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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 18:18

 

« Français et Africains ? »
Frederick Cooper
&
5
CONCLUSION, page 443
Avant- propos

 

                Je me propose d’élargir ce type de conclusion avec les conclusions générales que je publierai ultérieurement, et de proposer aux lecteurs quelques témoignages sur la période étudiée par l’auteur, dans le but de mieux « contextualiser » encore, sur le plan historique, ce type d’analyse.

&

           Je cite le début du texte :

               « Le spectre d’idées utilisées par les acteurs politiques de la France africaine et de la France européenne dans leur approche de la politique entre 1945 et le début des années 1960 était  bien plus large que la dichotomie entre empire colonial et Etat-nation indépendant. Le sens des mots « citoyenneté », « nationalité », et « souveraineté » n’était pas figé. Il était l’objet de contestations politiques, et non le simple sujet de traités juridiques ou philosophiques. La définition de ces mots constituait des enjeux majeurs, tant pour un Sénégalais en quête d’un meilleur salaire à Dakar ou d’un emploi à Lyon que pour un leader politique s’efforçant de mobiliser un électorat à Bamako ou dans les faubourgs de Marseille.

            L’historien est inévitablement confronté à la tentation de tracer une ligne conduisant inexorablement au présent. Par contraste, nous consacrons une grande part de nos énergies politiques dans le présent à gérer des inconnues et des contingences. Le récit que j’ai raconté ici montre des gens qui agissaient et cherchaient à agrandir – ou rétrécir – les ouvertures qui se présentaient à eux. On nous dit régulièrement (Qui ?) que la nation est la composante majeure de l’imagination politique depuis les révolutions de la fin du XVIIème siècle et du début du XIXème siècle, que la souveraineté « moderne » est nécessairement territoriale et indivisible, que la citoyenneté dans une république suppose un lien entre l’individu et l’Etat affranchi des différences de statut ou de communauté. Les acteurs du récit présenté ici – français et africains –pensaient autrement…(p,443)

            Dans les assemblées qui rédigèrent la Constitution française de 1946, un nombre infime de députés africains et antillais obligèrent leurs collègues à engager une discussion sérieuse sur le type d’Etat qu’était et pouvait être la France. Les dispositions constitutionnelles sur la citoyenneté mirent à leur tour des mouvements politiques et sociaux africains en mesure de réclamer l’équivalence non seulement politique, mais aussi sociale, économique, de tous les citoyens français… (p,444)

           Entre 1946 et 1956, des mouvements africains remportèrent en particulier dans le domaine social d’importantes victoires : revalorisation des salaires et des prestations sociales, égalité des prestations sociales dans la fonction publique, nouveau code du travail, et preuve faite que les organisations africaines auraient leur mot à dire lors de grandes décisions. Dans les régions rurales, les partis africains contestèrent la vieille hiérarchie des administrateurs et des chefs. Les demandes d’égalité sociale plus que toute autre chose, poussèrent les responsables et les politiciens français du milieu des années 1950 à repenser leurs tendances centralisatrices et à concéder un réel pouvoir aux assemblées territoriales africaines, seul moyen par lequel ils pouvaient amener les leaders politiques africains à délaisser leurs ambition d’égalité avec la France européenne pour se concentrer sur le développement des ressources au niveau territorial. » (p,445)

          La citation ci-dessus illustre bien, et à nouveau, la quadrature du cercle que les leaders africains demandaient à la France de résoudre : comment trouver une solution institutionnelle de représentation politique au sein des institutions de la Communauté qui ne donne pas le pouvoir aux territoires d’outre-mer ? Comment limiter les ambitions d’égalité sociale des dirigeants africains sous peine de faire régresser le niveau de vie des habitants de la métropole ? Est-ce que les dirigeants africains eux-mêmes étaient prêts à jouer le jeu d’une solidarité horizontale, complémentaire de la solidarité verticale qu’ils revendiquaient, par une voie confédérale ou fédérale ?

         Autre question sur laquelle l’auteur fait assez largement l’impasse : quid des solutions envisagées pour les autres territoires, alors que pour la France, l’Afrique de l’ouest n’avait qu’une importance marginale ?

        L’auteur poursuit :

         « Comment expliquer que les dirigeants ambitieux et intelligents de la France européenne et de la France africaine se soient retrouvés en 1960 avec une forme d’organisation politique – l’Etat-nation territorial – que peu d’entre eux avaient recherchée en 1946, sauf la Guinée, avaient rejetée en 1958 ? Ce livre est le récit d’un processus, car l’ « indépendance » » ne fut ni un événement ni une condition explicable par une cause précise. D’autres options étaient possibles… »

         Etait-ce vraiment le cas ? Non, pour avoir été un jeune acteur et témoin du processus décrit.

       « … Si l’on croit dès le départ au grand récit de la transition globale à long terme, de l’empire vers l’Etat-nation, on peut aussi bien passer à côté de la question qui ouvre ce paragraphe. » (p,446)

         L’auteur donne plus loin une des raisons du processus historique concret qui s’est déroulé :

        « La loi- cadre fut à la fois une concession face aux demandes africaines de réformes politiques et une tentative de désengagement du contribuable métropolitain vis-à-vis des responsabilités de la citoyenneté sociale. » (p,446)

        Existait-il  « d’autres possibilités », «  des trajectoires alternatives » ? (p,447)

        Personnellement, je ne le pense pas, mais sommes-nous encore dans l’histoire ? Il parait assez logique, comme ce fut le cas pour beaucoup d’histoires « nationales », que les dirigeants africains réécrivent leur roman « national », à l’exemple de la France par exemple.

       Cela l’est peut-être moins de la part d’analystes ou historiens européens, ou encore américain, comme c’est ici le cas.

        «  Quelles que soient les trajectoires alternatives qui s’ouvrirent lors de ces moments décisifs  l’inéluctabilité de la voie suivie n’apparut – certainement à la plupart des activistes impliqués – que rétrospectivement. Après l’indépendance, les dirigeants africains s’empressèrent de réécrire l’histoire de leur pays en s’y érigeant en père de la nation, même si la nation qu’ils dirigeaient désormais n’était pas celle qu’ils avaient cherché à créer » .(p,447,448)

         La phrase suivante est-elle fondée pour l’AOF ? :

         «  Dans le même temps, le souvenir des luttes menées pour rendre la citoyenneté française socialement, politiquement et culturellement importante pour une population diversifiée fut retiré de l’histoire de France aussi complètement que le furent, jusqu’à récemment encore, les archives de la France sur la domination coloniale et l’oppression coloniale. » (p,448)

       Au risque de me répéter, car il s’agit d’une des constantes de ma lecture de l’histoire coloniale française, et contrairement à certains discours idéologiques aujourd’hui en vogue sur la culture coloniale ou impériale des Français à l’époque des colonies, la France n’a jamais eu l’esprit colonial.

        Laisser croire que le souvenir de ces « luttes » ait été « retiré de l’histoire de France » dénote tout simplement et à la fois, d’une méconnaissance de notre histoire nationale, et de l’absence d’évaluation de la soi-disant culture coloniale des Français.

        Les remarques de la page 450 éclairent d’ailleurs d’un autre jour, plus cru, ce type d’analyse qui parait trop éloignée des réalités françaises et africaines :

       « Autant nous connaissons les intenses débats entre acteurs politiques africains sur l’avenir de leurs territoires, autant nous ignorons ce que les citoyens ordinaires d’Afrique occidentale française – les agriculteurs, les commerçants, les ouvriers – pensaient de l’ambiguïté de leur situation de citoyens français. Les prochaines générations de chercheurs découvriront ce qu’on peut savoir sur les idiomes et les connexions à l’aide desquels les gens dans divers contextes de l’Afrique pratiquaient la politique. Nous savons cependant qu’alors même que l’Etat colonial tardif s’efforçait d’enregistrer ses citoyens dans des institutions liées à l’ordre social, l’aide sociale et la surveillance, les Africains utilisaient ces mécanismes à leur manière, par exemple en ignorant l’état civil sauf quand ils avaient besoin de se faire connaitre de l’Etat pour inscrire un enfant à l’école, pour voter, recevoir des avantages sociaux ou obtenir les documents nécessaires pour aller en France européenne. »(p,450)

          Pour avoir fréquenté le nord du Togo, un territoire plutôt gâté, dans les années 1950, j’écrirais volontiers que les lignes ci-dessus traduisent un parti pris idéologique qui feint d’ignorer les situations coloniales de l’époque considérée : citoyenneté ? souveraineté ? fédéralisme ? suffrage universel ?...

         J’aurais aimé que M.Cooper vienne expliquer aux Gam-Gam ou aux Tamberna ce que ces mots voulaient bien dire.

        « Les mobilisations ne s’inscrivent pas dans la trame d’un récit unique qui serait celui du « nationalisme… La voie suivie par l’Afrique Occidentale française pour sortir de l’empire, bien que complexe, ne fut qu’une voie de sortie parmi d’autres. En Algérie… » (p,451)

         Oui, mais en Algérie, rien de commun avec l’AOF ! Et l’histoire réelle fut écrite tout autrement.

        L’auteur propose in fine trois épilogues :

       En premier lieu, le Sénégal en 1962, qui vit Senghor, le catholique, une exception dans ce pays musulman, opter rapidement pour le parti unique, et mettre en prison Mamadou Dia, son ancien Premier ministre, musulman et également socialiste.

Il est difficile de proposer une explication à cette dérive, sauf à dire que même dans ce pays qui comptait le plus de citoyens acculturés, d’anciens citoyens de statut français, les réalités concrètes du terrain social, économique, et religieux, c’est-à-dire les structures, plus que la conjoncture du Sénégal reprenaient le dessus, les nouveaux pouvoirs qui succédaient à la superstructure coloniale, en succédant à ces mêmes superstructures, c’est-à-dire en faisant le grand écart entre les privilèges de la minorité évoluée et le peuple sénégalais. (1)

         En deuxième lieu,  la France en 1974 : l’auteur note qu’à partir de 1974, la France prit un virage dans sa politique d’immigration, en supprimant la liberté de circulation des français et des africains.

         L’auteur écrit :

         «  Face aux efforts du gouvernement pour expulser les Algériens et les Africains, et aux discours et actes anti-immigrants qui s’ensuivirent, se dressa la résistance d’organisations d’immigrants africains et de leurs sympathisants français regroupés dans des églises, des syndicats et d’organisations de défense des droits. Il n’est pas plus évident que les forces de la xénophobie et de l’islamophobie l’aient emporté dans les années 1980 (ou aujourd’hui) qu’il était évident que l’ouverture et la tolérance étaient des normes universelles en 1973 - ou en 1946. » (p,457)

           Une autre interprétation aurait ma faveur : la France était enfin sortie des fictions coloniales.

          En troisième lieu, la Côte d’Ivoire en 2011 : la crise répétait à plus grande échelle, la crise de l’année 1958, qui vit l’expulsion des étrangers africains de Côte d’Ivoire, avec l’émergence du concept d’ « ivoirité ».

           Cette crise soulevait le problème de la population, le plus souvent de religion islamique, venue du Burkina Fasso, pour y travailler et s’y installer depuis plusieurs dizaines d’années, perçue comme une menace par une partie de la population « supposée » d’origine ivoirienne, d’ancienne culture animiste, car l’Etat colonial de la Côte d’Ivoire ne vint à la vie qu’en 1893.

         L’auteur décrit bien cet épisode :

          « Une succession d’élections truquées, de coups d’Etat militaires, et une guerre civile – ponctuée d’interventions extérieures au nom de la paix et de la démocratie – plongea la Côte d’Ivoire dans un cycle de nettoyages et contre-nettoyages ethniques.  «  (p,459)

        L’auteur estime qu’il pouvait en être autrement, fidèle en cela, à sa théorie du spectre des solutions politiques du « meilleur des mondes » qui auraient existé dans les années 1946, mais est-ce qu’il ne conviendrait pas d’y voir tout simplement et techniquement, une construction nationale en cours, puisque la Côte d’Ivoire avait acquis sa souveraineté d’Etat non national ?

         « Solidarités horizontales, solidarités verticales et construction de l’Etat » (p,460)

           Toutes les tentatives de construction de relations institutionnelles nouvelles entre la France et l’Afrique (mais quelle Afrique ?) dans ce que fut une Union Française artificielle et une Communauté mort-née, avaient échoué, et il ne pouvait en être autrement.

        L’auteur marque bien que les relations officielles avaient basculé dans « des réseaux personnels opaques », les réseaux Foccart, la Françafrique, mais est-ce qu’il n’en était pas déjà ainsi auparavant, et sous une autre forme ?

       « On ignore bien entendu si une situation coloniale aurait pu déboucher sur une France véritablement fédérale, multinationale et égalitaire – en supposant que les politiciens de la France européenne auraient accepter de payer la facture, et que les politiciens africains auraient été moins soucieux de leurs assises politiques territoriales. L’intérêt du récit proposé dans ce livre est qu’il présente ce que fut le sentiment du possible durant une certaine période de l’histoire mondiale… »

        J’ai mis en gras les quelques mots qui posent une partie des très nombreuses questions que soulève la lecture de ce livre, dans son contenu et dans la lecture historique elle-même que l’auteur propose.

        « Le sentiment du possible » ? Dirais-je que l’histoire ne fait pas de sentiment ? Ou encore que certains historiens postcoloniaux font souvent du sentiment, ou dans l’idéologie, dans la filiation de certains historiens coloniaux, peu nombreux d’ailleurs face à l’armada des universités françaises de l’époque, on condamne aujourd’hui ce qu’on adorait dans le passé…

Jean Pierre Renaud

Tous droits réservés

Le 18 août 2015

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