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24 janvier 2017 2 24 /01 /janvier /2017 10:47

« La fin des terroirs » Eugen Weber

Première Partie

« Les choses telles qu’elles étaient »

           Je pourrais me contenter de donner l’intitulé des onze chapitres pour résumer l’état des lieux historique que l’auteur fait de la France du dix-neuvième siècle, et en particulier de la fin de ce siècle, celle qui a enchanté le discours idéologique de certains historiens et historiennes :

          « Un pays de sauvages » (1), « Les folles croyances » (2), « Le pied du roi » » (3), « Seul avec les siens » (4), « De la justice, Seigneur, délivrez-nous » (5, « Des langues à foison » (6), « La France, une et indivisible » (7), « Le travail de la terre » (8), « Le pain quotidien » (9), « De la « subsistance » à l’« habitat » (10), « La famille » (11).

          L’auteur décrit tout d’abord, « Un pays  de sauvages » (chapitre I, page 17), celui d’un « paysan non civilisé », et fait remarquer que paradoxalement notre ignorance procède entre autres : « L’une des raisons en est que les ethnographes et les anthropologues français (ils ne sont certes pas les seuls, mais ils ont suivi cette tendance peut-être plus que leurs collègues étrangers) ont récemment encore étudié avec zèle les peuples exotiques, mais grandement négligé le leur … Dans toute la masse d’études qui marque la fin du XIX° siècle et le début du XX° siècle, aucune ne dépasse l’horizon de Paris et de ce qui s’y déroule. Et cela sans aucune restriction, assuré que l’on est que les vues et les aspirations d’une petite minorité qui se prend pour l’ensemble du pays représentent réellement cet ensemble. » (p,23)

           A la page 27, l’auteur fait une remarque tout à fait intéressante sur la supposée lutte des classes qui aurait alors structuré la vie  politique, alors qu’il s’agissait plus d’une « hostilité compréhensible entre la ville et la paysannerie. » (p,27)» 

       « Tant de misère. Tant de peur. De menaces connues ou inconnues. Le connu était redoutable, et surtout les loups, les chiens enragés et les incendies. Les forêts étaient encore immenses et effrayantes vers le milieu du XIX°siècle. » (p,30)

        « Les folles croyances » (chapitre II, p,39)

       « Ne croyez pas aux sorcières, avertissait un manuel d’école primaire couramment employé en 1895… Les gens disent qu’ils peuvent voler ou nuire en prononçant certains mots, ceux qui prétendent connaitre l’avenir, sont des fous ou des voleurs. Ne croyez pas aux fantômes, aux spectres, aux esprits, aux apparitions…Ne vous imaginez pas que l’on peut éviter des dommages ou des accidents avec ... des amulettes, des talismans, des fétiches, comme… les herbes cueillies à la veille de la Saint Jean. » « Si Ernest Lavisse mettait en garde contre de telles croyances, c’est qu’elles étaient largement répandues. Beaucoup étaient du même avis. » (p,39)

       « Pour toutes ces raisons, les vieux contes populaires avaient encore assez de force en 1906 pour effrayer le frère de Jacques Duclos qui, âgé de douze ans et croyant avoir vu quelque chose dans la cour au milieu des ténèbres, « rentra tremblant de peur pour se trouver mal aussitôt. » (p,41)

       Rassurez-vous il ne s’agissait pas du fantôme de Trotsky !

     « Le pied du roi »  (chapitre 3, p,46)

    « Une loi de 1837 avait fait du système métrique le seul système légal pour la mesure des terres… Les archives publiques et les transactions privées prouvent que les anciennes mesures survécurent et furent florissantes jusqu’au XX° siècle, surtout dans les régions les plus pauvres et les plus isolées, où la vie et le travail ne s‘intégraient que lentement au marché national . » (p47),

     « … journal,…hommée… bêchée…l’attelée… la bovée… la jouguée… la saumade… »

      Cette énorme diversité de mesures et de système est moins frappante que la persévérance, l’obstination pourrait-on dire, avec lesquelles l’administration ignorait leur existence… (p,48)

      «… Dans le Tarn, en 1893, Henri Baudrillard constata que le système décimal était à peine connu, l’hectare inconnu, et les mesures différentes d’une paroisse à l’autre… » (p49

     « Tout cela renvoyait en fait à la persistante autarcie de la campagne – à une vie d’autosuffisance qui voyait jusqu’aux environs de 1870, de nombreux paysans n’acheter que du fer et du sel, payer le reste en nature, et être payés de la même manière, économiser leur argent pour les impôts ou thésauriser pour acheter une terre.. « (p,53)

     « L’argent resta longtemps un bien rare… En 1874, les épargnants français n’avaient accès qu’à 1 142 guichets de caisse d’épargne, alors qu’à la même époque on en comptait 5 000 en Angleterre. » (p,55)

      « Ces diverses données laissent entendre que l’économie monétaire  parvint à triompher dans un certain nombre de régions en  l’espace d’une courte période qui se situe grosso modo dans le dernier tiers du XIX°siècle… Quel que soit l’indicateur auquel on a recours, les années 1880 et le quart de siècle suivant semblent constituer, dans ce domaine comme dans d’autres, la ligne de partage des eaux. » (p59)

     « Seul avec les siens »  (chapitre IV, p,61)

    « La survivance opiniâtre de l’autarcie locale et domestique est étroitement liée aux survivances que nous avons décrites dans le troisième chapitre ; et une fois de plus, la ligne de partage des eaux semble se situer dans les années 1880 ; …. Seuls des chemins de fer et des routes praticables pouvaient modifier cette situation. Comme nous le verrons, une grande partie de la France n’en avait pas encore dans les années 1880. Jusqu’à cette date, les villages et les hameaux de Savoie ou du Lot restèrent « inaccessibles, tournés sur eux-mêmes », et la mentalité crée par cet isolement persista bien au-delà… »(p,62)

     « L’isolement alimentait l’ignorance, l’indifférence, les rumeurs, qui se répandaient comme une trainée de poudre, à une vitesse qui tranchait avec l’assimilation très lente des événements ordinaires. » (p,64)

     « En Bretagne, les indigènes comme on les appelait encore sous la Troisième République, semblaient assez aimables, mais peu coopérants… »(p,66)

      Petit commentaire : les « Indigènes de la République » ont, comme on le voit, des références historiques !

       « C’est pourquoi, pendant très longtemps, la plupart des Français ne pensèrent pas à désigner la France comme leur « pays » - jusqu’au moment où ce qu’on leur enseignait viendrait coïncider avec l’expérience. » (p,66)

     « Toute personne venant de plus loin que le rayon familier de quinze ou vingt kilomètres, dit Guillaumin à propos des paysans des années 1930, était encore un « étranger »

     « De la justice, Seigneur, délivrez-nous » (chapitre V, p,73)

      Cette seule appellation suffit à décrire les rapports que la paysannerie entretenait avec la Justice.

     L’auteur note ;

     « Selon Jules Méline, il y avait près de 400 000 mendiants et vagabonds en 1905 (plus de 1% de la population totale). « Bataillons d’affamés qui font trembler tout le monde sur leur passage. » (p,89)

     « Des langues à foison » (chapitre VI, p, 93)

   « En 1863, selon des chiffres officiels, 8 381 communes sur un total de 37 510, ne parlaient pas français : près d’un quart de la population. » (p,93)

    « Dans plusieurs départements, les cours étaient donnés dans la langue locale pour que les élèves puissent les comprendre : c’était le cas dans les Alpes Maritimes, l’Ardèche, le Bas Rhin, les Basses Pyrénées, la Corse, les Côtes du Nord, le Finistère, le Haut Rhin, la Meurthe, le Morbihan, la Moselle et le Nord. » (p,95)

     La Troisième République découvrait ainsi une France où le français demeurait une langue étrangère pour la moitié de ses citoyens. » (p,96)

      « Apprendre le français au peuple c’était contribuer à le « civiliser », à l’intégrer dans un monde moderne supérieur. » (p,99)

         « En 1968, quand Antoine Prost publia son excellente histoire de l’éducation française, « L’Enseignement en France, 1800-1967 », nous cherchâmes en vain ne fût-ce qu’une allusion au problème dont les maîtres d’écoles se plaignirent tout le XIX° siècle, le fait que qu’une grande partie de leurs élèves ne parlaient pas (ou parlaient à peine le français.) » (p,100)

     Une dernière citation :

     « Et à l’Exposition de Paris de 1889, les organisateurs de l’une des attractions, le chemin de fer à voie étroite de Decauville, jugèrent bon d’imprimer leurs affiches et leurs annonces en breton et en provençal aussi bien qu’en français. » (p,103) »

        L’auteur note enfin que ce fut la guerre de 1914 qui accéléra cette mutation.

     « La France, une et indivisible » (chapitre VII, p,125)

       « A quel moment la France est-elle devenue « une » ? »

    « Personne, au XIX° siècle, n’a entrepris la moindre enquête d’envergure sur la conscience nationale et le patriotisme. Les discussions sur ce thème au début du XX° siècle se sont concentrées exclusivement sur des groupes urbains – généralement étudiants. » (p,130)

      Commentaire : n’est-il pas, plus curieux encore, que de nos jours, plus d’un siècle après, alors que nos sociétés sont pourvues de multiples moyens d’enquêtes statistiques de toute nature publique ou privée, que des historiens, des sociologues, des anthropologues, des journalistes, mettent en avant une « mémoire collective », ou « coloniale », jamais encore mesurées, la « guerre des mémoires » de Stora », les « lieux de mémoire » de Nora, pour quel public ?

      Il convient de remarquer une fois de plus que le collectif de chercheurs Blanchard and Co, avant de rédiger des pages et des pages pour affirmer que la France baignait dans une « culture coloniale » ou « impériale » , au choix, avaient au moins la possibilité avant l’ère des sondages (voir les références Ageron), d’examiner si leur hypothèse de travail était corroborée par l’analyse de la presse nationale et locale au cours des périodes historiques examinées, une analyse qui n’a pas été faite.

      « Même la guerre de 1870 n’a pas provoqué le sursaut général de patriotisme qu’on a prétendu. » (p,131)

     « En réalité, la plupart des gens semblent avoir considéré la guerre comme un événement nuisible dont la fin fut saluée avec soulagement. » (p,134)

    « Le seul événement historique, sans doute, qui servit de borne chronologique pour tous les Français de la fin du siècle était la Révolution. » (p,140)

  « Chaque année, rapportait Bodley peu avant 1914, il y a des recrues qui n’ont jamais entendu parler de la guerre franco-prussienne » de 1870. Il citait une enquête de 1901 dans laquelle en moyenne six hommes sur dix d’un escadron de cavalerie n’avaient jamais entendu parler de cette guerre. Une enquête semblable, menée parmi des recrues en 1906, révéla que 36% de ceux-ci « ignoraient que la France avait été vaincue en 1870 », et qu’à peine la moitié « avaient entendu parler de l’annexion de l’Alsace-Lorraine ». (p142)

     En résumé, à la fin du dix-neuvième siècle, et jusqu’à la première guerre mondiale, la France n’était ni « une », ni « indivisible ».

    « Le travail de la terre » (chapitre VIII, page 147)

     Un constat sur l’état de la France :

« Pendant tout le XIXème siècle, jusqu’aux premières décennies du XX ° siècle, les populations rurales et agricoles furent majoritaires en France. Tout le monde s’accorde là-dessus. » (p,147)

    « Michel-Augé-Laribé, qui a une connaissance approfondie de la condition agricole française, souligne qu’entre 1860 et 1880, les modes de vie et les méthodes des paysans des régions pauvres, « plus nombreuses qu’on ne le reconnait ordinairement », demeuraient encore très proches de l’âge de pierre. Voilà un jugement impressionnant, qui devrait prévenir contre la vision d’une France rurale en pleine modernisation pendant le Second Empire…Les changements réels, dans l’économie rurale, ne se produisirent qu’au cours des décennies suivantes. » (p,151)

     L’auteur estime que les vrais changements se situèrent entre 1894 et 1914.

   « Le pain quotidien » ( chapitre IX, page 165)

     Un chapitre dont le seul titre suffirait comme commentaire :

    « Dans la France rurale, la faim réelle n’a vraiment disparu (ou du moins, les mentalités ne se se sont vraiment accoutumées à sa disparition) qu’à l’aube du XX° siècle. » (p,165)

      Sucre, café, huile n’y firent leur apparition qu’à la fin du siècle.

     « De la « subsistance » à l’ « habitat » (chapitre X, page 185)

     Pendant tout  le siècle, et jusqu’en 1914,  l’hygiène, la propreté laissèrent beaucoup à désirer, la propreté corporelle tout autant que la propreté de l’habitat :

      « Vers 1914, dans des régions relativement avancées comme la Mayenne, on lavait le linge familial deux à quatre fois par an ; dans le Morbihan, on se contentait d’une fois… Si le nettoyage du linge était chose rare, la toilette personnelle restait-elle aussi une exception. » (p,187)

    « A quoi bon se laver ? Comme on dit en Saintonge : nous aut’pésants, jh’attrapons de bonnes suées, o nous nettie le corps. » (p, 188)

      « Dans les années 1890, le progrès semble se généraliser.. » (p,201)

« La famille » (chapitre XI, page 209)

     Quelques-unes des observations de l’auteur suffiront à caractériser la situation de la famille de cette époque, et notamment la condition « inférieure » des femmes.

     Village et famille constituèrent longtemps le noyau dur de la société.

      « La   formation des couples n’était pas du domaine privé » (p,209)

      « On épousait une famille et non une femme ou un homme » (p,210)

     « Les femmes mangeaient debout, servaient les hommes et finissaient leur repas plus tard en ce qui en restait. » (p,214)

       Cette situation changea très lentement :

     « Malheureusement, les vieilles habitudes qui régissaient la vie domestique, l’alimentation et l’éducation des enfants, prévalurent beaucoup plus longtemps qu’on ne l’avait espéré. Entre 1914 et 1918, les femmes des campagnes avaient certes acquis un sentiment nouveau d’autonomie et de confiance, grâce aux initiatives et responsabilités qu’elles étaient forcées de prendre, aux métiers qu’elles apprenaient à faire, aux pensions familiales qu’elles avaient à gérer. Et pourtant, en 1937, le directeur des services agricoles du Lot pouvait répondre à une enquête dans des termes qui reprenaient ceux du siècle précédent : « La femme conserve ses traditions et ses vertus domestiques qui se manifestent comme un esclavage librement consenti » (p,217)

    « Les hommes étaient condamnés au travail, les femmes vouées à la reproduction et traitées comme des bêtes de somme. » (p,218)

      L’auteur remarque qu’il faut toutefois se méfier des généralisations :

      « Une fois de plus, les généralisations n’ont par définition, d’autre valeur que générale. » (p225)

      « Mais la société rurale française de la fin du XIXème siècle n’était plus stable; elle devenait de moins en moins homogène. Chaque coup porté contre les détails de son organisation mettait de plus en plus le système tout entier à la merci de la modernité. » (p,236)

Jean Pierre Renaud Tous droits réservés

 

 

 

 

 

 

 

 

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