et 45% en juillet 1956.

             L’historien Ageron  conclut son examen des sondages réalisés entre 1945 et 1962 :

            La connaissance de l’Outre-mer et l’intérêt porté au destin de l’Union française sont toujours restés de 1946 à 1962 le fait d’une minorité. Un quart seulement des Français prêtaient quelque intérêt aux informations concernant leurs territoires d’outre-mer et plus de la moitié d’entre eux ne pouvaient, en 1949, donner une définition même inexacte de l’Union française. En 1962, malgré les guerres coloniales et les indépendances, un quart de la population restait incapable de citer un seul des quinze Etats d’Afrique noire d’expression française…

            Ces disparités dans le niveau d’information expliquent peut être les jugements contradictoires portés sur l’attitude des Français face à l’Union française. Il n’est pas faux de dire que l’opinion a accepté tardivement et sans déchirement la décolonisation, à condition de préciser que ceux qui s’intéressaient au maintien de l’Union française étaient, bien que minoritaires, trop nombreux pour l’accepter facilement. Il est inexact en revanche de parler de « l’attachement viscéral des Français à leurs possessions d’outre-mer. »

            Alors quels enseignements est-il possible de tirer de ces sondages ? Leurs résultats plaident-ils en faveur de l’existence d’une culture coloniale ou impériale, qui aurait imprégné en profondeur la nation française, consciemment ou inconsciemment, et dont les racines produiraient encore ses rejets dans la société d’aujourd’hui ?

            Si telles était la situation de l’opinion aux différentes périodes de mesure par sondage, avec un faible attachement à l’ancien Empire colonial, au moins est-il possible de s’interroger sur l’efficacité de la propagande coloniale et de l’effet profond et durable qu’elle aurait sur la mentalité des citoyens français.

            Dans l’état actuel des recherches historiques sur la question, il ne parait pas possible de porter une juste appréciation sur un tel sujet. En ce qui concerne la période 1870-1945, notre opinion est tout à fait réservée. Le discours de ce collectif de chercheurs ne s’appuie pas sur un ensemble de sources identifiées et mesurées telles qu’elles permettraient, dans une chronologie déterminée, de conclure sur l’existence d’une culture coloniale ou impériale, souvent mélangée dans leur analyse, et encore moins sur la transmission de ses éléments aux générations de la France d’aujourd’hui.

            Que pouvons-nous constater ?

            Un trou béant dans les recherches d’analyse de la presse nationale et provinciale des années concernées, ainsi d’ailleurs que dans le domaine des autres supports d’information ou de culture, plus difficiles à quantifier.

            Des affirmations qui semblent fort imprudentes concernant le matraquage d’une propagande coloniale supposée et de ses effets non mesurés, dont l’analyse a démontré que, compte tenu  de ses moyens, c’était lui prêter à la fois beaucoup trop d’honneur et d’efficacité.

            Les deux périodes de la première et de la deuxième guerre mondiale ne peuvent être interprétées qu’avec beaucoup de précautions, étant donné l’effet conjoncturel très fort qu’elles avaient inévitablement sur l’opinion publique. Nous l’avons vu avec l’évolution d’une opinion publique mesurée par des sondages, dans les années qui ont précédé et succédé à la deuxième guerre mondiale.

            En ce qui concerne la période postérieure, 1945-1962, il semble difficile d’avancer  des conclusions pertinentes, sauf à dire que peu de temps après que le pays se soit remis des dommages de la guerre, celle d’Algérie a pesé de tout son poids sur l’évolution de l’opinion publique à l’égard des colonies, et qu’à lire les écrits de beaucoup d’historiens ou historiennes, on voit bien que la plupart du temps les fantômes de ce conflit colonial hantent leurs recherches, alors qu’on ne peut confondre l’histoire coloniale de la France avec celle de l’Algérie.

            Et à cet égard, le sondage réalisé à Toulouse, en 2003, par ce collectif de chercheurs nous parait tout à fait symptomatique.

Page 222 du livre

 

           

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de eh-tique-media-tique.over-blog.com
  • : Faire partager les réactions de bon sens d'un citoyen et "honnête homme" du vingt et unième siècle, sur l'actualité du jour, face aux dérives des médias, aux discours politiques ou économiques tendancieux, aux images tronquées ou truquées, aux articles ou livres suspects d'idéologie, notamment pour tout ce qui touche à l'histoire coloniale.
  • Contact

Recherche

Liens