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19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 16:19

Humanisme et démocratie

Edward W.Said

Notes de lecture

 

            Les lecteurs du blog ont pu lire le commentaire de lecture que j’ai proposé sur le livre bien connu d’Edward W. Said, intitulé « L’orientalisme ». (blog du 20 octobre 2010)

            Ma lecture était stimulée par la thèse que soutiennent certains chercheurs, qui ont lu ou non cet ouvrage, d’après laquelle le regard de l’Occident sur l’Orient aurait été structuré par les écrits des écrivains orientalistes, et notamment leur récit de dépréciation des mondes orientaux. D’où l’impérialisme, le colonialisme, la supériorité de la civilisation occidentale, et tutti quanti !

Les conclusions de ma lecture ont heureusement été plus nuancées.

Ceci dit, l’œuvre de cet intellectuel au parcours original est incontestablement intéressante, car il possède à la fois une connaissance encyclopédique de la littérature occidentale et une culture, mais tout autant, une sensibilité orientale, qui lui donnent la possibilité de mettre complètement à plat nos références de la littérature occidentale.

Il me fallait donc aller plus loin en lisant un autre livre du même auteur « Humanisme et démocratie », et cette lecture est également intéressante, parce que l’ouvrage tente de répondre à au moins deux questions :

-       Les humanités de l’Occident, c’est-à-dire aussi l’humanisme, sont-ils les seuls à exister ?

-       Comment les textes représentent-ils la réalité ?

            L’auteur met évidemment en cause les « eurocentristes », et son combat rejoint celui des adversaires des « ethnocentristes », en relevant que l’humanisme n’appartient pas uniquement à l’Occident.

Il décrit donc le comportement et l’hygiène de vie intellectuelle de l’humaniste : « Pour l’humaniste contemporain, il est particulièrement opportun de cultiver cette conscience de la multiplicité des mondes et des relations complexes qui s’établissent entre les traditions, à savoir cette combinaison inévitable dont j’ai parlé et qui se produit entre l’appartenance et le détachement, la réception et la résistance. »(page 141)

            L’auteur préconise donc de décortiquer les textes, de les disséquer, d’aller toujours voir derrière le texte, le contexte, et beaucoup d’historiens sérieux retrouveraient sûrement, à travers la méthode d’analyse proposée, à travers la philologie, leur propre méthode d’analyse historique.

            « Nous sommes submergés par des représentations préétablies et réifiées du monde qui usurpent la conscience et préviennent l’exercice de la critique démocratique, et c’est au renversement et au démantèlement de ces objets aliénants que devrait se consacrer le travail intellectuel de l’humaniste, comme le dit si justement C.Wright Mills. » (page 133)

            L’œuvre d’Edward.W.Said s’inscrit dans la lignée de l’historicisme défendu par l’italien Vico au 18ème siècle, et dans celle du grand philologue allemand Auerbach, qu’il cite longuement.

Il fait un sort particulier à la citation ci-après de cet auteur :

            « La manière de considérer la vie de l’homme et de la société humaine est fondamentalement la même qu’il s’agisse du passé ou du présent. Si un changement intervient dans notre manière d’envisager l’histoire, il influera nécessairement, et très vite, sur l’idée que nous nous faisons des circonstances où nous vivons. Une fois qu’on a compris que les époques et les sociétés ne doivent pas être jugées selon quelque modèle idéal de ce qui serait désirable dans l’absolu, mais selon leurs propres normes ; une fois qu’on range parmi ces normes non plus seulement les facteurs naturels, tels que le climat et le sol, mais les facteurs intellectuels et historiques ; une fois que, en d’autres termes, on a pris conscience de l’action des forces historiques ainsi que de leur constante mobilité intérieure ; une fois qu’on a saisi l’unité que présente la vie de chaque époque, de sorte que chacun apparait comme un tout dont le caractère propre se reflète dans toutes ses manifestations ; une fois enfin, qu’on a acquis la conviction que les connaissances abstraites et générales ne permettent pas d’appréhender la signification des événements et que les documents qui les feront comprendre ne doivent pas être cherchés exclusivement dans les sphères élevées de la société ou dans les archives officielles, mais aussi dans l’art, dans l’économie, dans la civilisation matérielle intellectuelle, dans les profondeurs de la vie quotidienne et du peuple – parce que c’est là seulement qu’il est possible de saisir ce qui est propre à un temps, ce qui est marqué des forces qui l’ont animé intérieurement et ce qui est universellement valide en un sens à la fois plus concret et plus profond - alors on peut s’attendre que cette prise de conscience se répercutera aussi sur le présent, et que celui-là apparaîtra comme une réalité incomparable et unique, animée par des forces internes et en constante évolution. Autrement dit, le présent se révèlera comme un fragment d’histoire dont la profondeur quotidienne et toute la structure interne requerront notre intérêt aussi bien sous le rapport de leur genèse que des tendances de leur développement. » (Mimesis, page 439)

            Vaste et ambitieux programme donc que proposait Auerbach, et que l’auteur faisait sien !

            Beaucoup plus surprenante dans l’ouvrage est sa conclusion !

Elle porte sur trois combats, ceux auxquels  l’intellectuel engagé n’a jamais renoncé :

« le premier consiste à se protéger et à se prémunir contre l’oblitération du passé… » (page 243)

« Le deuxième combat est de constituer comme produit du travail intellectuel des champs de coexistence plutôt que des champs de bataille. » (page 244)

Et le troisième « Mon troisième exemple, et le plus proche de moi, est la lutte pour la Palestine, lutte qui, comme je l’ai toujours pensé, ne peut être simplement et réellement résolue par un redécoupage technique, qui est en fait une opération de gardiennage, de la géographie du pays accordant aux Palestiniens dépossédés le droit (telles que sont les choses) de vivre sur environ 20% de leurs terres, qui se trouveraient encore encerclées et sous la dépendance d’Israël…. Priver tout un peuple de sa terre et de son héritage ne peut jamais être considéré comme juste… » (page 246)

A lire attentivement ces textes, il est possible de se demander si certains groupes de chercheurs ne font pas fausse route en croyant s’abriter derrière un drapeau intellectuel qui n’est pas celui d’Edward.W.Said, car l’intéressé situe ses analyses bien au dessus de la mêlée Orient-Occident, si tant est qu’elle existe.

Jean Pierre Renaud

 

 

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