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4 décembre 2010 6 04 /12 /décembre /2010 15:36

« Le colonialisme en question »

Frederick Cooper

Troisième partie

« Les possibilités de l’histoire » (page 205 à 311)

« Etats, empires et imaginaire politique » (page 205 à 274)

Lecture 6

 

Le discours

            « Dans ce chapitre, je montrerai que la manière dont les dirigeants des Etats-empires percevaient leur Etat et les formes prises par la contestation  politique reflétaient une « pensée en termes d’empire ». Trouver l’équilibre entre les deux pôles de l’intégration (les sujets de l’empire appartiennent à l’empire) et de la différenciation (des sujets impériaux différents sont gouvernés autrement) était affaire de débats et des stratégies changeantes. Les équilibres furent régulièrement bouleversés par les actions des populations coloniales. Loin d’être un anachronisme politique dans l’« ère moderne », cette perspective impériale vaut pour la France, la Grande Bretagne et d’autres Etats importants des XIX° et XX°siècles…

            J’affirmerai que les politiques impériales – « anciennes » et « nouvelles » – constituaient un système dans lequel tout prétendant sérieux à une influence géopolitique devait penser et agir comme un empire. (page 206)

Et avant de revenir sur le contenu de ce chapitre, allons  à la conclusion du même chapitre :

            « Le point central de ce chapitre est aussi le plus simple : jusqu’à un passé très récent, les empires ont eu une importance fondamentale dans l’histoire mondiale. Nous devons examiner en profondeur ce que signifiait pour un Etat penser comme un empire, conjuguer intégration et différenciation, affronter les problèmes liés à l’extension sur de grandes distances et reconnaître les limites du contrôle de populations nombreuses et diverses. Penser comme un empire n’était pas la même chose que penser comme un Etat-nation et, si, les conceptions territoriales et culturelles de « la nation » furent dans certains cas plus fécondes – et eurent parfois des effets dévastateurs -, l’impératif d’agir comme un Etat-empire au sein d’un système global d’Etats-empires limitait drastiquement les possibilités d’action. (page 269)

            « Le fait le plus important concernant les empires est qu’ils ont disparu. Une composante autrefois ordinaire de la vie politique est devenue une impossibilité politique. Réfléchir sur les circonstances qui ont conduit à cette impossibilité permet d'apprécier les limites du pouvoir lorsqu’il prend ses dimensions extrêmes, la capacité des peuples à trouver des niches et des fissures dans les systèmes de contrôle et de contrainte, le conservatisme des Etats les plus progressistes et l’adaptabilité de peuples soi-disant traditionnels. (page 273)

            L’analyse de ce chapitre propose une vue panoramique de la plupart des empires qu’a connus l’histoire mondiale depuis l’Antiquité et nous propose de creuser les concepts d’empire et de nation, d’Etats-empires et d’Etats-nations, et relève en ce qui concerne les empires coloniaux du dernier siècle :

« Les empires ont commis des violences parce qu’ils étaient forts et parce qu’ils étaient faibles. La tactique de la terreur –massacres à grandes échelle durant les conquêtes et, par la suite, châtiments collectifs de villages et de groupes parentaux – fut la marque distinctive de la colonisation et la caractéristique durable de ses méthodes de contrôle, qui allièrent technologies nouvelles et tactiques séculaires…

Les vieux empires durèrent des siècles, tandis que les nouveaux – les colonies africaines françaises, britanniques et belges – durèrent seulement quelques décennies. Au premier abord, les nouveaux empires disposèrent de technologies et d’organisations plus efficaces pour exercer et maintenir leur pouvoir. Ce qui frappe dans ces comparaisons, c’est l’incapacité des Etats européens « modernes » à exercer ce pouvoir en Afrique. La domination coloniale fut un empire au rabais ».  (page 210)

Dans la description qu’il fait des différentes situations impériales, l’historien fait un certain nombre d’observations qui concernent l’histoire de France :

« La France ne devint un Etat-nation qu’en 1962, lorsqu’elle renonça au dernier élément vital de sa structure impériale, l’Algérie. » (page 209)

« Les grands courants des historiographies française et britannique ont longtemps traité les colonies comme des choses situées « là-bas », marginales pour une histoire avant tout nationale, ou comme des extensions de la culture et du pouvoir nationaux. » (page 229)

« Je vais d’abord décrire la conception impériale des sociétés britannique et française…La France s’est construite à partir de Saint Domingue, des conquêtes et des pertes françaises en Amérique du Nord, de l’aventure napoléonienne, et plus tard, de l’Algérie, de l’Afrique et du Sud-Est asiatique. Et le pouvoir d’imposer des limites à ses révolutions et ses réactions ne fut pas uniquement situé à Paris. (page 230)

« Tout examen d’une société impériale doit se mener en référence à la colonisation se déroulant sur le terrain. Dans les pages qui suivent, je prendrai l’exemple de l’Empire français pour illustrer les ambiguïtés de la citoyenneté au niveau impérial, et celui de l’Empire britannique pour illustrer l’ambiguïté du lien entre impérialisme et capitalisme. » (page 232)

« Dans la société impériale française, la qualité de sujet coexistait avec la citoyenneté – catégorie accessible en théorie, mais refusée dans la pratique. La notion de citoyenneté impériale, affinée en France pendant plusieurs décennies, contenait en puissance une notion restrictive, culturellement spécifique, de la francité, et une autre notion, davantage centrée sur l’Etat et concernant les droits et les responsabilités au sein d’une société complexe. Si l’Etat pouvait avoir besoin d’invoquer la citoyenneté, il pouvait également se trouver face à des revendications pour exiger cette même citoyenneté.

Les régimes coloniaux eurent besoin de la collaboration de « notables locaux », de personnel et surtout de soldats coloniaux…

Dans les années 1920, le gouvernement français tenta d’enrayer le processus de citoyenneté en mettant en avant un autre mythe : l’empire était la réunion de cultures et de nationalités différentes, toutes placées sous l’égide impériale garantissait la paix et la préservation de la diversité des cultures et des traditions. (page 235)

L’auteur cite Alice Conklin (note 64) : « la vision dominante était que les Africains vivaient et appartenaient à des tribus primitives et distinctes.

« Un point plus important est l’ancienneté des empires sur la scène mondiale : dans les années 1870, l’Europe n’était pas une Europe d’Etats-nations, mais une Europe d’empires – de vieux empires et d’aspirants    au titre d’empire. (page 244) »

« Nous sommes maintenant face au paradoxe central de l’histoire du colonialisme, à savoir les limites rencontrées par les puissances colonisatrices ayant apparemment la plus grande capacité d’action et la plus grande confiance en leur propre pouvoir transformateur. Les administrations coloniales, y compris celles de l’Etat britannique, n’étaient pas très fournies : elles avaient besoin de légitimité et de la capacité coercitive des autorités locales pour collecter les impôts et regrouper la main-d’oeuvre, et manquaient de connaissances du terrain… La structure de la domination accentua et rigidifia l          a distinctivité des unités politiques subordonnées au sein des empires. Le colonialisme favorisa l’ethnicisation de l’Afrique ».(page 246)

« La bestialité et les humiliations qui allaient de pair avec l’incapacité des régimes coloniaux à transformer en routine le contrôle et l’autorité coexistèrent difficilement avec l’autre pôle de l’impérialisme, à savoir l’idée que l’empire était une entité politique légitime dans laquelle chacun de ses membres trouvait un intérêt…

Tant en Afrique française qu’en Afrique britannique, la Première Guerre mondiale fut suivie d’une tentative visant à faire rentrer les génies de l’appartenance impériale dans les lampes tribales… (page 249)

« Expliquer l’échec de cette entreprise (de développement) nécessite un examen non seulement de l’évolution du capitalisme durant l’après-guerre (après 1945) – et en particulier du rôle prépondérant des Etats Unis – mais aussi de l’incapacité des puissances coloniales, malgré la croissance économique considérable durant la décennie de l’après-guerre, à transformer le développement colonial en un projet politiquement durable dans les colonies africaines. «  (page 251)

« En Afrique, ce qui s’effondra en premier fut non pas le colonialisme en tant qu’édifice rigide et immuable, mais le colonialisme dans sa dimension interventionniste. (page 252)

« Cette section a examiné le domaine le mieux étudié dans la multitude de travaux récents sur les sociétés coloniales : les empires ultramarins « modernes ». L’intérêt tout particulier de ces travaux est qu’ils se sont concentrés sur la manière dont l’Europe s’est définie et a défini les espaces colonisés dans une relation mutuelle. Ils montrent comment les régimes coloniaux ont perçu les Africains comme des corps à remodeler de manière qu’ils soient intégrés au monde moderne, comme des corps porteurs d’un moi racialisé, sexué, qu’il fallait fondre dans une niche particulière de l’ordre économique et social colonial, ou comme des corps incarnations de l’altérité. » (Page 254)

L’auteur ne peut esquiver le cas de l’empire américain qu’il évoque sous le sous-titre « L’empire malgré lui : les Etats-Unis »

Enfin, le chapitre traite brièvement (quatre pages et demie) un sujet plein d’intérêt, celui des « Réseaux et imaginaires intra, trans et anti-impériaux » (page 264)

Questions

Elles seraient naturellement innombrables tant les sujets abordés sont variés, complexes, et polémiques aussi, mais nous allons nous limiter aux plus importantes, à nos yeux, en tout cas.

La première :

Il est tout d’abord très difficile de situer ce type d’analyse dans l’une ou l’autre des disciplines de pensée telles que l’histoire, la sociologie, la philosophie des idées, ou l’histoire des idées, et je serais tenté de la classer dans l’une ou l’autre de ces dernières catégories, car elle passe sous silence l’histoire classique de relation des faits (dans un contexte déterminé), ainsi que l’histoire quantitative, financière et économique, celle des quantités et flux mesurables.

Est-ce que dans beaucoup de cas « coloniaux » (français et hors Algérie), il ne s’agissait pas de grandeurs marginales ? Avec des problèmes de grandeurs comparables ou non, d’échelles aussi ? Que pesait le commerce extérieur de l’AOF par rapport au commerce extérieur français ? A quelle échelle se situait le commerce extérieur de l’Indochine par rapport à celui de l’Inde ?

La deuxième :

Colonialisme, colonisation, empires, états-empires, états-nations, tout un ensemble de concepts d’analyse brassés au cours des siècles et sur tous les continents, pourquoi pas ? Mais au risque de ne plus identifier l’objet d’une recherche historique, sa chronologie et son contexte.

L’historien compare la longévité de trois empires, ottoman, austro-hongrois, et russe à la brièveté de vie des deux empires coloniaux britannique et français, mais ces situations historiques sont- elles comparables ? Sans tenir compte de la continuité géographique et des temps historiques ? L’empire américain serait sans doute une meilleure référence avec sa course vers l’ouest et le sud, dans la même continuité territoriale.

Dans un empire intercontinental, les communications revêtaient en effet un intérêt stratégique majeur : ni « colonialisme, ni empire sans communications ».

L’historien Brunschwig  a écrit quelque part que sans télégraphe, il n’y aurait pas eu de conquête de l’Afrique occidentale.

« Les empires coloniaux des puissances de l’Europe occidentale occupent une place relativement petite dans le paysage historique. » (page 270)

Effectivement, et à beaucoup de points de vue !

A un moment donné de son analyse, l’auteur recommande aux chercheurs de ne pas oublier le terrain, mais à le lire, on a plutôt l’impression qu’il ne respecte pas lui-même  cette belle recommandation, car à la lecture de nombreux récits de conquête coloniale et d’administration coloniale, le récit colonial concret, celui du terrain, ne fonctionnait pas comme il le décrit.

 Est-ce que l’administration coloniale française, en AOF, avec ses cent dix- huit commandants de cercle (exactement, et théoriquement) a pu réellement gouverner les 50 000 villages de l’époque en appliquant les méthodes dénoncées par l’auteur ? Partout, et en tout temps, et alors qu’ils ne séjournaient que quelques années dans leurs postes ?

La troisième :

Citoyenneté de l’empire ou de la république, c’était effectivement un vrai problème, mais comment était-il possible de le résoudre en dehors des rêves fous de quelques discours parisiens de la 3ème République ? Avec des populations en grande partie paysannes, très différentes les unes des autres, en particulier selon qu’elles habitaient en forêt, sur la côte ou dans le Sahel, et selon aussi leur appartenance à l’univers musulman, animiste ou fétichiste, alors que la grande majorité de leurs membres ne connaissait pas le français, et alors qu’aucune langue locale « dominante » ne s’imposait réellement ?

La quatrième :

L’auteur constate que l’historiographie française avait tendance à considérer les colonies comme un « là-bas », mais c’était effectivement le cas, car la population française ne s’est jamais sentie concernée par ce « là-bas » colonial, sauf pendant les deux guerres mondiales, et lorsque la guerre d’Algérie a débuté. On a bien vu alors dans quel sens allait alors le peuple français.

Une analyse qui parait donc trop abstraite, trop synthétique, en dépit de la pléthore de sources sur lesquelles elle s’appuie, et j’ai envie du dire que la micro-histoire, celle du terrain n’a pas fonctionné comme la macro-histoire des idées de l’auteur. Et le distinguo conceptuel entre centre et périphérie aurait été sans doute un outil mieux adapté au sujet.

La cinquième :

De plus, et comme nous l’avons déjà relevé, il est difficile d’analyser tous ces phénomènes, leur évolution en faisant l’impasse sur le quantitatif, et les idées les plus intéressantes esquissées par l’auteur, celles de l’importance des réseaux, des connexions, appelleraient incontestablement à la fois des analyses détaillées et des évaluations, c’est-à-dire des chiffres.

Influence de la révolution d’Haïti sur les destinées de la France ? Ecrire que  « la France s’est construite à partir de Saint Domingue… «  (page 230) est une appréciation qui étonnera sans doute plus d’un lecteur !

Il serait intéressant d’en savoir plus sur l’écho que cette révolution a eu dans l’opinion des Français de l’époque, vraisemblablement peu importante, compte tenu de l’état de la « nation » naissante du début du 19°siècle.

De même, citer en références les relations transsahariennes ou transocéaniques sans jamais proposer d’évaluations de ces relations parait notoirement insuffisant.

La sixième :

L’historien porte des jugements polémiques sur les situations coloniales, pourquoi pas ?

Mais est-ce qu’il n’est pas un tant soit peu réducteur, à la fois sur le plan intellectuel et rédactionnel, d’écrire : « Le colonialisme favorisa l’ethnicisation de l’Afrique » (page 246), ou, « Tant en Afrique française qu’en Afrique britannique, la première guerre mondiale fut suivie d’une tentative visant à faire rentrer les génies de l’appartenance impériale dans les lampes tribales. »  (page249)

Le sujet mériterait beaucoup mieux, car s’il a été quelquefois, par ignorance ou par calcul politique, instrumentalisé par la puissance coloniale, il l’a été beaucoup plus ensuite par certains politiciens africains.

La septième :

Quant aux pensées que l’auteur prête aux dirigeants politiques de la France et à la société française en général,  « la vision dominante », « la société impériale française », et sa conclusion qui proposerait « ce que signifiait pour un Etat penser comme un empire », ce type de réflexion nous laisse rêveur, très rêveur.

Je fais sans doute partie des ignorants de notre histoire coloniale, mais mes recherches et mes lectures ne m’ont pas véritablement convaincu qu’il y ait jamais eu de politique coloniale ou impériale en France, que le peuple français se soit beaucoup intéressé aux colonies, et c’est peut-être là qu’était le vrai problème, alors prêter à la société impériale française un « penser comme un empire », parait tout à fait imaginaire.

Et c’est bien dommage parce que l’auteur appâte le lecteur en mettant dans le titre de ce chapitre l’imaginaire politique, alors qu’il n’y consacre que quelques pages !

L’auteur esquisse quelques réflexions sur l’existence de connexions, de réseaux transnationaux, de limites au pouvoir colonial, et c’est sur ce terrain que la réflexion et la recherche aurait pu être la plus novatrice, mais le lecteur doit rester sur sa faim.

Empires ou non, états-nations ou non, imaginaire colonial ou non, en tout cas non démontré, la colonisation française n’a pas fonctionné de la façon abstraite décrite.

&

La France et l’Afrique n’ont jamais été en mesure de relever le challenge de la citoyenneté républicaine pour de multiples raisons, dont les deux principales sont celles des deux guerres mondiales : après 1918, une France saignée à blanc qui n’avait plus les moyens de ses ambitions coloniales, pour autant qu’elle en ait eu ; après 1945, une France encore plus affaiblie, et l’arrivée des Etats Unis, de la guerre froide qui a redistribué toutes les cartes.

Est-ce que le FIDES aurait pu exister sans le plan Marshall, financé par les Etats Unis ?

Les caractères gras sont de ma responsabilité

 

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