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1 mars 2024 5 01 /03 /mars /2024 11:42

Regards croisés des blancs et des noirs sur l’Afrique Occidentale (1890-1920)

Chapitre 14

 

Premier bilan de la colonisation française en AOF

1890-1914

 

            La démesure coloniale

 

            La première chose qui frappe, sans doute avec le recul de l’histoire, est la démesure de cette entreprise coloniale face à l’immensité de l’Afrique occidentale, un peu plus de 4,7 millions de kilomètres carrés, soit le sixième du continent africain et  à peu près la moitié de l’Europe.

            Au début du vingtième siècle, on estimait que sa population était de l’ordre de dix à douze millions d’habitants.

            Que dire aussi d’une démesure encore plus grande, la folle ambition des deux principales puissances coloniales de l’époque ? Elles avaient en tout état de cause les yeux plus gros que le ventre, si l’on considère l’étendue de leurs possessions, 12 millions de kilomètres carrés et de l’ordre de 65 millions d’habitants pour la France, 33 millions de kilomètres carrés et de l’ordre de 550 millions d’habitants pour la Grande Bretagne.

            Le problème est que ces deux puissances en compétition coloniale permanente sur toutes les parties des continents et des océans abordèrent le sujet colonial de façon tout à fait différente, à la fois pour des raisons de culture politique, et parce que la Grande Bretagne s’était incontestablement attribuée la plus belle part du domaine colonial.

 

            Les contradictions coloniales françaises

            La première guerre mondiale terminée, une fois la France ruinée, le moment était peut être venu d’adapter la politique coloniale française aux moyens de la France, ce que fit intelligemment l’Angleterre.

            L’historien Henry Laurens observait que, dans les années 1919-1920, les Britanniques réexaminèrent leur politique impériale, en constatant que leur empire était « overstretched », (surétendu), et qu’il n’était donc pas question de se lancer dans une colonisation coûteuse.

            Au contraire, les Français poursuivirent leurs rêves coloniaux pleins de contradictions, humaines, politiques et économiques, dictature coloniale contre république, indigénat contre citoyenneté et civilisation, exploitation économique contre développement.

            Alors que les colonies françaises ne disposaient pas de ressources comparables à celles des colonies anglaises, et que la métropole n’avait pas du tout l’intention de dépenser le moindre franc dans les colonies.

            En 1900, la Chambre des Députés avait voté une loi qui imposait aux colonies d’être autonomes budgétairement, ce qui voulait dire qu’il était hors de question qu’elles puissent compter sur le budget de l’Etat, et ce régime financier se perpétua jusque à la deuxième guerre mondiale.

 

            1890-1914, la France en AOF, pour quels résultats ?

            La paix civile : même s’il existait encore à la frange du désert, et dans quelques- unes des ethnies de la savane ou de la forêt, des îlots de résistance à la présence française, il est possible de constater que, d’une façon générale, la paix civile régnait en Afrique occidentale, et que cette situation était à la fois nouvelle et révolutionnaire.

            Une organisation politique et administrative centrale, la fédération : est-ce que cette superstructure de type marxiste était nécessaire ? Il est possible d’en discuter, mais ce n’était pas la première fois, historiquement, que de grands chefs de guerre, politiques et religieux, s’étaient lancés dans des entreprises comparables, avaient créé des empires, à l’exemple d’Hadj El Omar, de son fils Ahmadou, et de Samory, pour ne citer que les plus récents, mais c’était la première fois qu’une nouvelle organisation impériale avait une telle ampleur géographique et une telle puissance.

 

            L’ouverture au monde 

            « Une anémiante continentalité »

            C’est cette ouverture au monde qui constitua sans doute le déclic de la transformation complète, pour ne pas dire aussi de désagrégation des systèmes de pouvoir politique, religieux, culturel et économique de cette région d’Afrique.

            Dans son livre l’AOF, l’historien et géographe  Richard-Molard écrivait :

            « L’Afrique occidentale tourne le dos à la mer… elle subit une anémiante continentalité … elle est particulièrement enfermée dans sa continentalité… p,XII)

            En quelques vingt-cinq années, de 1890 à 1914, la France réussit incontestablement, mais en partie, à rompre ce superbe isolement.

            Une ouverture maritime par la création de lignes maritimes régulières avec les autres côtes d’Afrique, celles d’Europe, d’Asie et des Amériques. Dès la fin du dix-neuvième siècle, il était possible de prendre des paquebots pour aller de Bordeaux ou Marseille vers les nouveaux ports de Dakar, de Grand Bassam ou de Cotonou, et inversement des côtes d’Afrique vers celles d’Europe..

            Dès le début de la période étudiée, et à la condition de pouvoir profiter de la saison des hautes eaux, des bateaux à vapeur naviguaient sur le fleuve Sénégal et le cours moyen du fleuve Niger.

            Des lignes de chemin de fer furent construites, la première de Saint Louis à Dakar, en 1885, et la deuxième de Kayes à Bamako, entre 1885 et 1906.

            Quelques routes enfin furent tracées, de l’ordre de 2.000 kilomètres, alors qu’aucune route carrossable n’existait lors de la conquête du territoire. La roue était d’ailleurs alors ignorée.

            Un début de révolution donc dans le transport des hommes et des marchandises, mais aussi des mots, car très rapidement, et pour des raisons évidentes de commandement, des lignes télégraphiques furent établies dans les huit colonies. Dès 1885, il fut possible de communiquer par télégraphe et câble entre Bamako, Dakar,  et l’Europe.

            Pourquoi cacher qu’à cette époque, et dans ce dernier domaine,  la France fut longtemps à la remorque des Anglais qui construirent rapidement un réseau câblé, le long des côtes africaines ?

            Enfin, la venue des Français créa les bases de la naissance de villes nouvelles, soit côtières, et donc commerçantes, Saint Louis, Dakar, Conakry, Grand Bassam, ou Cotonou, soit continentales, et donc d’abord administratives, notamment Kayes et Bamako.

            Finie l’époque où l’Afrique tournait le dos au large et à la mer !

            La nouvelle Afrique commençait à se structurer à partir des fleuves et des côtes, et à abandonner les vieilles cités de l’intérieur du continent, Tombouctou, Ségou, Sikasso, ou Kankan.

 

 

            Une politique d’équipement financée par l’emprunt

            Nous avons déjà indiqué plus haut qu’il revenait aux colonies de financer leur administration et leur équipement, mais sans les emprunts publics, placés en France, et garantis par la France, rien n’aurait été possible.

            Dans une étude récente, une doctorante a développé la thèse d’après laquelle l’AOF n’avait pas coûté très cher au contribuable français, et avait été une bonne affaire pour la métropole.

            Si le premier point est exact, étant donné que la loi appliquée était bien celle-là, jusqu’en 1945, il convient de préciser que les épargnants français y furent quand même de leur poche pour tous les emprunts que la Fédération de l’AOF fit dans les années qui précédèrent la première guerre mondiale.

            En 1919, le franc avait perdu plus de 60% de sa valeur, donc les titres de remboursement.

Il convient également de préciser qu’avec la création du FIDES en 1945, le contribuable mit effectivement la main à la poche/

            Quant à la question de savoir si l’AOF a été une bonne affaire pour la France sur le plan économique, je n’en sais rien, mais à supposer que cela fut, et qu’il soit possible de le démontrer, il ne pouvait s’agir que d’un bénéfice marginal, compte tenu de la disproportion colossale qui existait alors entre les deux types d’économies.

           

            Un autre bilan

            Une encyclopédie de la connaissance

            Dans ces contrées de tradition orale, rares étaient celles qui consignaient leurs connaissances dans des écrits, sauf celles de culture musulmane, et l’Afrique occidentale ne disposait pas d’un inventaire de sa géographie physique, économique et humaine, de son histoire, de ses croyances et de ses mœurs.

            Grâce au travail des officiers et des premiers administrateurs, à leurs écrits, qui furent très nombreux, la période 1890-1914 permit de recueillir une masse considérable d’informations sur l’état de l’Afrique occidentale d’alors, une sorte d’encyclopédie des voyages, laissant donc en héritage une sorte de bibliothèque des connaissances de l’époque.

            Les cartes

            Certains reprocheront peut être à ces récits, un parti pris, des regards biaisés, mais ce type de reproche peut difficilement être formulé à l’endroit de toutes les observations de type, technique, objectif, faites par les techniciens qu’étaient les officiers, avec leur minutie toute militaire.

            Pour ne citer qu’un exemple, celui des cartes des itinéraires suivis par les officiers, avec une multitude de relevés astronomiques et géographiques.

            L’ethnologie naissante

            Par ailleurs, nombreux étaient également les récits qui décrivaient croyances et mœurs, qui tentaient de déchiffrer les coutumes et l’organisation de la multitude de villages et d’ethnies qu’ils rencontraient.

            Comme nous l’avons vu, et dès avant 1914, l’administrateur Delafosse livra au public intéressé une somme considérable d’informations sur l’AOF des premières années de la colonisation.

            De nos jours, il est de bon ton, pour certains anthropologues de contester les analyses d’un Delafosse considéré un peu comme un amateur – il avait tout de même fait l’Ecole des Langues Orientales.

 

            Des impressions très mitigées

            Au cours de cette première période, la France prit la mesure des difficultés et de la complexité du travail de colonisation qu’elle se promettait de mener en Afrique occidentale, mais il ne semble pas qu’elle ait choisi clairement sa politique coloniale.

            L’impression que la gestion des affaires coloniales continuait à être assurée par un petit groupe politique et économique averti, relié aux intérêts économiques des ports de Bordeaux et de Marseille, à côté d’un Parlement plutôt indifférent, mais qui laissait le soin aux gouverneurs d’administrer au mieux leurs colonies.

            A l’occasion d’un grand débat du Parlement sur la conquête du Tonkin, un ministre avait répondu « les événements ont marché », et l’étude de cette période donne également à penser que les événements continuaient à « marcher », sans que les gouvernements et le Parlement n’aient jamais débattu de la politique coloniale à mener, et sans arrêter de position, alors que nous avons vu, notamment avec le témoignage de l’expert Delafosse, qu’il aurait fallu choisir.

            Alors qu’un système colonial administratif se mettait en place, une sorte de despotisme colonial que le gouvernement fut content de trouver lorsque la première guerre mondiale éclata, fort des hommes et des ressources qu’il pouvait mobiliser pour soutenir l’effort de guerre.

            Il est possible de situer à cette date le point de départ d’un nouveau système colonial perçu comme oppressif, de plus en plus éloigné des réalités du pays, alors que parallèlement, comme nous l’avons vu, notamment avec le témoignage d’Ahmadou Hampâté Bâ, ce conflit mondial avait ébranlé définitivement le mythe de l’homme blanc invincible.

 

            Une conclusion provisoire

            Au fur et à mesure des années, de mes lectures et de mes recherches, je me suis souvent demandé pourquoi nos anciens étaient partis à la conquête du monde, de n’importe lesquelles des parties du monde, car les enjeux économiques n’étaient pas du tout les mêmes, qu’il s’agisse de l’Indochine, une sorte de perle coloniale à l’image des perles coloniales anglaises, ou de l’Afrique occidentale.

            Qu’est-ce que la France avait à gagner en conquérant cette partie du continent africain ?

            Son ambition était d’autant plus irresponsable qu’elle n’avait pas les moyens d’apporter des réponses aux questions que posait la complexité des problèmes de cette Afrique, des problèmes souvent insolubles.

            Nous allons en effet, dans une quatrième partie, faire appel au concours d’observateurs avertis, bons connaisseurs de l’Afrique des années 1920-1940, à leurs regards, pour réaliser qu’une colonisation réussie de cette Afrique était décidément une tâche impossible.

                  Jean Pierre Renaud                   Tous droits réservés

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