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3 novembre 2015 2 03 /11 /novembre /2015 15:44
« Français et Africains ? »
« Frederick Cooper »
&
Les situations coloniales avec les témoignages
6 a
Le témoignage Delafosse : les « humanistes » et  la bombe d’Indochine !

 

            Premier témoignage, celui de l’Africaniste Maurice Delafosse :

 

               A titre d’illustration de la problématique coloniale posée en 1945, celle des « premières fissures » et celle de la citoyenneté politique et sociale, plusieurs textes sont proposés, le premier de l’africaniste Delafosse, aujourd’hui un peu décrié par certains spécialistes, deux autres rédigés par Sœur Marie André du Sacré Cœur « La condition humaine en Afrique Noire » (Grasset 1953) et par Gaston Bouthoul dans son livre « La surpopulation » (Payot 1964), ces deux autres témoignages seront publiés ultérieurement en 6 c.

            A la question ou aux questions souvent posées sur les raisons qui ont incité la France à décoloniser dans les années 1960, les réponses sont multiples, d’autant nombreuses et contrastées que leurs auteurs ont souvent de la peine à se démarquer d’un regard partisan ou idéologique.

          La raison sans doute la plus simple de la décolonisation serait celle d’une marche du monde assez conforme à l’analyse taoïste du cours des choses, du constat qu’une fois épuisés les effets des dispositions favorables à la colonisation, à la domination, ce que d’aucuns ont dénommé le colonialisme, il était inévitable que des dispositions inverses se  manifestent, d’un sursaut plus ou moins fort, pacifique ou violent, des peuples dominés vers de nouvelles formes de liberté et de souveraineté.

        Certains interpréteraient volontiers ce type de mouvement comme un des résultats positifs du « colonialisme ».

        Après la deuxième guerre mondiale, les mouvements de libération et de décolonisation trouvèrent un appui puissant dans l’évolution du contexte international, la propagande des Etats Unis pour la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, une revendication  qui n’était pas toujours dénuée d’intérêts, de même qu’en parallèle, en opposite, l’Union Soviétique faisait miroiter l’avenir glorieux du marxisme international.

         Les nouvelles puissances du tiers monde, notamment l’Inde, vinrent apporter leur concours et leur souffle idéologique à ce mouvement de libération des peuples colonisés. 

         Comment ne pas rappeler également que de nouvelles élites, dites « les évolués », nées avec la colonisation, avaient également l’ambition de diriger leur propre pays ?

        Nombreux sont les récits ou les faits qui ont illustré historiquement le mouvement des peuples africains vers de nouvelles formes de souveraineté, ne serait-ce qu’à l’occasion des résistances qui furent opposées aux nouveaux conquérants, les colonisateurs.

Quelques faits :

              Sans revenir sur la lutte des chefs de guerre que furent les El Hadj Omar,  Ahmadou, Samory, ou Béhanzin, ou sur celle des mandarins du royaume d’Annam et de leurs alliés pirates du Tonkin, le cours de la colonisation ne fut pas partout celle d’un long fleuve tranquille : révolte africaine en Haute Volta contre la conscription. des années 1914-1918, fuite devant la taxe de capitation ou le travail forcé dans beaucoup de régions de la brousse africaine, révolte sanglante de Yen Bai en Indochine en 1930.

Le témoignage de l’africaniste Delafosse :

            Delafosse avait été administrateur colonial en Côte d’Ivoire pendant plusieurs années, dans une Côte d’Ivoire qui venait de voir le jour comme première forme d’un Etat colonial, rappelons-le, et avait fait le choix de l’étude des sociétés africaines, de leurs langues, de leurs mœurs et de leurs cultures.

Il était en quelque sorte devenu un expert des politiques indigènes qu’il était possible de mettre en œuvre en Afrique noire.

           En 1922, il publiait un livre intitulé « Broussard », et son diagnostic était le suivant.

         Il posait ce diagnostic précoce, à l’aube de la deuxième phase de la colonisation, c’est-à-dire les années 1920-1940, en partant du principe que les hommes, blancs ou noirs, étaient les mêmes, en Europe ou en Afrique, mais cela ne l’empêchait pas de proposer une politique indigène qui ne fut jamais celle de la France.

        Il écrivait au sujet de l’instruction : « Considérant simplement le bien ou le mal que peut retirer l’indigène africain d’une instruction à la française, je crois sincèrement que la lui donner constituerait le cadeau le plus pernicieux que nous pourrions lui faire : cela reviendrait à offrir à notre meilleur ami un beau fruit vénéneux « (p,111)

       Plus loin, il fustigeait les humanistes :

       « Les humanistes entrent en scène. Pour ces singuliers rêveurs, l’idéal de l’homme est de ressembler à un Parisien du XXème  siècle et le but à poursuivre est de faire goûter à tous les habitants de l’univers, le plus tôt possible, les joies de cet idéal » (p,114)

La bombe d’Indochine

      «  Nous parlions d’un événement qui avait mis en émoi l’Indochine ; un Annamite quelque peu détraqué  avait lancé une bombe sur un groupe d’Européens assis à la porte d’un établissement public.

         Ce n’est pas dans votre Afrique, dis- je à mon ami Broussard, que de paisibles consommateurs prenant le frais et l’apéritif à la terrasse d’un café, auraient à redouter l’explosion d’une bombe intempestive.

        Assurément non, me répondit-il, ou du moins l’instant n’est pas encore venu d’appréhender de tels faits divers ; mais ce n’est qu’une question de temps. » (p,112)

     Et plus loin encore :

      « Félicitez- vous en pour eux aussi, pendant qu’il est temps encore. Mais s’ils ne sont pas mûrs actuellement pour se servir d’engins explosifs, soyez sûr qu’un jour ou l’autre, si nous continuons à nous laisser influencer par les humanitaristes et les ignorants, les nègres nous flanqueront à la porte de l’Afrique et nous ne l’aurons pas volé. » (p,118)

           Reconnaissons à cet égard qu’en dehors du Cameroun, la décolonisation de l’Afrique noire française a effectivement échappé aux engrenages de violence connus ailleurs, et c’est un des constats de Frederick Cooper qui fonderait une partie de son discours.

Jean Pierre Renaud

Tous droits réservés

 

 

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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 11:48
Humeur du jour
Les médaillés du jour
Dans le désordre, Platini, Pujadas et Hidalgo !

 

            Platini, à « l’insu de mon plein gré » ?

           Tout de même avec quelques espèces sonnantes et trébuchantes à la clé ?

            Avec des enjeux planétaires, la responsabilité de l’éthique du foot mondial en lieu et place de celle du Tour de France ?

           

            Pujadas, l’homme politique de l’année !

         Le dernier épisode de l’émission « Des paroles et des actes » a mal tourné, mais est-ce qu’il ne s’agit pas de l’échec du tout politique médiatique ?

            Des gens des médias qui veulent faire la politique de la France ?

 

         Hidalgo, à l’assaut du statut de Paris ! Un socialisme qui déraille !

         Avec le projet de vente du Parc des Princes à un Etat étranger théocratique, le Qatar ?

            Avec cette initiative tout à fait étrange de location des Catacombes à une société américaine, « Airbnb » dont la vocation est la location saisonnière privée, une initiative qui déstabilise tout le système du logement parisien et de l’hôtellerie, et qui alimente la fraude fiscale.

            Y-a-t-il encore un pilote dans l’avion de la Mairie de Paris ?

            Ses ambitions de réforme du statut de Paris n’ont-elles pas de quoi inquiéter ?

 

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22 octobre 2015 4 22 /10 /octobre /2015 10:06
« Français et Africains ? »
Frederick Cooper
Conclusions générales
&
II

Les acteurs de la décolonisation

Qui furent les acteurs de ce processus ? Les vrais acteurs ?

 

          Dans la première partie consacrée à la description, à grands traits, du contexte international et français, puis de la situation coloniale qui était celle de l’AOF en 1945, nous avons pu en mesurer la très grande complexité.

         Comment situer exactement les interlocuteurs, puis les négociateurs de la décolonisation ?

            D’entrée de jeu, je serais tenté de faire le constat du même désintérêt des peuples concernés par le sujet, aussi bien en métropole qu’en AOF pour des raisons évidemment très différentes.

       En France, l’opinion publique était plutôt indifférente, et en AOF, il n’existait pas encore d’opinion publique, sauf dans les villes.

      La négociation était donc laissée entre les mains de quelques experts, politiciens ou techniciens, évidemment plus nombreux en métropole.

    En métropole

     Les dirigeants africains avaient en face d’eux la machinerie politique et étatique puissante d’une métropole capable d’étudier et de mesurer au jour le jour le contenu et les effets éventuels de telle ou telle disposition institutionnelle, dans une négociation complexe dont l’ambition était de fonder les nouvelles relations entre la France et l’outre-mer, mais il ne s’agissait pas uniquement de l’AOF, ou même de l’AEF, c’est-à-dire de l’Afrique noire, car cette mise à jour supposait de résoudre de nombreux casse-têtes liés aux composantes très diverses de ce qu’on appelait encore l’empire, transformé rapidement en une Union Française dont la nature institutionnelle était loin  d’être claire, et dont la vie fut celle d’une comète.

       Dans ce type d’analyse, il ne faut jamais oublier trois des facteurs qui comptaient pour la métropole, les relations humaines et souvent personnelles qui liaient certains des acteurs,  l’importance de l’outre-mer pour le prestige du pays, avec toujours ce reviens-y de grande puissance, et la question des gros sous.

       Deux ministères  étaient compétents, celui des Affaires Etrangères et celui de la France d’Outre-Mer, pour l’Afrique noire, mais avec une instabilité ministérielle importante.

       Furent en fonction les ministres de la France d’Outre- Mer suivants, issus de la SFIO ou du MRP, Moutet (46-47), Coste-Floret (47-49), Teitgen, Colin, et Buron.

       Les hommes politiques compétents sur ces sujets n’avaient jamais été nombreux, et ils ne l’étaient pas plus après 1945.

      Il convient de rappeler que Mitterrand, membre d’une petite formation du centre, l’UDSR, fut ministre de la France d’Outre-Mer de décembre 1950 à novembre 1951, et que son passage à la rue Oudinot, fut marqué par un changement de politique à l’égard du RDA d’Houphouët-Boigny, un dirigeant africain avec lequel il avait noué des relations personnelles de confiance.

       Un exemple des relations personnelles qui eurent souvent beaucoup plus d’importance que les négociations officielles, et une fois revenu au pouvoir, de Gaulle confia à Foccart la responsabilité de nouer et de maintenir un solide réseau de relations personnelles avec tous les dirigeants de la nouvelle Afrique indépendante, devenu ce qu’on a appelé la Françafrique.

       Une fois de Gaulle revenu au pouvoir en 1958, ce fut quasiment toujours son Premier Ministre qui mena le bal, mais sur les directives de de Gaulle qui avait des idées assez claires sur la décolonisation, et pour lequel les colonies ne constituaient pas une nouvelle « ligne bleue des Vosges ».

        Il convient de noter enfin que, quasiment tout au long de la période de la décolonisation, les dirigeants politiques africains étaient affiliés aux partis de la Quatrième République, le MRP, la SFIO, ou le Parti Communiste.

       En Afrique Occidentale Française

       Les dirigeants africains, ceux d’AOF, nouvellement élus au Parlement, à l’Assemblée Nationale et au Conseil de la République, négocièrent pied à pied au sein des différentes commissions qui se succédèrent pour doter la France d’une première Constitution, celle de la Quatrième République, puis celle de la Cinquième République, celle du général.

       Il est évident que leur passage dans les grandes institutions parlementaires, puis ministérielles, donnèrent à quelques-uns de ces dirigeants africains une grande expérience politique en même temps qu’une précieuse connaissance du système politique français qui n’avait pas grand-chose à voir avec l’ancien système colonial qu’ils retrouvaient souvent inchangé, chaque fois qu’ils revenaient dans leur pays.

       En même temps, pourquoi ne pas noter que leurs nouvelles responsabilités .ou fonctions ministérielles les éloignaient des aspirations de la grande majorité de leur corps électoral qui découvrait au fur et à mesure des années, de 1946 à 1960, les attraits d’un suffrage universel qui ne s’inscrivait pas dans la plupart des traditions de sociétés africaines majoritaires de la brousse ?

      Une sorte de jour politique à Paris et de nuit en Afrique !

      Nous avons brièvement décrit plus haut quelques contours de la minorité africaine des évolués, des lettrés, des acculturés, qui animait la scène africaine, composée de fonctionnaires et de salariés, habitant dans les villes côtières, et prioritairement au Sénégal.

         Les nouveaux dirigeants africains étaient issus de cette sorte de nouvelle caste africaine dont le grand lettré Hampâté Bâ avait fort bien décrit les strates de la nouvelle société africaine, grand témoin de l’histoire d’en-bas, pour emprunter un terme bien malheureux en vogue dans un des  courants de chercheurs postcoloniaux.

       Citons un passage du livre  « OUI MON COMMANDANT » d’Amadou Hampâté Bâ :

    « Sous l’effet de la colonisation, la population de l’Afrique occidentale française s‘était        divisée automatiquement en deux grands groupes, eux-mêmes subdivisés en six classes qui vinrent se superposer aux classes ethniques  naturelles. Le premier était celui des citoyens de la République Française, le second, celui des simples sujets.

       Le premier groupe était divisé en trois classes : les citoyens français pur-sang, nés en France ou Européens naturalisés français ; les citoyens des « quatre communes de plein exercice » du Sénégal (Gorée, Saint louis, Dakar et Rufisque) ; enfin les Africains naturalisés citoyens français. Tous jouissaient des mêmes droits (en principe) et relevaient des tribunaux français.

       Le second groupe, celui des sujets, comprenait à son tour trois classes : au sommet de la hiérarchie venait les sujets français du Sénégal, qui jouissaient d’une situation privilégiées par rapport à ceux des autres pays et auxquels on évitait de se frotter, par peur des répercussions judiciaires ou politiques ; puis venaient, dans les autres territoires, les sujets français « lettrés » (c’est-à-dire scolarisés ou connaissant le français) et les sujets français « illettrés » uniquement du point de vue français, cela va de soi.) » (p,187)

        Trois dirigeants africains s’illustrèrent dans le processus de cette décolonisation, les trois auxquels l’auteur donne d’ailleurs largement la parole, Senghor, Houphouët-Boigny, et Modibo Keita.

       Le premier, Senghor,  s’était illustré par un parcours universitaire exceptionnel. Fait citoyen français en 1933, élève de l’Ecole Normale Supérieure, dans la même promotion que Georges Pompidou, il fut le premier Africain agrégé de grammaire. Membre de la SFIO, élu député en 1945, ministre d’Edgard Faure en 1955, puis de de Gaulle entre le 23/07/1959 et le 19/05/1961.

        Senghor avait la particularité d’être de confession catholique dans un Sénégal très majoritairement musulman, au sein duquel la congrégation des Mourides de Touba jouait un grand rôle religieux et politique.

       Les deux autres dirigeants étaient issus de l’Ecole William Ponty, une école normale créée en 1903, d’abord pour former des instituteurs et des interprètes, la pépinière de la plus grande partie des cadres qui ont servi leur pays avant et après l’indépendance.

       Houphouët- Boigny était un médecin auxiliaire formé à William Ponty, issu d’une des grandes ethnies de l’ouest africain, les Baoulés. En 1938, il prit la tête de le chefferie des Akoué. En 1944, il fonda le syndicat des planteurs ivoiriens, un syndicat qui devint le fer de lance de son action politique en Côte d’Ivoire.

      Elu député en octobre 1945, il fonda le RDA (Rassemblement Démocratique Africain), affilié jusqu’en octobre 1950, au Parti Communiste Français. A cette date, il rejoignit les rangs de l’UDSR de Pleven et Mitterrand, un  des partis charnières de la Quatrième République.

       De 1956 à 1958, il fut ministre dans trois des derniers gouvernements de la Quatrième République, puis ministre du général de Gaulle, dans les gouvernements Debré, de 1958 à 1961.

        Modibo Keita, instituteur formé à l’Ecole William Ponty (1935), devint un des premiers dirigeants à la fois de son syndicat d’enseignants au Soudan, le Mali, et du nouveau parti politique RDA.

        Il fut Secrétaire d’Etat en 1957-1958 dans deux des derniers gouvernements de la Quatrième République.

        Quels acteurs pour Frederick Cooper ?

      Après avoir brossé rapidement les traits des acteurs du processus de décolonisation qu’a l’ambition de décrire Frederick Cooper, revenons à quelques-unes de ses propres citations qui concernent ces mêmes acteurs, afin d’en questionner la pertinence.

       «  Nous pouvons facilement ne pas comprendre les démarches suivies par les acteurs politiques. Nous savons que certaines conduisaient à des impasses ; les personnes concernées l’ignoraient. Ce livre explique pourquoi, en 1960, la France et l’Afrique Occidentale française se sont retrouvées avec une forme d’organisation politique dont ni l’une ni l’autre n’avaient voulu durant la majeure partie des quinze années précédentes. » (p15)…

       « La meilleure façon selon moi de dépasser cette situation est de se concentrer non pas sur les arguments de 2014, mais sur ceux de la période 1945-1960 ; non pas à ce que nous pensons aujourd’hui que les peuples auraient dû dire dans la situation coloniale, mais à ce qu’ils dirent, écrivirent et firent réellement ; non pas à la logique supposée immanente de types de régimes politiques pré-identifiés, mais aux concessions faites par les acteurs politiques en ces temps de profondes incertitudes, aux mots et aux actes de gens qui tentaient de déterminer ce qu’ils voulaient et ce qu’ils pourraient éventuellement obtenir. » (p,15

      Nous avons surligné en gras les mots et concepts qui à nos yeux laissent planer une grande incertitude sur ce type d’histoire racontée.

      Que signifiait alors le mot de peuple en France et en Afrique de l’ouest ?

       Plus loin, l’auteur écrit :

     « D’importants activistes politiques  africains affirmaient que chaque unité territoriale au sein de la France devait être en mesure d’exprimer sa « personnalité ». (p,21)

      Qui donc précisément ? « Activistes » ou acteurs ?

       L’auteur reprend la même expression à la page 37 :

      « Les pages qui suivent retracent les efforts déployés par les activistes politiques et sociaux d’AOF pour obtenir l’équivalence sociale et économique – mais aussi politique – de tous les citoyens et pour rechercher dans le même temps la reconnaissance de la distinctivité culturelle et le droit à l’autonomie politique au sein d’une communauté française élargie. »

       S’il s’agit des interlocuteurs cités le plus souvent par l’auteur, très bien, mais il est dommage qu’il ne les ait pas situé dans leur parcours de vie et dans le contexte des pays dont ils étaient les représentants « éclairés ».

        « Leurs arguments se voyaient opposer des objections d’ordres pratiques et subjectifs de la part d’élites métropolitaines qui considéraient comme une évidence leur propre supériorité en matière de gouvernance. «  (p,21)

      Question : les « élites métropolitaines » vraiment ?

       S’agit-il d’histoire ? Avec quelle justification statistique ? Histoire ou littérature ? A mon humble avis, pure littérature !

       A lire le texte de l’auteur, il est assez difficile de bien situer le contexte économique, politique, culturel, et social dans lequel les dirigeants africains négociaient pour le compte d’un petit nombre de personnes qui découvraient ce que pouvait être la citoyenneté.

     Pourquoi ne pas rappeler que la presque totalité de ces « activistes » faisaient partie d’une Afrique satellite du monde politique et syndical français, la SFIO, le PC, la CGT ?

   Les connexions, un concept cher à l’auteur, et qui auraient mérité d’être analysées, se situaient d’abord à ce niveau, d’autant plus que les connexions de type capitalistique entre la France et l’AOF manquaient de ressort, tout en étant tout à fait marginales ?

     Ces dirigeants africains étaient élus, c’est vrai, mais il est honnête de rappeler qu’ils étaient élus par une toute petite minorité d’électeurs, de la faute ou non de la puissance coloniale. Nous avons proposé plus haut quelques chiffres d’électeurs ;

       Dans les années 1945-1946, et même jusqu’en 1960, quelle était la signification d’une élection en Afrique Occidentale ?

        Dans des cultures encore fortement imprégnées de traditions d’obéissance aux chefs religieux ou traditionnels, chez des peuples dont l’immense majorité était encore illettrée et dont l’information, quand elle existait, était avant tout orale.

      La côte n’était pas représentative du monde africain.

     Même au Sénégal, terrain d’études privilégié par l’auteur qui décidait ? Qui élisait ? La confrérie musulmane des Mourides, comme l’indique d’ailleurs l’auteur à la page 417 ? Dont la puissance coloniale avait recherché le soutien ? Qu’elle avait d’ailleurs obtenu.

            Ou ailleurs, au Dahomey ou au Togo, les missions chrétiennes, autre connexion agissante, que l’auteur n’évoque pas ? Ou encore les notables ; chefs ou non ?

            Ou encore, et effectivement, l’administration coloniale qui n’avait pas obligatoirement mauvaise presse, comme le laissent entendre de nos jours, une certaine presse et édition postcoloniales ?

       L’auteur cite à juste titre le cas du Niger à l’occasion du référendum de 1958 (p,338), mais cet exemple est un des rares exemples de l’ancienne AOF, où la puissance de la France pouvait être mise en cause avec les mines d’uranium, étant donné que de Gaulle avait l’ambition de disposer de l’arme atomique, le nouveau critère des grandes puissances.

       En résumé, l’immense majorité des nouveaux électeurs d’Afrique noire ne savaient sans doute pas ce que signifiaient les nouveaux concepts savants de citoyenneté ou d’indépendance, dans le sens que nous leur donnions en Europe.

III

Les scénarios de la décolonisation en AOF

Ou les dirigeants français et africains avaient-il le choix ? Une stratégie ?

 

            L’auteur a déclaré tout au début de son livre «  Ceci est un livre sur la politique » (p,9), mais après avoir lu et relu cet ouvrage, la première question qu’il est possible de se poser est celle de savoir s’il ne s’agit pas tout autant d’un livre « politique ».

        Tout au long d’une analyse très détaillée, peut-être trop, l’auteur tente de nous persuader que la décolonisation de l’Afrique Occidentale Française aurait pu se dérouler sur un tout autre scénario que celui de l’histoire réelle.

       Dans son introduction (p,38), l’auteur  écrit :

         «  C’est uniquement en rejetant nos hypothèses sur ce que doit être un récit de libération nationale que nous comprendrons les ouvertures, les fermetures et les nouvelles possibilités telles que les perçurent les gens et en fonction desquelles ils cherchèrent à agir. »

       Dans sa conclusion, l’auteur revient à maintes reprises sur le fait que d’après lui, rien n’était joué au départ dans le processus concret de la décolonisation :

       « Le spectre d’idées utilisées par les acteurs politiques de la France africaine et de la France européenne dans leur approche de la politique entre 1945 et le début des années 1960 était bien plus large que la dichotomie entre empire colonial et Etat-nation indépendant » (p,443)

      « Si l’on croit dès le départ au grand récit de la transition globale à long terme, de l’empire vers l’Etat-nation, on peut aussi bien passer à côté de la question qui ouvre ce paragraphe. » (p446)

      « Pourtant, en 1958, d’autres possibilités restaient ouvertes » (p,447)

     Est-ce que le terme même de « spectre », c’est-à-dire de choix, n’était pas effectivement un  fantôme ?

     Est-ce que l’histoire politique telle que la raconte Frederick Cooper pouvait fonctionner, concrètement, autrement ?

      Comme je l’ai déjà indiqué, le lecteur pourra être surpris de voir la réflexion et l’analyse d’un tel ouvrage non reliée au contenu du livre « Le colonialisme en question » avec sa trilogie conceptuelle, identité, modernité, globalité.

        C’est peut-être dommage car le passage au crible du processus décrit par l’auteur avec les trois filtres identité, modernité, globalité auraient peut être conduit à une autre analyse étroitement raccordée aux situations historiques et à leur chronologie.

      La trajectoire historique?

      La première critique de fond qui peut être portée à l’encontre de ce postulat est le fait que toutes les discussions, controverses, hypothèses proposées par l’auteur auraient eu pour point de départ l’année 1945, sans tenir aucun compte de la « trajectoire » historique qui était celle de l’Afrique occidentale, pour ne pas parler des autres territoires, depuis le début de la colonisation, en gros une cinquantaine d’années auparavant.

       Une analyse qui ferait  table rase de l’histoire de ces territoires ?

       Avant d’articuler nos propres conclusions à partir des concepts d’analyse séduisants que propose l’auteur, les trajectoires, les connexions et interconnexions, les limitations, pourquoi ne pas résumer brièvement la description des caractéristiques des théâtres de la métropole et de l’AOF, et de leurs acteurs ?

        Moment et situationQue de quadratures du cercle à résoudre !

        Une métropole ruinée par la guerre, aux prises avec beaucoup de dossiers économiques, financiers, politiques et sociaux insolubles, aux prises avec d’autres dossiers coloniaux dont l’importance dépassait très largement celle de l’AOF, un territoire marginal pour un pays qui vivait aux crochets des Etats Unis….

      Alors que la France se débattait avec des dossiers autrement importants pour ses destinées internationales et nationales, la guerre d’Indochine, le devenir d’une Algérie, dite encore française, et le nouvel horizon européen !

      Dans un contexte de guerre froide, mondial et colonial, instable, dominé par les deux puissances antagonistes des Etats Unis et de l’URSS.

     Une AOF enfin ouverte, mais seulement en partie, vers le monde extérieur de l’Atlantique (modernité et globalité)), mais d’une superficie immense, faiblement peuplée, composée d’un patchwork de religions, de peuples et de cultures (identité).

       Faute de moyens financiers et d’atouts naturels, la colonisation n’avait réussi à faire accéder à une modernité relative  qu’une petite partie de la population, essentiellement celle des villes côtières, avec le rôle de monopole qu’exerçait la capitale de Dakar.

        Enfin, il parait difficile dans ce type d’exercice historique de faire l’impasse sur le volet économique et financier des relations existant entre la métropole et l’AOF, qui ne furent pas exactement celles qu’a décrites Mme Huillery dans sa thèse. (voir mes analyses de cette thèse sur ce blog).

      Les acteurs – Comme nous l’avons vu, les acteurs de métropole disposaient d’une grande supériorité d’expertise, mais les politiques n’étaient pas majoritairement concernés par les problèmes coloniaux, sauf en cas de guerre, comme ce fut le cas en Indochine, puis en Algérie.

       Le dossier AOF venait de toute façon très largement derrière les autres dossiers coloniaux, et pourquoi ne pas dire déjà, qu’avec le début de la guerre d’Algérie, succédant à celle d’Indochine, les gouvernements avaient pour souci principal de ne pas voir de nouveaux fronts s’ouvrir en Afrique noire.

        En AOF, nous avons relevé que les acteurs du processus de la décolonisation ne représentaient qu’une petite minorité d’évolués, et que les grands concepts auxquels l’auteur attache de l’importance, la citoyenneté, le suffrage universel, les Etats-nations, les fédérations, confédérations, ou communautés ; n’avaient pas beaucoup de sens dans la plus grande partie de l’hinterland africain.

       Dans une chronique annexe que nous publions, un bon connaisseur de cette AOF de l’époque, M. Roger de Benoist, a intitulé la conclusion de son livre « L’Afrique occidentale française » : « L’indépendance des notables ».

       Ce bref résumé marque déjà quelques-unes des limitations capitales auxquelles il avait été difficile d’échapper dans un processus qui n’avait pas débuté en 1945.

       Trajectoire avant 1945, et trajectoires après 1945 ?

       L’auteur s’attache à décrire le processus constitutionnel et politique de la décolonisation qui a débouché sur l’indépendance des anciennes colonies de l’AOF, en tentant de nous convaincre que la trajectoire formelle, celle qu’il décrit, aurait pu être différente de la trajectoire réelle, l’historique.

        Une sorte d’histoire hors du sol et hors du temps, avec un éclairage qui donne tout son éclat à la magie du verbe, celle qui rendit célèbre le poète Senghor, un des héros de cette joute oratoire dont les concepts passaient très largement au-dessus de la tête des peuples concernés, quoiqu’en pense l’auteur lorsqu’il écrit par exemple :

     «  Les mots « Etat », « souveraineté », et indépendance » s’entendaient sans cesse en Afrique, et la fédération restait une question ouverte. » (p,312)

     Est-ce que la trajectoire réelle n’a pas au contraire fait converger tout un ensemble de trajectoires concrètes telles qu’une relation économique marginale, une pénétration difficile d’un continent jusque- là fermé au monde atlantique, avec une trajectoire de modernité suivant le cours des nouvelles voies de communication de la mer vers l’hinterland, le cloisonnement persistant du bassin du Niger, des trajectoires politiques  qui accordaient le nouveau pouvoir aux populations de la côte, mais d’abord à leurs petites élites ?

       « Position », « disposition », « cours des choses » ? Ou choix politique entre plusieurs stratégies ?

       Pour éclairer ce type de critique, sans doute faut-il tout d’abord se poser la question de savoir si les interlocuteurs du processus de la décolonisation agissaient en fonction d’une politique pour ne pas dire d’une stratégie, mais rien n’est moins sûr, car la France n’a jamais eu véritablement de politique coloniale.

        Peut-être faut-il faire appel à certains concepts stratégiques, tels que « position », « disposition » « point culminant de l’offensive, mis en valeur aussi bien par Sun Tzu que par Clausewitz, et celui de « cours des choses », un cours qui suit, qu’on le veuille ou non le fil de l’eau.

       En Afrique Occidentale, comme dans les autres territoires coloniaux, il y avait bien longtemps que la colonisation française avait atteint ses « limitations », c’est-à-dire son « point culminant ».

      Le sinologue François Julien a écrit des choses fort intéressantes sur ce type d’analyse stratégique.

      Connexions, interconnexions, réseaux, autonomes ou satellites, trois concepts qui auraient sans doute mérité d’être analysés dans leur contenu historique, parce qu’ils auraient contribué à faire apparaître la réalité des luttes d’influences, de pouvoirs, entre les partis ou les syndicats affiliés à leurs correspondants métropolitains, SFIO, MRP, PCF, CGT ou FO, dont ils furent longtemps des satellites.

       Il est difficile d’analyser le processus de la décolonisation sans tenir compte des connexions politiques, syndicales, en y ajoutant les religieuses, musulmanes fortes dans toute la zone du Sahel et de la savane du bassin du Niger, ou chrétiennes, fortes dans les zones forestières de la côte.

       Réseaux personnels aussi, qui eurent beaucoup d’importance dans le processus lui-même, puis après la décolonisation « officielle » elle-même avec notamment les réseaux Foccart, ceux communément appelés de la Françafrique.

      Senghor n’aurait jamais eu l’audience politique qui fut la sienne, en France, sans le réseau de Normal ’Sup, et l’amitié de Georges Pompidou, et au Sénégal, sans le soutien un peu paradoxal de la confrérie des Mourides, alors qu’il était de confession catholique.

      Autre exemple, celui d’Houphouët- Boigny, médecin, planteur de cacao, grand notable Baoulé, tout d’abord membre du Parti communiste, puis allié de Mitterrand, membre influent de la petite formation politique charnière qu’était l’UDSR, alors que ce dernier était ministre de la France d’Outre-Mer.

      Ce nouveau compagnonnage politique changea la face du processus de la décolonisation en AOF, en réorientant l’ancien RDA vers la recherche de nouvelles formes de coopération avec la France qui n’étaient pas celles de Léopold Senghor ou de Modibo Keita.

       Il parait donc évident que pour l’ensemble de ces raisons, et elles sont très nombreuses, les dirigeants français et africains naviguaient dans un décor mouvant, à la recherche de solutions politiques incertaines et mouvantes, mais dans un cadre international, européen, français, colonial, et africain, qui leur laissaient peu de liberté de manœuvre.

        Pourquoi ne pas dire aussi que tout au long de ce débat, le verbe fut roi, comme sur une scène de théâtre, la seule où il était possible de débattre de scénarios aussi divers, qu’absconds, ou coupés des réalités ?

      Il faut avoir un peu fréquenté l’Afrique pour connaitre l’importance du verbe, et les Français d’aujourd’hui commencent à en faire l’expérience avec une partie des immigrés.

      Car en définitive, il s’agissait de savoir si les Français étaient disposés à devenir des citoyens de seconde zone en Europe ou non, compte tenu des charges financières très lourdes que toute solution d’égalité politique et sociale leur aurait imposées.

       Le vrai scénario n’était-il pas en réalité pour la métropole le suivant ? Comment conserver  un certain prestige international, faire durer une certaine image de grande puissance de la France, en contrepartie des « sous » qu’elle était disposée à sortir de son portefeuille, et dans le cas de l’Afrique noire, faire en sorte que son évolution politique ne vienne pas compliquer encore plus la solution du problème algérien ?

Jean Pierre Renaud

Tous droits réservés

            Comme je l’ai annoncé le 8 septembre 2015,  je publierai dans les semaines qui viennent les témoignages et analyses d’acteurs ou de témoins anciens ou contemporains de la période évoquée : Maurice Delafosse, Roger de Benoist, Sœur Maris-André du Sacré Cœur, Gaston Bouthoul, Herbert Lüthy, Michel Auchère, des contributions à la compréhension du contexte historique du débat relaté.

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21 octobre 2015 3 21 /10 /octobre /2015 10:11
« Français et Africains ? »
« Être citoyen au temps de la décolonisation »
Frederick Cooper
6
Mes conclusions générales (1ère partie)

Les caractères gras sont de ma responsabilité

&

La décolonisation de l’Afrique Occidentale française : dans quelle trajectoire, avec quelles connexions et quelles limitations ?

Dans quel schéma stratégique ? S’il a existé ? En application d’une politique qui aurait existé ?

Est-il pertinent historiquement de faire comme si le processus partait d’une table rase du passé ?

Ma critique ne portera pas sur le contenu d’un livre qui se veut « sur la politique », mais sur  son contenu « d’histoire politique ».

Histoire ou politique ?

&

Pourquoi ne pas citer avant toute conclusion générale un passage des réflexions éclairantes du géographe Richard-Molard  sur la situation comparée de la métropole et de l’Afrique Occidentale Française, une situation comparée qui suffit peut-être à relativiser tout discours savant sur la citoyenneté, les fédérations ou confédérations, les Etats nations ?

« Chapitre II

Peuples et civilisations

          « En quittant la France pour l’AOF, l’avion survole à la tombée de la nuit les campagnes de l’Ile de France, d’Aquitaine. Là, l’homme a infligé à une nature modérée et docile sa marque de maître. Il a domestiqué le terroir. Le cadastre, le réseau des routes et chemins vicinaux, les solides bâtisses de pierre, les contours géométriques attestent une prise de possession sûre d’elle-même depuis des millénaires.

        Une dizaine d’heures plus tard, quand le jour parait, l’appareil est déjà au- dessus de la campagne d’Afrique occidentale. Si brusque, si total, le contraste est saisissant. Sur l’épiderme rugueux d’une immensité informe, rebelle, règne une nature sauvage. L’homme ne s’y fait sa place que furtivement, à la dérobée, comme si la terre se refusait. Sion terrain de culture le « lougan » est un chaos de blocs, de troncs calcinés, sans milites nettes ; le brûlis y permettra deux ou trois récoltes. Puis le sol stérile et fragile obligera le paysan à abandonner cette terre à la nature sauvage et à aller ailleurs, brûler et solliciter une certaine pitance… Depuis des millénaires qu’il vit ainsi, l’expérience lui a appris qu’ « l’on ne commande à la nature tropicale qu’en lui obéissant » (Pierre Gourou) Mais son niveau de vie est l’un des plus bas du monde ; le peuplement l’un des plus clairsemés » (p,57 Afrique Occidentale Française)

          Est-il utile de noter que les paysans représentaient alors beaucoup plus de 90% de la population africaine ?

&

            Ma première remarque portera sur l’intitulé du titre, avec un sous-titre qui contient le mot-clé de « citoyen » dont la définition peut prêter à maintes définitions. Une journaliste du journal Le Monde ne s’en est d’ailleurs pas privée en faisant dériver le sens de ce concept vers la « seconde zone » ;

            De quoi s’agit-il précisément dans cet ouvrage ? De philosophie politique, d’histoire des idées, d’histoire politique, ou d’histoire ?

            Ma deuxième réflexion a trait au type d’analyse dont pourrait relever le processus que s’efforce de décrire l’auteur.

            Nous y reviendrons en conclusion de ces conclusions générales, mais comment ne pas revenir sur d’autres explications de nature stratégique qui pourraient relever aussi bien des théories de Clausewitz ou de Sun Tzu sur la conception de la stratégie.

         Pour simplifier, je dirais que dans le premier cas, l’empire colonial français avait atteint depuis longtemps, dès l’origine, « le point culminant de l’offensive », et dans le deuxième cas, le même empire n’avait fait que suivre « le cours des choses ».

            Est-ce que la conquête de l’Ouest américain ne s’est-elle pas plutôt inscrite dans un « cours des choses » de la violence des Blancs et de la supériorité des armes?

&

            Pour rédiger ces conclusions générales de lecture, et après avoir présenté quelques premières remarques et questions, je suivrai le même canevas que celui suivi pour mes chroniques sur les sociétés coloniales :

  • I - Le ou les théâtres du processus de décolonisation, situations coloniales et situation métropolitaine, les contextes historiques
  • II - Les acteurs de France et d’Afrique Occidentale Française
  • III - Le scénario ou l’intrigue de la pièce, telle que racontée par Frederick Cooper
  • IV - Les autres contributions à la compréhension du scénario

 

          L’auteur note dès le départ d’une riche et longue analyse : « Ceci est un livre sur la politique » (p,9) en distinguant l’aspect interactif, conflictuel, ou de compromis, et l’aspect conceptuel des mots citoyenneté, nation, empire, Etat, souveraineté, un sens qui soulève incontestablement de redoutables problèmes d’acception, pour ne pas dire de compréhension, ou tout simplement d’application concrète, selon les moments coloniaux et les sociétés coloniales en question : en 1945, que pouvait bien signifier ce nom tout à fait inconnu, dans une acception encore plus inconnue, chez les peuples des monts de l’Atakora ou des forêts de l’Oubangui-Chari ?.

          Dans sa conclusion, l’auteur propose tout d’abord le constat ci-après :

         « Le spectre d’idées utilisées par les acteurs politiques de la France africaine et de la France européenne dans leur approche de la politique entre 1945 et le début des années 1960 était bien plus large que la dichotomie entre empire colonial et Etat-nation indépendant. Le sens des mots « citoyenneté », « nationalité », « souveraineté » n’était pas figé… » (p,443)

     L’auteur pose ensuite la question centrale qui fonde la thèse politique ou historique, c’est selon, qu’il défend, à savoir :

       « Comment expliquer que les dirigeants ambitieux et intelligents de la France européenne et de la France africaine se soient retrouvés en 1960 avec une forme d’organisation politique –l’Etat-nation territorial – que peu d’entre eux avaient recherchée et que tous, sauf la Guinée avaient rejetée en 1958 ? …

       Si l’on croit dès le départ au grand récit de la transition globale à long terme, de l’Empire vers l’Etat-nation, on peut aussi bien passer à côté de la question (ci-dessus) qui ouvre ce paragraphe. » (p,446)

     Registre politique ou registre historique ?

      Il s’agit d’un texte dense, riche, très bien documenté, mais souvent difficile à lire, dans son déroulement, compte tenu de la quantité de questions qu’il pose à un lecteur qui dispose d’une petite culture d’histoire coloniale, sinon d’expérience coloniale..

      Ce lecteur est tout d’abord surpris de voir cette analyse ne pas avoir été construite sur la triade conceptuelle centrale que l’auteur avait retenue dans son livre « Le colonialisme en question », c’est-à-dire les trois concepts d’identité, de modernité, et de globalité.

      L’auteur fonde son analyse sur la compréhension historique de concepts juridiques complexes, difficiles à interpréter, tels que citoyenneté, égalité, souveraineté, Etats-nations, d’autant plus difficiles qu’ils n’avaient pas le même sens pour les acteurs du processus décrit, et dans le contexte des sociétés coloniales concernées.

       Effet de loupe aussi de cette étude ? Représentativité du cas colonial traité ? Un biais dont l’auteur a parfaitement conscience dans l’aveu qu’il fait à la page 11 :

        « Les lecteurs constateront peut-être également un certain « sénégalocentrisme » dans ce récit, bien que le reste de l’Afrique Occidentale française, en particulier le Soudan et la Côte d’Ivoire y occupe une place importante. Cette inclination reflète non seulement les inévitables compromis auxquels l’étude de vastes espaces différenciés expose le chercheur – et l’inégale qualité des matériaux de recherche disponibles – mais aussi un processus historique. Ce fut un modèle de citoyenneté plus ancien, développé dans les Quatre Communes du Sénégal, qui donne le fondement des dispositions sur la citoyenneté adoptée pour toute la France d’outre-mer après 1946, et les députés sénégalais de l’assemblée jouèrent un rôle important dans la rédaction de ces dispositions. »

        Cette analyse fait l’impasse sur le volet économique et financier du dossier, tout en se distinguant d’une certaine façon  de l’analyse qu’a proposée Mme Huillery sur les relations coloniales existant entre la France et l’AOF : le but de sa thèse, fragile sur le plan scientifique, était de démontrer que, contrairement à ce que l’on raconte, ce n’aurait pas été l’Afrique qui aurait été le fardeau de la métropole, mais le contraire.

      Car comment comprendre autrement ces revendications des dirigeants africains ?

       D’autres questions encore relatives au contexte international, qu’il soit mondial, européen, ou africain, au poids marginal de l’AOF dans le commerce extérieur français, au coût de la présence française en Afrique, au rôle des opinions publiques (lesquelles ? avec quelle mesure ?), aux rapports existant dans les situations coloniales entre une minorité d’évolués et l’immense majorité des illettrés, à l’écart existant entre l’histoire d’en haut, celle de l’auteur, et l’histoire d’en bas, écart entre celle des populations de la côte et celles de l’hinterland.

      Que de questions à examiner à grands traits afin de voir si la thèse défendue par Frederick Cooper est pertinente !

I

Le  théâtre de la décolonisation : le théâtre métropolitain et les théâtres coloniaux

     Quel était le contexte en France et sur le plan international ?

     En 1945, la France sortait à peine de la Deuxième  Guerre mondiale. Le pays avait été envahi successivement par la Prusse, puis l’Allemagne, à trois reprises, en 1870, 1914, et 1939, et au début de la Deuxième Guerre mondiale, le même pays tentait de se relever du troisième choc que fut la grande dépression de 1929.

   C’est dire que l’état de la France n’était déjà pas très brillant en 1939.

    En 1945, et une nouvelle fois, le pays était à reconstruire et ses habitants étaient encore astreints au régime des cartes d’alimentation qui dura jusqu’en 1947.

L’économie française vivait sous perfusion du Plan Marshall (américain).

    La France regardait ailleurs que vers ses colonies !

    Les discussions constitutionnelles étaient l’apanage de cercles politiques et économiques restreints, et peu de parlementaires d’origine métropolitaine s’y investirent avec le même dynamisme que les dirigeants africains pour ne parler que d’eux, car l’étude Cooper fait aussi l’impasse sur les problématiques parallèles qui pouvaient exister dans les autres parties de l’empire, transformé en une Union Française dans les limbes, des problématiques qui ajoutaient à la complexité des solutions à trouver, pour ne pas dire les quadratures du cercle à résoudre.

     De plus, et très rapidement, dès 1945, le pays eut à faire face à la guerre d’Indochine, à la rébellion malgache en 1947, et enfin à la guerre d’Algérie en 1954, pour ne pas citer plus tard,  en Afrique noire, la rébellion camerounaise.

     Un des facteurs qui a sans doute pesé sur le déroulement de ce processus est constitué par la sorte de dette morale, politique, et économique de la France qui avait trouvé dans les territoires d’outre- mer leur concours pour contribuer à la libération de la métropole, aux côtés des alliés, et pourquoi ne pas le dire, à la préservation du rôle de « grande puissance » de la France, fût-elle sans commune mesure avec celui du passé.

       Pourquoi ne pas souligner à cet égard que les Français d’Algérie, aux côtés des Algériens, n’avaient pas hésité à s’engager sans la nouvelle armée française, et que la mémoire de ce concours compta dans la liste des  éléments de la problématique algérienne ?

      En AOF, le poids de la guerre fut important pour la population en raison des nombreuses réquisitions et taxations qui la frappèrent, souvent exagérées ou absurdes, telle celle citée par le géographe Richard-Molard :

     « Tel cercle (la circonscription de base, il y en avait de l’ordre de 120 pour toute l’AOF) est imposé en miel. Il n’en produit pas. Son commandant est puni pour avoir télégraphié à son gouvernement : « Accord pour miel. Stop. Envoyez abeilles. «  (p,167)

     Le contexte international fut rapidement marqué par la guerre froide entre l’Occident et l’URSS, avec ses premiers effets en Afrique, la montée en puissance des pays du Tiers Monde à la Conférence de Bandoeng en 1955, avec leur appel à l’indépendance, soutenu à la fois par les Etats Unis, la nouvelle puissance mondiale, conjointement avec l’ONU. Il convient de rappeler que dans la région examinée par l’auteur, la France administrait, sous son contrôle, deux anciennes colonies allemandes, le Togo et le Cameroun, dont l’évolution ne pouvait pas ne pas influencer celle de ses voisins.

       La Gold-Coast, voisine de la Côte d’Ivoire, avec son leader Nkrumah, était en train de voguer vers son indépendance.

     Comment était-il possible que dans un tel contexte international et national, la France ait pu avoir une politique bien définie dans le cas traité ?

     C’est d’ailleurs une des conclusions d’un bon connaisseur de l’AOF, M. de Benoist, dans le livre    « L’Afrique Occidentale Française »

Le théâtre de la France

       Les premiers sondages d’opinion publique qui furent effectués en métropole sur les relations métropole avec l’outre-mer dont fit état l’historien Ageron donnèrent des résultats ambigus, mitigés, ou contradictoires, au fur et à mesure des années, et de la durée de la guerre d’Algérie.

       Fin 1949, 27% seulement des Français prêtaient quelque intérêt aux informations concernant les territoires d’outre-mer… 19% des français ne connaissaient le nom d’aucun territoire d’outre-mer tandis que 28% seulement pouvaient en citer cinq ou plus… L’Afrique occidentale française n’était citée que par 12% des Français, l’AEF par 11% » (CNRS/8)

     L’historien Ageron concluait son étude :

      « La connaissance de l’outre-mer et l’intérêt porté au destin de l’Union française sont toujours restés de 1946 à 1962 le fait d’une minorité. Un quart seulement des français prêtaient quelque intérêt aux informations concernant les territoires d’outre-mer et plus de la moitié d’entre eux ne pouvaient en 1949, donner une définition même inexacte de l’Union française. En 1962, malgré les guerres coloniales et les indépendances, un quart de la population restait incapable de citer un seul des quinze Etats d’Afrique noire d’expression française…» (p, 213,214,215 du livre « Supercherie Coloniale », chapitre VIII Sondages)

     Dont acte !

     Que dire aussi du rapport marginal qui existait alors entre l’économie française et celle de l’AOF ?

     Faible écho des problèmes d’AOF dans l’opinion publique française, mais toute aussi faible importance économique de l’AOF pour la France, pour ne pas dire marginale.

     Quelques chiffres pour situer les enjeux :

     En 1938, le budget de l’AOF était de 51 millions de francs 1914, comparé à celui de la France, de 3,4 milliards francs 1914, soit 0,015 %.

     En 1950, le commerce extérieur de l’AOF représentait 3,5% du commerce extérieur de la France (0,610 millions de francs 1914 contre 266,35 millions de France 1914), alors que le rapport de population  entre les deux ensembles était de 17 millions d’habitants contre 40 millions d’habitants.

     En 1938, la population européenne était peu nombreuse, 24 798 personnes  contre 15 millions d’habitants, plus ou moins bien recensés, en AOF.

     Rien à voir donc avec par exemple les données démographiques de l’Algérie qui comptait de l’ordre d’un million d’européens face à 8 millions d’algériens.

      Pour situer de façon encore plus précise les enjeux, rappelons quelques- unes des données dont nous avons fait état dans notre lecture critique de la thèse Huillery : jusqu’en 1945, date de la création du FIDES, une loi de 1900 avait fixé pour règle du financement du développement économique des colonies, dont  l’AOF, ce que les Anglais appliquaient de leur côté, l’autofinancement, et dans le cas présent, un financement assuré par des emprunts placés dans le public de métropole

      A partir de 1945, un changement complet de règle du jeu avec un financement largement subventionné par la métropole : entre 1945 et 1957, l’AOF a bénéficié du concours de subventions et d’avances d’un montant de 959 millions de francs 1914, dont 463 millions en subventions, soit un total de 3,211 milliards euros 2014, dont 1,550,milliard euros 2014 en subventions, une grande partie des avances étant convertie en subventions. ( voir mes analyses de la thèse Huillery)

      Il parait difficile de faire l’impasse sur le volet financier de la décolonisation en examinant les relations entre la métropole et ses colonies, sans en tenir compte dans le débat engagé sur la citoyenneté qui n’était pas uniquement celui de la dignité africaine revendiquée et retrouvée.

      Les principaux acteurs de ce débat savaient que les budgets de l’AOF étaient largement subventionnés par la métropole et que les revendications d’égalité sociale n’étaient pas soutenables pour le budget de la France. Au Sénégal, les coûts en personnel représentaient 58% du budget, et 51% au Soudan. (de Benoist, p,519)

      En août 1958, lors de sa tournée célèbre en Afrique noire pour défendre son projet de nouvelle constitution, de Gaulle avait notamment déclaré à Conakry, en Guinée, le pays de Sékou Touré :

     « Ces territoires nous coûtent beaucoup plus cher qu’ils nous rapportent. S’ils veulent nous quitter, qu’ils le fassent. »

 

Le théâtre colonial de l’AOF 

 

      Quelques traits rapides :

      L’Afrique Occidentale française couvrait un immense territoire qui, jusqu’à la colonisation française était fermé sur lui-même, comme l’a fort bien décrit le géographe Richard-Molard dans son livre sur ce territoire.

      A tous les lecteurs intéressés par ce type de sujet, je recommande vivement la lecture de cet ouvrage qui permet de découvrir la très grande complexité  de ces territoires.

     Dans son introduction, l’auteur les décrivait  dans leur « anémiante continentalité » (p,XII):

    « La géographie physique, les genres de vie et l’histoire ont enfermé ce monde noir dans l’un des blocs continentaux les plus étanches du monde, marginal dans un continent marginal. » (p,129)

     Sa géographie physique et climatique était très variée, allant du désert du Sahara, à la zone du Sahel, de la savane, puis à celle côtière de la forêt.

      La fédération couvrait 4,619 millions de kilomètres carrés, le sixième de l’Afrique,  pour une population en 1950 de l’ordre de 17 millions d’habitants (hors Togo), dont 2,1 millions au Sénégal, 0,567 million en Mauritanie, 0,302 million au Soudan, 2,261 million en Guinée, 2,170 en Côte d’Ivoire, 3,108 million en Haute Volta, 1,535 million au Dahomey, et 2,127 million au Niger. Le Togo comptait 0,980 million d’habitants.

      Il convient de rappeler le rôle majeur, un rôle trop souvent ignoré, de l’urbanisation des colonies, notamment des villes côtières, Dakar, Conakry, Abidjan, Porto Novo, avec le développement démographique explosif de la capitale fédérale qui passa par exemple de 92 500 habitants en 1936 à 250 000 habitants en 1951.

       Comment ne pas noter que cette capitale, tête disproportionnée par rapport au corps de ces immenses territoires, fut au cœur des revendications politiques et sociales de l’AOF ?

     L’AOF était une fédération composée de sept colonies, plus un territoire sous mandat, le Togo dont au moins trois d’entre elles étaient situées dans l’hinterland, le Soudan, la Haute Volta et le Niger. Les colonies les plus acculturées, mais en même temps naturellement les plus développées et les plus riches, étaient celles des côtes, le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire, et le Dahomey, la Mauritanie, constituant une sorte de parent pauvre du Sénégal.

      Le Togo relevait concrètement de l’administration fédérale.

      A Dakar, l’administration fédérale avait un caractère boursouflé dont les causes étaient peut-être celles de l’histoire de la colonisation au Sénégal et au statut des quatre communes de plein exercice de cette colonie (1916), alors que l’ensemble du territoire était administré par une administration légère, qui n’aurait pu fonctionner sans le truchement des lettrés ou évolués africains.

       Au moment de la colonisation, ce que nous appelons un Etat n’existait pas, aussi bien pour cet ensemble que pour chacune des colonies dont les frontières avaient été fixées par fait du prince. Il convient toutefois de noter que dans beaucoup des régions, il existait encore des traces vivantes des anciens empires d’Ahmadou ou de Samory, ou des royaumes de Sikasso, du Mossi, du Baoulé, ou d’Abomey.

      L’AOF était un véritable patchwok religieux, culturel, ethnique, et linguistique.

     Trois courants religieux étaient en concurrence : un Islam conquérant venant du nord, un christianisme également conquérant venu des côtes, et un animisme et fétichisme encore vivace dans les régions du sud.

     Patchwork ethnique et linguistique, car la fédération était un composite de peuples très différents : il n’y avait pas beaucoup de points communs entre les « évolués » du Sénégal, ou des côtes, les Ouolofs, les Touaregs, les Malinkés, les Baoulés, ou les Fons.

     L’africaniste Delafosse y avait compté de l’ordre de 126 langues ou dialectes, et ce fut le français qui devint au fur et à mesure le langue véhiculaire des évolués.

     Le géographe Richard-Molard avait décrit ainsi la situation : « un agrégat inconstitué de peuples désunis » (p,88)

     Il convient de rappeler également que la plupart de ces sociétés africaines, pour ne pas dire toutes, avaient été ravagées par des guerres intestines, la traite des esclaves, en même temps que se maintenait un esclavage domestique tenace, et une structure sociale de classes, sinon de castes,  vivace.

      Elle comptait un petit nombre de citoyens, principalement au Sénégal. La grande majorité de la population était encore illettrée. Il n’existait pas d’état civil à l’occidentale, entre autres parce que le colonisateur avait toujours hésité à s’attaquer au problème insoluble des statuts personnels, et tout autant parce qu’il s’agissait d’un immense chantier.

Rappel historique sommaire

     Afin de mieux comprendre et de pouvoir évaluer la pertinence de l’analyse Cooper, il est utile aussi de rappeler quelques données historiques succinctes, car le processus décrit par ce dernier était largement le résultat d’une longue trajectoire sur laquelle il parait difficile de faire l’impasse.

      La présence de la France sur les côtes sénégalaises était très ancienne, notamment à Saint Louis. Elle datait de l’Ancien Régime, et la venue de Faidherbe sous le Troisième Empire, celui de Napoléon, lui donna sa première forme coloniale, avec son élargissement géographique et politique, le long du fleuve Sénégal, non navigable, en direction de ce qu’on appelait alors le Haut Sénégal, c’est-à-dire les confins du Soudan, dont le territoire était articulé le long du fleuve Niger, dans le bassin du même nom.

      Les véritables opérations militaires de la conquête coloniale de l’hinterland, en direction du Niger s’échelonnèrent entre les années 1880 et 1900, pour aller jusqu’à Tombouctou, au nord, Sikasso et Bissandougou, sur les marches du sud.

     La France y combattit successivement les almamys du bassin du Niger, El Hadj el Omar, puis Ahmadou et Samory, mais ces opérations de conquête de type relativement artisanal n’eurent rien à voir avec celles, de type industriel, des Anglais au Soudan Egyptien, en Afrique du Sud, ou pour la France à celles d’Indochine ou de Madagascar.

        La France coloniale entreprit depuis les côtes du sud de conquérir les territoires qui constituèrent ensuite les colonies de Guinée, de Côte d’Ivoire, et du Dahomey.

       Celle du Dahomey, le fut avec une petite armée, relativement modeste, comparée à celle que les Anglais déployèrent à plusieurs reprises contre le royaume Ashanti, en Gold Coast.

       La conquête de la Côte d’Ivoire s’effectua au prix d’une pacification violente, meurtrière, qui se prolongea jusque dans les années 1910.

        Au dire de la plupart des témoins et observateurs objectifs, la pacification française mit fin à des guerres intestines entre peuples africains, et établit une sorte de paix civile.

       Ces territoires groupés dans une fédération créée en 1895, étaient gouvernés par décret, les gouverneurs ayant délégation pour réglementer les territoires dont ils avaient la charge.

      Les Africains étaient soumis à un régime juridictionnel discriminatoire, le Code de l’Indigénat, qui avait toutefois pour effet de respecter le gros des coutumes locales dans chaque peuple, et elles étaient à la fois complexes et nombreuses.

       La seule partie de ces territoires qui bénéficiait d’un régime politique dérogatoire était celle constituée par les quatre communes du Sénégal, Kaolack, Thiès, Saint Louis, et Dakar, qui avaient été reconnues comme des communes de plein  exercice, à la française, et qui élisaient un député à la Chambre des Députés.

     Pourquoi ne pas noter qu’en 1848, le Sénégal élut un premier député, et à nouveau, en 1875, sous la Troisième République ?

       Pendant la Première Guerre mondiale, sous la houlette du député Diagne, le Sénégal en premier, aidé par les autres colonies d’AOF, fit un effort important pour aider la métropole à vaincre l’Allemagne, et la France accorda alors la pleine citoyenneté aux citoyens des fameuses quatre communes.

       La situation politique de l’AOF évolua peu entre les deux guerres, mais la deuxième provoqua un choc dans tout le système colonial, en fit ressortir tous les fissures, en même temps qu’il avait contribué à mettre en place une petit élite d’évolués dans la plupart des colonies qui exprimaient de nouvelles revendications en accord avec l’esprit du temps, notamment le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

     1945-1946, la révolution politique en AOF

      En 1945-1946, l’AOF fut bouleversée par une révolution politique aux aspects multiples, fondée sur le principe général d’une citoyenneté française reconnue à tous les sujets de l’ancien empire, avec la suppression du Code de l’Indigénat et du travail forcé, mais avec un contenu de citoyenneté qui n’était pas véritablement précisé.

      La liberté de constituer des syndicats et des partis fut accordée aux nouveaux « citoyens »..

     Lors de la première Constituante de 1946, l’AOF se vit attribuer 13 sièges de députés, et 19 sièges de Conseillers de la République, une représentation qui permit à ces parlementaires de faire leurs premières armes politiques en métropole, et de damer le pion aux meilleurs parlementaires de métropole, mais qui de ce fait même, les éloignait des aspirations de leurs terres natales qui comptaient alors un petit nombre d’évolués, dont ils étaient issus, sorte d’avant-garde de leurs peuples très majoritairement illettrés.

      Une toute petite minorité d’africains parlait et écrivait en français, et la scolarisation ne touchait qu’un petit nombre de jeunes, de l’ordre de 3,5% en Guinée, de 3,8% au Soudan, de 10% au Sénégal, ou de 12,4 % au Dahomey.

      Il ne s’agit que d’une description à grands traits  de la situation coloniale de l’AOF qui était celle de l’année 1945, mais elle montre déjà clairement que cette fédération coloniale suivait une trajectoire qui avait commencé cinquante années auparavant.

     D’autres éléments de compréhension sont à citer, dans les très nombreuses statistiques qu’a rassemblées Joseph Roger de Benoist dans son livre «  L’Afrique occidentale française ».

     En 1946, combien d’électeurs ?

     Le 5 mai 1946, et le  17 octobre 1946, quel était le chiffre des électeurs inscrits, c’est-à-dire des africains qui avaient un statut de citoyen ?

5/05/46                                                 17/07/ 46

Sénégal Mauritanie   46 075                       53 859

Côte d’Ivoire               3 836                         4 442

Soudan Niger             3 314                          3 749

Guinée                       1 910                          2 310

Dahomey Togo            1 502                         1 690

Total AOF                  56 637                        66 057

      Ces chiffres font apparaître le poids dominant du Sénégal dans le corps électoral, et mettent en question également la représentativité de ce corps électoral qui a connu ensuite une explosion, mais dans un cadre de citoyenneté qui avait déjà changé : plus de dix millions d’électeurs étaient inscrits pour le référendum de 1958.

     Les syndicats, quel effectif ?

     Quelques chiffres aussi d’un corps électoral qui a joué un rôle très important dans le processus de la décolonisation en AOF, tout spécialement étudiée par Frederick Cooper, celui de l’effectif des syndicats :

1948                public           privé             total

CGT               18 500          24 000           42 500

Autonomes       2 500          15 000           17 500

CFTC               1 500            7 000             8 500

FO                      -                  1 000             1 000

Total                 22 500        47 000           69 500

       Les nouveaux dirigeants africains s’appuyèrent sur une des rares organisations de type « national » qui exista à partir de 1945, les syndicats.

      En Guinée, Sekou Touré fit de son syndicat son cheval de bataille.

       La CGT représentait plus de 61 % des effectifs, et le lecteur n’oubliera pas de relier cet effectif au fait que la CGT d’AOF était alors un satellite de la CGT française, qui était aussi un satellite du Parti Communiste Français.

       Un exemple tout à fait intéressant de vraie « connexion », un concept cher à l’auteur, qui a joué un rôle majeur dans le processus qu’il décrit.

      Quelques mots enfin sur la presse d’AOF, dont fait état à plusieurs reprises le même auteur.

       Rappelons une fois de plus ce constat, à savoir que dans la plupart des analyses historiques de la colonisation française, en ce qui concerne les idées coloniales (Girardet), les cultures coloniale ou impériale, la propagande coloniale, la presse métropolitaine n’a pas fait l’objet d’une analyse statistique sérieuse, afin de tenter de mesurer l’existence et l’évolution des effets de  ces concepts dans la presse métropolitaine, alors que le volume de cette presse était considérable.

      Comparée à la métropole, la presse d’AOF avait alors un caractère modeste, et souvent artisanal,  son audience était limitée  à un public citadin.

      L’auteur cite tel ou tel organe de presse, par exemple « L’Essor », le journal du parti de l’Union soudanaise-RDA de Madeira-Keïta à Bamako,  sans en donner le tirage, alors qu’il n’était pas très important. (p,402) En 1952, le tirage du numéro quotidien était de 500 exemplaires, plus celui de l’hebdomadaire.

      A partir de 1945, fleurit une presse très variée, mais avant tout sur les côtes, et au Sénégal, le plus souvent d’origine syndicale, et avec de faibles tirages.

     Pour cette période, M.G.F.Euvrard avait recensé 235 titres, dont quatre seulement dépassaient les 10 000 exemplaires. (Mémoire de fin d’études Ecole nationale Supérieure des Bibliothèques- 1982)

       1946 : révolution dans la relation économique et financière entre la France et l’AOF avec la création du FIDES

      A la fin de la guerre, le gouvernement français créa le Fonds d’Investissement et de Développement Economique et Social avec lequel la métropole finançait les programmes d’investissement des territoires, dont l’AOF.

     Rappelons tout d’abord, que la colonisation, outre la mise en place de structures de type étatique, avait fait entrer l’AOF dans le système monétaire français, et doté la fédération et les colonies de budgets, alors qu’à l’évidence ils n’existaient pas.

      Jusqu’en 1945, le principe des relations financières entre la métropole et les colonies était celui du « selfsuffering » anglais, c’est-à-dire du financement de leurs équipements par les colonies elles-mêmes, impôts et taxes locales, plus la souscription d’emprunts auprès des épargnants français.

     A partir de 1946, le FiDES alimenta le financement de ces programmes par voie de subventions et d’avances de faible intérêt, lesquelles, comme nous l’avons noté dans notre critique de la thèse Huillery, se transformèrent rapidement en subventions. Le montant de cette aide représentait un pourcentage très important des recettes des budgets de l’AOF.

     Il est évident que dans la négociation politique engagée après 1945, entre la France et l’AOF, terrain d’analyse privilégié par l’auteur, il s’agissait d’un facteur de décision majeur pour un pays une nouvelle fois ruiné par la guerre, alors que les dirigeants africains faisaient le forcing pour qu’en plus d’une égalité politique à définir, la France finance l’égalité sociale, alors qu’elle-même ne bouclait ses budgets que grâce à des subsides américains.

        il était nécessaire de décrire à grands traits le « théâtre » géographique et historique de la décolonisation en AOF, dans l’avant 1945, car le processus analysé par l’auteur ne s’inscrivait pas dans un contexte de « table rase ».

Jean Pierre Renaud

Tous droits réservés

Demain, le 22/10/15, la deuxième partie

 

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20 octobre 2015 2 20 /10 /octobre /2015 15:13
« Le véritable coût de l’immigration »
A 20h40 sur France 5, le 13 octobre 2015

Commentaire du journal La Croix du même jour avec un titre déjà un peu différent :

« Ce qu’apporte l’immigration »

« Notre avis. Chiffres, définitions et interviews de spécialistes à l’appui, ce documentaire de Martine Delumeau rend le sujet intelligible et dépassionné. »

Marie Dancer

&

Notre avis

 

         Un documentaire qui apporte quelques informations sur le sujet sensible de l’immigration, mais le coût financier est-il le vrai sujet de l’immigration en France ? C’est beaucoup moins sûr.

            Idées reçues ? Idées tout faites selon la présentatrice ? S’agit-il bien de cela ?

            Ce documentaire manque à mes yeux de clarté en mélangeant une fois de plus les publics et les coûts et avantages concernés : migrants ou réfugiés, tel le cas de ce jeune étudiant afghan réfugié qui faisait la une de conclusion de Mme d’Encausse.

            Puisqu’il s’agissait, d’après le titre, d’une évaluation d’un coût rapporté à des flux d’immigration, pourquoi ne pas avoir ouvert un vrai débat avec des économistes et des démographes ? Parce qu’il n’y a pas eu de débat, mais une suite d’interventions, et surtout une galerie d’images et de portraits d’immigrés ou de réfugiés.

            M.Héran, démographe reconnu, nous explique, sauf erreur, que, sur environ 200 000 entrées, seulement 10 000 entrées concernent le travail, le reste étant dû au regroupement familial, aux mariages et aux demandeurs d’asile...

            Ces seuls chiffres mettent en porte à faux une grande partie des interventions et des interviews, et même de l’intervention de M.Dumont au titre de l’OCDE, en particulier sur la comparaison qui est faite avec l’Allemagne, une comparaison que certains pourraient trouver tendancieuse.

            Qu’en est-il des  sans- papiers, des demandeurs d’asile dont la demande a été refusée et qui pour 80 % d’entre eux restent en France, et aujourd’hui des travailleurs détachés de l’Europe de l’Est ?

            A-t-il été question du coût direct de l’immigration ou du coût indirect, avec les difficultés que notre pays rencontre pour scolariser par exemple des enfants issus du regroupement familial, avec une mère ne parlant pas notre langue, et le plus souvent en l’absence du père, ou pour accueillir des enfants mineurs étrangers abandonnés dans notre pays (voir par exemple les milliers de Mayotte), ou des mères étrangères venues accoucher en France… ?

        Je ne pense pas que  le débat de fond actuel porte seulement sur le coût financier, peut-être sur le coût marginal, pour certains observateurs, coût de l’AME par exemple, mais beaucoup plus sur le coût de l’immigration en termes de fonctionnement de la société française.

        Est-ce que MM Dumont ou Gemenne l’ont évalué ?

        Pourquoi ne pas observer aussi qu’il ne suffit pas de se contenter de disserter sur des grandeurs abstraites au niveau national ou international, sans aller sur les territoires eux-mêmes, régions, départements ou communes, pour avoir une vision plus réaliste du problème, des problèmes ? Avec le cas extrême du département de Seine Saint Denis ?

         Pourquoi ne pas oser écrire aussi – on se demande aujourd’hui si on a encore le droit de l’écrire- qu’à tort ou à raison, la poussée incontestable de l’islam en France liée au flux de l’immigration fait question ? Pourquoi ?

       Parce que les Français ne sont pas encore convaincus que cette religion soit compatible avec notre République.

      Mon avis résumé :

        1) Un débat entre économistes aurait été préférable sur le sujet, plutôt qu’une série de discours, de chiffres, mais avant tout d’images, avec la même ambiguïté permanente entre le sort des immigrés et celui des réfugiés.

      2) Le vrai sujet aurait peut-être dû porter sur la problématique mal régulée ou mal contrôlée du regroupement familial avec ses effets dans la société française aussi bien sur le plan social, culturel, et religieux, tout autant que territorial.

Jean Pierre Renaud

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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 18:18

 

« Français et Africains ? »
Frederick Cooper
&
5
CONCLUSION, page 443
Avant- propos

 

                Je me propose d’élargir ce type de conclusion avec les conclusions générales que je publierai ultérieurement, et de proposer aux lecteurs quelques témoignages sur la période étudiée par l’auteur, dans le but de mieux « contextualiser » encore, sur le plan historique, ce type d’analyse.

&

           Je cite le début du texte :

               « Le spectre d’idées utilisées par les acteurs politiques de la France africaine et de la France européenne dans leur approche de la politique entre 1945 et le début des années 1960 était  bien plus large que la dichotomie entre empire colonial et Etat-nation indépendant. Le sens des mots « citoyenneté », « nationalité », et « souveraineté » n’était pas figé. Il était l’objet de contestations politiques, et non le simple sujet de traités juridiques ou philosophiques. La définition de ces mots constituait des enjeux majeurs, tant pour un Sénégalais en quête d’un meilleur salaire à Dakar ou d’un emploi à Lyon que pour un leader politique s’efforçant de mobiliser un électorat à Bamako ou dans les faubourgs de Marseille.

            L’historien est inévitablement confronté à la tentation de tracer une ligne conduisant inexorablement au présent. Par contraste, nous consacrons une grande part de nos énergies politiques dans le présent à gérer des inconnues et des contingences. Le récit que j’ai raconté ici montre des gens qui agissaient et cherchaient à agrandir – ou rétrécir – les ouvertures qui se présentaient à eux. On nous dit régulièrement (Qui ?) que la nation est la composante majeure de l’imagination politique depuis les révolutions de la fin du XVIIème siècle et du début du XIXème siècle, que la souveraineté « moderne » est nécessairement territoriale et indivisible, que la citoyenneté dans une république suppose un lien entre l’individu et l’Etat affranchi des différences de statut ou de communauté. Les acteurs du récit présenté ici – français et africains –pensaient autrement…(p,443)

            Dans les assemblées qui rédigèrent la Constitution française de 1946, un nombre infime de députés africains et antillais obligèrent leurs collègues à engager une discussion sérieuse sur le type d’Etat qu’était et pouvait être la France. Les dispositions constitutionnelles sur la citoyenneté mirent à leur tour des mouvements politiques et sociaux africains en mesure de réclamer l’équivalence non seulement politique, mais aussi sociale, économique, de tous les citoyens français… (p,444)

           Entre 1946 et 1956, des mouvements africains remportèrent en particulier dans le domaine social d’importantes victoires : revalorisation des salaires et des prestations sociales, égalité des prestations sociales dans la fonction publique, nouveau code du travail, et preuve faite que les organisations africaines auraient leur mot à dire lors de grandes décisions. Dans les régions rurales, les partis africains contestèrent la vieille hiérarchie des administrateurs et des chefs. Les demandes d’égalité sociale plus que toute autre chose, poussèrent les responsables et les politiciens français du milieu des années 1950 à repenser leurs tendances centralisatrices et à concéder un réel pouvoir aux assemblées territoriales africaines, seul moyen par lequel ils pouvaient amener les leaders politiques africains à délaisser leurs ambition d’égalité avec la France européenne pour se concentrer sur le développement des ressources au niveau territorial. » (p,445)

          La citation ci-dessus illustre bien, et à nouveau, la quadrature du cercle que les leaders africains demandaient à la France de résoudre : comment trouver une solution institutionnelle de représentation politique au sein des institutions de la Communauté qui ne donne pas le pouvoir aux territoires d’outre-mer ? Comment limiter les ambitions d’égalité sociale des dirigeants africains sous peine de faire régresser le niveau de vie des habitants de la métropole ? Est-ce que les dirigeants africains eux-mêmes étaient prêts à jouer le jeu d’une solidarité horizontale, complémentaire de la solidarité verticale qu’ils revendiquaient, par une voie confédérale ou fédérale ?

         Autre question sur laquelle l’auteur fait assez largement l’impasse : quid des solutions envisagées pour les autres territoires, alors que pour la France, l’Afrique de l’ouest n’avait qu’une importance marginale ?

        L’auteur poursuit :

         « Comment expliquer que les dirigeants ambitieux et intelligents de la France européenne et de la France africaine se soient retrouvés en 1960 avec une forme d’organisation politique – l’Etat-nation territorial – que peu d’entre eux avaient recherchée en 1946, sauf la Guinée, avaient rejetée en 1958 ? Ce livre est le récit d’un processus, car l’ « indépendance » » ne fut ni un événement ni une condition explicable par une cause précise. D’autres options étaient possibles… »

         Etait-ce vraiment le cas ? Non, pour avoir été un jeune acteur et témoin du processus décrit.

       « … Si l’on croit dès le départ au grand récit de la transition globale à long terme, de l’empire vers l’Etat-nation, on peut aussi bien passer à côté de la question qui ouvre ce paragraphe. » (p,446)

         L’auteur donne plus loin une des raisons du processus historique concret qui s’est déroulé :

        « La loi- cadre fut à la fois une concession face aux demandes africaines de réformes politiques et une tentative de désengagement du contribuable métropolitain vis-à-vis des responsabilités de la citoyenneté sociale. » (p,446)

        Existait-il  « d’autres possibilités », «  des trajectoires alternatives » ? (p,447)

        Personnellement, je ne le pense pas, mais sommes-nous encore dans l’histoire ? Il parait assez logique, comme ce fut le cas pour beaucoup d’histoires « nationales », que les dirigeants africains réécrivent leur roman « national », à l’exemple de la France par exemple.

       Cela l’est peut-être moins de la part d’analystes ou historiens européens, ou encore américain, comme c’est ici le cas.

        «  Quelles que soient les trajectoires alternatives qui s’ouvrirent lors de ces moments décisifs  l’inéluctabilité de la voie suivie n’apparut – certainement à la plupart des activistes impliqués – que rétrospectivement. Après l’indépendance, les dirigeants africains s’empressèrent de réécrire l’histoire de leur pays en s’y érigeant en père de la nation, même si la nation qu’ils dirigeaient désormais n’était pas celle qu’ils avaient cherché à créer » .(p,447,448)

         La phrase suivante est-elle fondée pour l’AOF ? :

         «  Dans le même temps, le souvenir des luttes menées pour rendre la citoyenneté française socialement, politiquement et culturellement importante pour une population diversifiée fut retiré de l’histoire de France aussi complètement que le furent, jusqu’à récemment encore, les archives de la France sur la domination coloniale et l’oppression coloniale. » (p,448)

       Au risque de me répéter, car il s’agit d’une des constantes de ma lecture de l’histoire coloniale française, et contrairement à certains discours idéologiques aujourd’hui en vogue sur la culture coloniale ou impériale des Français à l’époque des colonies, la France n’a jamais eu l’esprit colonial.

        Laisser croire que le souvenir de ces « luttes » ait été « retiré de l’histoire de France » dénote tout simplement et à la fois, d’une méconnaissance de notre histoire nationale, et de l’absence d’évaluation de la soi-disant culture coloniale des Français.

        Les remarques de la page 450 éclairent d’ailleurs d’un autre jour, plus cru, ce type d’analyse qui parait trop éloignée des réalités françaises et africaines :

       « Autant nous connaissons les intenses débats entre acteurs politiques africains sur l’avenir de leurs territoires, autant nous ignorons ce que les citoyens ordinaires d’Afrique occidentale française – les agriculteurs, les commerçants, les ouvriers – pensaient de l’ambiguïté de leur situation de citoyens français. Les prochaines générations de chercheurs découvriront ce qu’on peut savoir sur les idiomes et les connexions à l’aide desquels les gens dans divers contextes de l’Afrique pratiquaient la politique. Nous savons cependant qu’alors même que l’Etat colonial tardif s’efforçait d’enregistrer ses citoyens dans des institutions liées à l’ordre social, l’aide sociale et la surveillance, les Africains utilisaient ces mécanismes à leur manière, par exemple en ignorant l’état civil sauf quand ils avaient besoin de se faire connaitre de l’Etat pour inscrire un enfant à l’école, pour voter, recevoir des avantages sociaux ou obtenir les documents nécessaires pour aller en France européenne. »(p,450)

          Pour avoir fréquenté le nord du Togo, un territoire plutôt gâté, dans les années 1950, j’écrirais volontiers que les lignes ci-dessus traduisent un parti pris idéologique qui feint d’ignorer les situations coloniales de l’époque considérée : citoyenneté ? souveraineté ? fédéralisme ? suffrage universel ?...

         J’aurais aimé que M.Cooper vienne expliquer aux Gam-Gam ou aux Tamberna ce que ces mots voulaient bien dire.

        « Les mobilisations ne s’inscrivent pas dans la trame d’un récit unique qui serait celui du « nationalisme… La voie suivie par l’Afrique Occidentale française pour sortir de l’empire, bien que complexe, ne fut qu’une voie de sortie parmi d’autres. En Algérie… » (p,451)

         Oui, mais en Algérie, rien de commun avec l’AOF ! Et l’histoire réelle fut écrite tout autrement.

        L’auteur propose in fine trois épilogues :

       En premier lieu, le Sénégal en 1962, qui vit Senghor, le catholique, une exception dans ce pays musulman, opter rapidement pour le parti unique, et mettre en prison Mamadou Dia, son ancien Premier ministre, musulman et également socialiste.

Il est difficile de proposer une explication à cette dérive, sauf à dire que même dans ce pays qui comptait le plus de citoyens acculturés, d’anciens citoyens de statut français, les réalités concrètes du terrain social, économique, et religieux, c’est-à-dire les structures, plus que la conjoncture du Sénégal reprenaient le dessus, les nouveaux pouvoirs qui succédaient à la superstructure coloniale, en succédant à ces mêmes superstructures, c’est-à-dire en faisant le grand écart entre les privilèges de la minorité évoluée et le peuple sénégalais. (1)

         En deuxième lieu,  la France en 1974 : l’auteur note qu’à partir de 1974, la France prit un virage dans sa politique d’immigration, en supprimant la liberté de circulation des français et des africains.

         L’auteur écrit :

         «  Face aux efforts du gouvernement pour expulser les Algériens et les Africains, et aux discours et actes anti-immigrants qui s’ensuivirent, se dressa la résistance d’organisations d’immigrants africains et de leurs sympathisants français regroupés dans des églises, des syndicats et d’organisations de défense des droits. Il n’est pas plus évident que les forces de la xénophobie et de l’islamophobie l’aient emporté dans les années 1980 (ou aujourd’hui) qu’il était évident que l’ouverture et la tolérance étaient des normes universelles en 1973 - ou en 1946. » (p,457)

           Une autre interprétation aurait ma faveur : la France était enfin sortie des fictions coloniales.

          En troisième lieu, la Côte d’Ivoire en 2011 : la crise répétait à plus grande échelle, la crise de l’année 1958, qui vit l’expulsion des étrangers africains de Côte d’Ivoire, avec l’émergence du concept d’ « ivoirité ».

           Cette crise soulevait le problème de la population, le plus souvent de religion islamique, venue du Burkina Fasso, pour y travailler et s’y installer depuis plusieurs dizaines d’années, perçue comme une menace par une partie de la population « supposée » d’origine ivoirienne, d’ancienne culture animiste, car l’Etat colonial de la Côte d’Ivoire ne vint à la vie qu’en 1893.

         L’auteur décrit bien cet épisode :

          « Une succession d’élections truquées, de coups d’Etat militaires, et une guerre civile – ponctuée d’interventions extérieures au nom de la paix et de la démocratie – plongea la Côte d’Ivoire dans un cycle de nettoyages et contre-nettoyages ethniques.  «  (p,459)

        L’auteur estime qu’il pouvait en être autrement, fidèle en cela, à sa théorie du spectre des solutions politiques du « meilleur des mondes » qui auraient existé dans les années 1946, mais est-ce qu’il ne conviendrait pas d’y voir tout simplement et techniquement, une construction nationale en cours, puisque la Côte d’Ivoire avait acquis sa souveraineté d’Etat non national ?

         « Solidarités horizontales, solidarités verticales et construction de l’Etat » (p,460)

           Toutes les tentatives de construction de relations institutionnelles nouvelles entre la France et l’Afrique (mais quelle Afrique ?) dans ce que fut une Union Française artificielle et une Communauté mort-née, avaient échoué, et il ne pouvait en être autrement.

        L’auteur marque bien que les relations officielles avaient basculé dans « des réseaux personnels opaques », les réseaux Foccart, la Françafrique, mais est-ce qu’il n’en était pas déjà ainsi auparavant, et sous une autre forme ?

       « On ignore bien entendu si une situation coloniale aurait pu déboucher sur une France véritablement fédérale, multinationale et égalitaire – en supposant que les politiciens de la France européenne auraient accepter de payer la facture, et que les politiciens africains auraient été moins soucieux de leurs assises politiques territoriales. L’intérêt du récit proposé dans ce livre est qu’il présente ce que fut le sentiment du possible durant une certaine période de l’histoire mondiale… »

        J’ai mis en gras les quelques mots qui posent une partie des très nombreuses questions que soulève la lecture de ce livre, dans son contenu et dans la lecture historique elle-même que l’auteur propose.

        « Le sentiment du possible » ? Dirais-je que l’histoire ne fait pas de sentiment ? Ou encore que certains historiens postcoloniaux font souvent du sentiment, ou dans l’idéologie, dans la filiation de certains historiens coloniaux, peu nombreux d’ailleurs face à l’armada des universités françaises de l’époque, on condamne aujourd’hui ce qu’on adorait dans le passé…

Jean Pierre Renaud

Tous droits réservés

Le 18 août 2015

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7 octobre 2015 3 07 /10 /octobre /2015 08:36
« Français et Africains ? »
Frederick Cooper
&
4
Chapitre VI - Du territoire d’outre-mer à l’Etat membre (page 295 à 340)
Constitution et conflit, 1958

 

           Il parait difficile, pour ne pas dire exclu, d’aborder un tel sujet sans tenir compte du contexte international et français, et en faisant l’impasse sur la crise que traversait alors la France, crise institutionnelle et politique de la Quatrième République aux prises avec la guerre d’Algérie, et les tensions, pour ne pas dire plus, avec les deux pays voisins, le Maroc et la Tunisie.

        Il me parait également exclu de ne pas faire le constat de la fiction d’une Union Française  quasiment inexistante, sauf dans son décor.

        La loi-cadre de 1956 avait doté les anciennes colonies d’AOF des outils démocratiques nécessaires pour gouverner, assemblées élues au suffrage universel, collège unique, conseils de gouvernement, des institutions encore en partie contrôlées par la métropole (relations internationales, défense, monnaie) avec pour résultat l’abandon de toutes les revendications d’égalité sociale entre citoyens de métropole et d’outre-mer qui avaient agité les anciennes négociations, sans résultat. Il était en effet exclu que la métropole voie ses citoyens devenir les vrais citoyens de second zone de l’Union, compte tenu du poids insupportable qu’auraient fait peser cette mesure sur les citoyens de métropole, avec une baisse importante de leur niveau de vie.

        La crise algérienne et la venue au pouvoir du général de Gaulle changea évidemment et complètement la donne, et le débat porta alors sur le type de lien fédéral ou confédéral qui pouvait relier ensemble les nouveaux Etats avec la métropole, et entre eux, avec la crainte des Etats les plus pauvres de l’AOF de voir leur développement gravement handicapé par l’absence d’une « solidarité horizontale », entre riches et pauvres, celle qu’avait défendue  obstinément Senghor.

          Afin d’éclairer ce débat très technique, il n’est pas inutile de rappeler brièvement qu’aussi bien Senghor (dans deux gouvernements, dont celui du général, entre le 23/07/1959 et le 19/05/1961), qu’Houphouët-Boigny furent des ministres de la Quatrième, puis de la Cinquième République, (dans cinq gouvernements, dont, avec de Gaulle entre le 18/05/1958 et 19/05/1961),  et qu’une trentaine de députés ou de conseillers ou sénateurs représentaient l’outre-mer au Parlement.

.               La discussion tournait comme avant sur la nature du lien vertical métropole- outre-mer et horizontal entre territoires d’outre-mer, et il est évident que cette discussion passait largement au- dessus de la tête des citoyens français, et encore plus de celle des nouveaux citoyens de ladite Union.

          Des équations insolubles, tant il fallait résoudre la quadrature de plusieurs cercles : comment promouvoir une égalité politique entre la métropole et les territoires, en échappant aux craintes formulées par Herriot sur la colonie des colonies ? Comment faire accepter par les territoires les plus riches, dont la Côte d’Ivoire, les charges d’une nouvelle fédération d’AOF ?

               Pour ne parler que de l’AOF, le cœur de l’analyse Cooper, sinon la totalité.

            La rédaction de la nouvelle constitution se fit en petit comité selon un processus très détaillé par l’auteur, avec les questions pertinentes posées par Tsiranana, le chef du gouvernement malgache :

               « L’indépendance des territoires est-elle reconnue par la Constitution ? », puisqu’on parle de fédération, est-ce que celle-ci correspondra à des Etats ou simplement à des territoires ? Le mot « territoire » commence à mal sonner chez nous. » (p,310

        Le même Tsiranana aida à sortir les discussions de l’ornière en proposant une dénomination nouvelle, suffisamment vague pour rassurer tout le monde :

           « Au lieu de parler de fédération ou de confédération, pourquoi demanda-t-il ne pas trouver un autre mot ? Ce que nous créons, dit-il, était la « Communauté franco-africaine. » (p,321)

       L’histoire montrera que cette communauté n’eut pas un contenu très différent de celui de l’ancienne Union française.

      L’auteur relate « l’odyssée africaine » du général, pour exposer son projet de nouvelle Constitution, adoptée par référendum le 28 septembre 1958, et notamment l’épisode du vote non en Guinée, sur la demande de Sékou Touré. (p,327)

       La description que fait l’auteur des deux « adversaires » en surprendra plus d’un, en écrivant :

       « Mais le grand drame se déroula à Conakry, le 25 août, lorsque les deux grands visionnaires aux amours-propres non négligeables – Charles de Gaulle et Sékou Touré – s’affrontèrent sur le processus et la substance de la nouvelle structure proposée. » (p,329)

         Et plus loin : « Choc de deux égos, prompts à s‘offusquer ? Cette explication pourrait bien être au cœur de l’affaire. Mais il y a plus. De Gaulle avait déjà fait une concession majeure dans son discours de Brazzaville : le droit d’un Etat membre à réclamer l’indépendance, sans être perçu comme sécessionniste. Mais concernant la Constitution, de Gaulle avait invariablement affirmé que voter non signifiait la sécession, et la fin de toute aide française. » (p,333)

        On retrouvait donc toujours une question de gros sous, pour ne pas dire d’intérêts mutuels bien compris.

        J’ajouterai qu’il parait difficile de mettre sur le même plan les deux hommes : est-ce que Sékou Touré n’était pas plus un apprenti dictateur qu’un « visionnaire » ?

        L’auteur fait état des manœuvres de la France, en particulier au Niger, pour conserver le contrôle des opérations du référendum, dans ce territoire où la France avait des intérêts dans l’uranium, mais toute analyse du processus décrit ne peut faire l’impasse sur le contexte de la guerre froide, les nouvelles ambitions de l’Union Soviétique en Afrique, et sur un des objectifs des gaullistes de préserver le rôle international de la France, ou pour presque tous les gouvernements de la Quatrième de préserver la « grandeur » de la France…

       « Les résultats dans l’AOF furent sans ambiguïté : le non recueillit 95 % des votes en Guinée, le oui entre 94 et 99,98% (en Côte d’Ivoire) partout ailleurs, sauf au Niger (78%). La République de Guinée fut proclamée quelques jours plus tard. » (p,339)

         Le lecteur aurait tort de croire que les élections se déroulaient alors en Afrique noire comme dans les campagnes françaises, compte tenu du poids des électeurs illettrés, qui n’avaient pas toujours compris le sens de ce nouveau truc de blancs, et qui s’en remettaient encore dans l’hinterland à la sagesse de leurs chefs, sages traditionnels, ou aux administrateurs encore en place .

             Puis-je citer une anecdote du Togo des années 1950 ? Lors d’une consultation électorale et dans le sud de ce territoire sous mandat, au moins un administrateur faisait ramasser les électeurs en camion et leur donnait l’occasion d’étancher leur soif.

           Houphouët-Boigny avait expliqué clairement les enjeux du référendum :

       « Ce serait sortir de l’Histoire, aller à contre-courant, si, en Afrique, notamment, nous devions limiter notre évolution dans le cadre étroit d’une nation…. Il affirma que la quête de la dignité était compatible avec l’entrée dans la Communauté. La Côte d’Ivoire, poursuivit-il, n’avait pas les ressources financières nécessaires à sa propre défense ; elle ne pouvait entretenir des ambassades dans 90 pays ; seules des relations de coopération avec la France et ses partenaires européens pourraient « féconder nos richesses latentes », et « l’échelon le plus élevé » des tribunaux était le meilleur antidote contre une justice dénaturée par des luttes internes (…) le tribalisme. »… Comment voulez-vous que l’on puisse laisser à un jeune Etat la faculté d’envoyer librement au poteau ses adversaires politiques ? » (p,339)

            L’annonce prémonitoire de ce qu’allait faire Sékou Touré en Guinée !

 

Chapitre VII - Unité et division en Afrique et en France (p,341)

 

         Je vous avouerai, mais j’aurais pu le faire presqu’à chaque page de ma lecture, que les concepts juridiques ou politiques abstraits que l’auteur manie avec une grande dextérité, constituent à mes yeux autant de challenges intellectuels, politiques, juridiques, et historiques à soutenir.

            Comment ne pas être admiratif à l’égard des dirigeants français et africains de cette époque qui les manipulaient avec autant de vélocité que de dextérité?

            Au tout début de ce chapitre l’auteur pose la bonne question, mais comment était-il possible d’y répondre dans les sociétés encore coloniales de l’époque ?

     « Mais où se situait la nation ? » (p,341)

     « Une communauté de républiques africaines »

        La nouvelle communauté existait bien sur le papier, avec un Président, un Conseil exécutif, un Sénat, et une cour arbitrale, mais avec quels partenaires africains ?

     L’auteur écrit : « La Communauté française ne pouvait continuer d’exister sans l’unité africaine. » (p,343) : pourquoi ?

       Plus loin, l’auteur formule un ensemble d’observations qui relativisent beaucoup le sens de ses analyses :

     « Les nouveaux gouvernements n’étaient pas uniquement confrontés à la persistance de l’administration française ; ils avaient également à gouverner un territoire de citoyens. Comment les ressortissants de l’ex-AOF utilisaient-ils leur citoyenneté ? Une réponse à cette question nécessiterait de savoir, comment les partis recrutaient leurs partisans, comment les organisations sociales et politiques formulaient leurs revendications et comment les gouvernements à la fois déterminaient et étaient influencés par les actes et les discours. Nous ne pouvons que suggérer que quelques pistes pour aborder ces questions dans le nouveau contexte. »

      L’auteur réintroduit le contexte des sociétés encore coloniales des années 1950, dont la grande majorité des membres passaient complètement à côté de ces discussions savantes, en ajoutant qu’en métropole l’opinion publique, hors les guerres d’Indochine et d’Algérie, n’était pas plus concernée par ces discussions de spécialistes.

       Enfin, je n’ai pas trouvé dans ma lecture, trace des « quelques pistes » annoncées.

         Les nouveaux gouvernements africains eurent rapidement à faire face aux revendications des syndicats sur lesquels ils s’étaient largement appuyés pour prendre le pouvoir, notamment au Sénégal, ou au Soudan, objets d’étude privilégiés par l’auteur.

        Les efforts entrepris pour mettre sur pied une nouvelle organisation africaine qui prenne la relève de l’AOF ne furent pas concluants avec une Fédération du Mali (Sénégal, Mali, en janvier 1959) qui ne fit pas long feu, et sur l’autre versant, un Conseil de l’Entente (Côte d’Ivoire, Niger, Haute Volta, Dahomey, en mai 1959) avec des liens institutionnels moins ambitieux, de type confédéral.

     Les dirigeants africains avaient autant de difficulté à mettre sur pied une nouvelle organisation que les dirigeants français, lesquels devaient résoudre une autre quadrature du cercle, celle d’une solution constitutionnelle qui ne pouvait être standard, compte tenu de la diversité des composantes de l’ancien empire colonial.

       Les syndicalistes se situaient à des années-lumière des sociétés dont ils faisaient partie, en leur qualité de fers de lance, et la citation que fait l’auteur sur la position de l’Union soudanaise RDA en est un bon exemple :

      «  Le journal de l’Union  soudanaise-RDA parla d’une « nation ouest-africaine » en formation, soudée par la géographie et l’expérience commune, notamment celle de cinquante ans  de colonisation. Le parti affirmait qu’une fédération africaine était le seul moyen de faire face à « une Afrique encore morcelée, sujette aux vieilles rivalités raciales, où la conscience nationale ne se manifeste que par une hostilité commune contre la présence dominatrice des Blancs, où l’économie est rudimentaire. » (p,347)

       Est-ce qu’il existait en 1958, date de cet article, une « nation ouest-africaine », même « en formation ? Non, et le tirage de ce journal était tout à fait limité.

        Comme le relate l’auteur, de fortes tensions se produisirent alors entre Etats voisins, avec des expulsions de fonctionnaires selon leur origine.

     « Vers l’indépendance, mais non vers l’Etat-nation » (p,355)

      Est-ce qu’une revendication d’Etat-nation a jamais existé en AOF, sauf dans la tête et le discours d’une petite minorité d’évolués ?

      Je répète que l’usage de l’expression Etat-nation est alors tout à fait ambigu dans le cas de l’Afrique de l’Ouest.

     L’auteur écrit plus loin : «  Mais en août 1959, le Mali existait en tant que fédération de deux Etats. Il n’était pas encore reconnu en tant qu’Etat en soi, et devait encore se transformer en nation. » (p,356)

     Quel est le sens donné par l’auteur à ce concept d’Etat-nation ? Un Etat reconnu sur le plan international ? Mais si tel est le cas, il parait évident que seule l’indépendance, l’issue qui faisait encore hésiter les dirigeants africains, était susceptible  de répondre à cette attente, le nouvel Etat indépendant se coulant dans ce qui ressemblait à un morceau de l’Etat colonial.

     Houphouët-Boigny avait une vue plus réaliste de la situation que ses confrères et la phrase : « Houphouët-Boigny n’a pas cherché à convaincre le peuple français d’entrer dans une fédération d’égaux avec ceux des Etats africains… Tous deux, (avec Senghor) pensaient en termes de connexions, et non en  termes d’unités nationales délimitées. » (p,358)

      L’auteur fait appel au terme de « connexions », un concept qu’il aime bien et qui pourrait être novateur, à condition de l’illustrer historiquement : qu’est-ce à dire ?

      En tout état de cause, et compte tenu des situations postcoloniales en construction, les nouveaux Etats ne pouvaient découler que des anciens Etats coloniaux dans les limites géographiques des territoires qui avaient été dessinées arbitrairement par l’ancien pouvoir colonial, qu’il ait été anglais, français, allemand, espagnol ou portugais.

     L’auteur cite d’ailleurs la position sans ambiguïté du syndicat l’Union soudanaise, toujours dans le journal déjà cité : « Cinquante ans ou plus de sujétion commune ont créé en Afrique occidentale sous domination française les conditions nécessaires et suffisantes à la stabilité de la nation africaine et à son développement. » (p,365)

      L’auteur d’ajouter : «  L’AOF satisfaisait les critères de constitution d’une nation : cinquante ans de stabilité, une langue commune, le français, la contiguïté géographique, la communauté économique et une « communauté culturelle » sur une base négro-africaine. Tout cela formait le soubassement de la construction d’une nation mais tout le monde ne voyait pas la situation en ces termes.» (p,366)

      Des critères de constitution d’une nation définis par quel légiste ou historien? Une « communauté culturelle » ? Qu’était-ce à dire dans le patchwork des langues et des cultures de l’ouest africain, pour ne pas parler des religions qui constituèrent souvent les vraies connexions dans ces territoires.

      Les nouvelles citoyennetés, pour autant qu’elles soient redéfinies ou définies, ne pouvaient découler que des formes coloniales de l’AOF, récemment affectées par une dose de démocratie à l’occidentale.

       D’ailleurs, l’auteur l’exprime clairement : « Le nouvel  Etat fédéral exprimerait et construirait la nation africaine. Il ferait cela à l’intérieur de la Communauté. La nation ne pouvait être sénégalaise ou soudanaise, et Senghor espérait que la Fédération du Mali serait la première étape vers la création de la nation africaine. La patrie que Senghor voulait préserver en 1955 était devenue en 1959 un bloc constitutif de quelque chose de plus grand, de plus inclusif, de plus solide. Et Senghor, législateur autant que poète, considérait que la nation ne se construirait pas simplement d’elle-même. » (p,365)

       J’ajouterai plus poète que législateur, et Senghor n’avait pas fait Normal ’Sup pour rien.

     Le Conseil exécutif de la Communauté se réunissait, mais il ressemblait de plus en plus à un club de type anglais, car la Communauté, comme cela avait été le cas avant pour l’Union, était en réalité mort-née.

     En définitive, il n’y avait pas plus de Communauté qui ressemble à un Etat reconnu sur le plan international, le critère premier de l’existence d’un Etat, avec ses frontières et son gouvernement souverain, encore moins reposant sur une assiette nationale, qu’il existait au plan africain un Etat-nation, partie d’un autre Etat de type fédéral ou confédéral.

       Le débat sortait enfin du flou des discussions et l’idée d’une Communauté multinationale «  Justice, droits et progrès social dans une Communauté multinationale » (p,379) ne correspondait pas aux situations postcoloniales des années 1950, étant donné que les nations constituantes, en Afrique noire, n’étaient que rêve et fiction.

       A la page 384, l’auteur résume bien les données essentielles des problèmes posés : « Mais si la question de coût et bénéfices associés aux territoires d’outre-mer était préoccupante – en particulier face aux revendications de l’égalité sociale et économique liée à la citoyenneté -, la plupart des dirigeants avaient néanmoins le sentiment que la France devait sa stature à sa présidence sur un vaste ensemble. La France tentait  elle aussi de gagner sur les deux tableaux, et de limiter  ses responsabilités financières et autres tout en affirmant soutenir, pour reprendre la formule utilisée par Pierre-Henri Teitgen en 1959, «  la montée des peuples dans la communauté humaine. »

      Pour résumer le dilemme, prestige contre gros sous ?

 

Chapitre VIII – Devenir national (p,387 à 442)

       Avant de commenter ce chapitre, pourquoi ne pas faire part de mon embarras devant un tel titre « Devenir national », à la fois constat et challenge, pour qui a eu une certaine connaissance de l’histoire africaine de l’ouest et de ses réalités.

        Et tout autant sur la signification du qualificatif national ? Qu’est- ce à dire ? Dans le sens du national égale étatique, étant donné que les nouveaux Etats n’avaient guère d’existence que dans les frontières et le moule de l’ancien Etat bureaucratique colonial ?

        Par ailleurs, cet ouvrage cite souvent les journaux, telle ou telle opinion, mais sans jamais nous donner l’audience et le tirage de ces journaux, pas plus qu’il ne nous donne les quelques sondages qui étaient déjà effectués sur les thèmes historiques analysés par l’auteur.

      L’auteur écrit :

      « Malgré l’évident dynamisme politique de la fin de l’année 1959, il était clair qu’aucun des principaux acteurs ne parviendrait à obtenir ce qu’il souhaitait le plus. De Gaulle voulait une fédération avec un centre fort, une seule citoyenneté, une seule nationalité, et l’engagement de tous ceux qui acceptaient la nouvelle Constitution de rester dans la Communauté française. Il se retrouva avec une structure qui n’était ni fédérale ni confédérale, avec de multiples nationalités, avec également des territoires qui pouvaient exercer leur droit à l’indépendance quand ils l’entendaient… » (p387)

       De Gaulle aveugle à ce point, alors qu’il avait d’autres territoires sur les bras, notamment l’Algérie ? Une guerre d’Algérie qui n’en finissait pas et qui coûtait cher à la France ?

      « La Constitution de 1958 avait placé les dirigeants politiques africains dans une position de force, mais aussi délicate – un compromis insatisfaisant entre autonomie et subordination – avec toutefois une option de sécession qui permettait aux Etats membres de poser de nouvelles demandes. » (p,387)

      Dans une analyse intitulée « La Fédération du Mali et la Communauté française : négocier l’indépendance », l’auteur écrit :

      « Le meilleur espoir de maintenir l’unité de la Communauté française était – et certains sages à Paris le savaient – la Fédération du Mali. Si le Mali réussissait, d’autres territoires pourraient voir les avantages d’appartenance à un grand ensemble. Il y avait deux problèmes immédiats. L’un était le Mali lui-même : une fédération de deux Etats – et de ces deux Etats en particulier- était-elle viable ? Le second était Houphouët-Boigny qui ne voulait pas que le Mali devienne l’avant-garde de l’Afrique. Si le Mali prenait l’initiative de rechercher l’indépendance, Houphouët-Boigny et ses alliés du Conseil de l’Entente seraient obligés de le suivre.  » (p,388)

      Questions : de quels « sages » s’agit-il ? Est-ce que vraiment il était possible de croire à la solidité de la dite fédération, compte tenu de toutes les tensions existant déjà entre les dirigeants de deux entités qui n’avaient pas le même poids démographique, politique et économique ? Est-ce que l’indépendance de la Gold-Coast, ainsi que l’autonomie du Togo, en voie vers l’indépendance, ne constituaient pas des facteurs plus pertinents d’accélération du processus de décolonisation, c’est-à-dire d’indépendance ?

      Comment ne pas ajouter que le dossier algérien avait une autre importance que celui de l’AOF, ou de l’AEF, quasiment absent de ce type d’analyse, avec, en 1959, la déclaration de Gaulle annonçant l’autodétermination de l’Algérie ?

      Comment ne pas ajouter une fois de plus que l’URSS intervenait de plus en plus en Afrique, que l’ONU et les Etats-Unis pressaient les nations coloniales de laisser les peuples coloniaux disposer d’eux-mêmes, et que de nouveaux acteurs issus du Tiers Monde poussaient dans le même sens ?

       Le fait que Foccart ait repris ce dossier en mars 1960 (p,393) montre bien que la France était passé dans un autre monde, un monde « d’ombres ».

        L’auteur décrit les négociations engagées avec la France, les péripéties, les ambitions affichées, mais il est évident que le Mali ne pouvait négocier qu’avec la République française, et non avec Une Communauté mort-née.

      Les discussions tournèrent rapidement autour des modalités de l’indépendance, d’autant plus que les « Tensions d’indépendance » (p,404) entre le Sénégal et le Mali, au sein d’une fédération qui ne fit pas long feu, avec le coup d’Etat de Modibo Keita, dans la nuit du 19 au 20 août 1960.

      L’auteur en rend compte dans « La brève vie et la chute dramatique de la Fédération du Mali » (p,412).

      Cet épisode était l’annonce des dérives de type dictatorial qui caractérisèrent l’Afrique de l’Ouest et qui démontraient la fiction du concept « national » dont se targuaient, avec leur talent oratoire habituel, les dirigeants africains d’alors.

        Une mention tout à fait spéciale sur le passage où l’auteur évoque la façon dont on écrit l’histoire, et à mes yeux, quel que soit l’auteur ou la période évoquée, dans le cas présent cette phase de la décolonisation :

      «  Restait à gagner le contrôle de l’histoire de la nuit du 19 au 20 août 1960. Les deux camps – depuis longtemps ardents partisans de la fédération – avaient fait entorse aux principes fondamentaux du gouvernement fédéral. Keita avait tenté  un coup de palais, violant les normes de l’équilibre et de la consultation sur lesquelles reposait la fédération : Dia et Senghor avaient fait sécession de la Fédération. Keita fut confiné quelques jours dans sa résidence puis rumina ses griefs contre la France qui n’était pas intervenue pour préserver la Fédération.

     Senghor avait une bonne histoire à raconter, et il la raconta bien. Dès le 23, il donna une conférence de presse dont le texte fut rapidement imprimé et distribué par le gouvernement du Sénégal. Il y affirmait que la différence entre les deux pays était moins d’idéologie que de « méthode ». Les méthodes soudanaises étaient « plus totalitaires ». Les Soudanais voulaient un « un Etat unitaire ». Le Sénégal voulait un  régime démocratique, le Soudan, non….. Le pire était « l’intrusion » de Modibo Keita dans les affaires intérieures de la République du Sénégal » (p,420)

     « Coup de palais » ou coup d’Etat ?

       Le Sénégal ne mit pas beaucoup de temps pour suivre le chemin politique du Mali.

       Il convient de noter, comme le souligne l’auteur, que les circonvolutions politiques et juridiques qui affectèrent les relations entre la France et les nouveaux Etats ne firent pas l’objet d’un processus constitutionnel, comme  cela aurait pu et dû être le cas, mais d’un processus législatif.

      L’auteur décrit les causes d’un échec qui étaient largement inscrites dans l’histoire de ces pays et dans la complexité des revendications africaines portant sur des sujets aussi variés que la souveraineté, la nation (« où se situaient la nation et la souveraineté » (p,426), le lien fédéral ou confédéral, la citoyenneté, avec le surgissement, presque à chaque phase du débat, de l’absence de l’état civil, de la place des statuts personnels auxquels même Dia, était attaché, de la polygamie, et cerise sur la gâteau, l’accusation d’une « sénégalité » dominante dans tous ces dossiers.

         A titre d’exemple : «  La loi sur la nationalité supposait ce dont Senghor et Dia avaient longtemps dit qu’ils n’en voulaient pas : la « sénégalité ». Le gouvernement s’arrogeait le droit de décider qui, en corps et en esprit, était réellement sénégalais. La sénégalité fut accessible, du moins pour un temps, aux habitants des pays limitrophes. En raison des insuffisances de l’état civil…

        Cette méconnaissance du Sénégal à l’égard des personnes vivant sur son territoire en 1961 n’est pas sans rappeler l’incapacité dans laquelle le gouvernement français pour mettre en place un état civil efficace. L’Etat sénégalais pourrait-il faire mieux ? Il essaya. » (p,430)

        A la différence près que le gouvernement français avait buté sur l’obstacle infranchissable des statuts personnels !

Jean Pierre Renaud

Tous droits réservés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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5 octobre 2015 1 05 /10 /octobre /2015 08:40
 « Le 18ème Rendez-Vous de l’Histoire » Blois 2015 »
« Les EMPIRES »
Exit le « colonialisme » ?

 

            Les lecteurs de ce blog ont eu de multiples occasions de fréquenter mes chroniques consacrées au thème des empires, notamment coloniaux,  tout particulièrement anglais et français des 19° et 20°siècles.

            A lire le programme de ces nouveaux rendez-vous, publié par le journal Le Monde,  son contenu appelle l’attention sur au moins deux points intéressants :

            1 - Le thème des empires coloniaux a quasiment disparu, et c’est sans doute le résultat du travail d’un des courants dominant actuellement le sujet.

          Les empires coloniaux des 19° et 20° siècles ne feraient tout simplement partie que de l’histoire globale des empires de la planète.

            2- L’histoire coloniale et postcoloniale française a quasiment disparu des écrans historiques de Blois.

           Aurait-t-elle perdu sa crédibilité, en tant que telle, au sein de la communauté internationale des historiens ?

            Ne s’agirait-il pas du simple constat que le regard des historiens coloniaux ou postcoloniaux  français est, et a été, le plus souvent par trop franco-français ?

Jean Pierre Renaud

Voir ma première lecture critique du livre « Les empires coloniaux » sous la direction de Pierre Sangaravelou du 12 février 2015

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3 octobre 2015 6 03 /10 /octobre /2015 14:22

Coupe du Monde de rugby 2015 en Angleterre

Sport et grande stratégie !

Dernier succès de l’équipe de France contre le Canada, bravo !

Le déroulement de ce match vivant et agréable pose à nouveau la question des stratégies et tactiques mises en œuvre sur le terrain du sport en regard des leçons de grande stratégie chères aux spécialistes.

Attaque directe ou indirecte ? Choc à la manière Clausewitz ou contournement à la manière Sun Tzu ?

Le dernier match a une nouvelle fois bien démontré, je crois, qu’un essai est souvent le résultat d’une feinte, d’un débordement par l’aile, ou d’un coup de pied aérien.

Alors pourquoi ces chocs de muscles, de jambes et de têtes, souvent du vrai catch ? Au risque de voir joueurs et public éprouver une sorte de plaisir ambigu, de nature presque physique ?

Ce type de combat sportif est d’autant plus surprenant dans un pays qui a donné naissance au rugby, mais qui a démontré, tout au long de son histoire, l’efficacité des stratégies indirectes !

Jean Pierre Renaud

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2 octobre 2015 5 02 /10 /octobre /2015 16:43
LA FNACA et les harkis : des questions dérangeantes !

              Dans son dernier numéro, le numéro 539, page 7, le « Seul journal des Anciens Combattants en Algérie - Maroc- Tunisie (1952-1962) » interviewe « Pierre Daum (écrivain) avec ce texte de présentation :

              « La plupart des harkis n’ont pas été massacrés et sont restés en Algérie où ils ont fait l’objet d’une relégation sociale qui les maintient aujourd’hui encore dans une situation sociale et économique très difficile… »

             Tous les anciens de la guerre d’Algérie savent que le massacre des harkis et des moghaznis après le cessez le feu en 1962 est une des pages noires de la fin du conflit, page noire aussi bien pour la France qui en a abandonné beaucoup, et pour l’Algérie qui en a laissé massacrer beaucoup !

             La publicité que donne le mensuel des Anciens d’Algérie à un ouvrage qui minimise, qu’on le veuille ou non, les crimes commis à cette époque, sonne de façon tout à fait étrange, pour ne pas dire malsaine.

           S’agit-il du travail d’un historien ? Qui le dira ? Est-ce le rôle du mensuel en question de rouvrir ce dossier douloureux ? Je dis non.

             Cet interview pourrait laisser entendre que la FNACA, en accord avec cet auteur, estimerait qu’il vaut mieux une mort sociale et civile qu’une vraie mort, dans la chaine des massacres qui ont eu lieu alors en Algérie ?

          Enfin, en quoi la FNACA s’honore-t-elle de faire la courte échelle à ce type d’« écriture » ?

             Jean Pierre Renaud, ancien officier SAS du « contingent » en Algérie (Soummam- années 1959-1960)

           PS : avec l’espoir de recruter de nouveaux adhérents ?

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