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1 mars 2024 5 01 /03 /mars /2024 15:32

 Chapitre 16

 

Un monde noir qui échappe

 

                        Afin de mettre en lumière les raisons pour lesquelles la colonisation française de l’AOF ne pouvait réussir à transformer en profondeur cette vaste région géographique et humaine, composée d’une myriade de peuples et de villages, en autant de petites ou grandes Frances,  assimilées et républicaines,  il n’y a pas de meilleure solution que de se reporter aux témoignages savants de quelques spécialistes de l’AOF, lesquels consignèrent observations et réflexions dans les livres qu’ils ont publiés.

            Une fois de plus, les témoignages de Delavignette, Richard-Molard, et Labouret, seront précieux, auxquels nous ajouterons celui de Sœur Marie André du Sacré Cœur.

            Il est évident que ces témoignages datent d’une époque révolue, mais il serait très intéressant que des lettrés africains nous disent à leur propos ce qu’ils en pensent : des témoignages aujourd’hui dépassés ? Est-ce si sûr ?

  Richard-Molard écrivait :

            « Le langage est un autre facteur de diversité en AOF. Delafosse y recensait 126 langues principales. Les dialectes différents se comptent par centaines. Dans bien des régions du sud, les habitants de deux villages voisins ne s’entendent pas… Cet émiettement linguistique est lié à l’instabilité matérielle et politique des peuples de l’Afrique occidentale. Il correspond à d’incessants déplacements, à de nombreuses migrations. » ( p.72 et 76)

« Tant de facteurs, naturels ou humains, si divers, entrent en jeu dans la formation des peuples de l’AOF (ou mieux des groupes ethniques) et interfèrent entre eux selon une infinité de combinaisons possibles, que l’on finit par ne plus voir l’Afrique occidentale que dans un fantastique kaléidoscope. Nulle partie du monde ne mériterait mieux d’être qualifiée, selon la formule célèbre, d’« agrégat inconstitué de peuples désunis. » (p.88)

A la veille de la Révolution française, Mirabeau déclarait que la France était « un agrégat inconstitué de peuples désunis »

            Plus loin, le même auteur parlait de « poussière ethnique ».(p.113)

            Labouret, de son côté, soulignait la caractéristique du « morcellement » de l’AOF. (p.49)

            Et il n’existait alors, au début de la colonisation, ni état civil, ni cadastre, et cette dernière, pour les raisons que nous allons évoquer, allait rencontrer les plus grandes difficultés,  au fur et à mesure de son développement, pour aborder les grands territoires de la culture africaine, liés :

            - à l’exercice du pouvoir africain, les chefs,

            - à l’organisation de la famille et de la société, et à la définition d’une politique « indigène »,

            - au statut de la terre et de ses paysans

            - aux croyances

                                       Qui exerçait réellement le pouvoir dans cette Afrique ?

             La France avait mis hors-jeu presque tous les grands chefs de l’Afrique traditionnelle, en tout cas ceux des grands empires et royaumes, les Ahmadou, Samory, Tiéba, ou Béhanzin, mais elle ignorait quasiment tout des règles de fonctionnement de ces grands pouvoirs africains. La puissance coloniale allait se retrouver face à une myriade de pouvoirs locaux, petits ou grands, et ses administrateurs furent confrontés à cette délicate question : qui exerçait réellement le pouvoir dans un village ? Car le village était la structure angulaire de la société africaine, et donc des confédérations, des royaumes, et des empires.

            Les chefs de village, structure capitale

            Les deux administrateurs que furent Labouret et Delavignette l’expliquent fort bien dans leurs écrits.

            Labouret écrivait :

            « On a pu dire avec raison que le village africain est un groupement « fonctionnel » constitué en vue d’accomplir un certain nombre de tâches agricoles, réalisées par le concours des habitants. Ceux-ci sont embrigadés et guidés par des personnes répondant à des types coutumiers et nécessaires dont nous citerons les principaux.

            A sa tête le chef politique « apparent », porte-parole de la population, chargé de transmettre les ordres de l’administrateur, c’est très souvent un individu sans importance, paravent du véritable chef, vieillard astucieux et prudent, qui fait tenir sa place par un client ou un affranchi.

            A côté de lui, le maître de la terre  est aussi le prêtre du village, responsable, comme nous l’avons dit de la prospérité du lieu et de ses occupants. Il a dans toutes les langues un nom qui ne figure pas d’ordinaire dans les recueils de coutumes ni dans les dictionnaires, et des fonctions qui seront indiquées plus loin.

            Parfois ce personnage est aussi prêtre totémique, il est alors souvent doublé par un autre fonctionnaire sacré, qui procède aux cérémonies magico - religieuses exigées par le culte.

            Dans chaque agglomération, le chef politique véritable est assisté d’une sorte de concilium propinquorum qui se réunit pour discuter les questions municipales et tous les autres problèmes que pose l’existence villageoise… Mais l’existence de ces derniers souligne le caractère démocratique des institutions négro-africaines en général. » (p.131)

            Chef apparent ou chef réel, intrication du laïc et du religieux, démocratie villageoise, ces trois caractéristiques n’ont pas toujours été bien comprises par la colonisation.

             Chefs de paille ?

            Plus tard, Delavignette abondait dans le même sens :

            « Mais le village exige de l’administrateur une curiosité plus personnelle. Qui est le chef, le véritable chef avec son véritable nom. ? La précision a son importance ; nous le montrerons au chapitre des chefs de villages. Quelle est la nature de son pouvoir, sa race et sa religion ? Quelles sont les races et religions du village ? Y-t-il des quartiers et des chefs de quartiers ? Combien de chefs de famille et de quel genre est la famille ? Voilà pour la politique. «  (p.82)

            « Les chefs de paille »

            « Les chefs comme celui que je vis la première fois dans le village où je fis école ; ce sont en quelque sorte des hommes de paille, et je les appellerai les chefs de paille.

            Ils jouent le rôle qui serait assigné, dit-on, dans certains grands magasins à un employé préposé aux réclamations des clients grincheux. A chaque exigence administrative, impôt, prestations, recrutement, recensement, culture nouvelle, mise à l’essai – le chef de paille est délégué. Sur lui tombera la colère d’un commandement aveugle… Le chef est l’homme essentiel à la vie du pays. Est-il incompris du commandement : elle se rétracte ; est-il humilié : elle souffre ; accablé : elle s’éteint. Montrer le chef, c’est désigner et dénuder avec imprudence et impudeur la parcelle sacrée où le corps peut être frappé à mort….

            Qui connaît le village connaît l’Afrique éternelle.

            Une telle simplicité nous échappe. Aucune différence de pouvoirs (entre petits et grands). Le chef les possède tous. Dans la même heure comme dans la suite des générations, il est chef d’armée, juge, souverain politique et maître domestique. Nous pensons qu’il mêlait tout ; nous ne pouvons-nous faire à cette idée qu’il était tout. Confie-t-il ses pouvoirs ? C’est en bloc et souvent à un esclave. Apercevons-nous des ministres autour de lui ? Ce sont  des dignitaires et qui n’ont pas d’attributions clairement réglées à nos yeux. » (p.127)

            Et nous verrons plus loin que les chefs de village avaient le plus souvent un rôle religieux.

          Des familles monogames ou polygames, une société hiérarchisée et religieuse : un monde très éloigné du modèle familial et social de nos villages, bourgs et villes de la même époque

   Sœur Marie-André du Sacré Cœur a fort bien décrit la famille africaine des années 50, encore bien vivante dans ses traditions, après cinquante ans de colonisation française :

            Un père tout puissant

            « Le père – aïeul ou bisaïeul - est le centre de cette famille ; tous les descendants per masculos sont sous sa dépendance ; il exerce sur tous et chacun un pouvoir absolu : pouvoir de maître, de prêtre, de juge, de père ; ce qui est acquis par les personnes soumises à sa puissance lui appartient ; car lui seul peut posséder un patrimoine. C’est une monarchie domestique, qui porte d’ailleurs un nom spécial en droit romain : la patria potestas. Son chef le pater familias, règne sur sa domus, comme plus tard, le roi régnera sur le peuple, car la famille, en s’étendant, deviendra la tribu ; et l’union des tribus formera le royaume…. Pour les Africains, comme pour les anciens Romains, l’axe institutionnel de la famille est la lignée unilatérale… mais la familia romana était monogame, tandis que la famille africaine admet la pluralité des épouses. Cette polygamie augmente le nombre des collatéraux, entre lesquels des liens de parenté naturelle sont renforcés par la parenté juridique, l’appartenance à la famille. (p.50)… A chaque génération, le cercle de la famille s’élargit, mais ne se rompt pas. C’est la gens romaine, le clan africain qui ne comprend que des hommes d’origine libre… Le chef de clan, père, grand-père, oncle ou grand-oncle paternel ou maternel, exerce son pouvoir non seulement sur ses descendants directs (comme le faisait le pater familias romain), mais aussi sur tous les collatéraux. (p.52)…

            Mais le « père juridique » (ou père coutumier) dont le pouvoir est incontesté, ne l’exerce généralement pas seul, ni de façon arbitraire…

             Le chef de clan est encore le grand-prêtre qui, au nom de tous, offre les sacrifices aux ancêtres. Car la lignée se perpétue dans l’au-delà où les « pères » continuent à exercer leurs fonctions de paternité ; il convient de leur rendre un culte de respect et d’honneur…Les rites agraires tiennent une place importante dans la vie religieuse et familiale, car l’Afrique noire compte 90% de cultivateurs. Ils sont, dans la savane, tributaires du régime des pluies pour leurs récoltes….

            Dans la famille ainsi constituée, le chef de famille a seul la personnalité juridique complète, c’est lui qui décide des actes principaux concernant la famille, et chaque individu en particulier. Qu’il s’agisse de fréquentation scolaire, du choix d’une carrière, de l’engagement d’un tirailleur, d’un mariage, le chef de clan, usant de son droit souverain, désigne tel ou tel des membres de la famille qu’ils soient ses propres enfants, ceux de ses frères, ou les descendants d’anciens esclaves… Sur la côte, il en va différemment. (p.55,56,57). »

         Et le même auteur de décrire le mariage coutumier :

            « Le chef de clan, chargé d’assurer le bien-être et la pérennité de son groupe a donc le devoir de procurer des épouses aux hommes jeunes du clan. Il les demande dans des familles amies, honorables, qui se sont distinguées dans l’histoire locale…. Et c’est lui qui, toutes choses mûrement pesées, décide ensuite des mariages, sachant bien que les intéressés ratifieront sa décision par une acceptation pure et simple. » (p.65)

            Labouret notait qu’il existait alors des familles étendues ou indivises qui pouvaient compter plus de cent personnes 

:          Des communautés taisibles, comme dans l’ancien droit

                        « Le premier des groupements de parenté qui doive retenir notre attention est la famille étendue, de l’Afrique tropicale et d’ailleurs. Comme on l’a déjà remarqué, c’est la communauté taisible de notre ancien droit, formée sans contrat et fondée sur la parenté. On y retrouve, comme dans le Nivernais au siècle dernier, comme dans les zadruga actuelles de la Vieille Serbie, un maître, des parçonniers, dont la réunion forme une société, une compagnie, ou mieux une « fraternité », puisque tous vivent comme des frères « à pot et à sel », sur un bien commun et indivis. » (p.139)

       Une société hiérarchisée

            «  Avec les castes, les classes (d’âge), les corporations de métier, nous avons considéré un autre aspect de la vie paysanne, qui parait si simple à l’observateur superficiel et se montre si complexe à qui s’inquiète d’en pénétrer les éléments. La société rurale est avant tout hiérarchisée, avec ses nobles, ses hommes libres, ses esclaves, ses spécialistes, tous divisés et subdivisés en catégories superposées et antagonistes. (p.131) »

            Dans son livre Amkoullel, Hampâté Bâ racontait que lors de son admission à l’école des Blancs, il s’était fait rappeler à l’ordre pour avoir laissé la place à un camarade issu d’une famille de prince.

              Une société hiérarchisée, mais également religieuse

            « Une promenade au hasard dans le village permet de discerner ses différents types humains ; mais il en est d’autres qu’il faut une certaine habitude pour déceler et surtout pour observer dans l’exercice de leurs fonctions, le mot n’est pas trop fort. Il s’agit du Magicien, du Diseur de Choses cachées, du guérisseur, du marchand de philtres.

            Le magicien collabore étroitement avec le prêtre  pour le bien de tous. Parfois il est prêtre lui-même, car il est souvent difficile d’apprécier dans les actions de l’un ou de l’autre la part exacte qui revient à la religion et celle qu’il faut attribuer à la magie. Ses interventions sont réclamées d’ordinaire dans les cas graves, par exemple quand il faut appeler ou chasser la pluie. On le voit alors, près d’un foyer dégageant une épaisse fumée, accomplissant des rites étranges pour éloigner un orage menaçant, capable de faire pourrir les semences ou de compromettre la récolte sur pied. S’il s’agit au contraire de faire tomber l’ondée bienfaisante sur la terre desséchée et fendue par l’ardeur du soleil, le magicien se fait suppliant ; il s’efforce d’attirer la pluie par des gestes sympathiques, en répandant l’eau autour de lui. Les paroles qu’il prononce, les rites manuels qu’il accomplit ont pour but d’asservir les éléments… Le Magicien agit de même à l’égard de tous les fléaux qui menacent les habitants, leurs champs, ou leurs troupeaux. Périodiquement il préside à l’expulsion des chenilles, des vers, des larves qui compromettent la croissance des plantes alimentaires.

            Mais son occupation quotidienne consiste à fabriquer et à consacrer des protecteurs efficaces pour le village, les maisons, les champs, les animaux et les personnes. Les plus apparents sont suspendus aux portes ou devant elles, leurs formes sont innombrables… leur fonction est partout la même. Ils écartent les influences mauvaises qui menacent les hommes et leurs biens…

            La population villageoise se trouve donc entourée de périls divers contre lesquels elle entend se protéger. Mais pour cela, il faut qu’elle soit renseignée. Des spécialistes vont l’aider dans ce but. Ce sont les « Diseurs de Choses Cachées », qui tiennent dans la communauté une place officielle. Leur rôle est de fournir en toute circonstance des avis pour orienter et aussi détourner les activités religieuses, sociales et économiques du groupe. Responsables, en quelque matière, de la prospérité ou du malheur de la collectivité, leur autorité est assez grande pour arrêter les travaux agricoles certains jours reconnus néfastes, pour les faire commencer au contraire sur des emplacements choisis, inaugurer les chasses, les pêches et les fêtes saisonnières. Le Diseur des Choses Cachées intervient encore pour découvrir ceux qui ont pêché contre la coutume et irrité les dieux ; aucun mariage ne se conclut sans qu’il soit consulté. Il est le fidèle conseiller de tous. C’est un fonctionnaire à attributions sacrées dont personne n’osait mépriser les avis il y a peu d’années…

            Dans tous les grands centres existe aussi le marchand de philtres ou d’amulettes à buts particuliers, qui vendent des charmes de prospérité et surtout des charmes sexuels propres à favoriser l’amour et le mariage, à écarter les rivalités, à assurer virilité et fécondité, à maintenir la constance, à provoquer les réconciliations, à faciliter grossesses et accouchements. (p.136) »

                                                            La terre et ses paysans

 Démesure

            Allons d’abord à l’essentiel avec une citation de Richard-Molard :

            « Le monde noir d’Afrique occidentale est un paysannat, sous toutes les latitudes, des oasis sahariennes à la forêt guinéenne. Il est réparti là l’eau permet l’agriculture, par l’irrigation au Sahara, les grands fleuves au Sahel septentrional, la pluie au sud…. Chefs nobles et marabouts dans les sociétés les plus évoluées répugnent à tout travail. Encore leurs femmes et leurs captifs doivent compenser leur oisiveté…

            Il n’y a certainement pas d’illusions à se faire quant aux possibilités économiques de l’agriculture d’AOF, notamment dans les immensités soudaniennes…. L’on dit que le monde tropical ne convient pas aux Blancs. Est-on certain qu’il convienne beaucoup mieux aux Noirs ? L’homme est aux prises avec des terres de démesure. Lui qui est la mesure de toutes choses dans un pays de calanques méditerranéennes, il n’est ici la mesure de rien et fait de sa soumission une religion… (p.118,128)

Une terre à base religieuse

            Labouret décrivait la complexité des relations religieuses existant entre le fondateur d’un village, d’un clan, Maître du sol, et ses représentants, les grands prêtres, la terre et ses paysans. Il confirmait le rôle des grands prêtres :

            « Mais le rôle du grand prêtre est plus étendu encore. Il contrôle la plupart des fêtes locales, en impose l’ordonnance, et fixe l’époque de chacune d’elles. A ce titre, il détermine, avec le conseil des anciens, les périodes au cours desquelles se dérouleront les cycles d’initiation, qui donneront à la communauté des cadres instruits de leurs croyances et de leurs devoirs sociaux. Son action déborde donc assez largement sur le plan politique lié, ici, dans une certaine mesure, à la religion, sans être pourtant dominé par celle-ci comme on a pu le croire.

            Le grand prêtre est en outre le président du tribunal qui juge et châtie au nom des dieux, puisque toute infraction à la morale locale, c'est-à-dire aux habitudes admises et à la technique de la vie dans le pays, doit susciter le courroux des puissances surnaturelles, du totem ou des ancêtres. (p.57,68)

            « Le village « centre d’autonomie et d’énergie » fonde ses droits fonciers sur la religion qui impose aux habitants une étroite solidarité, entraînant pour eux la responsabilité collective de culte et de droit. » (p.66)

            «  A la fin de cet exposé, on peut résumer à peu près ainsi les principes du droit foncier en Afrique tropicale française.

            a) Partout il a une base religieuse indéniable. Le maître de la terre qui en jouit  remplit encore aujourd’hui un rôle capital que les autorités locales n’apprécient pas toujours comme il devrait l’être….

            b) Très souvent, comme nous l’avons dit, le maître de la terre est aussi le chef politique du groupement, mais il n’est pas rare de voir, à côté du premier, qui garde toutes ses attributions religieuses et foncières, un autre chef ayant des fonctions uniquement politiques…

            c) A la maîtrise du sol et à l’autorité politique locale s’est superposée parfois une autorité étrangère conquérante, capable de réclamer des redevances aux usagers du sol…. » (p.77)

               Le paysannat de Delavignette

            Delavignette avait publié, en 1931,  un livre intitulé » « Paysans noirs ». L’ouvrage montrait toute l’importance des villages du monde noir et surtout de ses paysans, et dans son nouveau livre « Service africain » (1946), il pouvait déjà noter les effets de la colonisation. Il notait :

            « Tout n’est pas dit avec ce simple mot de paysan noir. L’argent, la route, l’armée, l’école, la Croix ont désagrégé le cadre social où les cultivateurs s’étaient tenus et en quelque sorte retranchés jusqu’à ces dernières années. » (p173)

             Et l’auteur de proposer de solutions pour aider les paysans à « amortir le choc colonial ».

         Misérable outillage et étrange manière de cultiver

            Delavignette relevait qu’à l’orée de la colonisation, la paysannerie restait « invisible et opprimée ».

             « Deux choses surtout nous faisaient douter qu’il fût un véritable paysan : c’étaient son misérable outillage et son étrange manière de cultiver… »

« Quant à la manière de cultiver, elle nous déroutait complètement. En réalité, sous l’apparente collectivité, il existait une propriété familiale et dans l’apparente indivision de cette famille, un système de biens personnels…

Dans les manières indigènes de cultiver, il n’était pas que la possession du sol qui nous fût inintelligible, il y avait son façonnage. Le travail communautaire de jeunes gens du même âge, venus de plusieurs villages voisins dans le même champ, les filles d’un côté, les garçons de l’autre, et tous rangés en ligne, courbés sur leur houe, sautant à reculons, sous le commandement d’un griot pour donner le coup de houe entre leurs jambes et tracer ainsi, à croupetons, un sillon multiple, cela nous paraissait un spectacle d’ethnologie et non un acte d’agriculture…

            Dans ses formes familiales comme dans ses méthodes communautaires soufflait une âme religieuse qui ne nous semblait faite que de superstition. Pas de propriété sans sacrifices rituels et pas de travail sans prières et conjurations. L’animal le plus utile à l’agriculture indigène n’est pas une bête qui tire, mais une bête qu’on tue pour savoir sur le champ est bien choisi, le travail possible, la récolte conjurée. « (p.181)

               Le divin, les croyances  

            Delavignette intitulait curieusement le chapitre VII de son livre « Dans le champ du divin »

            C’est sans doute le domaine culturel et social qui a échappé le plus aux Blancs, aussi bien au début de la colonisation, que pendant, et en lisant des récits publiés de nos jours par de grands auteurs comme Hampâté Bâ ou Kourouma, j’avoue que ce monde de croyances, de superstitions, de magie aussi, m’est encore complètement étranger, comme il le serait sans doute pour beaucoup de Français.

,           Richard-Molard relevait :

            « On imagine sans peine qu’il n’est point facile à un Noir de se tirer d’affaire dans un monde où pullulent les forces, les esprits, comme autant de de menaces possibles pour lui. Il a un rituel sacré et fixé de vie à apprendre et à respecter, parfois d’une extrême complexité. Ce rituel est notamment destiné à la conservation des forces, celles par exemple des ancêtres dont le vivant est à la fois le continuateur, le support matériel et le représentant, en sorte que le monde noir est fait de bien plus de morts que de vivants. Aussi n’y a-t-il pas, sauf influences extérieures, de coupure entre le spirituel et le temporel et le gouvernement social fonctionne-t-il comme une sorte d’église : une communauté religieuse.

            C’est sous cet angle qu’il faut comprendre, probablement, la valeur primordiale du groupement familial dans les sociétés noires, celui-ci s’entendant au sens large, vraie « communauté taisible » sous l’autorité d’un pater familias prêtre, conservateur du culte des mânes, gérant (non propriétaire) du patrimoine collectif (‘d’une collectivité qui compte toujours plus de morts que de vivants. ( p.80)

            « Même quand l’islamisation parait réussir, ce n’est jamais en supprimant le fond animiste, mais bien en l’associant en dépit des contradictions les plus foncières et en constituant une sorte de syncrétisme qui ne laisse guère à l’Islam que ce qui est extérieur. » (p.85)

            Il serait sans doute possible d’ajouter que le christianisme  a rencontré les mêmes problèmes d’adaptation.

            « Il y a en Afrique occidentale un pullulement de « marabouts » dont beaucoup ne sont que de modestes aventuriers, faisant commerce de quelque baraka particulière, de talismans miraculeux ou du prestige acquis auprès d’un maître renommé. » « (p.80)

                         Jean Pierre Renaud                    Tous droits réservés

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