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2 février 2024 5 02 /02 /février /2024 11:33

 

Chapitre 4

 

1886-1887 : Péroz vers le Niger et l’Empire de Samory à Bissandougou

 

Un deuxième témoignage « blanc » sur le monde noir de l’Afrique Occidentale (1886-1887)

 

A titr(e d’information complémentaire, j’ai publié, en 2011, un livre consacré au capitaine Péroz, dont le titre était « Les confessions d’un officier des troupes coloniales »

Niger (Samory). Guyane (Dreyfus). Tonkin (Dé-Tham)

 

Une carte

 

 

            Lorsque  le capitaine Péroz exécuta la mission que lui avait confiée le lieutenant-colonel Gallieni, sur instruction du Ministre de la Marine et des Colonies, à savoir, négocier un traité de protectorat avec l’Almamy Samory, et donc se rendre dans le Ouassoulou, jusqu’à Bissandougou, siège de son pouvoir, le capitaine avait déjà acquis une bonne connaissance du monde noir, mais en qualité d’officier combattant.

 

            En 1884, il avait guerroyé sous les ordres du Commandant Combes, contre les sofas de Samory, et s’était illustré, à la fin de 1884 et au début de 1885, en défendant le nouveau fort de Niagassola contre les sofas de l’Almamy.

             Au printemps 1886, il avait accompagné le capitaine Tournier auprès de Samory pour négocier un traité de protectorat que la France n’estima pas satisfaisant. Améliorer et compléter ce premier accord fut donc la mission  du capitaine Péroz.

 

            Il intervenait donc dans les affaires du Haut Sénégal dans une tout autre qualité que celle de soldat, et c’est tout l’intérêt de sa contribution à la connaissance du monde noir, et notamment celui de Samory, dont l’histoire et l’organisation politique étaient alors quasiment inconnues.

            Ce sont donc les observations recueillies au cours de sa mission qui nourrirent le récit de l’ouvrage intitulé « Au Soudan », publié chez Calmann - Lévy, en 1889.

 

            La topographie de l’explorateur et ses cartes

           

            Le capitaine Péroz était accompagné du lieutenant Plat chargé de toute l’intendance de la mission, et en particulier de l’établissement des cartes :

            «  L’arrivée au campement, alors que tout le monde se repose des fatigues de la marche, il faut qu’il traduise sur la carte notes et observations et qu’il passe la soirée penché sur sa table, suant sang et eau par quarante degrés de chaleur, à dessiner son itinéraire. Tel est au moins le rôle de l’explorateur consciencieux qui veut rapporter de ses voyages un carte sérieuse et non des itinéraires faits d’approximation et destinés à être controuvés à chaque contrôle ultérieur… Aussi les résultats topographiques de la mission dépassèrent-ils tout ce qu’on pouvait espérer. Ce jeune officier y joignit en outre un précieux album de vues, croquis et types, saisissants de vérité, qui pourront aider puissamment à la connaissance du pays mandingue. (p.107) »

 

            De son côté, le docteur Fras, outre l’ample mission d’informations scientifiques recueillies, enrichissait la collecte de la mission par des photos.

 

            L’habitat

 

            Relevé des pistes, description des paysages, géographie aussi de l’habitat. L’auteur consacrait de nombreuses pages à la description des habitations de Nafadié, la ville, sainte du Mandingue musulman :

            «  On y voit encore les ruines de la gigantesque mosquée construite il y a une cinquantaine d’années par le roi Kankan-Mahmadou, qui venait chaque année y faire ses dévotions pendant le rhâmadan… Elle a été incendiée, en 1873, par Nassikha-Madhi, frère de Samory, pendant le siège qu’il fit de cette ville.

            Les maisons, dans cette région, sont beaucoup plus confortables que dans le Haut Sénégal et le Soudan français. Elles se composent, comme sur la rive gauche du Niger, d’une muraille circulaire en pisé couverte d’un chapeau conique ; mais elles sont beaucoup plus spacieuses. Nombre d’entre elles ont un étage séparé du rez-de-chaussée par un plancher en bambous très bien ajustés et couvert d’argile durcie…(336)

 

            Et Péroz de décrire en détail l’aspect et la composition de ces habitations dans les pages qui suivaient.

 

            De même, il s’attardait sur la merveille du pont du  Bangalanko :

 

            « Les indigènes ont jeté sur le Bangalanko, - que nous avons à franchir avant d’atteindre Bangalan puis Diangana où nous camperons, - un pont qui est une véritable merveille dans son genre. A ce point, la rivière, large de 50 mètres, coupe, à une profondeur de 5 mètres, dans des berges taillées à pic, le tuf ferrugineux du sous-sol. De grands arbres ont poussé au milieu de son lit, qui demeure presque à sec une partie de l’été ; d’autres ont cramponné puissamment leurs racines dans les fissures des parois verticales des berges. C’est sur leurs maîtresses branches que les habitants de Bangalan ont installé leur pont.

            A l’aide d’un enchevêtrement inextricable de bois de toutes longueurs et de toutes grosseurs, ils ont établi une sorte de tablier sur lequel un lit de fascines a été placé ; puis des menus branchages ; enfin sur le tout trois couches alternatives d’argile durcie et de paille…(342)

           

L’accueil  et l’hospitalité

 

            Péroz  constatait que l’hospitalité était une coutume bien ancrée dans les mœurs malinké et une règle de vie fidèlement appliquée dans la plupart des villages du Soudan traversés, en tout cas dans les zones où la paix civile régnait.

            A Kankan, il relevait :

            « Pendant la journée, de tous les villages voisins, et ils sont nombreux, il nous arrive des dons de tout genre qui dénotent la grande richesse du pays en céréales, en légumes diverses et en troupeaux.

            Un des bœufs qui nous fut ainsi offert, magnifique taureau noir, vraie bête de sacrifice, était d’une nature tellement sauvage qu’il faillit mettre à mal plusieurs hommes de mon camp. » (347)

            Urbanité des rapports, palabres de salutations, échange traditionnel de cadeaux, telles étaient souvent les caractéristiques de ses rapports avec les chefs et notables de villages.

 

            A son arrivée à la frontière des Etats de Samory, sur les rives du fleuve Niger, le capitaine lui adressa un courrier pour l’aviser de sa présence et de son désir de le rejoindre à Bissandougou pour l’entretenir.

            « Il est d’usage, dans le Soudan, que lorsqu’un chef se présente sur les confins des possessions d’un autre prince, il adresse à celui-ci quelque cadeau de bienvenue. Pour me conformer à cette coutume, je mets à profit l’occasion que me présentent ces diulhas (les colporteurs traditionnels du pays) pour prier l’un d’eux de se détacher de la caravane et d’aller à Bissandougou ; il y fera hommage à l’almamy, de notre part, d’un fort joli fauteuil pliant couvert de dorures, à fond de soie brodée, que nous transportions comme une châsse depuis notre départ de Kayes

            Comme on le voit, nous n’avions rien négligé pour faire sous d’excellents auspices une prompte entrée dans les Etats du conquérant malinké. Néanmoins, nous attendîmes neuf longs jours une réponse de lui. (323) »

 

            Comme en atteste l’exemple ci-après, les échanges entre blancs et noirs n’étaient pas uniquement verbaux, contrairement à ce que certains croient à tort : les chefs noirs les plus importants, adeptes de l’islam, avaient à leur disposition des lettrés arabes capables de rédiger leur courrier en arabe. Tel était le cas de Samory, lequel adressa  sa réponse au capitaine Péroz. Cette missive est intéressante à lire : elle donne une idée du style fleuri, tout imprégné d’images tirées du Coran, qu’employaient les malinkés érudits.

            Voici en quels termes elle était conçue :

 

            « Louange à Dieu, qui nous a donné la faculté d’écrire au capitaine Péroz, qui est loin de nous.

            Nous appelons les bénédictions de Dieu sur son prophète.

            Cette lettre, c’est nous qui l’écrivons, almamy Khébir. Nous adressons mille saluts au capitaine Péroz. Que ces salutations lui soient plus douces que le miel et le sucre ; qu’elles aillent à notre ami dont la vue réjouit nos yeux, dont la présence est douce au cœur comme le fruit du tamarinier et en chasse le chagrin…

            Nous sommes heureux, très heureux de son arrivée auprès de nous. Nous avons hâte de le voir. Que notre ami vienne vite. Qu’il vienne vite. Car, auprès de nous, tout lui viendra à bien.

            Salut ! » (326) 

 

            Les captifs

 

            Alors que la traite négrière était interdite et encore combattue sur le plan international, elle continuait à exister en Afrique occidentale. Tous les récits de cette époque l’attestent, et le capitaine Péroz confirmait à cet égard les observations que Mage avait faites plus de quarante ans auparavant.

 

            Passant à Kita, Péroz notait :

            «  Les captifs, qui sont la grande marchandise d’échange du Soudan, y abondent et se vendent à une portée de fusil du fort. L’autorité ferme les yeux sur ce trafic, car nous n’arriverons à repeupler le pays qu’en autorisant, pendant plusieurs années encore, les caravanes à se débarrasser de leurs captifs sur notre territoire où ils deviennent des agriculteurs, et des hommes libres après une génération. » (185)

 

            L’auteur racontait encore :

            «  Au moment où nous nous engageons sous les bois au milieu desquels coule le ruisseau Kolamini où nous allons camper, nous nous croisons avec une caravane de quarante cinq captifs allant à Kita. Ce sont surtout des femmes et des enfants. Ces derniers gambadent insouciants autour de leurs mamans et paraissent peu affligés de leur sort. Les femmes, sauf les plus vieilles, sont chargées d’un ballot de noix de kola ou de pains de beurre de karité.

            Hier à Goubanko, nous avons vu une caravane du même genre ; toutes deux viennent du Ouassoulou. » ( l’Etat de Samory).(209)

 

            Sans nous attarder, pour le moment, sur ce sujet sensible, signalons que beaucoup dissertent sur la signification du mot captif, et de la situation des captifs au Soudan, en faisant valoir que le captif n’avait rien à voir avec l’esclave, et que sa condition était en définitive assez proche de celle de nos serfs du Moyen Age. Ils précisent aussi que beaucoup de captifs ou d’anciens captifs jouaient un rôle important auprès des chefs, comme Mage l’avait déjà noté. C’est vrai, mais il n’en reste pas moins qu’en parallèle, il existait bien alors un commerce des esclaves, c’est à dire une traite négrière. Il n’était non moins vrai que beaucoup des guerres locales étaient tout simplement motivées par la razzia de nouveaux captifs.

 

            Les mœurs, les coutumes, la philosophie de la vie des Malinkés

 

                        « A notre arrivée, nous fûmes fort étonnés de leur paresse et des difficultés que nous éprouvions à secouer leur torpeur, même en leur faisant espérer une rétribution très élevée du travail que nous leur demandions. Cependant, les causes de cette apathie étaient facilement visibles.

            A la façon dont ils envisageaient la vie, ils n’avaient rien à désirer lorsqu’ils possédaient une case, une ou deux femmes, un fusil, quelques captifs, une vache, de rares moutons et assez de mil dans leurs greniers pour préparer le couscous quotidien, et de temps à autre, une calebasse de dolo (bière de mil). Leur grand luxe était un morceau de guinée ou de calicot transformé en boubou et jeté par-dessus les vêtements que les captifs leur avaient tissé à leurs moments perdus ; une couverture légère dans laquelle ils se roulaient la nuit, et avec laquelle ils paradaient aux grands jours, constituait le summum du confort.

            Les Européens de même que tous les peuples civilisés cherchent à amasser beaucoup d’argent…

            Mais les jouissances de la civilisation, les besoins qu’elle crée sont inconnus du Malinké. La maison est parfaite lorsque, comme toutes les cases voisines, elle se compose d’un cylindre de terre battue couverte d’un chaume pointu…

            Que lui donnerons-nous en échange des labeurs et des peines que nous lui imposerons ? De l’argent : mais qu’en ferait-il ? Lorsqu’avec quelques centaines de francs, il aura atteint le maximum de son ambition en devenant chef de cases avec le modeste train de vie que je viens de dire, à quoi emploierait-il le surplus ? Le fondra-t-il et en ferait-il des bracelets ? Malgré son amour pour cet ornement, il ne peut cependant s’en couvrir de la tête aux pieds. Acheter des captifs ? Depuis que nous sommes maîtres chez lui, ils deviennent introuvables.

            Aussi, béatement couché sur son tara (lit), il passera ses journées à fumer ou à priser le tabac récolté dans son enclos ; le soir, sous « l’arbre » en compagnie des fortes têtes de l’endroit, il devisera bien tard en buvant du dolo et en regardant les jeunes gens danser et se divertir devant une grande flambée de paille et de brindilles. Son existence s’écoulera de la sorte douce et tranquille, et elle ne sera remplie que par un seul désir, celui de vivre longtemps ainsi sans qu’aucun tracas, aucun souci ; vienne le tirer de sa douce torpeur. » (137)

 

            L’auteur faisait remarquer que le Malinké n’avait pas du tout la même notion du temps que les blancs.

            «  Pourquoi donc s’inquiéter ?

            Que les blancs soient les bienvenus! La terre est assez grande pour tous. Mais qu’ils ne nous demandent rien ; surtout pas de travail, pas de soucis ; qu’ils ne nous jettent pas toujours le fastidieux « demain » à la tête, et nous laissent notre quiétude. (138)

            Le temps n’est rien pour les indigènes, les distances peu de choses. (200) »

 

            Un tableau peut être un peu caricatural, car les observations de l’auteur sur la qualité des cultures qu’il rencontra lors de  son parcours, témoignaient au moins autant du labeur d’une partie de la population.  A l’approche du fleuve Niger, il décrivait l’état florissant des cultures et leur variété, riz, maïs, coton, tabac, karité, fruit du travail d’une population fort laborieuse. Il notait aussi que la qualité du riz n’avait rien à envier au riz « caroline », et que « beau… le maïs l’est incontestablement plus que celui de France. » (250)

 

            Les femmes

 

            Le récit de Péroz est particulièrement intéressant à leur égard.

            « Au tournant de la route, notre attention est attirée par de sonores coups de hache s’abattant sans relâche sur les arbres voisins. Ce sont des femmes de Kita, jeunes et vieilles, qui font leur provision de bois pour préparer le repas de leurs maris qui, je le parierais volontiers, somnolent béatement sur le seuil de leur porte, la pipe aux lèvres, se réchauffant aux douces caresses du soleil levant.

            La femme malinkèse est très rarement maltraitée, peu rudoyée, et la qualité de mère la fait respecter à l’égal d’une madone ; toutefois  aucun labeur, même les plus durs, ne lui est épargné. Elle occupe peu de place au foyer où le maître de la maison la considère simplement comme la mère de ses enfants et une domestique de confiance, soumise et résistant aux plus rudes fatigues. Cependant, les femmes des chefs de cases riches (chefs de famille) n’ont généralement guère d’autres occupations que la culture et l’arrosage des jardins. Ce travail est encore assez pénible, à cause de la façon rudimentaire dont on puise l’eau avec une calebasse dans les puits, mais enfin, c’est le seul, avec la préparation de la nourriture du maître.

            Malgré ces travaux manuels nombreux, elles sont toujours, et sur elles-mêmes et sur leurs vêtements, d’une propreté parfaite. Chaque jour, aux heures de la sieste, alors que leurs maris somnolent à l’ombre, vautrés dans la poussière, elles vont au ruisseau voisin, mettent bas tout leur vêtement, et se lavent à grande eau. Puis elles nettoient leurs vêtements et le linge de la maison, non sans s’asperger encore une fois, alors que ce travail est terminé.

            Tout étranger, arrivant à midi près d’un village peut voir se renouveler à son profit la scène de Nausicaa et de ses suivantes, quittant leurs gais ébats dans l’onde pour courir au devant du voyageur altéré, et, dans leur précipitation à étancher sa soif, oubliant de remettre leurs vêtements qu’elles avaient étendus sur l’herbe pour les faire sécher.

            Les ablutions continuent le soir dans les jardins après l’arrosage. Et c’est un spectacle vraiment curieux et d’un très vif coloris que celui que présentent au coucher du soleil, ces femmes et ces jeunes filles nues, les bras levés, inondant de l’eau de leurs calebasses leurs corps de bronze se profilant nettement sur le rouge ou le bleu tendre du couchant, encadré par une végétation sombre et épaisse toute dentelée d’un étrange feuillage. (198)

 

            Les  diulhas

 

            A l’occasion de son voyage, le capitaine Péroz rencontra à maintes reprises des caravanes de diulhas, comme nous l’avons déjà vu en évoquant le problème des captifs. Il était en effet obligé d’emprunter les seules pistes qui existaient alors.

            La corporation des diulhas jouait alors un rôle majeur dans l’ensemble du commerce soudanais entre le sahel et la côte atlantique, sortes de marchands de gros qui affrétaient des caravanes pour acheminer leurs marchandises, produits (sel, bestiaux, mil, or ou kola) ou captifs.

            Il convient d’indiquer au lecteur qu’au tout début de sa vie, Samory partagea la vie des diulhas.

            «  A peine en route, nous avons rencontré une longue procession de marchands colporteurs, diulhas, suivis de leurs femmes. Pendant que ces messieurs marchent tout à l’aise, les mains ballantes, le large chapeau sur la tête et le fusil sur l’épaule, la crosse en arrière, leurs épouses ploient sous le faix d’énormes fardeaux placés en équilibre sur leurs têtes : les bébés qu’elles allaitent, et dont presque toutes sont pourvues, sont soutenus sur les reins de leurs mères par une large bande d’étoffe ; ils ballottent endormis deçà delà, leurs petites têtes crépues rejetées en arrière, dans un balancement cadavérique. C’est ici la coutume ; foin de galanterie ! Aux hommes les doux loisirs, aux femmes, les pesants fardeaux, les durs labeurs, sans que les devoirs conjugaux soient en rien amoindris.

            Les malheureuses n’ont même pas la ressource de la coquetterie pour amadouer leurs tyrans : un morceau d’étoffe enroulé autour des reins, quelques verroteries au cou et de l’ambre dans les cheveux relevés en forme de cimier constitue tout leur accoutrement. Quant aux hommes, dans les pays malinkés de la rive gauche du Niger, diulhas ou paysans, chef ou pauvre, voici comment ils s’habillent.

            Les coiffures sont de trois sortes : chapeau, bonnet ou turban…

            La pièce principale du vêtement est une sorte de blouse très ample, sans manches, descendant jusqu’à la ceinture ou jusqu’aux genoux, suivant les ressources de chacun ; elle est blanche, bleue ou jaune… Le pantalon, jusqu’au Niger, a l’apparence d’une jupe de zouave raccourcie jusqu’au-dessus du genou… La chaussure se compose uniformément d’un cothurne fait d’un morceau de peau de bœuf découpé d’après la forme du pied et de lanières qui le retiennent au cou de pied et au talon…

            Si les vêtements, surtout pour les femmes, sont d’une simplicité exemplaire, en revanche les bagues, les bracelets, les morceaux d’ambre, les verroteries de toute sorte font une large compensation à la légèreté du costume. »

 

            L’Empire de Samory

 

            A l’occasion de la défense du fort de Niagassola contre les sofas de Samory,  au cours de l’hiver 1884-1885, le capitaine Péroz avait déjà eu l’occasion de se faire une opinion sur son armée, et  de recueillir des informations sur le nouvel empire, car son origine historique ne datait que des années 1870. Sa mission lui donna la possibilité de confirmer certaines de ses impressions, mais surtout de découvrir toutes les facettes de l’organisation politique et militaire des Etats de l’Almamy.

            Il en relata tout d’abord l’histoire, une création qui devait beaucoup aux qualités exceptionnelles de Samory, de chef et de combattant. Déjà la légende de ses conquêtes, de ses faits d’armes, alimentait les chroniques orales de tout le Soudan. Le rôle qu’on attribuait à sa mère Sokhona parait cette saga de toutes les vertus humaines.

 

            De magnifiques cultures

            Arrivé à proximité du chef lieu de Bissandougou, Péroz fut très favorablement impressionné par l’état des cultures de l’Almamy :

            « Le 13 février nous couchons à Sana : et enfin, le lendemain, à peine en marche, nous entrons dans les cultures particulières de l’almamy-émir. Elles s’étendent sans discontinuité jusqu’à 15 kilomètres au-delà de Bissandougou, couvrant une superficie de 200 kilomètres carrés, entièrement cultivés. Une population de plusieurs dizaines de mille habitants est employée à ces cultures, et elle les entretient d’une façon vraiment remarquable. De distance en distance, à côté de bouquets de bois respectés à dessein, on a construit d’innombrables greniers. A l’ombre des arbres, des cases proprettes et de vastes gourbis sont aménagés pour abriter l’almamy lorsqu’il vient visiter ses propriétés.

            A dix heures, nous arrivons dans un de ces refuges qui nous a été assigné comme dernier campement, avant de faire notre entrée solennelle à Bissandougou.

            Les cases et les vérandas ont des proportions gigantesques et sont construites avec un soin extrême ; le sol est partout recouvert d’un fin cailloutis très doux sous le pied et qui le préserve de tout contact avec la terre. Ce campement est abrité du soleil par l’épais feuillage de hauts ficus, qui y entretiennent une fraîcheur délicieuse. Tout autour et à perte de vue, s’étend un immense champ cultivé avec un soin presque inconnu en France, à l’exception de celui apporté communément au jardinage proprement dit. Pas un brin d’herbe ne pointe entre les pousses de riz, mil, maïs, patates, kous, ognons, niambis, diabrés, haricots,, coton, indigo ou autres plantes ; chaque espèce particulière est séparée des autres par de larges chemins bien entretenus et, dans chaque carré, le terrain est préparé d’une façon différente, appropriée à l’espèce plantée. (p,354) »

 

            Une très brillante réception

            A Kankan, le capitaine avait été accueilli en fanfare par le fils préféré de l’Almamy, Karamoko.  Nous évoquerons plus loin le personnage et le rôle que la France voulut lui faire jouer auprès de son père et de sa cour, à l’occasion du voyage qui fut organisé à son intention à Paris, mais surtout pour donner à son père le témoignage de notre puissance.

 

            Sa réception de Bissandougou fut éclatante. Elle était à l’image de la puissance et de la richesse de Samory.

            « A peine sommes-nous installés qu’une dizaine de cavaliers arrivent à fond de train sur nous. Ils sont vêtus de rouge et précédés du chef des griots de l’almamy, armé d’un splendide arc d’apparat orné de bandes d’argent ciselé et en peau de fauve. Il est coiffé d’un bonnet de fourrure en forme de mitre, terminé par derrière par une longue bavette qui descend jusqu’à sa ceinture ; son vêtement de cuir souple, curieusement ouvragé de mille mosaïques aux couleurs vives, son pantalon en drap pourpre rayé de bandes de peau de panthères lui font un costume aussi bizarre que lui seyant bien ; ses mains, ses bras et ses jambes sont littéralement couverts de bijoux qui bruissent avec un cliquetis argentin à chacun de ses gestes dont il scande ses paroles.

            En passant devant nous, il saute à terre sans arrêter son cheval, et, après s’être prosterné, le front touchant le sol, il se relève et nous parle au nom de son maître dont il est le héraut, tandis que ses cavaliers, qui ont arrêté leurs chevaux dans leur galop furieux, gardent derrière lui une immobilité de statue. » (p,354)

            Nous invitons le lecteur curieux à se reporter au texte lui-même qui décrit avec beaucoup de couleur et de précision la cour de l’almamy, les logements, l’entourage, Samory lui-même, son armée et ses nombreuses femmes.

 

            Un royaume puissant

 

                        Le capitaine découvrait donc  un royaume riche, puissant, et bien organisé, sur le plan politique, judiciaire, et militaire. Par comparaison, la cour d’Ahmadou décrite par Mage faisait triste figure.

            Péroz fut légitimement impressionné à la fois par l’accueil fastueux dont il bénéficia, et surtout par tous les signes qui lui étaient donnés d’une organisation politique et militaire qui fonctionnait bien, et qui n’avait rien à voir avec ce que les blancs connaissaient ailleurs.

 

            Péroz fut un des rares blancs à fréquenter longuement la cour de Samory et le personnage lui-même, et il fut un des rares officiers aussi à préconiser une recherche d’entente avec l’almamy. Péroz ne cachait toutefois pas que le pouvoir de l’almamy s’exerçait souvent par la terreur, et qu’une certaine cruauté ne lui répugnait pas toujours, même quand il s’agissait de très proches. Accusant son fils Karamoko de trahison, il le fit enfermer et mourir de faim.

 

            Le capitaine avait enfin glané des informations sur la situation de l’Islam dans les Etats de Samory. La religion qu’il tentait d’implanter dans des territoires encore attachés à l’animisme était relativement modérée, accommodante avec les anciennes croyances.

            «  L’almamy-émir est chef des croyants et interprète le Coran, dont les préceptes ne paraissent pas préoccuper outre mesure ses sujets. Il est aidé dans cette tache par un jeune marabout, élève des Trarzas, très doux et fort tolérant, dont il a fait son guide spirituel ; grâce à ce conseiller, aussi intelligent qu’aimable, la tolérance est à l’ordre du jour dans l’empire… La seule obligation à laquelle l’almamy contraint strictement les principaux de ses sujets est l’envoi régulier de leur fils à l’école. (414)

           

            Enfin pourquoi ne pas noter une certaine condescendance dans certaines observations, car le capitaine Péroz, comme tous ses pairs de l’infanterie de marine, était convaincu que la civilisation occidentale était supérieure aux civilisations noires de son époque ?

Toutefois, ses carnets d’exploration ou de campagnes ne contiennent aucun mépris de sa part, aucun racisme, se bornent donc à une sorte de description technique, comme savaient le faire les bons officiers.

            Le lecteur doit savoir aussi que tous les récits de campagne de Péroz, au Soudan, au Tonkin, et dans le territoire Niger-Tchad, portent la marque d’une grande objectivité, d’un grand respect de l’autre, lorsque dans son comportement, il ne heurtait ni son humanisme, ni sa morale.

Jean Pierre Renaud     Tous droits réservés

 

 

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1 février 2024 4 01 /02 /février /2024 16:31

              Première partie

Premiers regards blancs sur le monde noir

Chapitre 3

 

Mage à la découverte du fleuve Niger et de l’Empire d’El Hadj Omar : 1864-1866

Un premier témoignage «  blanc » sur les Noirs de l’Afrique occidentale inconnue par un officier explorateur

Une carte

       Les préliminaires

       Lorsqu’en 1863, le gouverneur du Sénégal, Faidherbe choisit Mage pour une mission d’exploration de l’Afrique de l’Ouest et de diplomatie auprès de l’Almamy El Hadj Omar à Ségou, sur le Niger, Mage était très jeune, il n’avait que 26 ans.

       Il fit partie de la cohorte des jeunes officiers de marine qui furent les acteurs très actifs des explorations et des nouvelles conquêtes coloniales de la Troisième République à la fin du XIXème siècle.

Rappelons pour mémoire que, jusqu’en 1893, ce fut le ministre de la Marine qui gouverna les colonies, et ses officiers y jouèrent les premiers rôles. L’esprit conquérant de la marine, la très grande liberté d’initiative que la marine de l’époque, avec de longues périodes de perte de contact complet avec le commandement et le monde dit civilisé, contribuaient à forger de forts caractères d’officiers, et donc d’explorateurs, habitués à la solitude et à ne compter que sur eux-mêmes.

       Lors de sa mission, Mage n’eut aucune nouvelle de sa famille pendant deux ans. A l’époque, aucune communication rapide n’était possible, notamment en Afrique ; à titre d’exemple, le gouverneur Faidherbe adressa une lettre à Mage le 15 août 1864, qu’il ne reçut que le 31 octobre de la même année.          

                             Mage eut un destin tragique puisqu’il mourut  le 18 décembre 1869 dans le naufrage du navire qu’il commandait, la Gorgone, au large de Brest. Il n’avait que 32 ans.

                             Quand il fut désigné pour cette mission d’exploration, il avait déjà fait le tour du monde, passant des côtes du Brésil à celles de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie, et acquis aussi une expérience de guerre navale en mer Baltique, pendant la guerre de Crimée.

                             En 1854, il fut affecté à la Station navale des Côtes Occidentales d’Afrique.

                             « Le rôle de cette station est multiple : elle réprime la traite clandestine, qui survit des Rivières du Sud au Gabon, et ravitaille et soutient les petites garnisons de Casamance, de la Côte d’Or et de Libreville… Chaque officier de bord peut aussi, selon les circonstances, être commandant de bord, officier de troupe, arbitre de différents commerciaux ou diplomate auprès d’un chef indigène…                             

         De 1856 à 1858, Mage, à bord des avisos le Dialmath et l’Akba assure tous ces services, s’initie à toutes ces tâches. En 1857, il participe à sa première négociation africaine : son nom figure parmi les signataires du traité imposé par Vallon aux chefs du Rio Cassini, et assurant la souveraineté de la France sur cet estuaire (25 mai 1857). Le Rio Cassini sera plus tard cédé au Portugal. » (Saint .Martin).

                             Mage connaîtra à peu près tous les bâtiments de la flottille de la station, composée principalement d’avisos. L’état de ces avisos était déplorable. En juillet 1859, il prit le commandement intérimaire du Podor que le commandant de la station locale décrivait ainsi :

       « Le Podor, 64 hommes, 2 canons, 70 CV.

       Etat de délabrement complet : son pont est à changer, ses murailles à consolider, sa carène à réparer, sa chaudière à mettre à terre pour la restaurer. » (SM).

       Faidherbe mettait à rude épreuve équipages et avisos en multipliant les opérations amphibies auxquelles Mage participa au moins à deux reprises, dans le Sine et à Guémou.

 

  Ce fut toutefois à l’occasion d’une première mission d’exploration dans le Tagant, au sud de la Mauritanie, vers Chinguetti et Tichit, que Mage découvrit, pour la première fois, sa vocation d’explorateur. Dans certains cercles coloniaux de France, on rêvait encore d’une liaison par rail entre l’Algérie et l’Afrique occidentale, et cette mission s’inscrivait dans cette perspective imaginaire, illusoire.

                    Sa mission en pays maure ne fut pas un succès :

                            « Couvert de vermine, il arriva enfin à Matam le 22 janvier 1860, ayant parcouru en 43 jours plus de 800 kilomètres dans un pays alors totalement inconnu des Français, et qui devait encore attendre une quarantaine d’années avant d’en voir passer d’autres. » (SM)

       Mage confirmait qu’une liaison avec l’Algérie serait très difficile, sinon impossible. Sa fréquentation des maures ne lui laissa pas une bonne impression. Son récit relevait, entre autres,  que les maures entretenaient des relations dominatrices avec les noirs.

                        N’auraient-t-elles pas été « coloniales » avant l’heure ?

En 1860, il remonta à cheval la rive gauche du Sénégal jusqu’aux chutes de Gouïna. Ses quinze jours d’excursion équestre lui permirent de reconnaître les premières étapes de son voyage de 1863.

 Description résumée du déroulement de la mission

La France du Deuxième Empire de Napoléon III avait renoué avec les traditions de l’Ancien Régime, en se lançant dans de nouvelles conquêtes coloniales, en Algérie, en Cochinchine, et au Sénégal, avec Faidherbe.

La mission du gouverneur Faidherbe

.       Le gouverneur    du Sénégal poursuivait alors son objectif de pacification du Sénégal et de création de postes militaires tout le long du fleuve Sénégal, jusqu’à Médine, dans la proximité du futur Kayes, à la frontière du Haut Sénégal, aujourd’hui Mali.

       Faidherbe avait confié une mission très ambitieuse à Mage : « Votre mission consiste à explorer la ligne qui joint nos établissements du Haut Sénégal avec le Haut Niger, et spécialement avec Bamakou. »

        Faidherbe avait désigné Mage en qualité d’ambassadeur de la France auprès d’El Hadj Omar, en le chargeant de négocier un  traité d’alliance et de commerce avec ce dernier. L’objectif principal du gouverneur semblait bien être le développement du commerce.

       Mage était naturellement porteur d’une lettre officielle qui l’accréditait comme ambassadeur auprès du souverain noir.          

Il est intéressant de noter que la mission d’exploration confiée à Mage s’inscrit dans l’évolution historique de ce type de missions, une transition entre l’exploration des amateurs, tels que Mungo Park ou Caillé, et celle des professionnels, des officiers formés à l’observation scientifique et aux comptes rendus rigoureux. Une transition d’autant plus rapide que la conquête coloniale succéda à l’exploration géographique.

Faidherbe avait combattu El Hadj Omar dans le bas Sénégal et l’avait rejeté vers le Haut Sénégal et le Niger, où il s’était récemment installé dans sa nouvelle capitale de Ségou. El Hadj Omar avait déclaré la guerre aux Keffirs, les infidèles, mais nous reviendrons plus loin sur la signification de ce type de guerre, car il avait fort à faire, sur le Niger, avec les adversaires redoutables qu’étaient les royaumes bambaras du bassin du Niger. Mage arriva d’ailleurs à Ségou, résidence d’Ahmadou, alors que son père luttait contre les Bambaras. L’incertitude qui plana sur son sort, mort ou vivant, et sur l’issue de la nouvelle campagne de guerre qu’il avait entreprise contre Sansanding, et le royaume  du Macina fut vraisemblablement une des causes des atermoiements de son fils Ahmadou dans sa négociation avec Mage.

Faidherbe allait jusqu’à recommander à Mage de descendre le Niger, s’il en avait la possibilité, et en visionnaire, entrevoyait déjà la navigation de canonnières françaises sur ce même fleuve.

+ Saint Louis le 12 octobre 1863, et y fut de retour le 18 juin 1866, après des aventures qui durèrent trente mois, dont vingt sept passés en quasi semi-captivité à Ségou, après avoir affronté de très grandes difficultés et avoir été l’otage des multiples atermoiements d’Ahmadou, le fils d’El Hadj Omar, nouvel empereur du royaume de Ségou.

     En 1847, Anne Raffenel, prédécesseur de Mage, n’avait pas réussi à atteindre le Niger. Il avait exploré la Falémé et le Bambouk, et  connu la même expérience de captivité, mais cette fois chez les Bambaras, les ennemis irréductibles des Toucouleurs. Il publia également le récit de ses aventures, et s’attacha à donner une des premières descriptions des armées Bambaras.

       Le voyage de Mage avait au moins permis de lever une sorte de secret qui pesait sur le sort de son père, encore vivant ou mort, à la suite de combats avec ses opposants Bambaras, car il était effectivement mort.

 En modeste équipage, le 1er décembre 1863, il quitta Médine, terminus de la navigation saisonnière sur le fleuve Sénégal, et  le « monde blanc », « face à face avec l’inconnu », car il s’agissait bien de cela.

Il fit rapidement connaissance avec l’exubérance de la faune sauvage des premiers contreforts du Haut Sénégal, singes, caïmans, hippopotames, antilopes et lions.

Pour atteindre le fleuve Niger, qu’il toucha à Yamina, le 22 février 1864, il passa tout d’abord par Bafoulabé, au confluent des vallées du Bakhoy et du Bafing, un des premiers européens à y parvenir, puis par Koundian, Kita, et le Kaarta.  Le 2 février 1864, il n’avait déjà plus de café et de sucre, et écrivait alors : « Si seulement j’avais un morceau de pain ! »

       Il prit rapidement la mesure des affrontements passés et persistants entre les Toucouleurs d’Ahmadou et les Bambaras, entre les royaumes et confédérations de villages conquis par l’Islam, et ceux, notamment Bambaras, animistes et fétichistes qui lui résistaient.

     Il sollicita l’autorisation de pénétrer dans les Etats d’El Hadj Omar, car Mage se rendit rapidement compte qu’on reconnaissait son autorité dans une grande partie du Haut Sénégal, mais au fur et à mesure de son séjour, il en découvrit aussi les limites et la fragilité.

                                   Dans son équipage modeste, Mage réussit à rejoindre assez rapidement le Niger, alors qu’il n’y avait pas de piste, ou seulement des pistes tracées par des caravanes d’esclaves ou de produits locaux convoyés par des Dioulas, sel, noix de kola, or, peaux, tissus, mil, ou bétail...

       Avec le chirurgien de marine Quintin

       Mage était accompagné d’un jeune chirurgien de Marine, Quintin, une précaution très utile, pour ne pas dire vitale, compte tenu des épidémies et maladies qui régnaient dans ces contrées. Ils furent donc deux blancs à partager une aventure assez exceptionnelle.

       Lors de ce voyage, Quintin fit des prodiges en matière de soins des indigènes, notamment à Ségou.

       Leur escorte, réduite à dix noirs, tous choisis par Mage, pour les avoir eus à son service de marin, disposait de trois chevaux, de deux mules et de quatorze ânes pour transporter matériel, bagages, et cadeaux, car ils savaient qu’il leur faudrait distribuer beaucoup de cadeaux pour faciliter les relations de la mission avec les autorités locales, chefs de villages, de confédérations, ou rois.  Ils emmenaient également avec eux, cinq bœufs, destinés à assurer une partie de leur subsistance.

       Mage emportait enfin un canot Berton démontable, et une charrette, deux matériels que les natifs du  Haut Sénégal découvraient pour la première fois.

       Une photographie complète du Haut Sénégal des années 1864-1866

       Une première remarque : deux sources ont été exploitées, le récit paru dans la Revue le Tour du Monde, sorte de résumé du récit beaucoup plus complet, notamment sur le plan de l’histoire africaine, publié dans le livre de plus de six cents pages, paru chez Hachette en 1868.

       Une deuxième remarque d’ordre méthodologique : les descriptions de géographie physique, les relevés topographiques, sont propres au voyageur qui en est l’auteur, et ne risquent guère de souffrir d’un quelconque préjugé « blanc », alors qu’il peut en être autrement dans la description des mœurs, et surtout des croyances. Mais nous verrons, sans céder à la tentation anachronique, que le préjugé « blanc » ne parait pas imprégner la plupart des observations.

       Quant à l’histoire racontée des peuples rencontrés, il est évident qu’il s’agissait d’un recueil des « traditions » contées dans les villages traversés, souvent par des griots spécialisés dans sa transmission orale.

       Il nous faut donc à présent nous en rapporter au récit du voyageur, et tenter de relever parmi les très nombreuses observations faites, celles qui nous paraissent les plus intéressantes dans le contexte historique de l’époque.

Que voit-il ? Que fait-il ? Quel accueil les noirs lui réservent-ils ? Que dit-il ?

       Un géographe et topographe minutieux       

       Le récit constitue un véritable précis de géographie physique, humaine, économique et politique du Haut Sénégal de l’époque.

       Chaque jour, il relevait les positions géographiques de sa route (« la loi que je m’étais fixée de ne jamais passer trois jours sans remettre au net le lever que je faisais chaque jour »), l’altitude des villages traversés, établissait la carte de son itinéraire, traçait les contours du relief, faisait des croquis de personnages ou de villages, décrivait enfin les paysages, souvent d’ailleurs dans des termes élogieux.

       A Ouakha, il traverse une forêt de rôniers magnifiques et une plaine de toute beauté. (p.55)

       Géographe, topographe, ethnologue, mais aussi diplomate, toujours soucieux de solliciter une autorisation d’entrée et de passage dans les différents royaumes africains, mais aussi pour y établir son campement, lors de ses haltes dans chaque village.

       Pour entrer dans chacun de ces Etats ou des confédérations de villages, il fallait traverser une frontière, palabrer pour obtenir une autorisation, s’acquitter d’un cadeau pour entretenir une relation de confiance avec chacune des autorités locales.

       Dès son entrée dans les Etats d’El Hadj Omar, Mage fit connaissance avec la réalité de ses pouvoirs, chaque chef de village s’assurant que le voyageur blanc serait bien accueilli par le souverain.

                            L’hospitalité noire

                                                 Le récit témoigne de la remarquable hospitalité que lui ont manifestée la quasi-totalité des chefs noirs rencontrés, chacun rivalisant avec l’autre pour lui offrir généreusement, qui, lait, boisson, Oh ! Combien précieuse alors ! Pour la santé des blancs, bœuf, mouton, poulets, œufs, lait, et semoules diverses pour les deux blancs et leur escorte.

                            Il faut citer à ce sujet le passage de la mission à Firia, le 11 janvier 1864 :

                            « Le guide nous déclara que nous étions à Firia, et les ruines d’un grand village vinrent à l’appui de cette assertion. Mais qu’était devenu ce village ? La montagne était haute de cent mètres au moins ; nous ne pouvions penser à la franchir ce même jour… La nuit ne tarda pas à venir, et vers onze heures du soir, nous fûmes réveillés par un décor féerique : la montagne devant nous était illuminée. La nuit était noire, une centaine de torches éclairait les escarpements ; quelques ombres humaines mises en relief par la lumière animaient ce tableau. Je ne me lassais pas de l’admirer : c’était le village de Firia, bâti sur le haut de la montagne qui venait nous apporter à souper : trente calebasses de mets du pays pour les hommes, et, pour nous deux poules, des œufs, et un panier de mil pour les chevaux. »

                            Hospitalité étroitement liée à un échange quasi-diplomatique de cadeaux de courtoisie entre blancs et noirs, comme la coutume semblait aussi exister entre les noirs eux-mêmes. La mission avait bien pris soin d’emporter avec elle une grande quantité de cadeaux de toute sorte, notamment des tissus et des articles de Paris.

                            Le voyageur notait la coutume du « souper habituel qui est presque une obligation envers le voyageur », souper quelquefois exceptionnel : le chef du village de Tiefougoula lui offrit un superbe bœuf pour son souper, à Tamboula, le chef marabout lui donna également un boeuf. Ce dernier avait été en Sierra Léone et  « connaissait les blancs qu’il aimait. » A Ouakha, le chef lui offrit un cabri et un abondant repas de couscous pour ses hommes.

       Une curiosité noire débordante          

       Les explorateurs découvraient également, mais avec beaucoup plus de réserve, la curiosité débordante des villageois lorsqu’ils plantaient leur campement, à l’exemple de Banamba, village de Soninkés.

         « Deux notables vinrent me souhaiter la bienvenue et tentèrent en vain d’éloigner la foule qui m’entourait de cercles concentriques et multipliés. Peu après, le chef revint en personne de son excursion et n’eut pas plus de succès. La foule s’éloignait à sa voix, puis revenait bientôt. Je pris alors un moyen héroïque, je les aspergeai d’eau. Mes hommes allaient en chercher aux puits du village, qui avaient neuf brasses de profondeur, et je la leur jetais à la figure. Les noirs craignent l’eau autant que les chats ; par ce moyen, j’obtins un peu de tranquillité. Dans une ville d’Europe, un étranger qui agirait ainsi serait écharpé. Là-bas, personne ne songea à s’en formaliser, et j’y gagnai peut-être en considération…

  Toujours est-il que le chef ne lui en tint pas rigueur, puisqu’il lui offrit « un mouton gras avec une calebasse de riz pour mon souper, du bois pour le faire cuire et deux grandes calebasses de mil pour les animaux. »

       En 1847, Raffenel, cité plus haut, avait éprouvé le même type de désagrément :

  « Je n’eus pas, il est vrai, les mêmes louanges à donner à ses administrés. Les uns, avec tous les signes d’un profond étonnement, m’examinaient en détail : mes mains, mon visage, mes cheveux surtout, excitaient leurs réflexions qui se traduisaient par des rires et des lazzis ; les autres plus hardis, touchaient ma barbe et mes cheveux et faisaient aussitôt part de leurs impressions à leurs voisins ; d’autres encore, plus hardis, délégués sans doute par des observateurs plus subtils, allèrent jusqu’à mouiller leurs doigts et à les passer sur ma peau pour bien s’assurer qu’ils n’étaient pas dupes d’un artifice .(p.99-R)

       Au long de son parcours, Raffenel ne reçut pas toujours l’accueil hospitalier réservé à Mage, mais il rencontra surtout des difficultés chez les peuplades maures.

       Mage décrivait les traits géographiques des régions traversées, la beauté de certains paysages, des régions souvent prospères économiquement, lorsque les luttes mortelles entre Toucouleurs et Bambaras ne les avaient pas ruinées. Il notait souvent que beaucoup de leurs cultures variées, mil ou riz, n’avaient pas à rougir de la comparaison avec celles de notre pays.

       Notre voyageur, puisqu’il dénommait de cette façon ses semblables, les explorateurs, s’attardait sur la description des mœurs et des croyances.

                                                       Il est naturellement frappé par l’importance des mots, du langage, de la palabre dans tous les sens du terme, palabre diplomatique, mais aussi palabre de sociabilité à l’occasion des salutations qui durent,  et qui durent beaucoup pour un occidental. L’usage des belles paroles : lorsqu’un noir saluait un autre noir,  il s’enquérait longuement de la santé de tous les membres de la famille, et la famille était nombreuse.

                                                                                 Partout, il rencontrait des chefs de village dont l’autorité était plus ou moins étendue, dans une myriade de villages, et faisait connaissance avec les griots, à la fois bouffons, musiciens, conseillers des chefs et des princes, et souvent d’extraction captive. Comme nous l’avons déjà noté, ces griots jouaient aussi un rôle important dans la « tradition », la transmission de l’histoire locale.

                                                                                       Les griots

                                                           A l’occasion de son trop long séjour à Ségou, il fit connaissance avec plusieurs griots de la cour d’Ahmadou, «  Dialy Mahmady, griot de la cour, poète lauréat dans toute l’acception du mot ; capable de chanter pour n’importe qui, et de faire de la musique sur une grande guitare mandingue pendant toute une journée, pour obtenir un cadeau…. Un autre de mes visiteurs fut Soukoutou, griot également, mais griot esclave, et néanmoins le plus grand seigneur de Ségou. Non seulement sa maison, située près de celle d’Ahmadou, étonne par le style de sa construction, mais dans son habillement, dans ses manières, il y a un cachet de propreté et même de luxe et de douceur qui surprend de la part d’un noir qui n’a jamais vu de blancs… C’était un de mes plus gros acheteurs, et il payait à terme, très régulièrement pour Ségou. » (p.86)

                                                           Pour pouvoir subsister, Mage avait emporté avec lui des marchandises qu’il vendait pour assurer sa subsistance.

       Il décrivait les marchés, en particulier ceux de Ségou, où il séjourna de longs mois, beaucoup trop à son goût, condamné à attendre l’autorisation de quitter le Niger, au bon plaisir d’Ahmadou, et le rôle des marchands dioulas, les organisateurs de caravanes de sel, de noix de kola, de tissus, mais aussi de captifs.

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31 janvier 2024 3 31 /01 /janvier /2024 16:12

Afrique Occidentale Française : Regards croisés des blancs et des noirs (1890-1920)

INTRODUCTION

Chapitre 1

L’Afrique noire, cette inconnue !

 

 

            En 1880, véritable point de départ des conquêtes coloniales de la Troisième République, on ne sait pas beaucoup de choses sur l’Afrique noire, presque rien.

 

            L’ignorance de l’Afrique

            Un continent immense du nord au sud (plus de 7 500 kilomètres), avec au centre, centre ouest, la grande tache désertique du Sahara que des explorateurs intrépides commencent à pénétrer, et de l’est à l’ouest (5 000 kilomètres environ) ; de grands fleuves, parmi les plus grands du monde, longs de plusieurs milliers de kilomètres, le Niger, le Nil, le Zambèze, le Congo, dont on ignorait les cours et les sources; une myriade de peuples dont on commençait seulement à connaître l’existence par le truchement des trafiquants noirs et blancs des comptoirs des côtes du golfe de Guinée ou du Mozambique, des marins en quête de nouveaux ports, et des missionnaires toujours à la recherche de nouvelles âmes à convertir

.

            Et en Afrique noire de l’ouest, encore un grand blanc sur la carte !

 

            Une première phase de découverte, les explorations du début du 19ème siècle

            Quelques explorations ont eu lieu à cette époque, mais l’Afrique continuait à alimenter les imaginaires les plus fous, à la suite des récits antiques qui évoquaient le fabuleux royaume du prêtre Jean. On croyait encore par exemple que la cité mythique et mystérieuse de Tombouctou était une ville riche et prospère.

            En 1805, l’explorateur anglais Mungo Park atteignait le fleuve Niger, mais mourait avant de pouvoir découvrir Tombouctou.

            En 1826, l’anglais Laing, parti de Tripoli, arrivait à Tombouctou. En 1828, le Français René Caillé, parti du golfe de Guinée, et déguisé en pauvre musulman, parvenait, après des aventures incroyables, à Tombouctou. Sa désillusion fut d’ailleurs à la mesure de ses faux espoirs.

            Les Anglais se lançaient également à la découverte du royaume de Sokoto, au nord de la Nigéria, entre le fleuve Niger et lac Tchad.

 

            Dans la deuxième moitié du siècle, les explorations passèrent à la vitesse supérieure, en s’inscrivant alors dans le grand mouvement d’exploration, de découverte, et de connaissance, de toutes les terres inconnues de la planète. Car l’Afrique n’était pas le seul continent à susciter la curiosité des explorateurs.

            Et ces explorations débouchèrent rapidement sur une entreprise générale de conquête coloniale de tout le continent noir par les grandes puissances occidentales de l’époque, que certains dénommèrent la course au clocher, et d’autres le scramble.

            Toutes ces initiatives furent prises à l’instigation des sociétés de géographie, des missions protestantes, anglicanes, ou catholiques, des marines nationales, et bien sûr des aventuriers en quête de bonnes affaires, avec l’implication de plus en plus forte des gouvernements d’Europe.

            En 1853, l’allemand Barth, parti de Tripoli, atteignait également Tombouctou, après avoir effectué une grande boucle à travers le Tchad et le Niger.

            Au nord et à l’est, dans les années 1865-1867, les allemands Rohlfs et Nachtigal, partant de Tripoli, traversèrent l’Afrique de la Méditerranée à l’Atlantique, en passant par le Tchad, jusqu’à Lagos, en Nigeria.

            A l’est, les anglais Burton, Speke, et Baker (1857-1865) partirent à la recherche des sources du Nil, un sujet qui alimentait de plus en plus les débats des spécialistes. Baker eut la particularité de se faire accompagner par son épouse, courageuse et intrépide, alors qu’une exploration était loin d’être, même pour un homme, une sinécure.

            A l’est encore et au sud, le célèbre pasteur et explorateur Livingstone sillonna de 1849 à 1873 l’Afrique du sud et du centre, et dans les années 1858-1864, il fut le premier explorateur à traverser toute l’Afrique du canal de Mozambique à la côte atlantique de l’Angola.

            Ces explorateurs étaient très souvent des officiers, et quelquefois des missionnaires, des médecins, ou des scientifiques. Ces hommes étaient exceptionnels, et il fallait avoir le feu sacré de la gloire ou de la découverte scientifique, pour affronter, souvent seuls, et en petit équipage, avec très peu de moyens, un monde totalement inconnu,  les maladies mortelles, et souvent la mort, alors qu’ils étaient coupés de toute relation avec le monde blanc qu’ils venaient de quitter, et n’avaient aucun espoir de recevoir un quelconque secours de la part d’autres européens. 

 

            La France en Afrique occidentale                      une carte

 

            A la même époque, on commençait à voir des explorateurs français tenter de pénétrer dans l’hinterland du Sénégal et de la côte de Guinée.

            En 1856, le chirurgien de marine Requin rendit visite au roi du Dahomey, Ghezo, à Abomey, où il fut horrifié par les sacrifices humains qui s’y pratiquaient encore.

            Dans les années 1864 -1866, l’officier de marine Mage fut chargé par le gouverneur du Sénégal, Faidherbe, d’entrer en contact avec Hadj El Omar, le sultan de Ségou.

            Faidherbe avait chassé ce dernier des rives du Sénégal, notamment à la bataille de Médine, en 1854, et il fut incontestablement le premier gouverneur à vouloir ouvrir, c'est-à-dire conquérir par la force des armes, l’hinterland de la côte du Sénégal,  et atteindre le fleuve Niger, son véritable objectif.

Faidherbe a sans doute été un des premiers, sinon le premier, à entrevoir la navigation de canonnières françaises sur le Niger, devenue une réalité dans les années 1885, avec Gallieni.

            Faidherbe inaugura la méthode de pénétration militaire et civile des troupes coloniales françaises,  en contrôlant la navigation du fleuve Sénégal et en l’appuyant par la mise en œuvre des fameuses « colonnes » militaires, sortes de forteresses ambulantes, qui connurent leur heure de gloire en Afrique et en Asie. Par le moyen combiné de la marine et des colonnes, il chassa du fleuve et de la côte sénégalaise les tribus maures récalcitrantes, et permit aux troupes coloniales d’établir, en limite du Haut Sénégal, le nouveau poste de Kayes, dans la proximité de Médine, future base de départ de la conquête française du bassin du Niger.

             Alors que les Français Ravenel (1846) et Pascal (1859), n’avaient pas réussi à atteindre le Niger, Mage réussit à atteindre le fleuve et arriva à Ségou, mais il fut retenu en semi-captivité par le fils d’Hadj El Omar, Ahmadou, pendant plus de deux ans.

            Le lecteur sera sans doute intéressé par les moyens dont disposait Mage pour se rendre à Ségou, dix laptots de marine, une charrette, douze ânes et un canot. Il n’y avait pas là de quoi faire une grande impression sur ses hôtes africains ! Notez qu’il n’y avait dans cette Afrique de l’ouest d’alors ni charrette, ni piste carrossable.

            Et on aurait tort d’imaginer que dans cette première phase d’exploration, la France fit seulement appel à la stratégie des fameuses « colonnes » qui sillonnèrent bientôt l’Afrique, avec leurs centaines ou milliers de soldats, européens et surtout tirailleurs, leurs fusils à tir rapide et leurs canons.

            Au fur et à mesure de la conquête de l’Afrique de l’ouest, l’effectif de ces colonnes prit des proportions gigantesques, notamment celles qui combattirent les sofas de Samory, dans les années 1890, plusieurs milliers de soldats, tirailleurs, accompagnés de leurs épouses, et porteurs. Elles s’étiraient sur plusieurs kilomètres et ressemblaient sans doute beaucoup aux armées de l’Antiquité.

                        En 1880, Gallieni, auquel le gouverneur Brière de l’Isle avait confié le même genre de mission d’information et de négociation, que celle de Mage, auprès du même sultan Ahmadou, connut la même mésaventure. Il fut consigné pendant presque une année à Nango.

            L’historien Michel notait à juste titre, qu’en 1877, lorsque Gallieni fut affecté, pour la première fois, à Saint Louis du Sénégal, il ignorait tout de l’Afrique, comme tous ses condisciples de Saint Cyr.

            Cette première mission de Gallieni disposait de moyens militaires réduits, mais elle se situait déjà à mi-chemin entre l’exploration et la conquête militaire. Gallieni n’eut de cesse ensuite, au fur et à mesure de la pénétration française vers le Niger, par le Haut Sénégal, de lancer des missions de reconnaissance et d’exploration vers le haut Niger et vers le Fouta Djalon.

 

            C’est dans cette ligne d’exploration et de conquête, qu’en 1886, le capitaine Péroz, fut envoyé en mission auprès de l’almamy Samory pour le convaincre de signer un traité de protectorat avec la France. A cette date, les Français ne savaient pas grand-chose sur l’histoire de cet empire, ses contours géographiques, et son organisation militaire et civile. Péroz revint de sa mission avec une mine d’informations sur l’Empire de Samory.

            Il avait rejoint la capitale de cet empire, Bissandougou avec des moyens modestes de représentation militaire et diplomatique : un lieutenant adjoint, Plat, un médecin de marine, Fras, un interprète, un cuisinier, et une petite escorte militaire composée de cinq spahis à cheval et de huit tirailleurs. Cinq chevaux, cinq mulets, et quarante huit ânes constituaient les moyens de transport du personnel et du matériel.

            Le lecteur aura noté la présence d’un médecin de marine, et celle-ci était capitale à cette époque. Chaque fois que cela était possible, il n’y avait pas de mission ou de colonne sans la présence des médecins de marine, tant les maladies et les épidémies étaient fréquentes, et les taux de mortalité des européens élevés, et très élevés.

            La composition de la mission du capitaine Binger était encore plus légère, mais il ne s’agissait pas d’une mission « diplomatique ».

            Dans les années 1887-1889, Binger traversa toute l’Afrique de l’ouest, de Saint Louis à Grand Bassam, en Côte d’Ivoire, en passant par Bamako. Quand il quitta Médine, qu’il n’était possible d’atteindre qu’en empruntant les chalands du fleuve Sénégal, à neuf cents kilomètres environ de Saint Louis, Binger était le seul blanc de la mission. Il avait dix âniers non armés, un cuisinier, un palefrenier, et un interprète : ces trois derniers seulement étaient armés. La composition de sa mission ne changea guère, au fur et à mesure de ses aventures,  et lorsqu’il atteint enfin le nord de la Côte d’Ivoire, il fit son entrée à Kong, monté sur un bœuf porteur.

            Binger avait rencontré l’almamy Samory, alors qu’il faisait le siège du tata de Sikasso, la forteresse de son ennemi, le roi Tiéba, siège qui se conclut par un échec.

            Binger parcourut 4 000 kilomètres en 21 mois.

            Il n’est pas superflu de s’arrêter quelques instants sur deux éléments capitaux des explorations et des opérations de cette époque,  les maladies et le temps.

            Les maladies - Dysenteries, hématuries bilieuses, paludisme et fièvre jaune étaient celles que les Européens devaient affronter. Dans les années 1880, la mortalité des européens était d’environ 50%.La fièvre jaune sévissait souvent au Sénégal. Entre 1880 et 1886, deux gouverneurs, de Lanneau et Servatius, y sont morts au bout de quelques mois de séjour.  

            Le temps -  il en fallait beaucoup aux explorateurs pour accomplir leur mission : en pirogue, à cheval, sur un mulet, un âne, ou un boeuf, mais le plus souvent à pied ; les étapes n’étaient jamais longues et le parcours souvent interrompu par des imprévus ou des haltes imposées par certains chefs africains.

            Dans les années 1890-1892, le capitaine Monteil parcourut l’Afrique de Saint Louis à Tripoli. Il était accompagné par un deuxième blanc, l’adjudant Badaire. Son escorte fut également réduite : il quitta Ségou, sur le fleuve Niger, avec deux interprètes, trois porteurs, un cuisinier, deux domestiques, dix hommes d’escorte armés, accompagnés de dix ânes et de dix bœufs.

     Sans tirer un coup de feu, il parcourut 7 000 kilomètres avant de rejoindre le Fezzan et Tripoli, après être passé par le Sokoto, à l’est du Niger, et le Bornou, près du lac Tchad.

            Monteil mit deux années complètes pour accomplir ce périple et dut attendre quatre mois pour pouvoir se joindre à une caravane qui traversait le désert.

            Nous serions tentés de dire que le temps ne comptait pas, et que seul le résultat de l’exploration comptait.

            Les exemples ci-dessus donnent déjà une idée des distances et des obstacles que les explorateurs et les chefs de mission devaient franchir, avant d’atteindre leurs objectifs.

            La situation évolua au fur et à mesure des progrès réalisés par la conquête militaire, compte tenu des voies de communication créées, des moyens de transport utilisés, et des technologies de transmission de la parole par voie optique et télégraphique disponibles.

            En 1852, Faidherbe mit deux mois pour rejoindre Saint Louis à partir de Bordeaux, alors que trente ans plus tard, il ne fallait plus que dix jours pour effectuer le même voyage.

            Plus de 1 400 kilomètres séparaient Saint Louis de Bamako, et le premier trajet de 900 kilomètres de Saint Louis à Kayes s’effectuait par chaland, quand la saison des pluies le permettait, puis à pied, jusqu’à Bamako,  à raison d’un déplacement quotidien de 15 à 20 kilomètres, sur le fleuve ou dans la brousse ; un délai de 70 à 90 jours était donc nécessaire pour y arriver. Pour atteindre Tombouctou, plus de 900 kilomètres plus loin, il fallait encore 45 jours à pied ou en pirogue, mais surtout en pirogue.

 

            Une France coloniale raciste ?

            Une partie de l’élite culturelle et politique française adhérait à la thèse de certains anthropologues, d’après laquelle il aurait existé sur la planète une race supérieure, la race blanche, et des races inférieures, dont la race noire. Sans vouloir déplacer le débat, pourquoi ne pas mentionner tout d’abord que ce type de préjugé racial n’était pas propre aux blancs, et que les Chinois le partageaient largement à la même époque, estimant que les blancs étaient des barbares.

            Mais revenons au territoire français, et plus particulièrement à l’élite politique, celle qui occupait la Chambre des Députés en 1885, car le débat qui anima la Chambre, le 30 mars 1885, après ce qu’on appelé la retraite de Lang Son, et qui opposa deux de ses grands leaders politiques, Jules Ferry, Président du Conseil sortant, et Clemenceau, parait assez bien représenter les opinions des parlementaires d’alors.

            Un petit mot sur Lang Son, ce qui devint l’affaire de la retraite de Lang Son, ne fut pas une défaite des troupes coloniales, mais fut interprétée de cette façon, en raison d’un grand cafouillage dans les communications militaires et politiques entre Hanoï et Paris, et au moins autant, le résultat de la méthode de gouvernement de Jules Ferry qui négociait en secret avec la Chine, sans en informer son propre gouvernement et la Chambre des Députés.

            A l’issue de ce débat, une première motion, pour ou contre le vote des 200 millions de francs supplémentaires (de l’ordre de 800 millions d’euros) demandés par Jules Ferry pour la conquête du Tonkin, recueillit 306 voix, contre, et 149,  pour, d’où la démission de Ferry.

            Une deuxième motion du parti radical présentée par Clemenceau, demandant la mise en accusation de Ferry, fut rejetée par 287 voix contre 152.

            Indiquons au lecteur que c’était une majorité républicaine de gauche qui soutenait la politique de conquête de Jules Ferry, alors que la droite avait les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges, et que Clemenceau animait le courant radical de la gauche, opposé à la politique des conquêtes coloniales.

 

            Le discours raciste de Jules Ferry

            Au cours de ces séances mémorables, Jules Ferry développa un discours incontestablement colonialiste, comme nous le qualifierions nous de nos jours, mais le mot n’existait pas encore, incontestablement raciste aussi, mais avec la bonne conscience  d’une partie des élites politiques, économiques ou religieuses de l’époque.

            Ferry plaçait sa politique au niveau d’une grande nation, et justifiait sa politique, en plaidant d’abord pour la création de débouchés au profit de l’industrie nationale, mais en faisant valoir ensuite un deuxième argument :

            « Il y a un second point que je dois aborder… c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question… Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »

 

            La réponse humaniste de Clemenceau 

            En réponse, Clemenceau déclarait :

            « On vient de nous dire pourquoi ! En effet, c’est la première fois, après l’expérience d’une politique coloniale qui a duré quatre ans, que l’auteur responsable de cette politique se présente à la tribune et esquisse à grands traits les lignes maîtresses de cette politique…. Le pays n’a pas été consulté. On lui a systématiquement caché la vérité…

            Il nous a dit : la puissance économique suit la puissance politique…

            Clemenceau rappelait alors le propos de Jules Ferry sur la mission civilisatrice de la France :

            «  Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu’elles exercent, et ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un  devoir de civilisation. Voilà en propres termes la thèse de M.Ferry ; et l’on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures, races inférieures, c’est bientôt dit ! Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. Race inférieure les Hindous ! Avec cette grande civilisation qui se perd dans la nuit des temps ! Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l’Inde pour la Chine, avec cette grande efflorescence d’art dont nous voyons encore aujourd’hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! Avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui parait avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! En vérité, aujourd’hui même, permettez moi de dire que, quand les diplomates chinois sont aux prises avec certains diplomates européens… (rires et applaudissements sur plusieurs bancs), ils font bonne figure, et que, si l’on veut consulter les annales diplomatiques de certains peuples, on y peut voir des documents qui prouvent assurément que la race jaune, au point de vue de l’entente des affaires, de la bonne conduite d’opérations infiniment délicates, n’est en rien inférieure à ceux qui se hâtent trop de proclamer leur supériorité…

            Non, il n’y a pas de droit de nations dites supérieures contre les nations inférieures, il y a la lutte pour la vie… La conquête que vous préconisez, c’est  l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires, pour s’approprier l’homme, le torturer ; en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n’est pas le droit : c’en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie ! (Très bien ! Très bien ! A l’extrême gauche ! »

 

            Une citation un peu longue sans doute, mais qui en valait la peine, car elle montre bien que le racisme des races supérieures était mis en cause par un homme politique aussi brillant que Clemenceau, et son analyse partagée par un député sur trois, proportion non négligeable dans l’ambiance coloniale forcenée des débuts de la Troisième République.

            Compte tenu des différents facteurs qui intervenaient dans un vote de la Chambre, il serait imprudent d’en tirer la conséquence que deux députés sur trois étaient racistes, et encore moins que deux Français sur trois l’étaient également. Seul un travail approfondi et statistique d’analyse des contenus de la presse nationale et locale, qui faisait alors jeu égal avec cette dernière, pourrait nous éclairer à ce sujet.

            Comme l’écrivait Henri Brunschwig dans son livre « Noirs et Blancs dans l’Afrique Noire Française », il existait une typologie assez classique des noirs qui ne les classait pas dans les catégories de races considérées comme supérieures. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant.

 

            Le blanc, cet inconnu des noirs

            Et pour bien marquer les limites des échanges qui existaient entre blancs et noirs, la plupart des récits de l’époque relèvent à maintes reprises que lors de leur passage dans telle ou telle région, ou dans tel ou tel village, c’était la première fois que les noirs voyaient des blancs : en 1880, Gallieni à Badoumbé :

             « Ils voyaient des blancs pour la première fois ».

 

            Dans les années 1887-1889, Binger, en route vers Bobo Dioulasso, chez les Tiefos :

            « Personne n’a vu de blanc dans ce pays »

 

            Enfin, en 1891, enfin, Péroz, en chemin vers Sikasso, siège de l’empire du roi Tiéba, sur la rive droite du Niger, notait que beaucoup des villages où il passait n’avaient jamais vu de blanc.

             Les premiers contacts étaient donc rares et ils suscitèrent, comme nous le verrons, une très grande curiosité de la part des noirs.

 

Mungo Park, un des premiers regards blancs sur les noirs

 

« Voyage dans l’intérieur de l’Afrique »

(1795-1796)

 

            A la fin du dix-huitième siècle, Mungo Park fut un des premiers explorateurs blancs de l’Afrique Occidentale à écrire et à publier le récit des explorations qui le conduisirent jusqu’au fleuve Niger.

            Nous proposons aux lecteurs un court extrait des observations que faisait Mungo Park sur la curiosité que son passage chez les Maures du Kaarta, provoquait, mais en faisant remarquer que de très nombreux récits d’explorateurs ou d’officiers soulignent au contraire, selon les lieux et les époques une tradition généralisée d’hospitalité :

 

            « Lorsque je fus dans ma cabane, les Maures s’assemblèrent en foule pour me contempler. Leur curiosité était extrêmement incommode. Il fallait me déchausser pour leur montrer mes pieds. J’étais même obligé d’ôter ma veste et mon gilet, afin de leur faire voir comment je m’habillais er me déshabillais. Ils ne pouvaient des masser d’admirer l’invention des boutons ; et depuis midi jusqu’au soir je ne fis autre chose qu’ôter de remettre mes habits, les boutonner et les déboutonner, car ceux qui avaient déjà vu ces merveilles, insistaient pour que leurs amis jouissent du même plaisir…

Pendant la nuit, les Maures tinrent continuellement des sentinelles à ma porte. Ils entraient même de temps en temps dans ma cabane …

            Le 1er mars, la multitude revint dans ma cabane, et je fus tout aussi tracassé, tout aussi insulté que la veille. Les enfants se rassemblèrent pour battre le cochon, et les hommes et les femmes pour tourmenter le chrétien… » (page 1, La Découverte)-

 

Jean Pierre Renaud

Tous droits réservés

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30 janvier 2024 2 30 /01 /janvier /2024 14:35

Information des lecteurs

Dans les mois à venir, je publierai un texte non « anachronique » sur la colonisation française en Afrique Noire sous le titre, un texte de témoignage :

« Regards croisés des blancs et des noirs sur l’Afrique Occidentale- (1890-1920) »

« Une problématique coloniale insoluble »

Résumé du Sommaire

Introduction

1ère partie Premiers regards blancs sur les mondes noirs

2ème partie Premiers regards noirs sur les blancs

3ème partie Ruptures technologiques et ruptures coloniales

4ème partie Une problématique coloniale insoluble avec mes conclusions

Jean Pierre Renaud Tous droits réservés

 

 

 

 

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28 janvier 2024 7 28 /01 /janvier /2024 12:51

Janvier 2024

La crise agricole

La Méthode Macron

 

J’ai publié en 1997 un livre intitulé « La Méthode Chirac », issu des observations que j’avais faites tout au long de mon service à la Préfecture de Paris.

Indiquons tout de suite que le contexte historique et politique n’avait rien à voir avec le contexte actuel, saturé d’un réseau de communicants dans la capitale exerçant leur influence dans un tissu parisien institutionnel anarchique… alors que sous le règne de Chirac, on savait qui faisait la pluie et le beau temps…

 De nos jours nous avons un Président de la République qui joue avec le feu, met en œuvre, continument, une méthode politique de gouvernement qui sape les fondements de la République.

On sape les partis politiques en pratiquant la débauche et en misant donc sur le très petit côté de la politique.

Dernier exemple la Méthode Attal, clone talentueux de Macron, qui multiplie des interventions sur le terrain – modèle Macron avec son Grand Débat – sans avoir pris l’initiative d’organiser une réunion au sommet entre le gouvernement et les organisations syndicales représentatives, avec en tête la FNSEA.

A quoi servent donc les syndicats ? les partis politiques ? les assemblées ?

A quoi servent les élus au suffrage universel face au tirage au sort de la Française des Jeux des Marcheurs ?

Voir l’écologie citoyenne ou le suicide assisté …

La Méthode du « Je passe à côté », du fort en thème talentueux qui joue perso et non collectif, dans une France où l’individualisme règne à plein,     avec un Président qui discourt sur le « faire nation » …

Quelle rigolade ! On prend les Français pour des cons ?

Comment ne pas constater que sur la loi immigration, même le Conseil Constitutionnel a considéré qu’il avait le pouvoir de délégitimer l’Assemblée Nationale ?

La crise agricole et civique actuelle va être un bon test de la méthode Attal Macron !

Sauf si Macron rentre des Indes avec un « avatar » magique offert par le Dieu Vishnou ! On ne sait jamais !

            Jean Pierre Renaud,   ancien haut fonctionnaire

 

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26 janvier 2024 5 26 /01 /janvier /2024 12:42

JO 2024

Mairie de Paris

La Divine Surprise !

Une Nouvelle Epreuve Olympique !

Le « Catch Féminin Hidalgo Dati »

Tous les coups sont permis !

&

Certains membres de l’histoire postcoloniale y verront peut-être une apparition de l’inconscient colonial de la France, dans la mémoire collective française. 

Dans le cas concret, une résurgence de l’histoire d’Isabelle la Catholique et de Boabdil Mohamed XII de Grenade au Quinzième Siècle ?

Sur les deux rives du Détroit de Gibraltar…

D’éminentes historiennes, marquées par leur vécu en Afrique du Nord, ont cru pouvoir avancer comme clé de notre histoire coloniale et postcoloniale « l’inconscient collectif » des Français et des Françaises.

Jean Pierre Renaud

 

 

 

 

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15 janvier 2024 1 15 /01 /janvier /2024 10:57

Un témoignage de vie, à titre tout à fait exceptionnel !

A propos de l’homosexualité, du Pape François et de nos familles et amis !

Deux titres de journaux :

 La Croix du 11 janvier 2024, en première page,

« Religion « Fiducia supplicans », la réception prudente du texte par les évêques de France »

Editorial

Isabelle de Gaulmyn

Accueil

« Les évêques défendent « un accueil inconditionnel » à la bénédiction des couples de même sexe »

« …Les évêques rappellent donc ce qui sépare le sacrement du mariage de telles bénédictions. Surtout, ils en donnent le fondement : « Ceux qui ne vivent pas dans une situation leur permettant de s’engager dans le sacrement du mariage ne sont exclus ni de l’Amour de Dieu, ni de son église », car Jésus n’est « pas venu appeler des justes mais des pécheurs… La théologie morale, comme le disait le théologien Xavier Thévenot,  ne se mène pas dans un bureau, loin de ce que vivent les personnes.»

Le Figaro du 10 janvier 2024, page 9

« Le cardinal Sarah s’indigne de la bénédiction des couples homosexuels »

« Pour le prélat africain, il s’agit d’une hérésie qui mine gravement l’Eglise »

Souvenir de jeunesse, j’ai été élevé dans une famille catholique du Pays de Montbéliard avec un clergé obsédé par le péché de la chair, et dans un Pays marqué en profondeur par la lutte entre protestants et catholiques.

Au cours des années passées, à l’occasion d’un mariage, j’avais rencontré au Pays un couple dont le mari avait été enfant de chœur, lequel avait épousé une protestante : l’aumônier catholique du garçon lui avait aussitôt fermé les portes de l’église.

Tout au long de ma vie, j’ai croisé ou rencontré des couples de même sexe ou de sexe différent, mariés ou divorcés élevant leurs enfants avec amour, sans que leur situation conjugale enfreigne la loi capitale du christianisme, c’est-à-dire « Dieu est amour », une sagesse qui nous distingue clairement d’autres religions monothéistes ou non.                   

Jean Pierre Renaud

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10 janvier 2024 3 10 /01 /janvier /2024 10:29

L’Agence des colonies et la presse française

            La presse a-t-elle fait œuvre de propagande coloniale ?

             Dans le livre suivant, Culture impériale, et pour la période 1931-1961, même discours de l’historienne :

            « C’est la raison pour laquelle l’apogée colonial des années 1930 se traduit par une véritable promotion de l’idée impériale menée par la République, via son agence de propagande officielle, et largement relayée au sein de la société par le monde scolaire ou d’autres acteurs, en particulier la presse ou le cinéma. » (CI,p,45)

            L’historienne rappelle que l’Agence générale des colonies avait disparu, sans en donner la période, France entre 1934 à 1937, année de création par le Front Populaire du Service Intercolonial d’Information et de Documentation.

            L’historienne donne l’exemple de la presse comme indice de « l’intrusion de l’Empire dans les foyers métropolitains » au cours de ces années, et cite une liste de journaux qui, à la fin des années 1930, étaient destinataires d’articles et de subventions, en écrivant :

            « Cette énumération est loin d’être complète, mais elle révèle l’importance de l’emprise propagandiste sur l’information écrite, qu’elle soit strictement coloniale ou à vocation plus générale, le rapport des montants de subvention étant à peu de choses égal, ce qui atteste de la volonté de toucher le plus large public et non pas seulement une partie de la population déjà sensibilisée. Ainsi avons-nous pu relever cent soixante- dix titres différents qui ont été subventionnés sur les fonds de la propagande coloniale officielle entre 1936 et 1938. Autant dire que ce vaste panel a largement contribué à l’ancrage de l’élément colonial au sein de la société  française, puisqu’on retrouve aussi bien les grands quotidiens ou hebdomadaires de la presse générale ou « coloniale » que les journaux affectant tous les genres et traitant de politique, de religion, d’économie et de finance, mais aussi d’agriculture, de cuisine, s’adressant aux jeunes, aux hommes, aux femmes et à toutes les catégories professionnelles. » (CI,p,51,52)           

            Littérature que tout cela ! En donnant l’illusion de la précision intellectuelle et en osant une conclusion historique hardie, une de plus, celle de l’ancrage  de l’élément colonial au sein de la société française ! Rien de moins !

            Le lecteur est donc invité à  confronter un tel discours aux pièces à conviction des archives.

            La liste de journaux fournie est, à quelques différences près, conforme au procès-verbal du 29 janvier 1937 et aux suivants de la commission ministérielle qui se réunissait pour attribuer des subventions aux journaux. La liste citée correspondait en gros à moins de la moitié du lectorat de la presse parisienne, et au quart de la presse parisienne et provinciale, cette dernière faisant jeu égal avec la presse parisienne en tirage. Ce n’était évidemment pas mal, mais que représentaient ces subventions pour ces journaux, car il faut donner à la fois donner quelques chiffres et rappeler le fonctionnement administratif du système des subventions.

            En 1928, deux commissions  centrales furent créées, l’une pour attribuer des subventions à des établissements métropolitains de propagande coloniale, directement ou indirectement, les comités de propagande coloniale, la deuxième aux journaux. En 1930, l’attribution des subventions aux journaux et revues fut rendue à l’initiative des gouverneurs généraux et gouverneurs, en précisant qu’il s’agissait des crédits prévus aux budgets locaux pour la propagande coloniale effectuée dans la métropole. ; (FM/Agefom/412-Circulaire ministérielle du 16/04/1935)

            Les deux commissions étaient composées de représentants du ministère et des agences économiques des colonies et territoires.

            En 1937, la presse coloniale reçut au total 184 000 euros pour onze titres (FM/Agefom/412, PV du 29/01/37).

            Les budgets des colonies y contribuèrent pour les montants suivants :

            Indochine :      37 000 euros

            AOF :             63 382 euros

            AEF :             33 346 euros

            Madagascar : 37 130 euros

            Territoires :   13 142 euros

            D’après le procès-verbal du 26 février 1937, et pour 1936, le total des subventions attribuées à la presse coloniale et métropolitaine avait été de 555 000 euros, le budget prévu pour 1937 étant quasiment identique.

            Dans le même procès-verbal, on relève que le crédit de subvention prévu en 1937 pour les établissements de propagande était de 233 000 euros.

            Situons à présent ces chiffres dans des échelles de grandeur économiques ou financières crédibles, avant de les situer dans le contexte du financement concret de la presse de cette époque, et sans doute encore de la nôtre.

            Tout d’abord par rapport au commerce extérieur des colonies et territoires avec la France. (Revue Economique Française, p.127)

            Ces subventions représentaient par rapport au chiffre du commerce extérieur de 1936, 0,46% pour l’Indochine, 0,82% pour l’AOF, et 1,20% pour Madagascar, ce qui n’était pas considérable en matière de propagande, pour ne pas dire de publicité publique, par rapport aux chiffres d’affaires de leur commerce extérieur avec la métropole.

            Il convient de rappeler que le commerce du Maghreb, Algérie, Maroc, Tunisie, représentait à lui seul, de l’ordre de la moitié du commerce de la France avec l’Empire.

            Il n’est pas superflu non plus de se poser la question de savoir s’il s’agissait de propagande coloniale ou de publicité pour des produits coloniaux, car l’historienne entretient à ce sujet une grande confusion.

            Pour fixer les idées, indiquons qu’en 1937, la Ville de Paris consacrait 1,137 million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies, sur un budget de 2,635 milliards d’euros.

            Le lecteur verra plus loin confirmées  les observations faites par les experts sur le peu de coopération que la grande presse manifestait pour la propagande coloniale, et sur le fait que, sans subvention, la presse coloniale aurait disparu.

            Mais il nous faut à présent aller au cœur du fonctionnement concret de la presse de l’époque.

            Citons tout d’abord un extrait des conclusions du Colloque de 1993 qui atteste de la méconnaissance du milieu concret de la presse par certains historiens, de la candeur aussi, et de la sous-évaluation de la paresse journalistique :

            « Quel a été le rôle du Parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré, par exemple, que le Parti colonial ou l’Agence de France d’outre-mer pour le ministère des Colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse. » (C,p,145)

            Mais beaucoup de journalistes ont toujours trouvé plus facile de reproduire purement ou simplement les papiers qu’on leur fournissait gratuitement, quitte à leur donner un léger coup de patte, que de rédiger eux-mêmes leurs articles. Communiqués officiels ou non, dépêches d’agences, ont toujours été les bienvenus dans beaucoup de journaux. Même de nos jours, combien de journaux ne font qu’adapter des dépêches de l’agence France Presse ou Reuters au goût du journal ?

            Les procès-verbaux de la commission citée plus haut font état à la fois de subventions et de rémunérations de correspondants des journaux.

            L’historienne Lemaire relève cette situation dans ses contributions, mais elle était loin d’être surprenante, compte tenu de la grande difficulté que les gouvernements rencontraient pour faire passer de la propagande coloniale dans leurs journaux, comme le notait plus haut l’historien Ageron.

            Il faut citer in extenso un extrait du projet de circulaire du ministre des Colonies, Marius Moutet, extrait qui ne figure pas dans le texte officiel de la circulaire n° 1294 du 11 mai 1937, laquelle valait instruction aux gouverneurs généraux et gouverneurs pour la propagande coloniale, texte sur lequel nous reviendrons.

            Le rédacteur du projet de circulaire écrivait :

            « Venons-en à la question de la presse proprement dite. C’est peut-être la plus délicate de toutes… qu’il s’agisse d’abonnements ou de subventions, il serait puéril de dissimuler que la presse coloniale éditée en France tire la plupart de ses ressources de nos contributions budgétaires, et que la presse métropolitaine, pour autant qu’elle veuille bien s’intéresser aux questions coloniales, considère comme une contrepartie nécessaire le fait de recevoir, de vos budgets, sous une forme ou sous une autre, un concours financier, et d’évoquer le témoignage d’un gouverneur général des colonies qui écrivait : « j’ai la tristesse de constater que les journaux considèrent nos subventions comme une sorte de tribut rendu en hommage à leur puissance et ne comportant aucune obligation de leur part. » (FM/Agefom/908)

            Dans sa circulaire ministérielle du 11 mai 1937, le ministre (SFIO) donnait les raisons de la création du nouveau Service Intercolonial d’Information :

            « L’information, l’éducation coloniale du peuple français est une nécessité…On s’est installé dans des habitudes administratives, l’action de la propagande reste modeste, traditionnelle, habituelle ;…Il faut enfin, faire prendre à notre pays, à notre population toute entière, jusque ses couches profondes, jusque dans sa spontanéité populaire, conscience de sa valeur coloniale ou plutôt de sa mission d’enseignement des peuples attardés, il faut révéler à la France sa famille humaine toute entière dans sa multiple variété, dans son étroite solidarité… Certes le dessein est vaste, généreux, il requiert désintéressement, foi, vocation et l’effort d’une génération, mais en traçant le chemin, en marquant la direction, nous aurons amorcé une œuvre qui se réalisera avec certitude. » (FM/Agefom//908)

            En mai 1937, il ne semblait donc pas que la situation de la propagande coloniale fut celle décrite par l’historienne, c’est-à-dire mirobolante, alors qu’il restait moins de trois ans avant le début de la deuxième guerre mondiale, qui allait tout changer et tout bouleverser.

            Notons en passant que le discours Moutet n’avait pas beaucoup évolué par rapport à celui de Jules Ferry.

            La circulaire en question fixait des objectifs à atteindre dans plusieurs domaines, la presse, la radio, la documentation photographique, le cinéma, objectifs qui furent poursuivis par le régime de Vichy et la Quatrième République, mais la France était alors entrée dans un autre monde, un nouveau monde

            La consultation de ces sources montre qu’il n’est pas possible de prendre au mot les propos et jugements péremptoires de l’historienne, qui ne correspondent absolument pas à la réalité historique de l’époque.

 

Regard indiscret sur la presse de l’entre-deux guerres

            Complétons cette analyse critique en proposant un éclairage sur le fonctionnement concret de la presse entre les deux guerres, à partir notamment des analyses de l’Histoire Générale de la Presse (PUF 1972).

            Dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui de l’entre-deux guerres, et compte tenu de son influence, la presse n’a jamais été une société de blancheur et de candeur. Les journaux étaient toujours à la recherche à la fois de lecteurs, et aussi de sources de financement complémentaires, publicité, subventions ou fonds secrets.

            En 1892, le scandale de Panama  avait montré dans toute son ampleur les subventions occultes versées aux journaux, et le Trésor russe n’avait pas ménagé son soutien à la presse française pour faciliter le placement des fameux emprunts russes en 1905, avec des complicités identifiées dans le système politique de l’époque.

            Entre 1919 et 1939, les journaux continuèrent à solliciter des soutiens financiers d’origine diverse. L’usage des fonds secrets se perpétuait : en 1933, le journal de Briand recevait une subvention mensuelle de 56 000 euros, soit un total annuel de 672 000 euros, montant supérieur au crédit de 550 000 euros que nous avons cité plus haut pour le total des subventions  à la presse métropolitaine et coloniale. (HGP/p, 488)

            Dans les années 1930, le gouvernement grec versa des subventions à la presse française, au Figaro, et au Temps.

            Quel que soit l’angle de l’analyse, on voit bien que les budgets consacrés à la propagande coloniale n’étaient pas à la hauteur des enjeux : presque anodins en ce qui concerne la presse métropolitaine, et transfusionnels pour la presse coloniale, dont les tirages étaient modestes, avec des résultats très mitigés, pour ne pas dire négligeables sur l’opinion publique.

            Arrêtons-nous encore un instant sur un cas concret, celui du Petit Parisien, cité par l’historienne. D’après les procès-verbaux de la commission officielle, ce quotidien reçut une subvention de 39 000 euros en 1937. Le prix de vente au numéro était en 1937 de 52 centimes d’euro, ce qui correspond  à l’achat officiel de 75 000  numéros, alors que le tirage quotidien de ce journal était de l’ordre du million. Donc une contribution anecdotique, pour ne pas dire anodine !

            Rapporté au chiffre d’affaires annuel du quotidien, cette subvention était purement homéopathique.

            Le lecteur aura donc pu se convaincre de la distance qui sépare les propos outranciers de l’historienne et la réalité historique : on voit mal avec l’organisation décrite, les budgets dédiés à la propagande coloniale, comment la Troisième République aurait pu réussir à fabriquer du colonial, à convaincre les marchands d’opinion, à obtenir le ralliement populaire au credo colonial. Non, vraiment, trop c’est trop, c’est vouloir faire prendre aux Français des vessies pour des lanternes historiques !

&

« En contrepoint, un grain … de riz et un grain …d’histoire !

            Ouf ! Nous avons échappé à la publicité d’Uncle Ben’s et à l’Empire américain dans nos assiettes !

            Mais le lecteur n’échappera pas à notre travail de décorticage du riz indochinois !

            Dans le livre Culture Impériale (CI,p,75), l’historienne nous livre, sous le titre « Manipuler : A la conquête des goûts », son analyse de la propagande impériale à travers quelques cas de produits coloniaux, le thé et le riz, avec pour le riz un sous-titre ravageur

            « Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits » (CI,p,82)

            Rien de moins !

            Et dans sa conclusion :

            « De toute évidence, au cours des années 1930-1940, la propagande a accaparé les Français dans leur vie quotidienne et tenté de faire passer l’idée coloniale de la pensée aux actes ? Cette démarche n’était pas neutre puisqu’elle visait à imposer la notion de France impériale dans les pratiques journalières afin de nouer puis de consolider les liens avec l’Empire, avec les « autres » France. Leur consommation aujourd’hui banalisée, constitue l’un des indices de cette culture impériale qui a imprégné pour toujours, jusque dans les assiettes, les mœurs et les habitudes quotidiennes  des Français. (CI,p,91)

            Je ne sais pas si Madame Lemaire a interrogé ses parents à ce sujet, mais je n’ai moi-même conservé aucun souvenir d’avoir vu du riz dans mon assiette. Alors faut-il faire appel à mon inconscient ? Mais allons à présent au fond des choses ;

            L’historienne rappelle qu’un comité du riz a été créé en octobre 1931, et que celui-ci « avait choisi d’aller à la rencontre des Français afin de transformer leurs goûts et de les « convertir » au produit. Or la seule façon de faire connaître un produit dont on ignore la saveur était d’offrir au maximum de personnes la possibilité d’en consommer avec la préparation adéquate. Ainsi le Comité a-t-il consacré une large part de son budget à cette tactique.

            Il lui fallait aussi « Façonner les goûts des jeunes consommateurs (CI,p,87)Les jeux n’échappaient pas à la stratégie globale. Un très bel exemple nous est donné par un jeu de l’oie, pour la réalisation duquel une somme de trois cents mille francs sur le budget de 1932 fut accordée à hauteur d’un million d’exemplaires. Il était porteur de l’ensemble des messages de la campagne… Ce jeu a connu une diffusion importante dans la mesure où un demi-million d’exemplaires ont été distribués dans les principales écoles primaires des trois cent cinquante villes de France ayant une population supérieure à dix mille habitants. » (CI,p,88)

            Plus loin, l’historienne écrit : « En effet, au-delà de la publicité commerciale, la propagande était décelable dans les orientations politiques des slogans…. La marque de l’idéologique était prégnante et le slogan transformait alors le programme politique en énoncé. « (CI,p,89)

            Le décorticage du riz

            L’historienne est beaucoup plus avare de chiffres que de paroles : les seuls cités concernent le fameux jeu de l’oie, 300 000 francs en 1932, soit 150 000 euros (2002).

            Rappelons que le budget de l’agence économique de l’Indochine était de plus de 416 000 euros en 1926, et que sur cette base l’opération jeu de l’oie aurait coûté 36% de son budget, ce qui n’est pas démesuré, compte tenu du poids considérable du riz dans les comptes de l’Indochine, aussi bien pour le budget fédéral que pour son commerce.

            Rappelons également qu’en 1937, la même agence consacra 37 000 euros à la seule presse coloniale. En 1935, le budget de la fédération était de l’ordre de 345 millions d’euros, dont plus de la moitié des ressources provenait du commerce du riz.

            150 000 euros par rapport à 345 millions d’euros, l’effort de publicité était négligeable.

            Quant au chiffre qu’il représente par rapport au chiffre du commerce extérieur total (importations  et exportations de l’Indochine, la conclusion est encore plus éclairante, 150 000 par rapport à 646 millions d’euros en 1935, ou à 902 millions en 1936 et 278 millions pour les exportations. Comme disent les journalistes : il n’y a donc pas photo !

            Il n’a pas toujours été possible de faire des comparaisons à même date, mais les écarts sont tels qu’ils ne sont pas de nature à mettre en cause cette démonstration.

            Quelques mots encore sur l’importance capitale du riz pour l’économie et la vie même de l’Indochine, confrontée en permanence aux aléas de la conjoncture internationale du commerce du riz, de la concurrence des autres pays asiatiques, et en métropole, à celle du blé dont le prix venait en concurrence de celui du riz. (Le commerce franco-colonial-R.Bouvier-1936)

            Cet exemple est d’autant plus surprenant  que le riz de mauvaise qualité importé d’Indochine pour soutenir ses cours localement allait dans nos basse-cours.

        Conclusion : cette analyse démontre que la propagande coloniale était plutôt chétive, et qu’elle avait peu de chance  de donner une culture coloniale à cette France coloniale réduite à sa plus simple expression.

            Je reviens sur le vecteur de la presse, qui s’il avait fait l’objet de  recherches statistiques sérieuses aurait sans doute confirmé les observations faites plus haut. En tout cas, c’est ce que nous avons fait en consultant les quelques mémoires universitaires qui ont été défendus sur le sujet.

            (Chap VII, pages 173 à 209, Sup col

                                Jean Pierre Renaud    Tous droits réservés

 

 

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9 janvier 2024 2 09 /01 /janvier /2024 16:39

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Propagande coloniale (C)

L’Agence des colonies

            La troisième contribution d’Images et Colonies est précise et rigoureuse : « Un acteur de la propagande coloniale : l’Agence des colonies. »  d’E.Rabut (IC,p,232)

            L’auteure a exploité les archives du centre d’Aix en Provence, comme l’a fait sans doute l’historienne Lemaire, et comme je l’ai fait moi-même.

            Mme Rabut y faisait l’historique de cette institution avec précision en soulignant dès le départ : « L’évolution des structures, marquée de nombreux soubresauts, reflète les interrogations sur les voies de l’efficacité dans le domaine de l’information coloniale. »(IC,p,232)

            D’abord un Office colonial, puis l’Agence générale des colonies créée par décret du 29 juin 1919, comprenant un service administratif et un service de renseignements. Celui-ci centralisait la documentation fournie par les agences économiques des grands territoires, Indochine, Madagascar, AOF, AEF, Territoires sous mandat, dans les années qui ont suivi la guerre 14-18.

Par décret du 17 mai 1934, et pour des raisons d’économies, l’Agence fut supprimée. Elle réapparut, comme nous l’avons déjà vu, sous une autre forme, avec le Front Populaire, sous un nouveau nom, et surtout avec une mission tout à fait différente, le Service intercolonial d’information. En 1941, le régime de Vichy a ranimé l’ancienne agence ministérielle, l’Agence de la France d’outre-mer, laquelle sera supprimée en 1953.

            La vie de cette institution n’a donc pas été celle d’un long fleuve tranquille et cet historique fait déjà peser un doute sérieux sur la valeur des jugements abrupts qui ont été portés sur l’efficacité de l’agence en matière de propagande coloniale.

            La même auteure décrit les activités de l’Agence générale et des agences économiques des territoires, statistiques économiques, renseignements, demandes d’emploi, participation aux expositions coloniales, propagande. L’Agence générale disposait d’une bibliothèque ouverte au public et d’un musée commercial.

            Les relations avec la presse sont rapidement évoquées, avec un doute sur leur efficacité, mais nous reviendrons plus loin sur ce dossier

            Nous allons montrer ce qu’il convient de penser des jugements péremptoires que l’historienne Lemaire a porté sur la propagande coloniale et sur le rôle qu’aurait joué l’Agence générale de colonies, chef d’orchestre (avait-il au moins une baguette ?), chargée de manipuler l’opinion, une fabrique de l’opinion, grâce au martèlement du discours, au brouillage des ondes, à son omniprésence dans le temps, et dans l’espace, capable de fabriquer du colonial.

            A la lumière de notre connaissance des institutions politiques, administratives et budgétaires, nous examinerons successivement les institutions et leur fonctionnement, l’évolution de leurs moyens financiers, et surtout dans une échelle des grandeurs des époques considérées, et enfin le dossier des relations avec la presse, dossier que l’historienne Lemaire a monté en épingle, et que nous n’hésiterons pas à dégonfler.

            Nous réserverons notre contrepoint au fameux grain… de riz qui aurait contribué à nous faire manger du colonial.

            Les institutions : ont-elles été opérationnelles, aux fins de la propagande, dans leur organisation et dans leur fonctionnement ? Non.

            L’agence générale des colonies et les agences économiques des territoires n’ont jamais constitué la machine de guerre de la propagande coloniale volontiers décrite par l’historienne Lemaire et son collectif de chercheurs. Pour qui a pratiqué assez longtemps les administrations centrales, les moyens humains des agences correspondaient au maximum à ceux d’une sous-direction d’administration centrale. Rien à voir avec les machines de propagande des Etats totalitaires !

            L’agence générale était coiffée par un conseil d’administration composé pour partie de représentants de l’Etat et pour partie de représentants des entreprises privées, les agences économiques étant pilotées elles-mêmes par des représentants des administrations coloniales de l’AOF, de l’AEF, de l’Indochine, de Madagascar et des Territoires sous mandat.

            Il convient d’ailleurs de noter qu’en 1926, l’Agence générale comprenait quatre services, un service commun, un service de renseignements, un service administratif, et le service administratif des ports de commerce, Marseille, Bordeaux, Nantes et Le Havre. Au total, 160 personnes, avec une partie de personnels techniques, dont la moitié était affectée dans les ports.(FM/Agefom/408) 

            La structure des agences était celle décrite par Mme Rabut, avec en général, deux services un service administratif et un service de renseignements, avec une fonction de documentation, de relations avec la presse, et ultérieurement de propagande.

            En 1937, année du renforcement de la propagande gouvernementale, après le hiatus des années 1934-1937, les agences économiques de Madagascar, d’AOF, d’AEF, et des territoires sous mandat, comptaient respectivement, 8, 8, 7, et 9 cadres.

            Les rapports d’activité récapitulaient minutieusement, sur un mode militaire, les chiffres mensuels d’activité, nombre de visiteurs, demandes d’emploi, demandes d’information commerciale et industrielle, placement de capitaux, débouchés, exposition d’échantillons de produits…

            En 1932, l’agence de Madagascar reçut 1 006 visiteurs et rédigea 4 719 correspondances, dont 447 pour obtenir de l’information sur les débouchés et 591  sur l’industrie et le commerce. Elle examina 1 538 demandes d’emploi (FM/Agefom/C834)

            Les activités de l’agence d’AOF étaient moins importantes, avec un nombre total de visiteurs de 397 seulement en 1933, et 1 546 demandes de renseignements. (FM/Agefom/C744)

            Le système était plutôt hybride, les agences économiques faisaient partie du réseau d’agences piloté par l’Agence générale, quand elle a existé, mais agissaient comme donneurs d’ordre de commandes de prestations auprès de l’agence générale. Chacune des agences disposait de son propre budget alimenté par les ressources des budgets des différents territoires.   

            Ces budgets n’étaient pas considérables, comme nous le verrons.

            Il convient de noter enfin que le domaine de compétence de l’agence générale des colonies n’a jamais porté sur l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, alors que ces territoires représentaient plus de la moitié du commerce colonial de l’époque.

            Quant au tissage plus ou moins réussi d’un réseau de propagande coloniale, il est exact que les gouvernements, mais surtout dans les années 30 ont donné des instructions aux préfets pour les inciter à faire de la propagande, à faciliter la création de comités de propagande coloniale placés sous la houlette des chambres de commerce et d’industrie ou des unions patronales, surtout dans les années 1936 et 1937.

Pour qui connaît le fonctionnement de l’administration  préfectorale, ce type d’action fait partie du lot quotidien des fonctions des Préfets, mobilisés au coup par coup, en fonction de la conjoncture et de la politique des gouvernements. Il en a toujours été ainsi.

            D’ailleurs, les ministres des Colonies avaient contribué à la mise en place de ce qu’on appellerait volontiers une hiérarchie parallèle, selon les bons préceptes communistes, mais qui n’a jamais eu l’efficacité des hiérarchies parallèles communistes, et sans doute non plus celle de la hiérarchie maçonne, très puissante alors. Hiérarchie parallèle animée par les chambres de commerce et les unions patronales, mais comme les nécessités de la conjoncture et d’une action commune en font créer régulièrement dans l’histoire politique, administrative et économique du pays.

            Les archives (FM/Agefom/851) nous donnent la trace d’instructions ministérielles précises à ce sujet.

            En 1925, une circulaire ministérielle de M André Hesse avait prévu l’organisation sur tout le territoire métropolitain, de comités de propagande qui devaient avoir pour but d’intensifier la vulgarisation de l’idée coloniale.

            Le 30 mai 1930, dans la perspective de la grande exposition coloniale de 1931,  le Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies Delmont réunit à Paris les délégués des comités de propagande coloniale et des associations coloniales, lesquels existaient dans la plupart des grandes villes françaises. L’ordre du jour était : organisation des comités de propagande coloniale et création d’un lien entre ces comités.

            Ces comités étaient pour la plupart constitués de représentants des chambres de commerce ou d’entreprises intéressées par l’outre-mer.

            A titre d’exemple, le Comité de propagande coloniale de Cherbourg était constitué d’un Comité d’honneur composé du Préfet de la Manche, du Sous-Préfet de Cherbourg, du Maire de Cherbourg, du Président et d’un Vice-Président de la Chambre de Commerce, et son conseil d’administration de représentants des entreprises de la Manche.

            A la réunion ministérielle, il fut envisagé de susciter des comités départementaux, mais avant tout de créer une commission permanente des groupements d’action coloniale.

            Au cours de la séance, le représentant du comité de Bergerac exposa qu’il n’avait pas obtenu auprès des membres du corps de l’enseignement, tout l’appui qu’il aurait désiré pour faire connaître les colonies aux jeunes gens des écoles. Il demandait que le Ministre de l’Instruction Publique donne des instructions à ses subordonnés pour qu’à l’avenir, il n’y ait plus de malentendus. Le représentant de Dijon s’associa à cette demande.

            Le représentant du comité de Lyon y rappela les efforts faits par la Chambre de Commerce, 141 000 euros par an (valeur 2002, un budget très modeste.

            A la fin de la réunion :

            « Le ministre rappelle aux délégués des comités que l’essentiel, c’est de créer autour d’eux une mentalité, une foi coloniale et pour atteindre ce but, les collaborateurs les plus importants sont les instituteurs et les professeurs de collège qui peuvent agir sur l’esprit des enfants…Lorsque cette mentalité coloniale sera créée, la propagande verra ses fruits centupler et le public saura, tout comme en Hollande, que nos colonies permettent non seulement le placement des hommes, mais aussi celui des capitaux (vifs applaudissements) »

            Le lecteur aura constaté, qu’en 1930, la propagande coloniale n’avait pas encore eu les effets escomptés par certains sur l’opinion publique, et que le corps enseignant ne manifestait pas un enthousiasme débordant pour la cause coloniale, alors que nous avons démontré que les livres scolaires n’accordaient pas non plus une grande place aux colonies.

            Le 7 juillet 1930, le Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies adressait une circulaire à Messieurs les Présidents des Comités d’Action Coloniale en leur transmettant le procès-verbal de la réunion du 30 mai, au cours de laquelle il y fut décidé la consolidation, et là, où besoin sera, la réorganisation des comités actuellement existants, voire la création de comités nouveaux, ainsi que la création d’un organisme fédéral, la Commission permanente des Groupements d’Action Coloniale.

            Le ministre écrivait :

            « Je signale par une circulaire adressée ce jour aux Préfets, l’importance de vos Comités, en même temps que je leur envoie copie du procès-verbal de notre réunion, et que je les prie de vous accorder tout leur appui moral et matériel. Signé A.Delmont »

            Les Comités locaux d’action coloniale continuèrent à exister au cours des années ultérieures, comme l’indique une circulaire ministérielle du 20 février 1934 qui adresse aux agences économiques des colonies la liste de ces groupements, en invitant les agences à entrer en liaison avec ces comités, en les invitant à vous faire connaître les entreprises  agricoles, industrielles, et commerciales de leur secteur, susceptibles d’acheter les produits des territoires que vous représentez ou d’y écouler les leurs. (FM/Agefom/40)

            Les archives fournissent beaucoup d’échantillons des correspondances échangées entre l’administration, les agences, et les comités. Leur contenu porte sur les informations de toute nature qui alimentaient ce réseau économique, organisation du réseau, relais d’information, liste d’entreprises et liste de produits exportés ou importés, etc…

                              L’avis d’un expert

A la session parlementaire de 1928, le député Archimbaud, longtemps rapporteur inamovible du budget des colonies à la Chambre, appelait le pays à faire un effort de propagande « pour parvenir à créer en France une mentalité impériale, le premier effort devait être tenté par la presse, le second par l’école, à tous les degrés d’enseignement… le gouvernement doit tendre à obtenir de la grande presse quotidienne qu’elle accorde à l’information coloniale la place qu’elle mérite, et que les honneurs de la première page ou des « leaders » ne soient pas uniquement réservés à l’exposé des grands scandales coloniaux. » (ASOM)

            A la session de 1930, le même rapporteur du budget consacrait une partie de son exposé à la propagande coloniale :

            « Quelle ignorance le Français moyen n’a-t-il pas à l’endroit de cet admirable domaine ! Que de préjugés à vaincre ! »

            Le rapporteur proposait que la bonne propagande touche l’enfant, le Français au régiment, l’industriel et le commerçant.

            « A l’heure actuelle, les questions de propagande coloniale sont entièrement laissées à l’activité des agences relevant des gouvernements coloniaux. Grâce aux moyens financiers dont elles disposent, les agences ont pu jouer un rôle incontestable. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a actuellement aucune coordination dans l’effort de propagande…

            Les questions de propagande revêtent une trop grande importance pour qu’elles ne soient pas placées immédiatement sous l’autorité du Ministre et il est regrettable qu’il n’existe pas encore au Ministère des Colonies un service de propagande, comme il est regrettable qu’un service bien organisé de la colonisation, disposant de crédits suffisants, n’ait pas encore été organisé au sein de ce même département. » (ASOM)

            A la lecture de ces textes, le lecteur constatera qu’en 1930, à la veille de la fameuse exposition de 1931, aucun chef d’orchestre n’existait pour la propagande coloniale, contrairement aux assertions de l’historienne Lemaire, qu’il n’existait pas de service de propagande au sein du gouvernement, et qu’un rapporteur du budget des Colonies constatait à la fois l’insuffisance notoire de la propagande et le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies. Il faudra attendre les années 1937 pour qu’il y soit remédié, mais dans une conjoncture tout à fait particulière celle de l’avant-guerre. Nous rappelons que la fameuse Agence générale a été supprimée, sans être remplacée, entre 1934 et 1937 !

            L’Agence n’a jamais été, en tout cas jusqu’en 1931, une « machine à informer et à séduire, l’épicentre de l’information coloniale », ou alors un petit épicentre, l’Agence n’a jamais « inondé », elle n’a jamais été capable de « manipuler l’opinion ou de marteler un discours, ni de fabriquer du colonial, » et n’a jamais eu de « stratégie ».

            Il n’y a pas eu de « réseau tentaculaire d’individus, de marchands d’influence  que sont les journalistes », et contrairement au dire de l’historienne, « l’ensemble de cette propagande savamment organisée (n’) a (pas) contribué à bâtir une chape de plomb qui rendit impossible la faculté de penser le réel  de la domination coloniale. »

            Comment une telle chose aurait-elle été possible ? Alors que les agences déployaient une activité qui avait plus avoir avec le travail d’une représentation diplomatique ou d’une agence d’information, dont le rapporteur du budget des Colonies reconnaissait qu’elle n’était pas suffisante en matière de propagande, et cela jusqu’en 1931.

            Les agences firent un travail remarquable de documentation générale et économique sur les territoires qu’elles représentaient, mais s’agissait-il de propagande ?

Des crédits de propagande crédibles ? Dans une échelle de grandeurs crédible ? Encore non !

            Nous allons à présent nous intéresser aux budgets de l’agence générale et des agences économiques des colonies, afin de mesurer leur capacité financière d’action en matière de propagande coloniale, car comme nous l’avons déjà relevé, les agences développaient une activité variée, et l’examen rapide de leurs budgets permettra de démontrer que les crédits de propagande étaient très modestes.

            Les subventions des agences  à la presse métropolitaine et coloniale feront, plus loin, l’objet d’un examen particulier, compte tenu de leur caractère sensible, et de l’interprétation qu’en donne l’historienne.

            Tout d’abord, les crédits de l’agence générale des colonies : il faut savoir que le budget de l’agence générale était alimenté par les budgets des colonies, ainsi que les budgets des différentes agences économiques, AOF, AEF, Indochine, Madagascar, et territoires sous mandat. Cela ne coûtait donc pas trop cher au contribuable de métropole, et donc au budget de l’Etat !

            J’ai rappelé à plusieurs reprises sur ce blog que la France, comme l’Angleterre, avait décidé de laisser aux colonies le soin de se financer elles-mêmes.

            En 1923, le budget de l’agence générale était de 1,3 million euros (2002), et en 1926, quasiment du même montant (FM/408). Le budget de l’agence ne représentait pas plus de 0,09 % du budget du ministère des Colonies, 142 millions euros, et plus de 95% des recettes de ce budget provenaient des contributions des colonies associées à chacune des agences économiques. Le budget du ministère des colonies représentait lui-même 0,007 % du budget de l’Etat. (Archives/Finances)

            En 1926, les budgets de l’Indochine, de l’AOF, et de Madagascar, y contribuaient respectivement pour 416 224 euros, 370 480 euros, et 268 137 euros.

            En 1926, l’essentiel du budget de l’agence était consacré aux dépenses de personnel, et le budget des ports de commerce représentait 38% du budget de l’agence.

            Indiquons au lecteur, que le crédit dédié à la propagande coloniale, participation aux foires, expositions et conférences se montait à 10 540 euros. Vraiment pas de quoi inonder le pays de propagande coloniale ! (FM/Agefom/408, chap.16 du budget).

            Rappelons que le commerce extérieur de la France en 1930 (exportations, plus importations) était de 17 500 millions d’euros, dont pour le commerce colonial, polarisé sur l’Algérie, 2 891 millions d’euros. (Empire colonial et capitalisme français, J.Marseille)

            La propagande coloniale au sens strict représentait une fraction infinitésimale du commerce extérieur, dans l’ordre des fractions de millièmes.

            En 1937, année au cours de laquelle le gouvernement décida d’intensifier la propagande coloniale, le budget de cette propagande était de 1,9 million d’euros (FM/Agefom/908), à comparer au chiffre du budget du ministère des colonies, soit 0,005 % de 360 millions euros (Archives/Finances). Le ministère lui-même représentait 0,016 % du budget de l’Etat.

            L’ensemble de ces chiffres situe les ordres de grandeur que l’historien est bien obligé de prendre en compte pour porter un jugement historique sur la propagande coloniale.

            Examinons à présent les budgets des agences économiques pour mesurer leur poids relatif sur le plan financier et économique, et voir la part qu’elles accordaient au poste documentation propagande.

            En 1933, le budget de l’agence de l’AOF était de 681 000 euros. Le poste publicité et propagande se montait à 76 000 euros. Sur ce crédit, les subventions  à la presse de métropole étaient de 56 000 euros. Le montant du budget de l’agence représentait 5,6% du budget de l’AOF, ce qui n’était pas négligeable pour la fédération, mais beaucoup moins significatif sur le plan métropolitain. (FM/Agefom/744)

             Pour donner un exemple, en 1931, année de l’Exposition coloniale, la Ville de Paris avait consacré plus d’un million d’euros à ses réceptions, fêtes et cérémonies. Le budget de la Ville était alors de plus de 2 milliards d’euros, à comparer aux 1,2 millions d’euros du budget de l’AOF.

            En 1934, le budget de l’agence de l’AEF était d’environ 524 000 euros, dont 83 000 euros pour la propagande et les expositions, et le budget de la fédération était de l’ordre de 57,7 millions d’euros, soit 9,9% du budget fédéral, un chiffre relativement important, mais qui marquait à la fois le besoin de cette fédération de se faire connaître, et la disproportion existant dans l’échelle des valeurs entre métropole et colonies. (FM/Agefom/408 et 901)

            Ces budgets étaient sans commune mesure avec les budgets métropolitains, même s’ils pouvaient faire illusion dans leur rapport avec les budgets coloniaux. L’analyse des subventions à la presse confirme cette appréciation et démontre que la presse métropolitaine et coloniale n’était certainement pas en mesure de propager la bonne nouvelle coloniale grâce aux subventions qui lui étaient versées par les agences économiques des colonies.

            Nous ne reviendrons pas sur les affirmations trompeuses de l’historienne quant au rôle et à l’efficacité de l’Agence dans les années 1871-1931, dans Culture coloniale, alors que nous avons vu qu’elle n’avait existé qu’à partir de 1919, et que son activité était loin d’être à la hauteur des jugements rétroactifs de l’historienne.

            Comment est-il possible d’écrire dans ce livre au sujet de cette Agence, et pour la même période :

            « Elle fut par conséquent l’un des plus grands outils fédérateurs de l’opinion publique. » (CC,p,142)

            Et grâce à elle : « Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était-elle parfaitement intériorisée. « (CC,p,147)

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9 janvier 2024 2 09 /01 /janvier /2024 10:05

5- (A)

La Propagande coloniale (A)

Les sources de ce discours

            La première source possible d’un tel discours aurait pu être l’analyse très documentée de l’historien Charles-Robert Ageron parue dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer du premier trimestre 1990, intitulée « Les colonies devant l’opinion publique française (1919-1939).

            L’auteur écrivait :

            « L’objet de cet essai est une étude d’opinion publique : peut-on savoir si les Français, dans leur ensemble, s’intéressaient à leurs colonies entre 1919 et 1939 ; s’ils y étaient favorables, hostiles et indifférents ? Peut-on apprécier quel intérêt les attachait éventuellement à leur empire colonial et quelles furent les variations de ce qu’on appelait volontiers leur «  conscience coloniale » ?

            Certes à cette époque, les techniques de sondage de l’opinion, déjà courantes dans les années trente aux Etats-Unis, sont à peine connues en France et une telle recherche peut paraître vaine sur le plan scientifique puisque nous ne disposons sur ce sujet que de quelques sondages, fort imparfaits et tardifs, en 1938 et 1939. Mais l’historien de la période contemporaine ne peut renoncer pour autant à tenter de connaître, par des méthodes plus empiriques, cette opinion publique, à condition de bien mesurer les limites de son entreprise. Qui s’intéresse à cette « préhistoire » de l’opinion, celle qui précède l’ère des sondages, doit être parfaitement conscient du champ de sa recherche. Ce que l’on peut recenser en fait d’opinion publique, c’est soit l’opinion de la classe politique, soit l’action des groupes de pression…(RFOM,p,31)

            Lorsque nous pourrons développer cette recherche, celle-ci exigera sans doute des méthodes appropriées pour le traitement, par étude du contenu, de la presse d’information et d’opinion, des revues de culture générale et des revues coloniales, des ouvrages scolaires et des manuels d’enseignement supérieur…

            Peut-être devra-t-on tenter aussi de recourir à quelques sondages rétrospectifs auprès d’échantillons représentatifs des générations anciennes. Mais il ne peut s’agir là que d’une tâche de longue haleine et d’un travail d’équipe.

            C’est précisément dans l’espoir d’éveiller l’intérêt de quelques chercheurs ou étudiants que nous avons voulu présenter ici, beaucoup plus modestement, une première approche, tel qu’il nous apparaît après une enquête rapide à travers la presse coloniale et non coloniale et après une recension critique des témoignages fournis par les spécialistes du « parti colonial » sur l’audience de l’idée coloniale. (RFOM,p,32) …

            Dans ce terrain non défriché, il eut été plus habile de s’en tenir à la classique prospection des sources et à leur présentation, illustrée d’exemples, d’une problématique et d’un échantillon de méthodes. Nous avons pensé qu’il était plus loyal de dire simplement ce que nous savions et ce que nous ne savions pas, réservant à l’enseignement d’un séminaire recettes et hypothèses de travail, indication de pistes et souhaits de recherches précises. » (RFOM,p,33)

            Il nous a paru utile de citer presque in extenso ce texte qui expose clairement et honnêtement les problèmes de méthode rencontrés pour aborder le sujet, problèmes que nous avons déjà longuement évoqués et qui mettent en cause les fondements scientifiques du discours tenu par ce collectif de chercheurs.

            Car ce collectif de chercheurs a fait l’impasse sur les problèmes méthodologiques qu’ils auraient dû résoudre préalablement, afin d’être en mesure de présenter concepts et théories qui seraient censés donner une représentation historique de l’opinion publique des périodes analysées.

            L’historien donnait son avis sur les résultats de la fameuse propagande coloniale dans l’opinion publique :

            « En 1918, le parti colonial réclamait « un service de propagande coloniale doté de tous les moyens nécessaires »…

            Mais en 1920, le puissant groupe colonial qui s’était constitué dans la Chambre bleu-horizon ne parvint pas plus à faire inscrire au budget les crédits nécessaires à cette propagande de grand style que le ministre A.Sarraut déclarait pourtant indispensable. » (RFOM,p,35)

            La presse coloniale ne touchait pas le grand public, et le député radical Archimbaud, inamovible rapporteur du budget des colonies, dénonçait lui-même l’apathie gouvernementale dans ce domaine.

            Dans les années Vingt, « les coloniaux et les colonisés étaient gens d’une autre planète, la masse de l’opinion française  demeurant dans son indifférence antérieure. »

            La grande presse jugeait « invendable » la propagande coloniale.

            La situation changea entre 1927 et 1931 avec le lancement d’une grande campagne de propagande coloniale qui trouvera son couronnement dans la grande Exposition de 1931. La presse d’information s’associa pour la première fois à la propagande coloniale.

            Mais l’historien de rappeler ce que déclarait, en juillet 1928, le directeur de la Ligue maritime et coloniale, présentée comme un des moteurs de la propagande coloniale, au sujet des résistances des milieux d’enseignants :

            « Le milieu qui a charge de forger la mentalité française, c’est à dire le corps enseignant, est celui qui y est demeuré jusqu’à présent le plus étranger, à quelques exceptions près. » (RFOM,p,48)…

            Le parti colonial disposait maintenant de l’appui du, gouvernement Tardieu (1930)….Il n’est pas jusqu’au ministère des Colonies où, pour la première fois, on ne s’occupât de propagande impériale. » (RFOM,p,51)

            Alors que la fameuse Agence générale des colonies et que les agences économiques des territoires existaient depuis au moins dix ans, que ces outils de propagande étaient à l’entière disposition de ce ministère ! Le lecteur n’y retrouvera sûrement pas les descriptions exubérantes qu’en a faites plus haut l’historienne Lemaire.

            Quant à l’exposition de 1931 qui a déjà été évoquée, et en dépit des campagnes de propagande et de son succès immédiat, rappelons le jugement de Lyautey qui en avait été le patron et un des initiateurs : « Ce fut un succès inespéré »,  disait-il le 14 novembre 1931, mais dès 1932, il ajoutait « qu’elle n’avait en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ni ceux des gens en place qui n’étaient pas par avance convaincus. » Telle parait bien être la juste conclusion qui se confirma, nous le verrons, dans les années suivantes. » (RFOM,p,52)

            Comme on le voit ici encore, on est loin des descriptions de la propagande que cette historienne a faites précisément pour cette période chronologique de 1919-1931 ! En ajoutant qu’il ne reste plus beaucoup de temps à nos brillants propagandistes coloniaux pour faire mieux, étant donné que quelques années plus tard la France allait entrer dans une ère de turbulences internationales, une situation qui va conduire les gouvernements, et derrière eux une partie seulement de l’opinion publique, à soutenir la cause impériale, ultime recours de la République en face de l’ennemi.

            Entre 1932 et 1935, la propagande aurait en effet été inefficace si l’on en croit l’analyse Ageron dans le titre IV « Le recul de l’idée coloniale dans l’opinion publique, »

            Et, et plus loin d’analyser dans le titre V « L’évolution de l’opinion à travers Le salut par l’empire.

            L’analyse historique Ageron est évidemment en contradiction avec celle l’historienne Lemaire, mais il convient d’examiner si d’autres sources postérieures peuvent accréditer le discours Lemaire. JPR  TDR

5 (B)

Propagande coloniale (B)

Le Colloque de janvier 1993

            L’historien Meynier y signa une contribution intitulée « Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux guerres. »(C,p,41)

            « L’objet de cette communication est de faire ressortir par un exemple, les images mises en œuvre par le colonisateur français au moment de la guerre de 1914-1918 et au cours de la période de l’entre-deux guerres sur les « indigènes » dans le cas algérien principalement. Il est d’étudier en quoi la production de ces images relève d’une conscience française volontariste, c'est-à-dire d’un projet politique. Mais en quoi aussi, ce projet provient d’un  inconscient à l’œuvre dans les représentations françaises, en quoi il est inséparable de fantasmes travaillant telle ou telle partie de la société française, et qui ne se réduisent pas forcément au seul champ colonial. » (C,p,41)

            Vaste sujet d’étude historique comme peut le constater le lecteur, mais aussi sans doute la surprise de voir surgir dans ce champ à la fois les images et l’inconscient !

            Notons que la communication limitait sa réflexion « dans le cas algérien principalement ».

            L’historien notait : « Une foule de livres de vulgarisation font honte aux Français de leur peu de foi coloniale. Sous la houlette d’Albert Sarraut, éclosent des flots de brochures, de tracts, de photos, de films destinés à exalter l’idée coloniale.  (Sans autre précision, ni évaluation)…

            Ces images coloniales touchent finalement assez peu la masse française…

            Au Parlement, les débats coloniaux continuent à ne pas faire recette.

            Compte tenu de ce constat et des images officielles proposées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan, lorsqu’on évoque les colonies ? » (C,p,43)

            Quittons provisoirement le propos de cet historien dans son analyse de l’imaginaire français et de l’inconscient français, pour aller directement à sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent des stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français, et il doit très peu au grand large. »(C,p,48)

       Est-ce qu’en écrivant ce type de propos, le grand historien, à l’exemple d’autres, n’a pas entrouvert la boite de Pandore d’où sont sortis les maux surtout inconscients dont souffre aujourd’hui notre histoire postcoloniale ?   

    Sans oublier que l’historien visait le cas algérien, un exemple de l’importance de la « matrice » algérienne très influente qu’a décrite récemment l’historien Vermeren dans le livre « Le choc des décolonisations ».

            La conclusion du Colloque (C,p,141) rappelle qu’environ six cents images de toute nature ont été présentées et commentées. Elle s’inscrit dans la ligne de pensée du discours que nous critiquons, sous la signature de deux historiens, Gilles Manceron et Jean-Barthélémi Debost, que nous avons déjà croisé sur les livres scolaires et sur les affiches Elle conclut naturellement  à la filiation entre les images produites hier et celles diffusées aujourd’hui, tout en se posant la question de l’origine des images et de leurs  effets :

                « Image et propagande

            Autres questions :

                « « Quand y-a-t-il eu une production délibérée d’images de propagande ? Quel a été le rôle précis du parti colonial dans la production de cette imagerie ? Charles Robert Ageron et d’autres ont montré par exemple, que le parti colonial et l’Agence de la France d’outre-mer pour le ministère des colonies avaient des officines qui rédigeaient des articles prêts à être repris, non signés, dans la presse….

            Quand on évoque la propagande, il faut aussi essayer d’en distinguer les cibles. »(C,p,145)

            Il est donc difficile d’en tirer un enseignement qui aurait fait progresser la connaissance de la propagande coloniale au cours de la période examinée.  Comment enfin ne pas évoquer au sujet de la presse un souvenir professionnel ? Comment ignorer que dans beaucoup de journaux, en province ou ailleurs,  les journalistes se contentent de démarquer soit un bulletin de l’AFP, soit un communiqué du ministre ou du préfet, ou tout simplement d’une entreprise ou d’un groupement professionnel.

            Je ne résiste pas à vous conter une anecdote professionnelle qui concerne la Lozère et son classement en Zone Spéciale d’Action Rurale dans les années 60.

            Nous avons vu débarquer un jour un journaliste du Monde qui venait faire un papier sur le cas de ce département. Quelle n’a pas été notre surprise de voir ce professionnel être venu comme un  réalisateur de cinéma prendre tout simplement le décor d’un article déjà écrit à Paris !

            Dans le livre Images et Colonies, le livre paru dans le sillage du Colloque :

            L’historien Meynier y a fait paraître un article intitulé « L’organisation de la propagande » :

            Dans l’introduction de l’ouvrage, l’historien Blanchard n’avait pas fait dans le détail, en décrivant  à force de diffusion et de matraquage, un message capable de séduire un vaste public et en écrivant comment les français ont pu être séduits e/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande. (IC,p,8)

            Le lecteur aura relevé « pendant près d’un siècle », rien de moins ! Et le « matraquage » !

            Dans sa communication, l’historien Meynier manifestait une plus grande prudence :

            « Cette propagande qui met les colonies en images devrait être organisée par rapport au public- aux publics-  qu’elle se propose d’atteindre. Malheureusement, les matériaux manquent à l’historien pour en juger avec sûreté. » (IC,p,113)

            Déjà la douche froide !

            L’historien analysait successivement tout un ensemble de supports possibles de propagande, programmes scolaires, associations et groupements privés, organismes politiques. En ce qui concerne les 87 manuels d’histoire examinés, la part des colonies y restait modeste. Il donnait un sous-titre évocateur à la suite de son analyse :

« Propagande et mise en image des colonies entre credo colonial et exotisme de masse », passage où il notait « que dans les cartes postales, destinées à tous publics, c’est l’exotisme qui l’emporte encore plus encore que dans les autres productions. » En ce qui concerne les jouets,  c’est encore l’exotisme qui l’emportait. (IC,p,121)…

            « Au-delà des incantations coloniales officielles, ce que livre la mise en images des colonies par les Français, c’est encore principalement un exotisme de masse » (IC,p,123)

            Et en conclusion :

            « Mais bien après l’apogée de la propagande coloniale qui, pour le moment, ne releva guère d’une politique mais plutôt d’un air du temps relié à des images récurrentes amplifiées. « (IC,p,124)

            Donc grande prudence de l’historien, tout à fait justifiée compte tenu de l’étroitesse du corpus examiné, 30 affiches, 76 images de magazines ou de livres à thème colonial, 116 cartes postales.

            Notre conclusion intermédiaire : rien qui plaide précisément en faveur du matraquage d’une propagande coloniale qu’un bon historien a bien de la peine à décrypter et à situer.

Nous ne nous attarderons pas sur la contribution de N.Bancel et G.Mathy intitulée « La propagande économique au cours de la période 1945-1962 » pour trois raisons :

            - Carence complète de la démonstration statistique du propos illustrée par les observations contradictoires suivantes :

            « Il est très difficile d’établir le chiffrage précis, à la fois de la diffusion des publications semi-officielles du Ministère et de l’impact de la diffusion  de cette iconographie par la presse. L’étude d’un corpus partiel permet d’affirmer que la propagande coloniale étatique a presque entièrement submergé l’iconographie des périodiques non spécialisés. » (IC,p,222)

            Comment peut-on oser le mot submerger après avoir avoué son incapacité à apporter une quelconque démonstration statistique, qui était possible en analysant méthodiquement et non superficiellement la presse ?

            - Outrecuidance de l’analyse et des jugements :

            « L’appauvrissement du discours et des représentations coloniales, qui avaient forgé l’inconscient collectif colonial, marque la ligne historique qui sépare l’avant de l’après-guerre. » (IC,p,222) « L’hégémonie de la propagande coloniale (IC,p,224) Pour cerner de près les réalisations et sortir de l’idée prégnante forgée par l’iconographie, nous devons revenir aux sources écrites » (IC,p,227) « Ces images témoignent d’un impérieux ethnocentrisme qui contredit tous les discours sur le respect des cultures et de l’histoire africaines martelés par la propagande. » (IC,p,229) Les images sur l’économie du continent africain qui martèlent dans les mémoires française son infériorité constituent une des facettes de l’idéologie du progrès » (IC,p/230)

            Le lecteur aura relevé les verbes forts forger et marteler. Il doit savoir que cette analyse s’inscrit dans une période où la France a fait un gros effort d’investissement public et non privé, et de planification pour le développement du continent africain. Les gouvernements successifs ont voulu mettre en scène leurs réalisations par une propagande adaptée qu’il conviendrait d’évaluer avec précision dans son volume financier, comparativement à des campagnes de publicité privée, ainsi que dans ses effets sur l’opinion.

            Précisons par ailleurs que cet effort financier n’aurait pas été possible en l’absence du Plan Marshall !

            - Une grande difficulté d’interprétation historique compte tenu de la brièveté de la période politique examinée, neuf années entre la Libération et la guerre d’Algérie, agitée par des conflits coloniaux. D’autant plus que l’Union française avait juridiquement succédé à l’Empire.

            Le lecteur constatera que cette analyse boursouflée est en complète contradiction avec le contenu de la suivante.

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           Prochaine publication

La fameuse Agence des Colonies !!!

 

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