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21 septembre 2020 1 21 /09 /septembre /2020 15:10

« La Question post-coloniale »

Yves Lacoste

Lecture critique

« Les conquêtes coloniales en Afrique noire » (p,344)

Introduction 

Afin de bien comprendre la géopolitique de l’Afrique noire de l’Ouest, au moment des explorations et des conquêtes, quoi de mieux que de citer, d’entrée de gamme, le propos « géopolitique » du géographe Richard-Molard sur les caractéristiques géographiques de cette partie du continent africain, un des facteurs clés de la géopolitique de l’Afrique de l’Ouest au XIXème siècle.

Dans son livre « L’Afrique Occidentale Française » (1950), le géographe Richard-Molard  notait en effet que cette partie du continent africain, je dirais capitale à l’époque des conquêtes coloniales, souffrait d’une « anémiante continentalité ».

&

            « En 1885 se tint la Conférence de Berlin… » (avec l’interdiction des ventes d’esclaves et d’armes à feu, en même temps que le partage de l’Afrique à l’initiative du roi des Belges Léopold II).

            Commentaire : le mot « partage » a été mis en italique, parce qu’Henri Brunschwig en a démontré les faux sens d’interprétation historique.

            « Les conséquences géopolitiques de la multiplication des chasses aux esclaves » (p,345)

            « Le fait que la chasse aux esclaves se soit en quelque sorte démultipliée au XIXème siècle après la fin progressive des « exportations humaines » vers l’Amérique a rendu conscients la quasi-totalité des peuples d’Afrique noire des dangers de la traite non pas comme une menace lointaine et abstraite, mais comme le risque d’être attaqués par des guerriers envoyés sur ordre des chefs d’un peuple voisin. La multiplication des captures d’esclaves par de multiples roitelets chez des peuples voisins banalisait les captifs ou les captives que l’on n’exportait plus au loin (sauf vers l’Egypte et l’Arabie). Leur valeur marchande était de plus en plus dévaluée comme moyen de paiement ou de gratification.

            Les peuples razzieurs savaient qu’ils risquaient désormais d’être attaqués par une expédition d’Européens venu d’ailleurs ayant su rassembler des peuples jusque là dominés.

            On dénonce de nos jours les effets du tribalisme en Afrique noire, comme s’il s’agissait de superstitions anciennes et sans fondement. D’abord il ne s’agit pas tant de tribus, mais de peuples différents qui se sont subdivisés en tribus. A la différence des tribus nord-africaines qui, au sein d’un vaste ensemble géopolitique dont elles sont conscientes, parlent une même langue et ont la même religion, le phénomène tribal en Afrique noire se subdivise de peuples très différents, la plupart peu nombreux, chacun ayant sa langue et ses croyances religieuses.

            Les chasses aux esclaves ont fait que la mosaïque ethnique en Afrique noire était constituée, au milieu du XIXème siècle, de peuples se redoutant les uns des autres. Une conception couramment répandue dans les écrits et les propos qui de nos jours dénoncent le colonialisme – qu’il s’agisse d’Amérique pré-colombienne ou d’Afrique noire – est somme tout qu’avant l’arrivée des Européen ces peuples n’étaient guère opprimés par quelque empire ou potentat. En fait, ces peuples voisins avaient entre eux de terribles problèmes dont leurs notables étaient très conscients. » (p,346)

            Commentaire :

  • L’explication géopolitique que propose l’auteur sur le contexte ethnique de l’époque et sa constitution par l’esclavage, la prise de conscience des peuples en lice face à ce fait géopolitique majeur mériterait d’être documentée.

A la lecture de tous les récits consultés, il est difficile d’abonder dans un tel sens, d’autant plus que l’esclavage marchand et domestique imprégnait les mœurs de l’Afrique pré-coloniale.

  • les passages soulignés mériteraient d’être analysés et commentés par les historiens, car ils manquent de clarté, en tout cas à mes yeux : « les peuples razzieurs savaient » ? – « les effets du tribalisme » ? – « la mosaïque ethnique » ?

            Par exemple, dans le bassin du Niger, et tout au long du XIXème siècle, deux facteurs n’ont-ils pas bousculé tout autant la mosaïque ethnique existante, les guerres de conquête de l’Islam contre les royaumes Bambaras et Mandingues, avec en parallèle les incursions fréquentes des tribus nomades du Nord dans les villages des paysans sédentaires, ou le rôle majeur des tribus Peuls éleveurs nomades que l’on retrouvait alors au Sénégal sous le nom de Toucouleurs.

La bataille très meurtrière de Toghou, en 1866, fut difficilement gagnée par le sultan Ahmadou, combattu plus tard par les Français, une bataille qui se solda par la mort de tous les prisonniers Bambaras.

« Les conquérants européens apprennent à analyser la géopolitique de l’esclavage » (p,346)

« En Afrique noire, ce que l’on pourrait appeler la géopolitique des chasses aux esclaves, la conscience angoissée des rapports de force entre tel peuple dominant et tels peuples dominés étaient à l’esprit de beaucoup, alors que dans la première partie du XIXème siècle arrivaient déjà sur les côtes les nouveaux conquérants européens. Ceux-ci n’avaient ni le désir ni le droit de faire fortune, comme cela se faisait au temps du commerce négrier sur la côte. Ces nouveaux venus – des militaires, des officiers de marine – voulaient étendre leur pouvoir sur des territoires qu’ils savaient tout autant convoités par d’autres conquérants européens. Chacun de ces petits groupes conquérants, qu’ils appartiennent à une armée nationale ou privée (en fait belge ou britannique), entendait étendre le plus possible son autorité sur un territoire dont on ne disait pas les ressources, afin que le concurrent les ignore.

Dans cette course impérialiste, ces hommes d’action vont comprendre assez vite que tous ces noirs, au premier abord assez semblables, forment non seulement des peuples différents les uns des autres, mais aussi des peuples rivaux qui ont peur les uns des autres. Les conquêtes coloniales en Afrique noire se feront en jouant assez habilement de ces rivalités géopolitiques.

Pour cela, les militaires qui établissaient les cartes des territoires où ils avançaient allaient se faire très empiriquement ethnographes et historiens, en faisant parler les « vieux » pour repérer quels étaient les protagonistes des conflits qui se déroulaient sous leurs yeux ou dans lesquels ils étaient souvent impliqués. En effet, à l’arrivée des militaires européens, les captures d’esclaves n’avaient pas cessé. Aujourd’hui, les ethnologues africanistes reprochent aux administrateurs coloniaux, qui étaient souvent des militaires, d’avoir inventé des ethnies ou de les voir considérées comme très anciennes alors qu’elles étaient relativement récentes et qu’elles résultaient de regroupements simplificatoires décidés pour des raisons stratégiques ou de commodité administrative dans des populations déracinées par les raids esclavagistes. Mais les ethnologues actuels, anticolonialistes, ne parlent guère du rôle des souverains africains dans la traite des esclaves. » (p,347)

Commentaire : il ne parait pas inutile de revenir sur les textes soulignés, étant donné les questions que pose leur sens.

« Les conquérants européens apprennent à analyser la géopolitique de l’esclavage » (p,346) : ne s’agit-il pas d’une interprétation par trop savante des découvertes souvent approximatives et empiriques faites sur le terrain?

« …la conscience angoissée des rapports de force entre tel peuple dominant et tels peuples dominés étaient à l’esprit de beaucoup… »

« Conscience angoissée » - « à l’esprit de beaucoup » : Au sein d’une population illettrée ? Un mot de science humaine ou de psychologie collective ?

« dont on ne disait pas les ressources, afin que le concurrent les ignore. » ? ; dans les quelques comptoirs côtiers sans doute, mais ils n’étaient pas nombreux.

Si vous lisez les premiers récits des blancs qui fréquentèrent par exemple les côtes de Grand Bassam avant 1900, ils vous informeront de la rareté des contacts sur la lagune encore fermée qui borde les côtes d’un « territoire », la Côte d’Ivoire, qui ne vint à l’existence coloniale qu’en 1895, et qui ne fut pacifiée que quelques années avant la Première Guerre Mondiale : le « temps colonial » dura moins d’un demi-siècle.

Par ailleurs explorateurs et officiers publiaient de très nombreux récits dans lesquels rien n’était caché, souvent par le biais de sociétés de géographie très dynamiques, notamment en Angleterre et en France.

Un exemple de récit d’officier (1), celui du colonel Frey sur la conquête du Soudan, dans lequel il ne cachait pas son scepticisme sur les ressources du Soudan (le Mali). (Campagne dans le Haut Sénégal et le Haut Niger (1888))

« les militaires qui établissaient les cartes des territoires où ils avançaient allaient se faire très empiriquement ethnographes et historiens, en faisant parler les « vieux. » 

Une observation fort intéressante : faute de cartes, ce sont les officiers coloniaux qui établirent les premières cartes, chaque première colonne pénétrant sur un territoire, disposait d’un officier topographe qui procédait au relevé du terrain avec ses cotes et caractéristiques.

 Ethnographie et histoire empiriques : j’ai largement exploré cette problématique sur mon blog, et noté qu’au moins dans l’ensemble de l’Afrique tropicale de civilisation orale, l’histoire était entre les mains des « griots », hommes et femmes de mémoire, remarquables parleurs, membres éminents des cours ou entourages de rois, de chef de tribus ou de villages : certains ou certaines furent célèbres.

Il est évident que leurs récits constituaient une version parallèle de nos « romans nationaux »

« Aujourd’hui, les ethnologues africanistes reprochent aux administrateurs coloniaux, qui étaient souvent des militaires, d’avoir inventé des ethnies ou de les voir considérées comme très anciennes »

Oral et écrit, les traditions, les lettrés, la mise au point ethnies, les dilalectes

Je propose au lecteur de se reporter à ce sujet à l’analyse de mon blog du 20/03/2013.

« Le rôle des soldats de métier indigènes et des porteurs » (p,347)

« Les conquêtes en Afrique noire ont été menées en lançant des colonnes depuis les côtes vers l’intérieur. Le terme classique de colonne, dans le domaine militaire, désignait en Afrique de très longues files de soldats indigènes encadrés par un petit nombre d’officiers blancs (ne serait-ce que par leur vêtement)  suivis par des files bien plus longues encore de porteurs, car à l’époque il n’y avait guère de route mais des pistes et des sentiers, et parce qu’il n’y avait  pas de chariots, car en Afrique, on ignorait la roue et les animaux de bât étaient plus rares et coûteux à acheter que les hommes à peine sortis de l’esclavage. (p,347)

« …Les maladies, notamment la terrible fièvre jaune (1), ont infecté les colonnes de soldats indigènes presqu’autant que leurs officiers ((bien qu’ils dorment sur les fameux lits Picot à l’abri de leurs moustiquaires). Les médecins coloniaux feront faire de très grands progrès à la médecine.

Les soldats indigènes – dans le cas français les fameux « tirailleurs sénégalais (qui seront bientôt des Mossis) – ont formé l’essentiel des forces qui, sous des commandements européens différents, ont mené la conquête des pays d’Afrique. C’étaient des soldats de métier engagés pour quelques années. Les Anglais, les Allemands, les Portugais et les Belges agirent plus ou moins de même. » (p,348)

Commentaire : (1) plus la fièvre bilieuse

Les « colonnes » ? J’ai expliqué dans une de mes chroniques que la « colonne » constituait un instrument de progression et de protection militaire conçu comme celui d’un vaisseau de guerre, alors que les colonies dépendaient encore d’un ministère de la Marine et des Colonies.

Nous reviendrons sur le sujet important des « tirailleurs », car ils jouèrent un rôle très important dans la phase des conquêtes, puis de la colonisation avec leur rôle majeur de « truchement » linguistique et culturel entre hommes de culture différentes, puis dans celle de la décolonisation violente ou pacifique en Indochine et en Afrique, avec ou contre nous en Indochine ou en Algérie.

Dans mes analyses des sociétés coloniales, j’ai longuement traité le thème du « truchement », sans lequel la colonisation n’aurait pu exister, de même et comme l’indiquait Brunschwig, que « sans télégraphe, pas de conquêtes coloniales ».

« Madagascar, un cas géopolitique très particulier. (p,349)

« … Mais surtout, Madagascar présente une originalité géopolitique majeure : lorsque la « Grande Ile » commence à subir au XIXème siècle la pression du colonialisme, il existe déjà un Etat aux allures de monarchie occidentale une large partie de sa population est christianisée et une langue autochtone commune à large diffusion, le malgache, presqu’une langue nationale, existe. Tout cela est d’autant plus étonnant que là vivent, comme en Afrique, des peuples différents.

Un peuplement qui n’est pas africain… Au XVIIème siècle, des Français créèrent quelques comptoirs pour y acheter des esclaves destinés aux plantations des îles que l’on appelait depuis le XIXème siècle Maurice et la Réunion – jadis île de France et île Bourbon – et qui furent longtemps désertes. Mais les Anglais étaient aussi déjà là, ainsi que leurs missionnaires anglicans. » p,350)

Questions : il aurait été intéressant de citer d’autres facteurs géopolitiques importants, en plus des deux caractères insulaire et étatique, le facteur d’escale pour la Marine sur la route des Indes et de l’Asie, avec sa dimension internationale, et peut-être le rôle majeur du groupe de pression des planteurs de la Réunion.

La première intervention armée en 1883 fut décidée par l’éphémère ministre de la Marine et des Colonies de Mahy, originaire de la Réunion (pendant quinze jours).

De nos jours, Françoise Vergès, la politologue bien connue pour ses analyses de propagande postcoloniale n’a-t-elle pas des ascendants réunionnais de la période considérée ?

« Les Anglais, pour lutter contre la traite, ont favorisé le renforcement et la modernisation de l’Etat malgache » (p,351)

« Les Anglais laissent Madagascar aux Français » (p,352)

Commentaire : Madagascar contre Zanzibar, ne sommes-nous pas dans une situation géopolitique très différente de celle des colonnes, dans une autre dimension internationale de la géopolitique coloniale, comparable à celle de Méditerranée (Afrique du Nord avec le cas très documenté du Maroc ou de l’Egypte) ?

« Madagascar encore très différent de l’Afrique noire » (p,353)

Commentaire :  1) l’auteur donne une explication sur l’esclavage qui aurait été supprimé au début du XIXème siècle : mais alors pourquoi Gallieni l’aurait-il supprimé en 1896 ?

2) l’auteur écrit en ce qui concerne la révolte de 1947, non évoquée dans la partie  « Les luttes pour l’indépendance » : « A Madagascar, à cause du christianisme, les communistes étaient beaucoup moins nombreux qu’au Vietnam et le soulèvement malgache fut vite étouffé. »

La lecture qui est proposée pour cet épisode historique serait-elle fondée ? Comparer par ailleurs le Vietnam et Madagascar, n’est-ce pas trop défier la compréhension comparative que l’on peut avoir de la géopolitique ? Méconnaître l’histoire de ces pays ?

« Mais, fait assez difficile à expliquer, l’émigration post-coloniale des Malgaches a été relativement faible. Est-ce seulement l’effet de la distance ? » (p,354)

Commentaire :  « la distance » n’a pas été un « effet de la distance » pour tous : une partie de l’intelligentsia formée en France y est restée  pour bénéficier d’un niveau de vie européen. Cette remarque vaut d’ailleurs pour beaucoup d’anciens pays coloniaux qui ont vu et qui voient leurs nouvelles élites déserter leur pays pour le même type de raison.

« Le Sénégal et la géopolitique de Faidherbe » (p,354)

D’entrée de jeu, au-delà du cas Faidherbe, ne s’agirait-il pas d’un cas de géopolitique sans doute exceptionnel, à la confluence de nombreux facteurs, le principal peut-être étant celui d’un point de départ stratégique presque naturel pour la conquête de l’hinterland, les bouches du fleuve Sénégal..

Je ne me lancerai pas dans l’analyse détaillée de ce cas très particulier de géopolitique africaine qui s’est articulé sur quelques facteurs géopolitiques clés, la capitalisme maritime de Bordeaux, le rôle majeur de Faidherbe, fort bien décrit, le rôle majeur de la géographie avec la voie d’accès saisonnière du fleuve Sénégal vers les territoires de conquêtes quasi-impossible au début des conquêtes (Haut Sénégal, Soudan, le bassin du Niger), et pour faire bonne mesure, la présence d’un islam modéré par de grandes confréries (notamment la Mouride) alors que cette région fut le théâtre de plusieurs djihads, notamment ceux d’El Hadj Omar Tall, et Ahmadou, menés par des peuples Peuhl, ici les Toucouleurs.

Il convient de citer au moins d’autres particularités de la période coloniale, l’exception des quatre communes de plein exercice, au début du XXème siècle comme en métropole, la participation très  active du Sénégal dans la guerre de 1914-1818, enfin l’élection comme député d’un chrétien, Léopold Senghor, après 1945, dans un territoire musulman.

N’oublions pas par ailleurs que son potentiel économique était plutôt limité, avec la gomme et l’arachide, et qu’il n’avait rien à voir avec celui de la Gold Coast (Ghana) et de la Nigéria, ou plus tard de la Guinée et Côte d’Ivoire.

Enfin, et compte tenu de l’ensemble de ces facteurs de la période coloniale, il n’est pas tout à fait surprenant que selon le classement que fit Hampaté Bâ, entre les différentes catégories d’Africains, les Africains de l’hinterland considéraient les Sénégalais comme des demi-blancs.

Jean Pierre Renaud     Tous droits réservés

 

 

 

 

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21 septembre 2020 1 21 /09 /septembre /2020 14:39

Chapitre 7 (p,328 à 373)

Les conquêtes en Afrique noire à la fin du XIXème  siècle

(page 328-372, soit 56 pages)

Avant-propos

            Au cours de mes six années d’études, j’avais acquis une certaine culture historique dans le domaine colonial : j’avais bénéficié à l’ENFOM des enseignements du grand historien colonial Henri Brunschwig qui nous avait mis en garde contre les « mythes », et d’une palette de professeurs et de spécialistes très compétents, et non des « frères prêcheurs ».

            Je suis revenu à l’étude de ce domaine négligé en prenant connaissance de toute une littérature politique, culturelle, historique, ou médiatique qui développait avec un certain succès, semble-t-il, des thèses pseudo-historiques qui méconnaissaient à la fois notre histoire et celle des anciens « territoires » coloniaux. Je reprends ce mot cher à l’auteur aux yeux duquel est géopolitique tout ce qui est lutte de « pouvoir » sur un « territoire ».

            La lecture des pages consacrées aux conquêtes en Afrique noire à la fin du XXème siècle devrait nous éclairer sur l’existence du triptyque géopolitique proposé par l’auteur, représentations, pouvoir, territoire.

            A titre personnel, j’ai tenté de comprendre le pourquoi, le comment, et qui dans la chaine de pouvoir, engageait notre pays dans ces aventures motivées par les motifs, les raisons, ou les illusions les plus variés.

            Ne s’agirait-il pas d’une recherche de type géopolitique à classer dans une des trois catégories de l’auteur? Tenter d’aller au cœur des «pouvoirs » qui décidaient ou ne décidaient pas de conquérir un « territoire » sous le sceau de la fameuse phrase du ministre Lebon : « les événements ont marché », souvent d’ailleurs parce qu’il ne pouvait en être autrement, par ignorance, en raison de l’impossibilité de dire oui ou non, compte tenu de l’absence ou de la grande difficulté qu’il y avait à communiquer entre un « pouvoir » et un exécutant, ou souvent dans l’engrenage d’un acteur de terrain, aventurier ou pas, comme ce fut le cas en Indochine avec le rôle majeur du commerçant Dupuis, ou d’un chef de guerre comme le colonel Archinard au Soudan.

            L’une de mes conclusions principales était souvent celle du « fait accompli », en l’absence d’un pouvoir capable d’initier, de contrôler,  et de rectifier une trajectoire de « pouvoir » sur un « territoire ».

            Quelques exemples de ces situations historiques : jusqu’en 1885, et sans évoquer l’absence de communications avec l’hinterland  du Haut Sénégal et du Niger, le gouverneur du Sénégal correspondait avec Paris, en envoyant un aviso de Saint Louis à l’île de San Thomé pour faire passer un message en utilisant un câble anglais qui reliait l’île au Portugal.

 A Madagascar, ce ne fut qu’en 1895, qu’un câble relia Majunga au Mozambique pour communiquer par le réseau du câble anglais. En 1884, en Indochine, les communications gouvernementales faisaient appel au câble anglais de Singapour vers Aden ou de Hong Kong par la Sibérie, des avisos de la Marine étant chargés du premier trajet.

C’est dire que les processus de décision étaient à la fois longs, périlleux, et souvent sous contrôle technique des réseaux anglais.

            Le résultat de ces recherches historiques a été publié dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large »

Le titre est tiré de plusieurs sources : le livre de Roland Dorgelès sur la conquête de l’Indochine, avec son propos sur « le vent des mots » prêté aux Moïs sur le télégraphe, « le vent des maux », tiré du récit des souffrances endurées par les explorateurs, souvent géographes, les officiers, les administrateurs, les médecins…, dont la durée de vie était courte, compte tenu des épidémies, encore non jugulées qui ravageaient ces territoires…

            En 1895, l’expédition de Madagascar, baptisée de « criminelle » fut un désastre humain, causé par les fièvres, une des deux protections naturelles du Royaume Hova, sur des plateaux alors inaccessibles.

            Enfin, pourquoi « le vent du large » ? Parce qu’à mes yeux, et compte tenu des bilans proposés, je concluais que le seul bénéfice procuré à la France me semblait être de l’avoir ouverte sur le grand large.

            Ces précisions éclaireront la lecture critique proposée, fondée sur la lecture et l’analyse de très nombreuses sources, avec l’objectif affiché de déterminer et de savoir quel « pouvoir » décidait,  ou ne décidait pas...

&

            L’auteur aborde son sujet en rappelant : « La conquête de l’Afrique tropicale au XIX°siècle se situe dans la période que certains historiens de l’économie et des théoriciens plus ou moins marxistes appellent l’impérialisme… » (page 328)

            « L’impérialisme, nouvelle étape du développement du capitalisme (p,329)

            Appréciation d’un spécialiste ?

            « Telle est la vulgate marxiste, pour laquelle le développement du capitalisme est la cause fondamentale de l’expansion coloniale et des rivalités guerrières entre les Etats. » (p,329)

            « Des impérialismes européens assez différents.

            « L’impérialisme britannique, qui est à l’époque le plus puissant, s’appuie sur de grandes banques qui ont chacune un service d’informations économiques et géopolitiques (relié à des banques d’acceptation qui ont un réseau mondial d’informations pour fixer le niveau des taux des investissements qu’elles assurent en fonction des risques géopolitiques).» (p,330)

            Commentaire : - à cette époque, seule la Banque d’Indochine pouvait jouer ce rôle dans les colonies françaises. (voir le livre de Marc Meulan « Histoire de la Banque d’Indochine » 1990)

  • en ce qui concerne l’impérialisme financier français, il fut très modeste, notamment en Afrique noire, le pouvoir politique étant à l’origine de la création de banques d’Etat, créatrices d’une monnaie et relais du Trésor : son potentiel économique n’avait rien à voir avec celui de l’Afrique noire anglaise. (voir les travaux de Jacques Marseille, notamment le livre « Empire colonial et capitalisme français : histoire d’un divorce » (1984)
  • le lecteur pourra utilement lire un ouvrage collectif et très documenté sur les réussites modestes de l’impérialisme français : « L’esprit économique impérial » (1830-1970) - Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire » Hubert Bonin- Catherine Holdeir – Jean-François Klein

L’auteur note « Le contraste géopolitique entre les colonies au nord et au sud du Sahara » (p,331)

« La question de l’esclavage » (p,333)

Il s’agit d’une des analyses les plus intéressantes de l’ouvrage, parce qu’elle sort des tabous, des non-dits, des fausses vérités qui alimentent la propagande post-coloniale. L’association les Indigènes de la République n’a-t-elle pas choisi pour un de ses emblèmes l’esclavage ?

Une seule question : s’agit-il, compte tenu des longs développements de l’auteur sur ce sujet sensible, d’ajouter ce facteur clé au triptyque de facteurs « représentations- pouvoir – territoire » ?

« Les temps très longs de l’esclavage en Afrique » (p,335)

« Le terme et la notion d’esclave ont eu durant des siècles et dans le monde entier deux significations complexes et contrastées : les esclaves-marchandises, producteurs ou domestiques (dont l’achat coûte relativement cher dans bien des cas) et les esclaves-guerriers appartenant à un appareil d’Etat ou à un chef de guerre et en principe exclus de l’exercice symbolique du pouvoir. Selon Claude Maillassoux (Anthropologie de l’esclavage, 1986), ces deux aspects ont existé durant des siècles en Afrique comme ailleurs, et ils fonctionnaient l’un par rapport à l’autre, car dans bien des cas c’étaient des esclaves-guerriers qui capturaient les esclaves-marchandises. » (p,337)

L’auteur cite ensuite en référence « L’Histoire générale de l’Afrique » publiée par l’Unesco en huit volumes (1974-1986), laquelle accorde une grande importance à l’esclavage (Tome III du 7ème au 11ème siècle), en proposant une comparaison entre les œuvres artistiques du royaume d’Ife en Nigéria avec celles de la Grèce classique.

 « Ce n’est pas parce qu’on voit dans l’esclavage la base essentielle du système économique et social d’Ife qu’il faut décrier celui-ci. L’institution de l’esclavage fournissait l’assise de productions artistiques de la Grèce classique et nous ne les admirons pas moins ». (p,336)

« Le développement des économies de plantation en Amérique tropicale entraine un énorme accroissement du commerce esclavagiste en Afrique. (p,337)

« La traite des esclaves a existé depuis les VIIème –VIIIème  siècles vers les pays du Maghreb à travers le Sahara (avec relais dans les oasis), vers l’Egypte par la vallée du Nil et vers l’Arabie et le Golfe Persique depuis les côtes de l’Afrique orientale, à travers l’Océan Indien… A cette traite que les historiens appellent orientale s’ajoute à partir du XVI° siècle la traite occidentale par l’Océan Atlantique pour les besoins en main d’œuvre des Européens en Amérique où la population indigène a disparu sous l’effet des épidémies. » (p,337)

Le sens de la phrase que j’ai soulignée mériterait sans doute d’être explicitée.

 L’auteur fait référence au travail remarquable de l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau dans « Les Traites négrières », (2004) que la propagande post-coloniale a voué aux gémonies, pour avoir décrit la vérité.

L’auteur n’a pas évoqué l’absence de l’esclavage en métropole, tout au long des siècles, avec une phase coloniale aux Antilles, qui fut relativement courte, comparée, aux autres nations.

En ce qui concerne les travaux fort intéressants de l’Unesco, je les ai moi-même exploités, et leur tonalité historique faisait la part des choses, entre le blanc et le noir, dans les mêmes conditions qu’Hampâté Bâ dans ses livres.

« L’organisation par les souverains africains des chasses aux esclaves (p,338)

            « L’analyse des livres de comptes des compagnies montrerait que très peu d’esclaves (selon O.Pétré-Grenouilleau) auraient été capturés par des négriers européens. » (p,338)

            Commentaire : Il ne faut pas beaucoup de temps aux chercheurs qui consultent les récits des explorateurs ou des officiers des troupes coloniales pour croiser sur leur chemin, à la fin du XIXème siècle, des caravanes d’esclaves, ou découvrir les marchés d’esclaves du Bassin du Niger, avec le tarif en cauris des « marchandises » classées par ordre de prix sur le marché.

            « L’Angleterre interdit soudain la traite » (p,340)

            « En 1807, en pleines guerres napoléoniennes (l’empereur des Français vient d’écraser la Prusse, et de décréter contre l’Angleterre le Blocus continental), le Premier ministre William Pitt promulgue un décret qui interdit à tout sujet britannique d’acheter ou de vendre des esclaves…. Après la défaite de Napoléon, les dirigeants britanniques imposèrent au Congrès de Vienne l’interdiction de la traite…. »

            « L’interdiction d’exporter des esclaves eut d’importantes conséquences géopolitiques. (p,342)

            « La plupart des discours et livres anticolonialistes passent sous silence l’interdiction faite par les Anglais de la traite ou la considèrent comme un simulacre sans grande conséquence, une simple hypocrisie. On soutint souvent que le travail forcé dans les colonies européennes d’Afrique sera l’équivalent de l’esclavage. Sur le plan humanitaire, la différence ne fut pas très grande, mais elle fut considérable du point de vue géopolitique : alors que durant trois siècles le système de « production » des esclaves, (leur capture et leur exportation) avait fonctionné sous la direction des souverains africains en relation d’affaires avec les négriers européens, l’interdiction de la traite à partir du XIXème siècle entrainera rapidement la conquête coloniale et le partage de l’Afrique entre puissances européennes et l’établissement par la force de l’autorité des Blancs sur les Noirs…. » (p,342)

            Question :  la chaine causale des conquêtes proposée, l’enchainement décrit est à l’évidence par trop synthétique, mais il pose la question du rôle de l’esclavage dans le processus des conquêtes coloniales.

Facteur géopolitique majeur, avec la désagrégation des tribus, l’entrée en scène parallèle de nouvelles technologies de pouvoir et de communications entre les côtes et l’hinterland ?

En 1895, et à l’occasion des travaux de délimitation des frontières entre le Dahomey et la Nigéria et des nombreux contacts noués avec confiance avec les petits roitelets de l’hinterland, le commandant Toutée rapportait  les jugements péjoratifs qu’ils portaient sur les populations côtières gagnées par les licences de  la modernité. Les mêmes interlocuteurs étaient reconnaissants à la France de les avoir débarrassés des rafles d’esclaves commandées par le roi Béhanzin. (« Du Dahomé au Sahara » A.Colin-1899)

Les facteurs de désagrégation des tribus méritent effectivement un examen, car ils ont été nombreux, mais pas uniquement liés à l’esclavage.

En Afrique du Sud, encore pays d’apartheid en 1950, Alan Paton était bien placé pour décrire les dégâts causés par l’industrie minière et la concentration des mineurs dans des bidonvilles dans un roman superbe intitulé « Pleure, ô Pays bien aimé ».

Dans sa préface, il écrivait :

« … Mais l’industrialisation ne fut pas la seule cause de destruction des tribus. L’homme blanc n’apportait pas seulement des villes et des usines, mais aussi des alcools nouveaux, la lecture et l’écriture, des marchandises séduisantes, des fusils, des maladies inconnues et les idées et l’idéal chrétiens. L’élément le plus destructif pour les Noirs fut la constatation plus ou moins consciente, que le système des tribus était désormais un instrument  entre les mains des Blancs et non plus l’élément vital du peuple africain, fait de guerre, de tambours, de plaisir, de chasse, de danse et d’amour ; d’esprits et de présages ; de piété filiale et de graves discussions… »

N’en fut-il pas de même dans l’ancien Congo Belge ?

L’auteur poursuit son analyse avec l’exemple des quatre guerres menées par les Anglais contre le Royaume esclavagiste des Ashanti en Gold Coast (Ghana) à la fin du siècle (1806-1874) et poursuit :

            «…Tout cela contribua à ce que les milieux intellectuels et poltiques européens parlent de plus en plus de la « mission civilisatrice » de l’Europe, de la France ou du « fardeau de l’homme blanc », tiré du célèbre poème de Rudyard Kipling (1899). On peut dénoncer ce mélange de bons sentiments et de géopolitique, mais il se trouvait déjà dans les discours des « abolitionnistes » qui avaient lutté pour la fin de l’esclavage et qui servaient aussi à une sorte de règlement de comptes entre le gouvernement britannique et les Etats-Unis.

            L’instauration du travail forcé par les administrations coloniales dans la plupart des pays d’Afrique noire, bien qu’elle ait entraîné de nombreux abus et de graves conséquences sanitaires, n’eut absolument pas les conséquences géopolitiques qu’avait eues la chasse aux esclaves. » (p,344)

            Commentaire : il est exact que l’esclavage fut un facteur de destruction et de structuration sociale majeure et collective en Afrique noire, mais il était en même temps une des données constitutives des mœurs de la plupart de ses peuples, quasiment une sorte de trait de vie collective.

            Certains courants de pensée tentent de balancer la calamité de l’esclavage par celle du travail forcé, alors que la France interdit très rapidement l’esclavage en Afrique noire : il est exact que le travail forcé fut une source d’abus graves, notamment lorsqu’il était destiné à fournir de la main d’œuvre aux colons. Dans de nombreux cas de figure, il s’inscrivait dans l’héritage des « corvées », qui persistaient sous la Troisième République. Il s’agissait de suppléer à la somme des carences qui affectaient les premiers équipements collectifs de base.

            A Madagascar, l’abolition de l’esclavage, en 1896, fut une des premières décisions que prit le général Gallieni, laquelle déstabilisa complètement le système de travail local.

         Jean Pierre Renaud      Tous droits réservés

           

 

 

 

 

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20 septembre 2020 7 20 /09 /septembre /2020 15:54

Comme annoncé ces dernières semaines :

dans la rubrique « Les Raisins Verts »

Lecture critique : suite et fin

&

« La Question post-coloniale »

Yves Lacoste

Troisième Partie

Les conquêtes coloniales

(page 217 à 398)

 Chapitre 5 et 6

(page 217 à 262 = 45 pages)

« Pourquoi et comment furent d’abord conquis les deux plus grands empires ? »

&

Question préliminaire : il n’y aurait pas eu d’Empires auparavant ? Ni dominations ?

            L’auteur analyse dans ce chapitre deux empires, ceux d’Amérique Centrale et des Indes.

            « La conquête de l’Amérique ouvre l’ère planétaire du colonialisme » (p,219)

            « A la différence des empires en continuité territoriale, les empires d’outre-mer sont plus récents et sont essentiellement le fait d’Européens puisque l’Empire chinois a renoncé à son expansion navale et que l’impérialisme japonais est extrêmement tardif. Les empires d’outre-mer résultent de la projection, au delà de très vastes océans, de forces qui ne pouvaient être très nombreuses à embarquer sur des navires à voile… » (p,219)

            Questions :

            « …ouvre l’ère planétaire du colonialisme » ?

Il aurait été intéressant que l’auteur explique pourquoi le colonialisme est distinct de l’impérialisme, alors que les deux concepts paraissent avoir la même racine, la domination, d’autant plus que, sauf erreur, le terme colonialisme est un terme anachronique ?

La distinction entre empires en continuité territoriale ou non aurait méritée d’être étoffée, car elle constitue un des traits majeurs de la géopolitique impériale de l’époque considérée et des suivantes avec l’explosion des nouvelles technologies de la Renaissance puis des XVIIIème et XIXème siècles.

La même distinction vaut toujours de nos jours qu’il s’agisse de l’Afrique, de l’Asie ou du continent européen.

            Page 221 : « … l’Afghanistan, qui eut le « privilège » d’être le seul Etat hors d’Europe à ne pas avoir connu une quelconque domination coloniale »

            « Etat » : Etat ou tribus ? Avec le même type de problématique que dans la montagne berbère ?

  • La raison principale ne serait-elle pas en effet, celle cumulée de la géographie et de la culture avec des massifs infranchissables où se sont enracinées de puissantes tribus qui existent toujours.

L’auteur n’a-t-il pas mis le facteur géopolitique majeur de sa démonstration les « tribus » en lumière ailleurs, notamment en Algérie ?

  • A la page 267, en effet, dans son analyse de la conquête de l’Algérie, l’auteur écrit : « Les caractéristiques politiques de l’Algérie sont comparables à celles d’Afghanistan d’alors », sauf que ce dernier « territoire » n’était pas géographiquement bordé par des les côtes de la Mare Nostrum, et à cette époque, avec la présence d’un Empire Ottoman encore puissant.

            Page 222 « Comportement intrinsèque de l’Occident ou la suite des croisades

            « Le discours philosophique post-colonial, notamment des postcolonial studies, prend argument de ces cinq siècles de conquêtes – auxquels on ajoute pour faire bonne meure les croisades, l’Empire romain et celui d’Alexandre le Grand (ce qui implique les Grecs) – pour affirmer que le colonialisme est intrinsèque à un Occident fondamentalement impérialiste, avant même que son hégémonie s’étende sur l’ensemble  d’un monde plus vaste qu’il ne l’imagina longtemps. » (p,222)

            Commentaire : l’expression de « comportement intrinsèque de l’Occident » est-elle intelligible? 

            « Les géographes, Henri le Navigateur et la vuelta dans l’Atlantique » (la boucle) (p,224)

            La géopolitique des « Grandes Découvertes » ?

            L’ensemble des pages (p,226 à 242) qui suit est intéressant, en regrettant toutefois qu’on n’en raccorde pas les caractéristiques géopolitiques avec celles d’Asie ou d’Afrique, en vue d’éclairer les conquêtes ultérieures.

            « La pénétration très progressive de l’Inde » (p,242)

            «  La conquête britannique du Bengale » (p,252)

            Commentaire ;  un seul, pour avoir beaucoup analysé les deux empires anglais et français, et avoir publié mes réflexions sur le blog – très consultées depuis 2016 -  , je dirai simplement qu’Anglais et Français ne jouaient pas dans la même division, comme au foot (d’origine anglaise) : comment comparer l’Indochine, la colonie, le « joyau » d’après Lyautey, à l’Empire des Indes,  l’Inde des « nababs », des « cavernes d’Ali Baba », avec ses flottes et ses lignes de chemin de fer antérieures à 1900, avec l’Afrique de l’Ouest à la même date ? 

            Puis-je donner l’exemple du rail indien ? En 1880, le pays disposait déjà d’un réseau de 14 500 kilomètres de long ? Alors que l’Afrique occidentale noire était encore dans les limbes d’une modernité contestable ou contestée !

            Et pour le reste de l’empire anglais, doté de territoires riches ou à peupler, avec ceux, maigrichons de l’empire français ?

            « … On peut considérer que cette expérience de l’établissement progressif de la domination britannique en Inde, avec le concours intéressé de la classe dirigeante autochtone, est à l’origine des méthodes dites de colonisation indirecte que les Britanniques – en l’occurrence les employés des compagnies de commerce comme l’East India Company – mettront en œuvre dans les pays africains dont ils feront la conquête au XIXème siècle… » (p,260)

            Au contraire, dans la plupart des pays africains soumis par l’armée française au XIXème siècle (avec le soutien des missionnaires catholiques qui enseignaient en français), ce sont les méthodes de la colonisation directe qui furent la plupart du temps mises en œuvre après la conquête de l’Algérie. Cependant, au début du XXème siècle, des méthodes plus ou moins proches de celle de la colonisation indirecte furent mises en œuvre par les autorités françaises dans les pays sous protectorat (Tunisie, Maroc).Leur conquête fut beaucoup plus rapide moins difficile que celle de l’Algérie. » (p,261)

            Commentaire : une interprétation comparative par trop caricaturale des deux systèmes coloniaux et du colonialisme anglais, comme le lecteur pourra le constater en consultant les analyses comparatives publiées en 2016, et toujours très consultées.

            De façon géopolitique et schématique, et pour rester sur les « territoires » de l’Afrique de l’Ouest, je proposerais – culture britannique du tout business (côtes riches et abordables), contre rêves de grandeur et laisser faire par des gouvernements francs-maçons ignorants -  présence de royaumes puissants,  Ashanti ou Bénin vers la côte, et Emirats également puissants au nord, au lieu de la myriade de royaumes, de tribus et de chefferies au-delà des côtes visées par les troupes coloniales françaises (indigènes pour au moins 90% de leurs effectifs).

            Convient-il de préciser qu’il n’y avait pas beaucoup de missionnaires catholiques qui parcouraient les pistes de la brousse au XIXème siècle…

            Enfin, question impertinente ! Dans quelle science humaine sommes-nous, l’histoire ou la géopolitique ?

      Jean Pierre Renaud     Tous droits réservés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 6

La très longue et très difficile conquête de l’Algérie

(pages 262 à 327 = 65 pages)

Soit 35% des pages consacrées aux conquêtes coloniales

            Incontestablement, un pays cher au cœur d’Yves Lacoste, avec un faible pour les Kabyles ! Peuple effectivement très intéressant d’après mon expérience d’officier SAS en Petite Kabylie.

            L’histoire de l’Algérie n’a jamais été ma spécialité, même s’il m’est arrivé à plusieurs reprises de me plonger dans la lecture de quelques ouvrages de témoignages ou d’histoires pour comprendre les raisons, sinon l’engrenage d’une conquête violente et meurtrière, de la révolte kabyle des années 1871, de la période 1940-1945 avec le rôle d’Alger, en prolongement des conflits politiques graves qui divisaient le pays, entre les deux camps gaulliste et pétainiste.

            Plusieurs événements avaient marqué  ma mémoire, le rôle des troupes venues d’Afrique du Nord, dans la libération de mon pays natal, Françaises, Algériennes, et Marocaines, le refus par les Français d’Algérie de toute évolution politique nécessaire et inévitable dans ce territoire, le livre « La Peste » de Camus, un de mes auteurs préférés de jeunesse…

            Une anecdote historique et familiale, le souvenir d’avoir rencontré, en 1945, à la table familiale un beau et grand tirailleur noir, un Sarah, d’après mes parents, le premier noir que je voyais de ma vie.

            J’avais toujours en tête la clé démographique de l’Algérie : au début du XXème siècle, la population européenne était composée en gros pour un tiers d’immigrés français pauvres et de proscrits (Révolution 1848, Commune, Alsace Lorraine), pour un tiers d’immigrés italiens pauvres, et pour un tiers d’immigrés espagnols pauvres, avec quelques noyaux de population juive dans les ports.

            Afin de situer ma perception, pour ne pas dire mon jugement sur la période des conquêtes coloniales, après voir effectué de très nombreuses recherches historiques sur le qui faisait quoi dans le processus de décision politique d’un conquête, pour autant qu’il puisse être effectif dans le contexte des communications de l’époque (voir le livre avec toutes ses références, « Le Vent des Mots, le Vent des Maux, le Vent du Large » qui va être publié en numérique), je me suis posé de multiples fois la question en résumant ma réponse au refrain :

« Il ne fallait pas qu’il y aille, il ne fallait pas y aller ! »

Dans le cas de l’Algérie, il aurait mieux valu rester en Egypte, un des « territoires » que les Anglais ont subtilisé à la France (une des clés géopolitiques de Fachoda), dont l’intérêt stratégique, économique, et humain, était autrement éminent avec le canal de Suez, la route de l’Asie.

« La situation géopolitique en Méditerranée vers 1830 » (page 269)

L’auteur analyse la nature des révoltes successives, la guerre contre Abd el Kader, et le rôle des tribus, comme déjà signalé, dont l’importance existe encore de nos jours, dans les pays arabes.

Il s’agit sans doute d’un des facteurs qui a induit l’Occident en erreur dans son interprétation des « Printemps arabes », notamment les Anglais et les Français, lors de l‘intervention militaire contre Kadhafi.

« Le débarquement sans projet stratégique » (page 279)

« Napoléon III fait traduire et publier la grande œuvre d’Ibn Khaldoun » (page 307)

« … Elle était presque totalement ignorée au Maghreb et dans l’ensemble du monde arabe et ne fut découverte que grâce à la minutie des inventaires systématiques que les orientalistes français menèrent pendant des décennies dans les bibliothèques de Tunis, du Caire ou d’Istanbul.

Il est de bon ton aujourd’hui dans le courant des postcolonial studies, d’accuser les orientalistes d’avoir délibérément propagé une vision fallacieuse et mystificatrice de l’Orient. C’est la thèse que développe Edward Said dans son livre « L’Orientalisme » (1978). Les orientalistes du début du XIXème siècle qui ont découvert l’œuvre d’ibn Kaldoun en ont plus ou moins perçu l’intérêt « géopolitique », car il s’est beaucoup demandé pourquoi les grands empres maghrébins, notamment celui des Almoravides (XIème siècle) et celui des Almohades (XIIème siècle) s’étaient disloqués eux-mêmes sans attaque extérieure, (à la différence des empires du Moyen Orient, frappés par les invasions turco-mongoles). Ibn Kaldoun montre par de nombreux exemples que les royaumes maghrébins se sont disloqués pour des raisons internes, par  perte de cohésion de la tribu fondatrice, le déclin de son « esprit de corps –nous y reviendrons à propos du Maroc. » (page 308)

Commentaire : j’ai consacré beaucoup de temps à analyser les ouvrages savants d’Edward Said, afin d’évaluer la pertinence de la thèse qu’il défendait sur l’existence de « structures d’attitudes » en Occident, susceptibles d’animer et de perpétuer les courants orientalistes des siècles passés.

J’ai publié ces analyses critiques sur le blog : d’une part l’ouvrage « Culture et impérialisme » le 01/12/2011, et d’autre part l’ouvrage « L’orientalisme », le 20/10/2010.

Le concept était intéressant, mais il souffrait d’une carence de définition et d’évaluation quantitative, et ne semblait pas susceptible d’être qualifié de pertinent.

Cette critique pourrait sans doute être faite à l’endroit de la plupart des études publiées sur l’histoire coloniale, sur l’histoire post - coloniale, et encore plus sur les théories post-coloniales en vogue, l’absence d’évaluation quantitative des faits et des « représentations »

Cette carence était patente pour les ouvrages du groupe de propagande post-coloniale Blanchard and Co, ou pour « La guerre des mémoires » de l’historien Stora.

Au contraire des travaux d’analyse historique quantitative de Jacques Marseille pour l’ensemble de l’Empire et ceux de Daniel Lefeuvre pour l’Algérie qui s’inscrivaient dans la tradition exigeante des Annales.

Comme nous l’avons souligné, il est légitime de se poser le même type de question et de critique, relativement au concept de « représentations » proposé par l’auteur, avec l’absence de définition et d’évaluation de ce concept géopolitique.

Il est frappant de constater que depuis 1945, le pays ne manque pas de savoir faire pour procéder à des sondages ou à des enquêtes statistiques sérieuses : de nos jours, le citoyen est pilonné de sondages.

« La conquête rapide et précise de la Grande Kabylie » (p,309)

L’auteur raconte les différents épisodes de la conquête de la Kabylie en 1857, puis en 1871.

« La chute d Napoléon III et l’insurrection de 1871 » (p,313)

« Le projet de « royaume arabe » avait suscité la mauvaise humeur de la plupart des militaires et la fureur des colons, car il impliquait que les droits fonciers des indigènes soient reconnus et que l’on rende aux tribus les territoires qui leur avaient été confisqués sous divers prétextes. Durant le voyage de cinq semaines que Napoléon III fit en Algérie, Mac Mahon, gouverneur de l’Algérie, veilla à réduire les contacts avec les indigènes qui voulaient le rencontrer, sous prétexte qu’il y avait encore des insurrections. A son retour, l’empereur écrivit à Mac Mahon : « Ce pays est à la fois un royaume arabe, une colonie européenne et un camp français ». Mais il entendait freiner l’extension des Européens, pour préserver les droits des Arabes.

Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire et à ce que l’on prétend parfois aujourd’hui, les rapports entre les colons et les militaires étaient extrêmement mauvais. Sans ces derniers, les Arabes n’auraient pourtant pas été vaincus et la colonisation n’aurait pu s’établir. Les officiers des « bureaux arabes » cherchaient à limiter l’extension des terres de colonisation pour garder leur contrôle sur les tribus sous leur surveillance. Les colons, dans leurs journaux, dénonçaient constamment ce qu’ils appelaient le « régime du sabre ».

La révolte des colons et la chute de l’Empire (p,314)

La nouvelle de l’effondrement du Second Empire en 1870 fut accueillie avec enthousiasme à Alger et fournit aux colons l’occasion de se débarrasser du pouvoir des militaires et surtout de celui des officiers des « bureaux arabes ». Ceux-ci furent pourchassés par les colons, non seulement à Alger, mais dans diverses villes. Parmi eux les déportés de l’été 1848 jouèrent un rôle important, célébrant la chute de l’empire et la proclamation de la République. Ils exigeaient que l’Algérie cesse d’être administrée comme une colonie. Ils entendaient surtout acquérir les terres des tribus que Napoléon avait placées sous sa protection.

Se disant républicains de gauche, mais surtout racistes et antisémites, ils furent mécontents du fameux « décret Crémieux » (24 octobre 1870) pris par la IIIème République qui décida que les Juifs d’Algérie étaient collectivement naturalisés français. L’agitation des Européens débouche au printemps sur la proclamation d’une « Commune d’Alger » qui, à la différence de celle de Paris, ne dura guère à la nouvelle des troubles qui éclataient dans diverses régions du pays. » (p, 315)

« Contradictions de la société coloniale sous la III° République (p,317)

« La répression de l’insurrection de Kabylie en 1871 marque la fin de la phase de conquête de l’Algérie par l’armée française. Ensuite, et jusqu’aux événements de Sétif de mai 1945, le maintien de l’ordre, qui est en fait l’ordre colonial, relève dans les villes de la police et à la campagne des opérations de gendarmerie ( ?) et de la surveillance des caïds nommés par les autorités. »

« La conquête par Elisée Reclus (p, 319)

« L’extension de la domination coloniale par le moyen d’accords avec les notables des tribus est beaucoup moins évoqué par les historiens et les contempteurs radicaux du colonialisme que l’acharnement des combats contre Abd el Kader. Cependant, Elisée Reclus, le grand géographe libertaire, accorde une importance majeure à ce genre d’accord. Il en fit grand cas dans la partie (500 pages) qu’il consacre à l’Algérie dans le Tome XI – Afrique septentrionale – de sa Géographie Universelle (1886). »

Autre constat dérangeant de ce « grand géographe libertaire » :

« La thèse que les indigènes en Algérie seraient en voie de disparition

« … récusant la thèse de Bodichon (médecin algérois), Reclus poursuit en 1886 : « Maintenant, personne ne répéterait plus ces paroles de haine, quoique de nombreuses injustices se commettent encore. (…)Si le refoulement des indigènes continue en maints endroits, la population mahométane s’accroit. » Certains pensent qu le tiers du peuplement de l’Algérie disparut dans les plaines cultivables, celles où put se développer la colonisation de peuplement. » (p,321)

« La conquête économique : l’essor de la viticulture, premier succès économique en Algérie » (p,322) :

Question : « premier succès » dans un pays musulman ?

« La reconstitution du vignoble en France fut une catastrophe pour les colons d’Algérie » (p,323)

« La prolétarisation des petits colons » (p, 324)

Question : est-ce que ce « premier succès » ne sonnait pas déjà le glas de la conquête de l’Algérie, où rapidement, la seule ressource fut alors celle de la main d’œuvre, c'est-à-dire l’émigration vers la France ? Alors sans le pétrole !

Le mieux est de renvoyer le lecteur vers le livre de Daniel Lefeuvre,   excellent historien de l’histoire économique de l’Algérie, et fondateur du site « Etudes Coloniales », « Chère Algérie : la France et sa colonie , 1930-1962 ».

« Quelle évolution démographique prévoyait-on pour la population indigène ? (p,326)

« Bien qu’Elisée Reclus  se soit élevé contre la thèse selon laquelle, dans la plupart des colonies, nombre de peuples indigènes étaient en voie d’extinction (elle ne s’appliquait évidemment pas à l’Inde ) le tableau qu’il fait en 1886 de l’évolution du peuplement arabe de l’Algérie n’est pas optimiste.

« … En fait, la lutte contre les grandes épidémies, d’abord pour protéger la population européenne, a eu pour effet de réduire les hécatombes qui frappaient périodiquement la population indigène. Celles-ci s’est peu à peu redressée avant de connaître au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’explosion qui se produisit dans la plupart des « pays sous-développés ». Cela explique dans une large mesure l’évolution politique de l’Algérie. » (p,327)

Commentaire ; 1) avec sans doute l’existence de la question post-coloniale algérienne que le pétrole du Sahara n’a pas réussi à faire disparaître !

2) Il aurait été intéressant et sans doute utile que l’analyse, avant tout historique cite un rapport que fit Tocqueville en 1847 sur la situation de l’Algérie.

3) Enfin, et pour revenir au cœur de la géopolitique, telle que définie par l’auteur, avec le triptyque – représentations – pouvoir – territoire - il aurait été non moins intéressant que l’analyse nous éclaire sur le rôle du « Pouvoir », le décideur ou les décideurs, le qui faisait quoi ?

Jean Pierre Renaud       Tous droits réservés

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10 septembre 2020 4 10 /09 /septembre /2020 14:53

Les Mots d’un Président ?

Ou appeler un chat un chat ?

« Le Kama Sutra de l’ensauvagement » ?

 

            Alors que la France vit dans l’ambiance d’une insécurité délétère pour tous, il est évident que l’expression qu’a choisie le Président pour caractériser la violence qui ponctue l’actualité est la mieux choisie, vraiment congrue, le qualificatif scientifique approprié : elle doit s’inscrire dans un nouveau Livre des Records de la parole politique inaudible, pour ne pas dire stupide.

            Le Kama Sutra est un livre que connaissent sans doute mieux les Libertins (par exemple les amis de Strauss-Khan) et les initiés à la culture indienne, que la grande majorité des Marcheurs ou des citoyens qui font encore confiance à Macron.

            Faites un sondage comme il en pleut chaque jour !

            Pourquoi ne pas demander au Président qu’il charge lesTêtes d’Oeuf de son Cabinet de décliner ce livre d’éducation sexuelle en livre d’éducation citoyenne et républicaine ? Un vrai défi !

            Le Président va-t-il demander à ses Marcheurs d’opter pour l’une des 100 positions de l’ouvrage ?

            Au jour d'aujourd’hui, la situation de la France mérite beaucoup mieux que la logorrhée quotidienne qui nous gouverne.

            Jean Pierre Renaud 

            Nihil obstat ! MCV exége

      PS : le chiffre 100 fait évidemment l'objet d'autres exégèses du sexe des anges et des sacs de noeuds.                         

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9 août 2020 7 09 /08 /août /2020 09:06

Arte 28 minutes vendredi 7 août

L’ensauvagement et la désinformation postcoloniale

Présentation : Jean François Pernin

Avec la participation de Sylvie Brunel et de Pascal Blanchard

            Depuis quelque temps le 28 minutes d’Arte avait amélioré la qualité de ses contenus, ce qui n’a pas été le cas le 7 août dernier.

            Curieuse idée d’inviter, il est vrai en pleine canicule, un des premiers de cordée de la désinformation postcoloniale, qui s’est approprié les Images coloniales d’un Colloque Savant de 1993, dont le contenu nourrit, depuis, à la fois le flux de ses activités associatives et privées et de ses publications.

   Une invitation tout à fait justifiée compte tenu du rôle que ce premier de cordée a joué pour semer un nouveau virus, et faire fructifier les graines d’une culture coloniale et impériale qui n’a jamais existé et qu’il n’a jamais mesurée, terreau de nos quartiers sensibles.

  L’un des fruits de ces semailles politiques et idéologiques d’un nouveau genre constitue précisément un tout-début d’« ensauvagement » commenté à l’occasion des 28 minutes du 7 août dernier.

    Heureusement, la France n’est pas encore entrée dans une nouvelle phase historique d’ensauvagement, telle que celle décrite par Ksawery Pruszynsnki !

    Stephane Courtois signe une Opinion dans le Figaro des 8 et 9 août (page 18), un texte où il résume le récit du grand journaliste polonais Ksawery Pruszynski sur la guerre civile espagnole « Espagne rouge. Scènes de la guerre civile, 1936-1937 ».

    « Dès son arrivée, Pruszynski écrit : « Cette fin septembre sent son printemps russe de 1917 ! Il est frappé par la violence omniprésente, le sadisme, la cruauté gratuite, la jouissance morbide à tuer qu’il résume d’un mot « ensauvagement »

    A lire cette citation, il est évident que le mot utilisé en 2020 est très loin de caractériser la situation de la société française, mais il a au moins le mérite de mettre l’accent sur un risque culturel, social et politique non négligeable.

     La théorie économique n’a-t-elle pas fait un sort à la loi de Gresham, la mauvaise monnaie chassant la bonne, sans doute familière à la géographe et économiste Sylvie Brunel ?

    Maigre consolation, celle de constater qu’en pleine canicule, les téléspectateurs ne risquaient pas d’être intoxiqués, ou "imprégnés" un des qualificatifs du collectif Blanchard, pas plus que les citoyens de la Troisième République risquaient de l’être avec la propagande coloniale anémique du régime nouvellement républicain !

Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

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22 juillet 2020 3 22 /07 /juillet /2020 11:26

« La question post-coloniale »

Publications Eté 2020

Annexe proposée le 21/7/2020

 

 

« Conclusions »

 

« Ah ! il fallait pas, il fallait pas qu’il y aille

Ah ! il ne fallait pas, il fallait pas y aller

Mais il a fallu, il a fallu qu’il y aille

Mais il a fallu, il a fallu y aller »

 

« Telle pourrait être la formule et le refrain les plus ramassées de mes réflexions sur la colonisation française !

Ainsi que le disait la chanson militaire bien troussée, intitulée « Le tambour miniature » !

 

1

 

            « Mon ambition était de tenter de retracer les premiers échanges entre blancs et noirs, les premiers regards croisés, et d’examiner toutes les questions qui allaient se poser, au moment où la France installa définitivement son pouvoir colonial, en tout cas certains de ses enfants le croyaient-ils, en Afrique de l’ouest, une entreprise hardie, et sans doute impossible.

            Il s’agissait pour moi de mieux comprendre le processus colonial de la première phase de la colonisation, celle des années 1890-1914, et je serais sans doute imprudent d’en conclure que tel a été le cas.

 

            J’ai tenté de répondre à une des questions qui me taraude depuis la période de mes études, le pourquoi des conquêtes coloniales, le pourquoi de ma première vocation, très courte, qui fut celle du service de la France d’Outre- Mer, et le pourquoi du large échec de la colonisation.

 

            Tout feu, tout flamme, à cette époque de ma jeunesse, le rêve d’un service au service des autres, les Africains, avait effectivement bercé mes études, alors que je n’avais pas eu le temps, ou pris le temps de me pencher sur l’histoire détaillée de nos conquêtes coloniales et sur la connaissance que nous avions du continent africain. J’en savais toutefois, déjà assez, pour ne me faire aucune illusion sur la pérennité de notre présence coloniale en Afrique, mais je croyais qu’il était encore possible de fonder une nouvelle communauté de destins entre la France et ses anciennes colonies, ce qui n’a pas été le cas, et en tout cas pas sous la forme caricaturale de la Françafrique. 

            S’il est vrai que la conquête coloniale de l’Afrique de l’ouest fut, par bien de ses aspects, et de ses exploits, une sorte de saga militaire qui vit souvent s’opposer de grands adversaires, les couples Gallieni-Ahmadou, puis Archinard-Ahmadou, puis Archinard-Samory, les premiers pas de la colonisation s’effectuèrent dans une paix civile relative, toute nouvelle, facilitée par la destruction des grands empires du bassin du Niger, celui d’Ahmadou, en pleine déliquescence, celui de Samory, en pleine puissance, et l’installation d’une nouvelle paix civile, celle de l’ordre public colonial.

 

            Quelles conclusions tirer de cette analyse ?

            Les temps courts de la colonie

            Les temps de la conquête et de la colonisation ont été des temps courts, une trentaine d’années au maximum, pour la conquête et l’installation du nouveau pouvoir colonial, 1880/1890 – 1910/1914, une vingtaine d’années pour la « belle » période coloniale, 1920/1940, et moins de vingt années après la fin de la deuxième guerre mondiale, 1945/1960, alors que l’AOF était déjà entrée dans un autre monde, qui n’était plus celui de la colonisation.

            Ajoutez à cela que deux guerres mondiales avaient interrompu ou perturbé gravement les processus coloniaux : après le retour des anciens tirailleurs de la guerre de 14-18, le Blanc n’était déjà plus l’homme « miracle », et après la défaite de la France, en 1940, les changements intervenus chez les maîtres du monde, la toute puissance des Etats-Unis, le cours de l’Afrique devait inévitablement prendre un cours nouveau.

 

            La colonisation française se développa donc dans un temps historique très court, une période « utile » de l’ordre de cinquante années, interrompue par les deux guerres mondiales, et débouchant sur un après 1945, un nouveau monde, celui du déclin de l’Europe, de la tout puissance des Etats-Unis, et rapidement de la guerre froide, d’une Quatrième République dont l’objectif N°1 était la reconstruction du pays.

 

            Il est indispensable d’avoir ces données temporelles à l’esprit quand on a l’ambition de vouloir apprécier les tenants et aboutissants de la colonisation française, sinon ses résultats, car elles sont historiquement capitales.

               Des yeux plus gros que le ventre, hier comme aujourd'hui, la "politique de grandeur" de la France.

              Les gouvernements de la Troisième République ne manquaient pas d’air pour se lancer dans de grandes expéditions coloniales en Afrique, en Asie, et à Madagascar,  alors qu’ils ignoraient tout, ou presque tout des peuples de ces nouvelles colonies, et qu’ils n’avaient jamais arrêté de politique coloniale.

            Il y a beaucoup d’anecdotes qui démontrent la grande ignorance que nos hommes politiques avaient du domaine colonial, et cela jusqu'à la décolonisation.

            C’est une des raisons, parmi d’autres qui me font répéter, que le peuple de France n’a jamais été concerné par les colonies, ou de façon marginale, lorsqu’il y eut de la gloire à glaner, celle que Montesquieu avait déjà mise en lumière comme une des caractéristiques de la psychologie des Français, ou inversement lorsqu’il fut nécessaire de lutter contre les révoltes violentes des peuples qui revendiquaient une indépendance tout à fait légitime.

            Dans le conflit indochinois, la Quatrième République se garda bien de mobiliser le contingent et fit appel aux éléments professionnels de son armée, décision qui marquait bien sa volonté de tenir le peuple à l’écart, et lorsque la même République envoya ses appelés en Algérie, mal lui en a pris, puisque la présence massive du contingent a plutôt été un facteur d’accélération de l’indépendance algérienne.

            Vous imaginez l’inconscience, la légèreté, la démesure, dont il fallait faire preuve, à la fin du dix-neuvième siècle, pour lancer la France dans de grandes expéditions militaires sur plusieurs continents, en Asie, à plus de dix mille kilomètres de la France, ou en Afrique, à quatre ou cinq mille kilomètres, même en tenant compte du saut technologique qui en donnait la possibilité théorique, la quinine, la vapeur, le câble, les armes à tir rapide, et le canal de Suez.

            La légèreté ou l’inconscience politique pour avoir l’ambition de conquérir des millions de kilomètres carrés sous n’importe quel climat, sans savoir par avance ce qu’on allait bien pouvoir en faire !

            Pour former ces expéditions, les gouvernements de la Troisième République se sont bien gardés de faire appel aux soldats de la conscription, mais déjà aux éléments professionnels de son armée, et surtout aux fameux tirailleurs sans le concours desquels aucune conquête n’aurait été possible.

            Le summum de cette folie fut l’expédition de Fachoda, en 1898, la France nourrissant l’ambition de contrer les Anglais dans la haute Egypte, alors que notre pays avait abandonné l’Egypte aux Anglais, quelques années auparavant, et que Kitchener remontait le Nil avec une armée moderne, des milliers d’hommes avec vapeurs, canons, et télégraphe. En face, une dizaine de Français, avec à leur tête le capitaine Marchand, pour y  planter notre drapeau, alors qu’il fallait faire des milliers de kilomètres dans une Afrique centrale encore à découvrir pour ravitailler la mission Marchand à Fachoda.

 

            Les premiers regards croisés

            Au cours de la première phase de contact entre les deux mondes, et hors période d’affrontement militaire, les premiers blancs, en tout cas ceux que nous avons cités, et qui nous ont fait partager leurs récits, leurs carnets d’expédition ou de voyage, n’ont pas porté un regard dépréciatif sur les sociétés africaines qu’ils découvraient, plutôt un regard d’étrangeté.

            Les lecteurs connaissent le débat qui a agité au dix-neuvième siècle le monde intellectuel et politique quant à la question des races et d’une supériorité supposée de la race blanche. Nous avons déjà évoqué le sujet, mais sans introduire le critère racial. Il est évident qu’un officier de marine français ou anglais, car les officiers de marine ont très souvent été les artisans des conquêtes coloniales, ne pouvait manquer d’éprouver un sentiment de puissance extraordinaire - tout devait leur sembler possible -  quand ils débarquaient sur les côtes africaines à partir de leurs monstres d’acier, car il faut avoir vu des images des parades des flottes militaires de l’époque, à Toulon, à Cherbourg, ou à Cronstadt, pour en avoir conscience.

 

            Pour faire appel à une comparaison anachronique, la perception des choses que pourrait avoir le commandant d’un paquebot de croisière, à l’ancre à Pointe à Pitre, une sorte d’immeuble de grande hauteur, en apercevant de son neuvième ou dixième étage, un piéton sur le quai.

            Dans un de ses romans, Amadou Hampâté Bâ, parlait des monstres d’acier, les vapeurs du Niger qu’il avait vu dans son enfance, mais qu’aurait-il pu dire alors s’il avait vu les autres grands monstres d’acier, avec leurs cheminées monstrueuses, qu’étaient les cuirassés ou les croiseurs des flottes anglaises, françaises, russes, ou japonaises.

            Tout a commencé à changer quand le système colonial à la française s’est mis en place, lorsque le colonisateur a voulu, pour des raisons de facilité et de simplicité évidentes, administrer les Noirs sur le même modèle, établir le nouvel ordre colonial en usant soit de la palabre, soit, et plus souvent de la violence, comme nous l’avons vu en Côte d’Ivoire.

            Du côté africain, nous avons tenté de proposer un aperçu des regards qu’ils pouvaient porter sur ces premiers blancs, avec le sentiment que les Africains trouvaient encore plus étranges ces blancs que les blancs ne pouvaient les trouver eux-mêmes étranges, sortes de créatures venues d’un autre monde, familières de leur propre monde imaginaire.

 

            Dans les apparences, un grand bouleversement des sociétés africaines en peu de temps, avec une grande immobilité au-dedans des mêmes sociétés africaines.

            Ce serait sans doute ma première remarque sur les changements intervenus dans cette région du monde, des changements qui furent souvent de vrais cataclysmes pour beaucoup de sociétés africaines repliées jusque-là sur elles-mêmes, souvent aux prises avec des voisins prédateurs, des sociétés qui vivaient d’une certaine façon en dehors du temps, dans leur propre temps, mais en même temps capables de se refermer sur elles-mêmes comme des huitres.

            Dans les pages qui précèdent le lecteur aura pris la mesure de l’écart considérable qui pouvait exister entre le fonctionnement de ces sociétés, le contenu de leurs cultures et croyances, et la société française de la même époque, un écart que seuls les bons connaisseurs du monde africain avaient pu mesurer tout au long de la période coloniale.

            Nous avons fait appel à des témoins compétents et non « colonialistes » dans le sens anachronique que certains leur prêtent, pour éclairer le lecteur sur les caractéristiques de cette société africaine, ou plutôt de ces sociétés africaines, tant elles étaient variées, des caractéristiques religieuses et culturelles qui compliquaient la tâche du colonisateur, pour ne pas dire, la rendait impossible.

            Un bouleversement immense, peut-être plus en surface, dans les organes politiques apparents, les circuits d’un commerce encore faible, qu’en profondeur, alors que le monde noir vivant restait souvent à l’abri, très résistant dans ses convictions magiques et religieuses.

            Les témoignages de Delafosse, Labouret, Delavignette, et Sœur Marie SaintAndré du Sacré Cœur illustrent bien cette situation paradoxale et marquaient bien les territoires de la pensée et des croyances africaines qui échappaient à la colonisation, et ils étaient fort nombreux.       

            Ces grands témoins étaient lucides, et comment ne pas citer à nouveau ce qu’écrivait Delafosse dans le livre « Broussard », paru en 1922, longtemps avant le temps des indépendances, quant à la possibilité qu’une bombe explose à Dakar, comme elle avait déjà explosé dans un café d’Hanoï.

     Tous droits réservés

           

 

 

 

 

 

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21 juillet 2020 2 21 /07 /juillet /2020 17:22

Eté 2020

 

Publications : après avoir lu et relu le livre d’Yves Lacoste « La question post-coloniale », j’éprouve une grande perplexité quant à la démonstration de géopolitique proposée sur un sujet évidemment aussi sensible dans la France du jour, perplexité quant à la définition de la géopolitique elle-même, et à sa mise en œuvre sur le chemin choisi pour une telle démonstration, 1) la question elle-même, 2) les luttes,3) les conquêtes coloniales.

            Il n’est pas facile de repérer dans les exposés le jeu rigoureux du triptyque géopolitique de l’auteur, c'est-à-dire le territoire, le pouvoir et les représentations.

            Comme je l’ai déjà souligné, il est difficile de ne pas voir, d’abord,  dans cette analyse le portrait géopolitique d’une « question post-coloniale algérienne et maghrébine ».

Je publierai en septembre la suite de ma lecture critique du livre d’Yves Lacoste « La question post-coloniale ».

            Il s’agit de la Troisième Partie consacrée, pour l’essentiel, aux conquêtes coloniales de la France.

            A la fin de son ouvrage, l’auteur ne conclut pas.

            Je proposerai ma propre conclusion.

            L’auteur accorde un large place aux représentations sans qu’elles soient bien définies et illustrées.

            Il se trouve que j’ai effectué de nombreuses recherches sur le thème des « regards croisés » entre peuples à l’occasion précisément de la conquête de l’Afrique de l’ouest (1890-1920).

            Quoi de mieux en effet que de tenter de faire appel aux nombreux témoignages de cette époque, des deux rives, pour illustrer les représentations de ce monde disparu, au moins en partie !

            Sur ce terrain des représentations, les analyses faites à partir du terrain africain, sont assez éloignées de celles de l’auteur, et encore plus de celles des images coloniales exploitées de façon non scientifique par le trio d’historiens Blanchard, Bancel et Lemaire, sur la rive métropolitaine.

            Le lecteur intéressé pourra parcourir dans une annexe les conclusions de ces recherches dont le contenu fera l’objet d’une publication ultérieure.

   Jean Pierre Renaud

Lectures de détente : au choix dans la longue liste des romans policiers australiens d’Arthur Upfield, avec pour rôle principal, un policier métis (un père blanc et une mère aborigène), une rareté historique dans le continent australien colonisé par des immigrés anglais ou écossais.

            Grâce à cet écrivain voyageur, nous suivons les enquêtes du redoutable policier Napoléon Bonaparte, surnommé Bony pour les intimes, à la découverte des criminels dans le bush australien.

            Outre le grand mérite de nous faire découvrir la culture aborigène et le type de relation complexe qu’elle entretenait avec la culture anglaise, d’autant plus anglaise qu’elle était celle de colons entreprenants et prêts à s’approprier toutes les terres, le lecteur est captivé par les enquêtes de Bony et par la description des déserts et du bush australiens.

            Au choix « La mort d’un lac », « L’empreinte du diable », « L’os est pointé », « La branche coupée », « Les veuves de Broome »…

            Arthur Upfield fait partie de la belle cohorte des auteurs de polards ethnologiques qui nous entrainent sur les traces de policiers terriblement efficaces en même temps qu’ils nous font découvrir les cultures les moins connues de notre planète, tels que Von Gullick, avec le juge TI, ou Hillerman, avec Joe Leaphorn ou Jim Chee.

            Jean Pierre Renaud

 

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16 juin 2020 2 16 /06 /juin /2020 09:44

"La Question Post-coloniale"

Le livre d'Yves Lacoste

Géopolitologue

3

Chapitre 2

« L’importance des représentations géopolitiques »

2

            L’auteur propose alors une revue de cet « écho » :

            « La guerre civile en Algérie (1992-2000) – les islamistes et le « choc des civilisations- Israël présenté comme la preuve que le colonialisme n’a pas disparu - - le sionisme, à ses débuts, ne fut pas une conquête coloniale-  le miracle de la guerre des Six-jours et le réveil géopolitique des rabbins- l’Intifada puis les islamistes contre un colonialisme imposé par les rabbins- le danger d’un mouvement antisémite en France.

   « Des jeunes qui se demandent pourquoi ils sont nés en France ? » (page 84)

     Très bonne question !

     Les jeunes des « grands ensembles » qui auront eu la chance de lire ces lignes auront pu avoir déjà une réponse : en distinguant ceux d’origine algérienne, antillaise, ou africaine.

     « Pourquoi les grands pères sont-ils venus vivre en France ? » (page 86)

   Le problème des causes de l’immigration post-coloniale se pose en de tout autres termes quant à ses débuts pour les Algériens peu près l’indépendance de l’Algérie, au lendemain d’une terrible guerre. Pourquoi ce choix, alors que nombre d’entre eux venaient de combattre courageusement l’armée française ? Nous sommes là au point de départ du paradoxe de l’immigration post-coloniale en France, car ces Algériens ont été suivis par beaucoup d’autres, puis par des Marocains, des Tunisiens…Il ne suffit pas de savoir comment ces combattants algériens ont pu rester en France en profitant des lois d’amnistie. Il faut savoir pourquoi ils ont quitté l’Algérie alors qu’ils venaient de jouer un grand rôle dans sa libération. » (page 87)

    Question : oui, pourquoi ? Sans réponse, alors que l’auteur aurait sans doute pu proposer une réponse, au moins une interprétation, compte tenu de son passé algérien.

    Je proposerai volontiers la mienne, sûrement iconoclaste, à savoir que la France avait vécu, en 1962, un miracle historique, la perte de sa condition colonialiste…

     L’auteur critique alors le contenu du livre de MM Blanchard et Bancel intitulé « La Fracture coloniale ».

     Je l’ai fait moi-même dans le livre « Supercherie coloniale » en déroulant  l’ensemble des critiques qu’appelaient les ouvrages de ce groupe de propagande postcoloniale Blanchard and Co, compte tenu de l’habileté que ce groupe d’historiens a démontrée en publiant des recueils d’images de qualité et de textes qui répondaient au « marché » de l’Indigène.

      L’auteur qualifie ce travail ainsi :

     «  Déni du passé colonial ou déni des causes de l’exode post-colonial ? (page 87)

     « Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, quand ils affirment l’existence d’une « fracture coloniale » entre les Français expliquent celle-ci par le fait qu’en France on pratique de multiples façons le « déni » du passé colonial : on évite d’en parler. Pourtant, dans la masse des écrits qui stigmatisent la colonisation, ces deux historiens ne sont pas les seuls. Il est vrai qu’ils soulignent ses effets en France, et non pas surtout outre-mer.

      Animé d’une préoccupation assez différente, l’un des aimateurs de l’appel des indigènes de la République, Nicolas Qualander déclare à Jérémy Robine : « Le but de l’Appel des indigènes se décline sur trois ou quatre plans : le premier c’est la question de la mémoire, le problème du passé qui ne passe pas. » Il ne croit pas si bien dire, car le «problème » n’est pas seulement « la reconnaissance des crimes coloniaux vis-à-vis de toutes les populations issues de l’immigration. » Cela est certes nécessaire non pas globalement et de façon métaphysique, mais pour analyser de façon précise l’histoire de chacun de ces crimes, et surtout en termes géopolitiques, puisqu’il s’est agi de rivalités de pouvoirs.

     D’un point de vue géopolitique, la « question de la mémoire », c’est d’abord de comprendre pourquoi ces Algériens patriotes et courageux ont quitté leur pays au lendemain de l’indépendance, pour venir dans celui de leurs oppresseurs. Comment expliquer ce paradoxe géopolitique qui fait que les enfants de combattants algériens ont ensuite eu la même nationalité que les colonialistes les plus acharnés au maintien de l’Algérie française et qu’ils parlent désormais la même langue ?

            Tout à leur démonstration de la « fracture coloniale », Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire estiment que le passé colonial fait l’objet d’un véritable « déni ». Ils pensent que ce serait par honte que les citoyens français évitent de parler du colonialisme et de toutes ses horreurs. Le Livre noir du colonialisme est pourtant un succès de librairie et les ouvrages de gauche et d’extrême gauche qui stigmatisent la colonisation sont de plus en plus nombreux. En fait les Français ne s’étaient plus préoccupés de la question coloniale dès qu’ils en avaient été débarrassés avec l’indépendance de l’Algérie. Ils s’en soucient de nouveau, mais de façon intense, à cause des émeutes des certaines banlieues. » (page 88)

    Commentaire : cette analyse mérite un long commentaire.

     Revenons rapidement sur les critiques de fond que j’ai listées dans le livre « Supercherie coloniale » à l’endroit des travaux de ce trio d’historiens : carence scientifique des évaluations statistiques des vecteurs des cultures coloniale ou impériale supposées, et même carence statistique sur leurs effets, en ce qui concerne les images, mêmes carences sémiologiques et contextuelles.

     Les travaux de ces trois historiens d’histoire géographie de gauche, comme c’est noté ailleurs dans une entreprise de propagande post-coloniale politique au mépris des leçons de l’histoire quantitative, de l’absence complète des évaluations statistiques nécessaires pour accréditer leur thèse politique.

     Deux anecdotes pour situer la qualité de ces travaux statistiques  tirés du livre « Supercherie coloniale », pages    231 et suivantes :

     Sandrine Lemaire, dans le livre « Culture impériale » (page 75) « Manipuler à la conquête des goûts »… « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits " (CI, page 82)

     Sauf que ce riz subventionné allait dans nos poulaillers !

      A l’appui de  sa thèse, Nicolas Bancel citait un sondage qu’il avait effectué auprès d’anciens élèves de l’ENFOM, sous le titre « Entre acculturation, et révolution - Mouvements de jeunesse et sports dans l’évolution institutionnelle et politique de l’AOF » ( Présidente du jury Mme Coquery Vidrovitch. Elle le fut également pour la thèse Blanchard)

     Question : avant ou au cours de votre cursus à l’ENFOM, avez-vous participé à un mouvement de jeunesse ? Sur les 297 questionnaires envoyés, 55 réponses avec 24 oui, dont 13, j’ai participé à des mouvements scouts, et 11 à des mouvements catholiques.

       L’historien en tire une conclusion surprenante, sinon consternante :

      Commentaire : « Le très fort taux d’anciens membres de mouvement de jeunesse  est remarquable… 41 % sont issus du scoutisme catholique. La proportion est évidemment énorme… Par ailleurs l’idée d’une fonction de préparation de la pédagogie active aux aventures Outre mer (l’une des hypothèses du programme  Pédagogie de l’aventure modèles éducatifs et idéologie de la conquête du monde) est massivement confirmée par ces réponses. »

     « remarquable », « énorme », « massivement » des qualificatifs d’autant plus superfétatoires que ce sondage est privé de toute représentativité statistique.

     Revenons au contenu du livre d’Yves Lacoste.

      Je suis sans doute plus mal placé que l’auteur de ce livre, pour proposer mon analyse, compte tenu de mon expérience d’officier SAS (« colonialiste ») pendant la guerre d’Algérie (vallée de la Soummam en Willaya III), et de la vocation qui fut la mienne, l’ambition de servir ce que je croyais être la « communauté » franco-africaine.

      Je crois avoir servi la France et l’Algérie à l’exemple de l’immense majorité de mes camarades du contingent.

      Comme je l’ai déjà écrit à maintes reprises, et rappelé plus haut, que contrairement à ce qu’écrivent et disent ces historiens, la France n’a jamais eu de culture coloniale, qu’elle a toujours laissé faire, comme de nos jours dans notre politique extérieure, les gouvernements, leurs experts, ou les groupes de pression qui les animaient, et ce fut notamment le cas en Algérie.

     En réalité, le pays a découvert la question coloniale, oserais-je dire, grâce à la guerre d’Algérie, grâce aux centaines de milliers de jeunes français qui y ont été jetés par devoir patriotique, une question devenue très sensible avec les flux d’une immigration importante, venue précisément  d’Algérie.

      Pourquoi n’oserais-je pas dire que la dénonciation partisane de la colonisation a servi à justifier la présence algérienne en France, et nourrit d’une certaine façon une propagande postcoloniale beaucoup plus efficace que la propagande coloniale  dont les moyens furent très limités, comme je l’ai démontré dans le livre « Supercherie coloniale ».

       Question algérienne ou question postcoloniale ?

      « Pourquoi les patriotes algériens sont-il venus en France en 1963 ? (page 89)

   L’auteur rappelle la « La rivalité mortelle du FLN et du MNA », « Le conflit maquis de Kabylie (la Willaya III  / «armée de l’extérieur », « Silence persistant sur les rivalités de pouvoir dans le mouvement national » (pages 89-93) - avec ses purges et ses milliers de morts !-, puis consacre quelques pages à la Kabylie : « Esquisse des singularités géopolitiques de la Kabylie » page 93 à 100)

    Ces pages relèvent le rôle important des Kabyles dans le mouvement national et en France : les Kabyles étaient venus nombreux travailler en France, avaient appris notre langue, aidaient financièrement leurs familles et leurs villages et revenaient de temps en temps au pays. La loi sur le regroupement familial leur a donné le droit de faire venir leur famille, une des causes sans doute de l’immigration post-colonlale.

     Mon « séjour » en Petite Kabylie m’avait fait aimer ce pays et ses habitants proches de nos montagnards, mais je me suis souvent demandé  comment les épouses débarquant avec leurs enfants chez nous, sans parler français, pouvaient supporter un choc culturel aussi violent.

   « Que faire ? (p,100)

   « C’est en réfléchissant en termes géopolitiques que l’on a pu enfin prêter attention à la venue en France, dès la fin de la guerre les patriotes algériens en majorité kabyles. C’est un fait majeur pour la compréhension du paradoxe qu’est la question postcoloniale en France. ll a été pris en compte dès que l’on a pu envisager ce phénomène selon des raisonnements géopolitiques – les rivalités FLN/MNA et ALN/Willaya III sont en fait géopolitiques – et en fonction d’une approche particulière de la Grande Kabyle, qui est en vérité un cas géopolitique à part » (page 100)

Commentaire : « en majorité kabyles » : est-ce démontré ? Si oui, l’explication aurait incontestablement de la pertinence.

   « Aider au développement de mouvements culturels berbères et des divers peuples africains. » (p,103)

   Est-ce une solution ? Les Kabyles nous auraient attendus ? S’agit-il bien de nôtre rôle, alors que la problématique de l’immigration est liée au manque d’action culturelle dans beaucoup de quartiers ?

    « Se soucier des « grands ensembles » HLM et de leur avenir. » (p,102) ?

    Ne s’agit-il pas de la réussite partielle du plan Borloo – casser le béton -, mais avec précisément une carence sociale et culturelle que les dernières propositions Borloo, cohérentes, venaient combler, mais qui furent écartées par le nouveau Président, sous prétexte qu’il les jugeait comme celles de « deux hommes blancs ».

    Jusqu’au plan Borloo, entre 1981 et 2012, gouvernements de gauche ou de droite ont fait comme si le problème des banlieues n’existait pas.

       « Expliquer pourquoi le colonialisme a pu être vaincu, et pourquoi et comment il avait pu s’établir » (page 106)

     Il convient de préciser qu’il s’agit de l’annonce des analyses que l’auteur propose dans ce livre.

     Il s’agit d’une ambition d’autant plus hardie que sous quelque terme que ce soit, impérialisme, colonialisme ou domination, il n’est pas du tout assuré que la recette ait été trouvée pour mettre fin à un type de processus qui s’est déroulé au long des siècles, qui continue de nos jours sous d’autres formes géopolitiques, ne serait-ce que dans l’Algérie actuelle.

      Les préceptes Lacoste ?

     Sous le titre « Que faire ? », ces pages concernant les préceptes Lacoste pour une solution, font-ils partie de l’analyse géopolitique ?

     Citons quelques-uns de ces préceptes, sans nous embarquer dans la confusion avec les postcolonial studies, à la mode, comme venant une fois de plus des USA, en oubliant généralement que la discrimination raciale n’y a été supprimée que récemment, de même qu’on se réfère à un pays qui s’est illustré dans l’histoire de l’esclavage.

      « Ne pas confondre colonialisme et toute forme de domination » (page 107)

     L’auteur se lance alors dans un distinguo subtil pour distinguer les deux concepts : je ne me lancerai pas dans ce débat, en indiquant simplement, et à nouveau, que les impérialismes étant de tous temps et de tous lieux, ils se caractérisent par la domination d’un peuple sur un autre : l’Afrique de Samory ou de Béhanzin n’avait pas de traits colonialistes ? Ou celle de la Chine dans la presqu’île indochinoise ?  etc…

    Dans des contextes historiques qui étaient favorables aux pays de domination ?

   « Ne pas sous-estimer les indépendances post-coloniales qui pour la plupart ne sont pas factices »

     « …Aussi faut-il aider tous ceux qui vivent en France, quelles que soient leurs origines, à mieux comprendre le fait colonial et l’importance des luttes pour l’indépendance. Aussi sentiront-ils qu’il est assez vain de lutter pour des enjeux de mémoire alors que les enjeux actuels comme les risques sont autrement plus importants. » (p,110)

   Des enjeux de mémoire ? Mis en scène par des groupes de pression postcoloniaux, en faisant une impasse complète sur les histoires écrites – rares - -, les histoires orales - les plus fréquentes - des pays d’origine, sur l’esclavage africain de l’ouest et de l’est qui, dans le cas français a attendu les colonialistes pour commencer à disparaître etc.. que les historiens africains de l’époque moderne ont beaucoup de peine à évoquer.

     « Montrer la complexité des luttes pour l’indépendance, avant d’expliquer les conquêtes coloniales » (page 111)

    « Poser la question post-coloniale aujourd’hui, c’est aussi revenir de façon nouvelle sur le passé pour mieux comprendre le présent, et s’interroger sur les modalités de ce phénomène planétaire. Il ne s’agit pas de grandes causes civilisationnelles (les prétendus atouts de l’Europe et handicaps de l’islam). Je me suis intéressé aux luttes armées entre forces politiques adverses plutôt qu’aux formes particulières de chaque colonisation…. » (page 112)

   La formulation ambigüe du texte souligné ?

    « Qui parle ? (page113)

   « L’une des règles de l’analyse géopolitique est de porter attention aux représentations. Non seulement à celles de chacun des leaders des groupes qui s’affrontent pour la conquête ou la défense d’un territoire, mais il faut aussi s’intéresser aux représentations des analystes de ces rivalités de pouvoir, soit à titre de commentaire de l’actualité (et alors l’antagonisme des représentations est évidente), soit bien plus tard, lorsque que l’on sait qui a été le vainqueur de tel conflit. Même lorsque récits et analyses se font à titre rétrospectif avec un grand « recul de temps », il faut par principe essayer de tenir compte des représentations (conscientes ou non) de celui qui fait le récit ou l’analyse. L’exposé de faits anciens a qu’on le veuille ou non, ses conséquences sur la façon dont l’auditeur ou le lecteur se représente certains phénomènes contemporains.

    Cette démarche est d’autant plus nécessaire que l’on traite du colonialisme et de la colonisation, c’est à dire d’un ensemble de phénomènes géopolitiques qui ont fait autrefois l’objet de discours extrêmement valorisés dans les pays colonisateurs… » (page 114)

      Commentaire : je bute toujours sur la signification des concepts proposés, avec une interrogation supplémentaire quant aux «représentations  conscientes ou non», c’est à dire un inconscient qui ne dit pas son nom ? Le fameux « inconscient collectif », colonial, bien sûr que j’ai dénoncé ?

    La mission d’un géopolitologue apprécié au temps de la fondation de la Revue Hérodote ? :

    « Essayer d’expliquer aux « jeunes » qui souffrent de la situation post-coloniale et qui se demandent pourquoi ils sont nés en France les raisons pour lesquelles leurs grands-pères ont dû venir dans ce pays, qu’ils avaient courageusement combattu, conduit à analyser et comparer les luttes  pour l’indépendance. Mieux comprendre la question post-coloniale m’a incité à remonter loin dans le passé afin de mieux saisir les causes qui avaient rendu possibles les conquêtes coloniales. » (page 119)

     En conclusion provisoire, et à cette lecture, il était quelquefois difficile de situer la nationalité de l’auteur.

     Articles revus après fin du confinement

      Jean Pierre Renaud      Tous droits réservés

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16 juin 2020 2 16 /06 /juin /2020 09:39

La Question Post-coloniale 3

Chapitre 2

« L’importance des représentations géopolitiques »

(pages 63 à 123)

1

            Ce chapitre est important et il mérite un examen détaillé parce qu’il éclaire de nombreux aspects de la problématique de la géopolitique post-coloniale, telle que présentée par l’auteur.

            Il met le projecteur sur les interprétations géopolitiques que l’on peut avoir de notre passé colonial, sans toutefois répondre à une question préalable : qu’est-ce que l’auteur désigne comme des « représentations géopolitiques », car le mot et le sens de ce concept très extensif auraient justifié dès le départ d’être défini dans les cas examinés. L’auteur laisse le lecteur les retrouver et les comprendre au fur et à mesure de son analyse, une sorte de lecture anglo-saxonne à partir des cas.

J’ai été surpris de constater que l’auteur ne faisait pas référence au travail du Colloque Savant « Images et Colonies » qui s’est tenu les 20, 21, et 22 janvier 1993 et qui avait précisément pour objet cette catégorie importante des représentations, les images coloniales ou impériales : les conclusions de ce colloque n’étaient rien moins que très nuancées.

            L’auteur, comme il s’en explique longuement aux pages 115 et suivantes est issu d’une matrice maghrébine anticolonialiste dynamique et puissante qui a animé beaucoup de travaux sur les mêmes thèmes, disposait d’un bagage d’expériences et de relations dont il fait profiter le lecteur, notamment sur l’Algérie. (professeur dans un lycée d’Alger de 1950 à 1955, membre du Parti Communiste Français dont le rôle fut pour le moins ambigu au début de la guerre d’Algérie, jusqu’en 1956).

Une matrice maghrébine anticolonialiste ? Il s’agirait d’un beau sujet de thèse qui devrait intéresser un jeune chercheur soucieux de vouloir démêler le mélange des genres entre science humaine et engagement politique.

L’auteur nous y livre son itinéraire colonial, en même temps qu’il définit ses « représentations » du passé :

« J’ai en effet des rapports personnels complexes avec le phénomène colonial, puisque j’ai passé toute mon enfance au Maroc… Je suis donc né au Maroc… A la veille de la Seconde Guerre mondiale, ma famille est revenue en France où mon père est mort : j’avais 11 ans…je suis retourné au Maroc faire durant un an mes premières armes de géographe sur le terrain.

Mais, et cela me surprend encore, le mouvement pour l’indépendance des Marocains, comme celui plus tard des Algériens, m’a toujours absolument légitime, et je crois que cela ne résultait pas de mon appartenance – un temps- au Parti communiste français. Je suis en quelques sorte, depuis, depuis mon enfance (certes assez privilégiée), mais assez curieusement un colonial anticolonialiste – c’est évidemment une représentation…(page 115)

« Autre représentation : je crois que de nos jours tout homme dans de graves circonstances, est fier de sa nation (à l’exception peut-être des Allemands lorsqu’ils ont découvert les horreurs du génocide perpétrées par les hitlériens. Il se trouve que je suis français et je m’en félicite comme d’une grande chance ; j’aime ma France, nonobstant le désastre de 1940 et les guerres coloniales que j’ai dénoncées comme des opérations vouées à des échecs déshonorants. Contrairement à ce que proclament ceux qui prônent la « repentance » (jamais la leur, mais celles de leurs adversaires politiques), j’estime que ce ne sont ni la France ni la nation qui ont mené les entreprises coloniales et moins encore la traite des esclaves, mais de petits groupes d’hommes résolus… (page 115)

Je suis donc français, j’en suis très fier et allez savoir pourquoi, cela me parait expliquer la sympathie admirative que je porte à tous ceux qui luttent pour l’indépendance de leur pays, même lorsqu’ils combattaient  le mien – ou plutôt ceux qui menaient la politique de ces dirigeants contrairement à la formule usuelle, les pays ne se battent pas entre eux… »(page 116)

Commentaire : je me limiterai à l’essentiel, car le propos tenu soulève un profond malaise pour quelques-unes des nombreuses questions par ce genre de confession, ou pour user du langage quelque peu ésotérique de l’auteur, ses « représentations ».

J’ai pris acte tout d’abord de son « interprétation » d’une certaine présence française dont l’inspiration n’était pas celle de notre nation : à maintes reprises, j’ai écrit que la France n’avait eu ni culture coloniale, ni culture impériale.

Pourquoi ne pas rassurer par ailleurs l’auteur sur le nombre de Français qui partagèrent ce type de réaction, de refus du monde colonial tel qu’il existait encore entre les deux guerres, je pense par exemple à  Robert Boudry, Gouverneur général intérimaire de Madagascar entre 1939 et 1945. Je pense aussi à un camarade instituteur au Maroc dans les années 50 qui me décrivait dans ses lettres la situation d’alors… Ces exemples seraient innombrables, mais cela n’a pas empêché cet ami d’enfance d’aller faire la guerre d’Algérie au titre du contingent ?

En 1954, lors du début de l’’insurrection, en 1954, le Parti communiste partageait le même discours sur l’Algérie française que les autres dirigeants d de la SFIO ou du MRP. En 1956, les députés communistes votèrent les pouvoirs spéciaux  au gouvernement Guy Mollet…

Innombrables furent en effet les témoins de ce type de situation coloniale : citons, en 1914-1918, les tirailleurs sénégalais, Ho Chi Minh lui-même, et plus tard toute une série d’intellectuels coloniaux venus étudier en France tels que le député malgache Rabemananjara.

La deuxième guerre mondiale et l’expérience des guerres coloniales donnèrent à d’anciens combattants la même maturité civique et le refus du système colonial, à Ben Bella par exemple.

Je puis enfin rassurer l’auteur sur la « représentation » ou les « représentations » que je partageais avec mes camarades du contingent en Willaya III dans la vallée de la Soummam dans les années 1959-1960 : que faisions-nous dans ce pays ? Sinon, attendre la « quille », un cessez-le feu, en continuant toutefois le combat contre des rebelles qui étaient courageux.

Je suis loin d’être assuré que les anciens du contingent, encore vivants, puissent apprécier la description d’une guerre qui biffe purement et simplement leur existence, leurs blessés et leurs morts, et la mission qui leur avait été confiée par les autorités légitimes de la République Française.

En ce qui concerne la définition du mot représentation, revenons donc au Petit Robert, car le mot y bénéficie d’un très large spectre linguistique, pas loin d’une colonne.

            « Action de mettre devant les yeux ou devant l’esprit de quelqu’un…2° Le fait de rendre sensible (un objet absent ou un concept) au moyen d’une image, d’une figure, d’un signe, etc. »

A la page 71, l’auteur cite l’expression « Fracture coloniale » comme une « métaphore illogique ».

            Dans le contexte historique examiné, l’auteur cite en effet le livre « Fracture coloniale », publié en 2006, mais le groupe Blanchard, comme déjà indiqué, s’était illustré auparavant par la publication de deux autres ouvrages dont le contenu aurait incontestablement mieux répondu au souci d’illustration de la définition du terme « représentations », deux livres de date antérieure « Culture coloniale » et « Culture impériale » qui diffusaient une grande palette d’images couplées avec des interprétations de ces représentations du passé colonial : ce panel d’images jouait à fond la carte d’une représentativité historique non démontrée, sur une « imprégnation » coloniale non démontrée, et sur un « inconscient collectif » colonial pas plus démontré.

            Le groupe Blanchard and Co a surfé sur les « zoos humains », en utilisant un angle d’attaque incontestablement attractif, mais idéologique et politique, en s’abstrayant de toute rigueur scientifique et historique.

            Il serait intéressant de connaître le chiffre des ventes de ces livres, hors milieu universitaire.          

            L’auteur cite également le livre noir de Marc Ferro, et fait référence à la guerre des mémoires (page 68), des mémoires que l’historien et mémorialiste Stora n’a jamais eu le courage de faire mesurer, alors qu’il est l’auteur du petit livre paru sous ce titre.

            L’auteur a choisi le terme fourre-tout de représentations alors que l’expression de « propagande postcoloniale » aurait été sans doute plus appropriée, car il s’agit bien de cela.

            Revenons au texte :

            L’auteur écrit : « Dans tout raisonnement géopolitique, il ne faut pas seulement tenir compte des caractéristiques objectives, matérielles, mesurables, des populations qui vivent sur le territoire où se livre une rivalité de pouvoirs. Il faut aussi tenir compte des idées, des « représentations que chacun des groupes antagoniste (avec ses leaders) se fait à tort ou à raison, de la réalité ; de ses droits sur ce territoire comme de ce qui lui apparait comme important dans tout ce qui l’entoure, y compris au niveau mondial. Ces représentations plus ou moins subjectives sont presque toujours produites par ce que l’on peut appeler au sens le plus large des intellectuels, c’est à dire des hommes et des femmes qui réfléchissent, qui discourent, bref qui produisent des idées nouvelles et en reproduisent d’autres dont ils ne connaissent pas précisément l’histoire. » (page 64)

            L’auteur revient aux « jeunes » des « grands ensembles », un sujet dont il fut un des spécialistes, évoque à nouveau une lutte de pouvoirs avec la police, en distinguant le positif et le négatif… :

« Mais ils expriment leurs insatisfactions et leurs inquiétudes par une hostilité croissante à l’encontre du pays et de la société où l’immigration de leurs grands-parents, il y a plusieurs décennies, les a fait naître. La justification de cette hostilité se fonde sur des représentations historiques qui, dans les milieux intellectuels, font de nos jours consensus dans la mesure où celles-ci réprouvent la colonisation depuis que les empires coloniaux ont disparu. Or, pour bien marquer leur différence, les jeunes intellectuels « issus de l’immigration » proclament que le colonialisme continue d’exister en France. » (page 65)

Questions : 1) nés en France ou venus après leur naissance ?

            2) « Consensus » ? La pertinence aurait voulu qu’il ait été mesuré, ce qui n’est pas écrit.

            3) S’agit-il des « grands ensembles » et non de la nation ?

            L’auteur analyse alors :

            « La diffusion de représentations accusatrices du colonialisme (page 67)

            « … Pour schématiser, on peut dire que, malgré les effets de « l’absentéisme scolaire », un certain nombre de ces jeunes vont au collège et qu’ils s’intéressent particulièrement, même de façon brouillonne et agressive, à ce que disent les professeurs d’histoire-géographie sur la colonisation et la traite des esclaves en effet, depuis une dizaine d’années, les programmes scolaires prescrivent qu’un certain nombre d’heures d’enseignement soient consacrées à ces problèmes qui sont aussi de plus en plus présents dans les manuels les enseignants en font d’autant plus état que cela les intéresse personnellement et passionne les élèves il n’en reste pas moins que, dans ces quartiers ou à proximité, la tâche des professeurs – qui sont de plus en plus des femmes – est encore plus difficile qu’ailleurs. » (page 67)

            Commentaire : cette analyse concerne les « grands ensembles », mais elle montre le rôle important des professeurs d’histoire géographie très souvent séduits par  une culture multiculturelle de gauche très influente dans l’ensemble de notre système scolaire. Il fut un temps où il s’agissait de la culture marxiste, mais faute de marxisme, on s’est rabattu sur une autre thématique à la mode, d’autant plus facilement que l’ouverture des frontières a fait sauter beaucoup de frontières culturelles, et misé sur la générosité et l’idéalisme de la jeunesse, comme de tout temps.

            Il serait sans doute possible de mettre au défi scientifique les animateurs et propagandistes de cette lecture de notre histoire de mesurer le même type de « représentations » dans les livres des 3ème et 4ème Républiques, images, nombre de pages, et lignes de texte, en tenant compte évidemment des contextes historiques correspondants, en l’absence notamment des images télévisées et de celles des réseaux sociaux.

            «  Un consensus de rejet de la colonisation depuis qu’elle a disparu.

            « Tout cela est la conséquence du développement relativement récent du vaste courant d’idées qui stigmatise la colonisation. Les quelques tentatives maladroites pour faire admettre qu’il n’y eut pas que des atrocités dans les colonies et que tout n’y fut pas constamment aussi épouvantable, suscitent de la part de certains (nouveaux venus en la matière) un surcroit d’accusations indignées et de publications vengeresses. » (page 67)

            Questions : sur un sujet aussi sensible et polémique, le lecteur aurait aimé avoir plus de précisions sur les constats soulignés.

            « Consensus » : quelle évaluation ? « Vaste courant d’idées » : quelle évaluation ? « Publications vengeresses » ? Lesquelles ? Fusse en renvoi !

            Quel intellectuel aura le courage de contester les témoignages d’Hampâté Bâ dans ses nombreux livres, dont l’un de grande sagesse –« Kaidara », avec sa vision capitale des deux versions de la colonisation, la diurne et la nocturne ?

            L’histoire de l’impérialisme n’a jamais eu, ni frontière, ni époque : il s’est inscrit dans ce que la philosophie chinoise, a dénommé « le cours des choses ».

            De nos jours, comme par le passé, les « spécialistes », dénomment un certain de type de domination par l’expression gentillette de « soft power », mais le « hard power » n’est jamais loin, le totalitarisme, comme c’est le cas en Chine, en Corée du Nord, en Turquie…

            Tout au long des derniers mois, jeunes algériens et algériennes se sont mobilisés, semaine après semaine, pour contester une nomenclature dictatoriale qui ne dit pas son nom.

            « L’écho de problèmes géopolitiques extérieurs aux banlieues (page 72)

            Question : S’agit toujours plus des banlieues en général ou des « grands ensembles » ?

Jean Pierre Renaud   Tous droits réservés

 

 

 

 

 

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14 juin 2020 7 14 /06 /juin /2020 16:00

En France

Les minorités et les réseaux sociaux font la loi dans la République Française !

Remettons la France à l’endroit !

            Le 20 février 2019, j’ai publié une chronique sous le titre « Une France à l’envers » les inversions de toute nature, droit, institutions, loi des minorités… »

            Le 9 décembre 2019, j’ai publié une chronique sous le titre « Les pouvoirs de la République Française ? Qui les exerce vraiment ? Les trois pouvoirs constitutionnels, Exécutif, Législatif, Judiciaire, le Quatrième Pouvoir des Médias, le Cinquième Pouvoir des Associations, le Sixième Pouvoir des Réseaux Sociaux »

            L’affaire Adama nous a placé au cœur du sujet et révélé l’incapacité manifeste des trois pouvoirs constitutionnels à faire prévaloir le droit républicain sur la loi des minorités, souvent inspirées par tout ce qui vient des Etats Unis dont l’histoire n’a rien à voir avec la nôtre.

Face à ce déferlement des minorités visibles et invisibles, les pouvoirs publics ont failli !

Le temps est venu de faire rentrer beaucoup d’associations dans le droit républicain, alors que leur origine, leur fonctionnement, et leur financement n’ont rien de transparent : qui finance qui et quoi ?

Le temps est également venu de trouver le moyen juridique et constitutionnel d’empêcher les réseaux sociaux de raconter n’importe quoi, de prêcher le désordre, la désinformation, en exigeant la transparence et la responsabilité « médiatique » de  leurs auteurs.

Enfin, il convient d’ouvrir totalement les statistiques de l’immigration en France, au cours des trente dernières années, avec le pays d’origine et l’âge,  les chiffres des cartes de séjour (regroupement familial, mariage, travail…) des bénéficiaires du droit d’asile et des déboutés, des régularisations d’immigrés clandestins…et enfin des naturalisations.

Dans l’Union Européenne

Dans le désordre actuel de la mondialisation, le moment est venu de lever le tabou du protectionnisme !

Le 7 juin 2011, j’ai publié une chronique sous le titre « Une petite dose de protectionnisme pour la France et pour l’Europe »

Les thuriféraires du libéralisme à tout crin plaidaient toujours avec plus de succès pour l’ouverture de plus en plus large de nos frontières et de celles de l’Europe : on voit aujourd’hui le résultat, notamment pour nos médicaments.

Leur discours était fondé sur le mythe d’après lequel c’était le libéralisme qui avait permis le développement de l’Occident.

Dès 1953, l’historien économiste Paul Bairoch démontrait – statistiquement - dans le livre « Mythes et paradoxes de l’histoire économique » (1953) que cette thèse n’était pas fondée, en démontrant que même les Anglais, chantres éternels du libéralisme, avaient très largement fait appel au protectionnisme pour se développer.

Jean Pierre Renaud

 

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