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3 mars 2020 2 03 /03 /mars /2020 15:19

La Parole de la France ?

L’Honneur du Soldat

Les Héritages

Guerre d’Indochine (1945-1954)

Guerre d’Algérie (1954- 1962)

 

II

En Prologue

Nous proposons un éclairage du sujet avec les témoignages lucides d’André Malraux, Maurice Delafosse et Robert Guillain

3

 1946 - Les constats de Robert Guillain sur la guerre d’Indochine : en 1946 et 1954

1946 « La sale guerre » sans solution

            Dans son livre « Orient Extrême » (Le Seuil - Arléa - 1986), Robert Guillain, l’un des grands journalistes du XXème siècle et l’un des meilleurs spécialistes de l’Extrême Orient a consacré deux de ses chapitres à la guerre d’Indochine :

7. Indochine : L’explosion (1946) - (page 131)

                  11. A Dien Bien Phu (1954) - (page 219)

       Je propose à la lecture quelques analyses et de reportages qui nous permettent d’avoir une bonne vision de ce conflit.

       Dans l’une de ses analyses, l’auteur stigmatise « la France officielle », celle qui gouvernait, laquelle manifestait une grande incompétence dans la compréhension et la gestion de cette grave crise de décolonisation.

      Tout au long de mes propres recherches historiques, j’ai fait le même constat d’ignorance des mondes coloniaux par l’establishment parisien, tant pendant la période des conquêtes coloniales de la Troisième République que pendant celle de la colonisation.

      Pourquoi ne pas avancer que de nos jours, nos dirigeants politiques semblent affligés de la même ignorance du passé colonial de la France ?

       Dans quelques-unes de mes chroniques, j’ai proposé mon propre diagnostic et constat, d’après laquelle, non seulement, nos gouvernants n’y connaissaient pas grand-chose dans les affaires coloniales - ils laissaient faire les experts ou les responsables de terrain -, mais que la population française ne fut jamais animée ni d’une grande passion, ni d’un grand zèle colonial, à la grande différence des britanniques.

      « L’explosion (1946)

     « Dans l’insurrection d’Hanoi. La mission Marius Moutet. L’erreur de de Gaulle en Indochine. Six avions pour faire la guerre. Alerte au Pont des Rapides. Parachutage sur Namdinh. Bombardement à la planche. Un inconnu nommé Diem. »

     « Mes vacances duraient encore quand dans la dernière semaine de novembre (1946), je reçus un coup de fil de Maurice Nègre, directeur général de l’Agence France Presse. « Vous savez ce qui se passe en Indochine : c’est peut-être la guerre. Le gouvernement vient de décider d’envoyer là-bas une mission dirigée par Marius Moutet, le ministre de la France d’outre-mer. Il y aura une place dans l’avion pour un envoyé spécial de l’A.F.P. Je voudrais que ce soit vous. »…

      Au téléphone je protestai « Je connais le Japon, mais rien du tout à l’Indochine. Entre les deux, il  doit y avoir cinq milles kilomètres ! Réponse de Maurice Nègre : « Ça ne fait rien, vous êtes l’Asiatique de la maison ! « Je ne pouvais pas refuser.

     Effectivement, en « Asiatique » que j’étais tout de même, j’avais suivi ce qui se passait là-bas, et c’était un peu à mes yeux une suite du drame japonais. Le Japon, j’allais le retrouver en Indochine, ou du moins j’y verrais les effets de la bombe de retardement qu’il avait plantée là avant sa défaite, quand il avait prêché la révolte des colonisés, le renvoi des Blancs et l’Asie aux Asiatiques…

     … l’armée japonaise, dès avant la capitulation du mois d’août 1945, avait balayé l’administration française de l’amiral Decoux, et donné le champ libre aux violences du Vietminh. La France avait découvert l‘existence du problème indochinois, du nommé Ho Chi Minh, et le nom même du « Vietnam ». L’année 1946 avait été celle de l’espoir. Ho Chi Minh était venu à Paris et de difficiles négociations s’étaient ouvertes à Fontainebleau pour un accord d’apaisement, tandis que là-bas le général Leclerc commandait les troupes françaises qui revenaient à Saigon et à Hanoi…

      « Pire encore, trois jours avant que Moutet quittât Paris, éclatait à son tour, le soulèvement de Hanoi…Nous pensions arriver dans une ville en effervescence, nous trouvions une ville en guerre, en proie à la plus vicieuse des guerres. « La sale guerre », cette appellation qui allait coller à la guerre d’Indochine jusqu’au bout pendant huit ans, date de ces premiers jours, où je l’ai entendue. Hanoi venait de connaitre entre l’explosion du soulèvement, le 19 décembre, et la Noël, une semaine de sang et de feu… Nos forces ne tenaient de la ville qu’un ilot central cerné par les révoltés ; tout le reste était au Vietminh. Au premier matin, comme Marius Moutet visitait l’hôpital Yersin, j’entendais claquer des balles aux alentours. Simple démonstration peut-être, car on ne signala ni mort ni blessé, mais cela mettait tout de suite dans l’ambiance ce messager de la paix qui avait une colombe dans sa valise pour Ho Chi-Minh. L’oncle Ho n’allait plus jamais le rencontrer, il avait pris le maquis avec la moitié de la population, partie sur ordre du Vietminh…

       Tout de même, grâce à la rapidité de notre réaction, et à une certaine pagaille chez les révoltés, cela avait été finalement une Saint-Barthélemy ratée, où le nombre des civils massacrés fut « seulement » de 300, celui des disparus de 500 environ, dans une population française de 3 000 en chiffres ronds, dont environ 2 200 métis eurasiens…

       C’était la guerre, voilà tout ce que Marius Moutet, brave homme et honnête ministre, très « Troisième République », déchiré par ces constatations tragiques. Arrêter cette guerre ? Boutbien était pour, Messmer contre : c’eût été retirer nos troupes, donc capituler devant l’adversaire. Etait-ce possible ? Paris en déciderait. Mais pour Moutet, il ne restait plus qu’à se renvoler, mission accomplie, mission ratée, et à méditer sur le passé et les occasions perdues.

      Aurait-on pu l’éviter, la guerre d’Indochine ? Personnellement, je crois que oui. Mais en 1946, à Fontainebleau ou Hanoi, c’était déjà trop tard…. Oui, nous aurions pu éviter la guerre, à mon avis, si de Gaulle avait voulu comprendre les possibilités qui s’offrait à lui dans le courant de l’année 1945. Lui qui plus tard allait se montrer clairvoyant, ou au moins réaliste, en acceptant la décolonisation inévitable, il avait désastreusement raté la décolonisation de l’Indochine. (p,133,134,135)…

      Leclerc, esprit moderne et audacieux, ne mit pas long temps, en arrivant, à comprendre où il était. Dans ses rapports, il préconisait bientôt, admirable clairvoyance, l’instauration d’un Vietnam indépendant, qui aurait pris place comme Etat libre dans l’Union française. De Gaulle n’en fit rien, il fit la grave erreur de confier l’Indochine à l’amiral Thierry d’Argenlieu, patriote de la vieille école, homme de bonne foi et de foi, mais égaré par le rêve d’une restauration française dans les trois parties du Vietnam, Cochinchine, Annam et Tonkin. Dans ces conditions, toute négociation possible, à Fontainebleau ou à Hanoi était vouée à l’échec… » (p135)

    Commentaire : il est tout à fait exact de noter qu’en choisissant un amiral,  qui plus est, un moine déchaussé, le général effectuait un retour vers le passé colonial de l’Indochine, en redonnant le pouvoir à la Marine qui avait choisi d’imposer, en 1854, un « fait accompli » en Cochinchine, en y réintroduisant la religion chrétienne.

       Dans au moins un de mes livres sur les conquêtes coloniales de la Troisième République, j’ai eu l’occasion de développer le rôle de la Marine dans leur processus, comme acteur ou comme expert.

      Il convient toutefois de noter aussi que le premier choix du Général s’était porté vers l’héritier impérial d’Annam, mort dans un accident d’avion avant son retour en Indochine.

      « Maintenant, nous nous trouvions pris au piège d’une guerre pour laquelle nous n’étions absolument pas préparés et que nous faisons dans les conditions les plus mauvaises possibles. « Nous faisons une guerre de pauvres ! » C’est un cri d’alarme, que j’entendais partout. Dès le départ, nous n’avions pas les moyens de faire cette guerre, encore moins de la gagner. Nos effectifs étaient dérisoires nos munitions et notre matériel insuffisants. En retranchant les états-majors et les services, nous disposions d’à peine 10 000 hommes au Tonkin…

      Un officier : « Notre infanterie coloniale combat sans jamais être relevée et sans espoir de l’être… Nous manquons de blindés. Quant à l’aviation, autant dire que nous n’en avions pas »

      L’aviation française en ce début de la guerre d’Indochine ? Chose à peine croyable, nous avions à Hanoi six avions de guerre, en tout et pour tout : six petits Spitfire, chasseurs monoplaces… » (page 136)

      « Sur les diverses opérations, desserrement du siège d’Hanoi, Pont des Rapides, expéditions de Namdinh, j’envoyai à Paris des télégrammes courts ou longs, que suivit une série d’articles envoyés par la poste de Saigon où j’étais redescendu. Les télégrammes passaient par le censeur militaire, et aucun ne fut retenu. J’imaginais déjà ma signature dans les journaux parisiens, au bas des papiers de « l’envoyé spécial de l’A.F.P. » Je devais apprendre plus tard que presque rien de ce que j’envoyais n’était diffusé. Mes informations, pour la plupart, n’atteignaient que les clients étrangers de l’Agence. La raison ? Prudence de l’Agence et consignes du gouvernement. Mais surtout, la France et plus encore la France officielle ne voulait pas regarder en face cette guerre importune, cette guerre stupide et lointaine. Elle « ne voulait pas le savoir », comme on dit. Après la guerre de Hitler, moins l’opinion en savait mieux cela valait, pour le moment.

     Et c’est ainsi qu’après un mois d’Indochine, l’A.F.P me fit rebondir vers l’Inde, pardon, vers les Indes, comme on disait encore à cette époque. Aux Indes se préparaient visiblement des événements importants, et mes « papiers » éventuels auraient peut-être un mérite aux yeux des Français : celui de montrer que la puissante Angleterre avait des ennuis, elle aussi, avec ses colonies en Asie. » page142)

    Commentaire :

     La situation décrite ne fut pas celle de l’Algérie, mais elle s’en rapprochait sur le plan militaire à ses débuts, alors qu’on ne peut pas dire qu’elle faisait partie, comme en Indochine,  d’un domaine caché de l’information.

    Le problème posé était celui de la connaissance qu’avaient les Français de leur domaine colonial et de son intérêt pour le pays.

      Robert Gulllain utilise l’expression « la France officielle » et cette expression est très parente de celle que j’ai beaucoup utilisée dans mes analyses, c’est-à-dire « la France coloniale », c’est-à-dire l’officielle, celle d’une petite élite parisienne et coloniale, alors que les Français se sont toujours désintéressés, sauf exceptions, des colonies.

      L’une de mes conclusions était celle que c’est à l’occasion de la guerre d’Algérie, avec l’engagement du contingent décidé par le gouvernement socialiste de Guy Mollet que le pays a commencé à s’intéresser aux destinées du domaine colonial.

     En Indochine, les gouvernements de la Quatrième République manifestèrent la plus grande incurie en ignorant ou en refusant de comprendre les enjeux de ce conflit, dans toutes ses dimensions stratégiques, internationales et nationales, le poids de l’histoire du Vietnam, notre capacité militaire à faire face à ce nouveau type de guerre révolutionnaire, à la fois sur le plan des forces et sur celui des idéologies.

      Le Corps expéditionnaire et notre commandement militaire n’était pas du tout préparé à ce nouveau type de guerre subversive et révolutionnaire qu’avait mis en œuvre Mao Tsé Tung en Chine : nos officiers étaient formés à la guerre classique, comme l’était encore le modèle du général de Gaulle.

      Sans que l’opinion publique en ait conscience, la France a alors sacrifié des milliers d’officiers, de sous-officiers et de soldats, sans parler des innombrables victimes civiles dans les deux camps, faute de pouvoir opposer aux revendications nationalistes une réponse politique et historique pertinente.

       Conséquence pour la guerre d’Algérie, une armée décidée cette fois à relever un nouveau défi colonial, et elle en avait les moyens, capable de proposer une doctrine contre-insurrectionnelle efficace, à deux conditions qui ne furent pas remplies : l’adhésion d’une population européenne toujours rétive à l’évolution démocratique d’une part, et d’autre part une proposition pertinente, sur le plan idéologique, face au nationalisme, d’une Algérie indépendante.

Jean Pierre Renaud      Tous droits réservés

 

 

 

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