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10 novembre 2016 4 10 /11 /novembre /2016 11:35

                            Synthèse critique

                            Première partie

 

            Après avoir lu et relu cet ouvrage, l’avoir annoté, je dois convenir qu’il s’agit d’un important travail d’analyse, mais qui pose de nombreuses questions : n’était-il pas trop ambitieux ?

         J’ai listé six questions qui font problème, à savoir, le champ de cette étude (I), sa chronologie (II), écriture de l’histoire à l’époque coloniale ou historiographie (III), une comparaison pertinente (IV), le type d’histoire, servile ou méthodique , entre pouvoir et savoir (V), la place de l’histoire du terrain (VI).

        I – Le champ de l’étude : l’Afrique, quelle Afrique ? Le titre même de l’ouvrage recèle une ambiguïté, étant donné qu’à lire l’ouvrage, il s’agit avant tout de l’Afrique occidentale, une Afrique qui en tant que telle n’était déjà pas facile à déchiffrer.

       II – La chronologie ? L’auteure a choisi un découpage chronologique qui, à mes yeux, ne correspond pas à l’évolution de la colonisation sur le terrain de l’A.O.F, ni à celle de la France de la fin du dix-neuvième siècle et du début du siècle suivant.

      Cette chronologie est différente de celle que propose l’historien Sudhir Hazareesingh, pour l’historiographie française au cours de la période retenue par Sophie Dulucq, dans son livre « Ce pays qui aime les idées ».

      Sophie Dulucq retient les dates clés suivantes pour ses chapitres, « 1900 » pour le premier, « 1890-1930 » pour les quatre chapitres suivants, « 1930-1950 » pour le cinquième, et « 1950-1960 » pour le septième.

      Si j’ai bien interprété la chronologie  retenue par Sudhir Hazaeesingh,  elle serait la suivante : « 1897 » (p,325) : une période de chasse gardée des professionnels, « 1929 » (p,326) : une rupture historiographique initiée par Marc Bloch et Lucien Febvre, « après 1945 », (p,328), une phase d’histoire idéologique, s’enchainant avec une phase d’histoire-mémoire.

     Ce découpage historique me parait mieux traduire les caractéristiques d’une historiographie métropolitaine très éloignée du terrain colonial.

      En 1890, l’A.O.F n’était pas encore partout pacifiée, et l’administration était encore très largement entre les mains des militaires. La nouvelle Fédération de l’A.O.F n’existait pas. Elle fut créée en 1895.

       En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Sahel en général, le Niger, le Dahomey, la paix civile n’y existait pas et les structures administratives étaient encore et très largement dans les limbes.

       Que dire alors de l’histoire en gestation ?

     La formule utilisée par l’auteure à la page 58 : « Mais le moment colonial marque une rupture dans une tradition savante déjà ancienne.» mériterait d’être incontestablement expliquée. Etait-ce exact en 1900 ?

     Le découpage chronologique factuel le moins contestable aurait dû marquer les ruptures de la première guerre mondiale, avec une Afrique de l’Ouest à peu près pacifiée en 1920,  et la deuxième guerre mondiale, avec la naissance d’un monde nouveau.

     Ce découpage manque de pertinence, tout autant qu’un autre découpage en trois phases, retenu par le collectif de chercheurs Blanchard and Co, dans leur livre « Culture coloniale » : « 1871-1914 »,  « après 1914 »,  « 1925-1931 ».

     En ce qui concerne la première période intitulée « Imprégnation d’une culture »,  (1871-1914) coloniale bien sûr, je recommanderais aux chercheurs de lire l’excellent ouvrage d’Eugen Weber,  « La fin des terroirs », afin de prendre la mesure du fait que la France de la fin du siècle ressemblait encore dans un certain nombre de ses provinces au monde colonial, et que les concepts liés au « colonial » leur étaient complètement étrangers.

      Pour les lecteurs intéressés, je publierai dans les prochains mois ma lecture critique de cet ouvrage fort intéressant.

      La date de 1931, constitue à mes yeux une fausse fracture chronologique, de nature idéologique.

     III – Ecrire ? S’agit-il de l’écriture de l’histoire ou de celle de l’historiographie ?

      Première main ou deuxième main ? Historiographie des premiers « violons », les Delafosse, Hardy, Rousseau…, ou des musiciens amateurs, les « historiens » du terrain ?

      Dans l’introduction du livre « Les empires coloniaux », Pierre Singaravélou précise à juste titre, et dans le titre lui-même de quoi il s’agit :

     « Situations coloniales et formations impériales : approches historiographiques » (p,9) 

     La question est difficile, mais elle n’est pas sans intérêt, compte tenu du postulat posé par l’auteur, c’est-à-dire « Ecrire l’histoire… »

      Les sources citées : si l’on fait le compte des sources citées qui permettent de cerner le problème, 36 sources françaises ou étrangères ont été exploitées pour l’histoire de la colonisation française (dont 6 pour Hardy, et 5 pour Brunschwig), avec une seule source de terrain.

    En ce qui concerne l’histoire « indigène », 36 sources ont été exploitées, dont 18 du terrain colonial.

    En ce qui concerne les sources bibliographiques, 169 sources ont été exploitées, dont 127 françaises, 34, étrangères, et seulement 7 du terrain colonial.

    Est-ce que ce type de problématique et de pertinence historique ne justifierait pas des analyses au cas par cas, situation coloniale par situation coloniale, et avec une chronologie comparable, en partant d’un  récit de base, en le comparant à ce qu’en a retenu l’historiographie, et à celui produit par des historiens, notamment issus de l’ancien monde colonisé ?

      Trois exemples pourraient être proposés, si cette analyse n’a pas déjà été faite : sur le Niger, l’histoire comparée de Samory (années 1880-1900), entre celle d’Yves Person, celle des « historiens » du terrain, les officiers, celle des autres traditions que la tradition « dyula », par exemple bambara, et celle des historiens africains modernes.

       Au Tonkin, les récits comparés des historiens mémorialistes, souvent des amateurs, officiers de la conquête ou non, concernant la vie du Dé-Tham, grand rebelle devant l’Eternel, à la fin du dix-neuvième siècle, avec celle des historiens professionnels français, s’il y en a eu, et les historiens du Viet Nam.

      Comme je l’ai écrit après un voyage au Tonkin, mon épouse et moi avons eu la plus grande peine à se faire ouvrir un musée consacré au Dé-Tham, un musée qui paraissait abandonné.

     A Madagascar, la vision historique qu’avaient les premiers visiteurs, puis conquérants de ce pays, au moment de la conquête française  en 1895, avec celle que défendent les historiens malgaches d’aujourd’hui.

      IV – Une comparaison pertinente sur le plan historique, en termes de moyens ?

     Tout au long des pages, court en effet la question de savoir si la comparaison qui, en définitive, est faite ou proposée, ne souffre pas d’une carence d’évaluation des moyens consacrés à l’écriture de l’histoire, en fonction des situations respectives entre métropole et colonies, avec notamment, les effectifs d’historiens en compétition, pour autant que cette dernière existât.

      Au fil des lignes, on en retire évidemment la conclusion que l’histoire coloniale n’attirait pas beaucoup les universitaires français, une différence d’échelle qui expliquerait naturellement les jugements péjoratifs très souvent rapportés par l’auteure.

     Combien l’A.O.F, puisqu’il s’agit essentiellement d’elle dans l’ouvrage, comptait d’agrégés en 1920, en 1939, puis en 1945 ? Où allaient les meilleurs d’entre eux ? Combien de la rue d’Ulm ?

       Est-ce que par hasard, cette inégalité entre les moyens n’illustrait pas à sa façon le désintérêt de la métropole pour les mondes d’outre- mer, avec un bémol pour le Maghreb et l’Indochine ?

      Comment est-il possible de comparer de façon pertinente les produits de l’histoire coloniale auxquels l’auteure fait référence, entre ceux de la métropole et ceux des colonies, compte tenu tout à la fois des problèmes d’échelle, de moyens, et de situations historiques à la fois changeantes et souvent opposées,  selon leur chronologie et leur localisation.

     Pour résumer le propos, comment poser les mêmes exigences de méthode, pour autant qu’elles existèrent en France, entre la métropole et l’Afrique noire, celle que vise l’auteure, sans Etat, et sans argent ?

      Sans distinguer le monde écrit et le monde oral, la multiplicité des croyances (islam, animisme et fétichisme) et des langues et dialectes, les modes de vie, entre les zones côtières et l’hinterland, les grandes zones climatiques, etc… ?  (voir Richard-Molard)

     

 

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