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12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 10:01

Chapitre 9

 

Le ça colonial ! L’inconscient collectif !

Freud au cœur de l’histoire coloniale

Avec l’Algérie, l’Alpha et l’Omega de la même histoire coloniale !

 

1

 

            Il est tout à fait étrange de voir des historiens, normalement adeptes du doute, de la méthode scientifique de reconnaissance des faits, des dates, des preuves, s’adonner, ou s’abandonner aux délices, ou aux délires, de l’inconscient, le ça du célèbre docteur Freud.

            Car les chiens de l’inconscient ont été lâchés dans l’histoire coloniale !

 

            Nous sommes arrivés presque au terme de l’analyse et de la contestation du discours de ce collectif de chercheurs et nous espérons que le lecteur aura eu le courage d’en suivre les péripéties au fil des chapitres qui avaient l’ambition d’examiner, un par un, les grands supports d’une culture coloniale posée comme postulat, et d’apprécier le bien fondé de la démonstration historique qui leur était proposée. Au risque d’avoir très souvent éprouvé une grande perplexité devant le flot des mots, des approximations, et des sentences historiques

 

            Notre conclusion est que cette démonstration n’a pas été faite, et reste éventuellement à faire. Ce n’est pas en invoquant à tout bout de champ le refoulement, les stéréotypes, l’imaginaire et l’inconscient collectif, les imprégnations, les schèmes, les fantasmes, les traces et les réminiscences, et bien sûr l’impensé, que leur discours trouve un véritable fondement scientifique.

 

            L’inconscient collectif est incontestablement un concept à la mode, avec d’autant plus de succès que personne ne sait exactement ce que c’est !

            Il est vrai qu’au Colloque de janvier 1993, sur le thème Images et Colonies, l’historienne Coquery-Vidrovitch avait fait une communication intitulée Apogée et crise coloniales et fait remarquer que pour des raisons personnelles, elle n’avait pas eu envie de venir à ce colloque, indiquant : « Pour comprendre un réflexe de ce type, il faut faire la psychanalyse de l’historien » (C/30).

Confidence d’une historienne confirmée confrontée par son passé à ce type de question.

            Nous proposons donc au lecteur de faire un voyage initiatique dans le labyrinthe du nouveau Minotaure colonial, en quête d’un des dieux de l’Olympe ou de Delphes, d’un papa Lemba du culte Vaudou, ou encore d’une nouvelle pierre philosophale de l’histoire, qui va transformer l’inconscient collectif en histoire. Et pour ce faire, et pour doper sa quête de l’inconscient colonial, qu’il n’hésite donc pas à faire appel aux racines hallucinatoires de l’iboga gabonaise.

            Ou encore à s’immerger dans le grand secret des familles coloniales, théorie psychologique et psychanalytique à la mode, puisqu’au même colloque, un historien distingué n’a pas hésité à appeler la génétique à l’aide de sa démonstration.

            On voit déjà que certains historiens, chevronnés et réputés, avaient ouvert une belle boite de Pandore au profit de jeunes chercheurs, sans doute émoustillés par la nouveauté, comme par du champagne, et à l’affût de trésors éditoriaux.

 

            Le discours du collectif de chercheurs sur le ça colonial.

            L’ensemble des livres rédigés par le collectif de chercheurs fait constamment appel à l’inconscient.

            Dans le livre Culture coloniale, et dès l’introduction, les auteurs écrivent : « comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir, sans même l’anticiper. Non pas coloniaux au sens d’acteurs de la colonisation ou de fervents soutiens du colonialisme, mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel. »(CC/8)

            « L’école républicaine joue ainsi un rôle majeur en ancrant profondément dans les consciences la certitude de la supériorité du système colonial français… le bain colonial… »(CC/13)

            « Une culture au sens d’une imprégnation populaire et large. …une culture invisible. » (CC/15,16)

            « La colonisation « outre-mer » n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française, puis par héritage, à la république. « (CC/25,26)

 

            Après la fameuse et grande exposition de 1931 :

             « La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale et de cette puissance retrouvée grâce à l’empire » (CC/36)

            Le lecteur aura pu se rendre compte, notamment dans le chapitre consacré aux expositions coloniales, de la réalité de cette imprégnation, partie rapidement en fumée.

            « Les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française en ce sens qu’elles renforcent, légitiment et alimentent le régime dans sa dynamique interne. »(CC/39)

            « Une culture coloniale encore rémanente plus de quarante après les indépendances dans la France du XXIème siècle. » (CC/91)

            « Le discours fut véhiculé par des médias touchant des millions d’individus, permettant de répandre et d’enraciner le mythe d’une colonisation « bienfaisante et bienfaitrice » et surtout légitime, dans l’inconscient collectif. » (CC/143)

            « Dans le cadre d’une société française totalement imbibée de schèmes coloniaux. »(CC/160)

 

            Le livre suivant, Culture impériale (1931-1961), développe le même type d’explication.

            « Pour la grande majorité des Français de cette fin des années 1950, imbibés consciemment ou pas de culture impériale, le domaine colonial est effectivement une utopie parfaite. » (CI/26)

            Alors que nous avons vu qu’il en était très différemment dans le résultat des sondages d’opinion publique.

            « Ces éléments marquent sans aucun doute l’importance qu’a prise peu à peu l’Empire dans les consciences tout autant que dans l’inconscient français. » (CI/54)

            Sa force réelle (la propagande) réside alors dans la constitution véritable d’une culture impériale sans que les français en soient forcément pleinement conscients. C’est tout le succès de la propagande coloniale au cours de ces années qui parvient à banaliser le thème colonial. C’est bien le concept de colonisation « modérée » qui fut ancré par ce biais dans les esprits. (CI/57)

 

            Et pour couronner le tout des citations, et à propos des effets du scoutisme sur l’inconscient colonial des Français :

            « L’étude de ces deux médiations  singulières (qu’ont été l’école et l’action extrascolaire) permet, d’une part, de rendre compte de la complexité et de la profondeur de l’éducation à la chose coloniale à laquelle a été soumise la jeunesse durant l’entre-deux guerres ; d’autre part, d’approfondir la compréhension du jeu subtil qui s’instaure entre l’ordre de la transmission raisonnée des connaissances (dans l’institution scolaire), et celui de l’incorporation inconsciente des valeurs –(au sein des mouvements de jeunesse issus du scoutisme). »(CI/93,94)

 

            Cher lecteur, pour rien au monde, je n’aurais voulu vous priver de cette belle citation ! Car elle valait le détour littéraire ! Elle mériterait de figurer dans un livre des records de bêtise intellectuelle !

 

            Le livre La République coloniale s’inscrit dans la même démarche de pensée :

« Il existerait un impensé dans la République (RC/III). Notre rapport à l’Autre serait travaillé par le colonial (RC/21)

            « Nous avons donc choisi de revenir à l’héritage, de comprendre comment se construit la généalogie moderne de la république, et comment cette généalogie lie en profondeur lie l’héritage républicain à la dimension coloniale. » (RC/40)

            « Ces éléments nous conduisent à établir une généalogie républicaine de l’intrication national/colonial. »(RC/103)

            « La France s’est imprégnée en profondeur de l’idée coloniale (RC/108)…Lorsque l’on veut comprendre la profondeur de l’imprégnation sociale du colonial en France. » (RC/117)

            « Long serait le florilège de ce qui, dans les discours, poursuit de façon souterraine des régimes d’énonciation structurés durant la période coloniale. »(RC/144)

            « Car la France continue de se voir à travers l’impensé colonial. » (RC/150)

            « L’omniprésence souterraine de ce passé. »(RC/160)

 

            Alors un bon conseil : chers historiens ! Il vous faut aller consulter les psy !

 

            Le livre suivant, La Fracture coloniale, ne fait pas non plus dans le détail à ce sujet.

            Dans l’introduction, signée Bancel, Blanchard, Lemaire, les trois animateurs du collectif de chercheurs que nous incriminons, ils écrivent :

            « Une littérature récente a d’ailleurs montré que la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savant (ce que l’on nommera ici une culture coloniale), dans les discours et la culture politique, le droit ou les formes de gouvernance. Il est par ailleurs légitime d’excéder les chronologies politiques qui rythment notre appréhension de la période coloniale : il serait trop simple de croire que les effets de la colonisation ont pu être abolis en 1962, après la fin de la guerre d’Algérie marquant celle de l’Empire français. Dans tous les domaines que l’on vient d’évoquer – représentations de l’Autre, culture politique, relations intercommunautaires, relations internationales, politique d’immigration, imaginaire …- ces effets se font toujours sentir aujourd’hui. » (FC/13,14)

            Le problème est que les trois auteurs renvoient dans la note 15, évidemment à leurs livres, c'est-à-dire ceux qui ont fait l’objet de notre analyse critique.

            Comment appeler en bonne logique ce type de raisonnement, sinon un cercle vicieux. ?

            Plus loin, les historiens Bancel et Blanchard écrivent :

            « Incontestablement, la République a contribué à forger politiquement les archétypes relatifs aux populations coloniales, en légitimant sur la longue durée leur subordination – le Code de l’indigénat étant la plus évidente expression de cette domination légalisée sous cette forme à partir de 1881 –selon un principe originellement racial, jusqu’à inventer culturellement l’ « homme/non homme » et le « citoyen/non citoyen » qu’est l’indigène. (FC/41)

            Est-ce que ces deux historiens croient et peuvent apporter la preuve historique que les Français, mis à part quelques spécialistes et une minorité de Français expatriés, aient jamais connu l’existence  du fameux code ?

 

            Mais le pire est encore à venir, lorsqu’on lit que « la mesure des discriminations et des vexations qu’ils subissent se trouve dans leur corps, que les réminiscences restent palpables, et que le déni du droit et les discriminations qu’ils subissent comme la persistance d’une figure de l’indigène logée dans leur corps. » (FC/200)

 

            Une histoire donc en mal d’exorcisme ou de recette fétichiste capable de faire sortir du corps le mauvais esprit !

            Le même auteur, sociologue, n’hésite pas à écrire que les femmes indigènes ont eu à subir une double oppression qui ne fut jamais dénoncée, et que l’érotisation et la prédation sexuelle accompagnèrent toute l’histoire coloniale, en ce qui concerne les deux sexes pour faire bonne mesure. (FC/202) Est-ce que cet auteur a jamais fréquenté des récits d’explorateurs, pas uniquement colonialistes, ou des analyses des sociétés et des cultures africaines rencontrées ?

            Je renverrais volontiers l’auteur à la réflexion du début, celle de l’historienne Coquery-Vidrovitch quant à l’opportunité, dans le cas présent, d’une psychanalyse, et à une invitation à mieux connaître la condition de la femme dans certaines cultures maghrébines ou africaines.

            Mais le pire est encore à venir dans un propos d’un jeune de banlieue, rapporté par un autre sociologue :

« Quand j’étais dans les couilles de mon père, j’entendais déjà ces mots. « (FC/215) C'est-à-dire les mots de République, citoyen ou intégration.

            Comme quoi, la généalogie coloniale fonctionne effectivement !

 

Les sources historiques du ça colonial

            Et pour cela, il nous faut revenir au fameux Colloque de janvier 1993 dont le thème était Images et Colonies. Ce colloque savant a ouvert la boite de Pandore du ça colonial, ainsi que celle des envolées éditoriales que nous connaissons.

            Le ton est donné dès l’introduction aux Actes de ce colloque (Blanchard et Chatelier) :

            « Ce qui frappe, après un période de refoulement du passé colonial, c’est le retour ces dernières années à l’exotisme. » (C/11)

            « Mais surtout, il faut maintenant exploiter les images, non comme simple illustration de la période coloniale, mais bien comme une représentation. Car l’image est, comme il a été montré au cours du colloque, un élément important de la diffusion de l’idéologie coloniale en France au XXème siècle. Elle fut l’allié puissant du colonialisme…Aujourd’hui encore elle est présente, comme par exemple dans le numéro spécial de mars 1993 « Faut-il avoir peur des Noirs ? » de la revue Max…

            Ces représentations, véhiculées par une multitude de supports, se sont immiscées tant dans la vie quotidienne que dans la vie publique. Leurs influences nous semblent prépondérantes, puisque la grande majorité des Français n’a connu le fait colonial et le colonisé que par le prisme déformant de ces images. » (C/12)

            « Cette multiplication d’images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial. » (C/14)

            « Il semble que ces images soient devenues des « réalités » pour une majorité de Français, qui ne se doutent pas de leur véracité. » (C/15)

 

            La synthèse de la partie Mythes, Réalités et Discours, reprend brièvement les évocations et invocations d’un inconscient auxquelles se sont livrés quelques uns des hommes et femmes de science participant à ce colloque.

            Tout d’abord celle déjà citée de l’historienne Coquery-Vidrovitch. Dans sa communication Apogée et crise coloniale, elle déclare :

            « C’est d’ailleurs pourquoi je ne présenterai pas d’images. Comment s’est constituée cette collection d’images, souvent très belles, qui n’en sont pas moins des stéréotypes qui ont marqué de leurs préjugés l’imaginaire français ? » (C/27)

            A propos de l’exposition de 1931 :

            « Il s’agit de la naissance volontaire et inconsciente mais définitive de stéréotypes coloniaux qui sont construits et systématisés. » (C/29)

            Et d’évoquer le rôle du Petit Lavisse et d’écrire : « Cette iconographie a eu la vie longue, et combien d’adultes d’aujourd’hui la portent-ils encore en eux. » (C/30)

            Est-ce qu’à part son cas personnel, l’historienne a apporté la moindre preuve de ce propos ? Non ! Alors que cette historienne s’est illustrée, tout au long de sa carrière, par des travaux historiques très sérieux, en apportant une contribution importante à l’historiographie coloniale française.

            « Auraient-elles disparu d’ailleurs, les images n’en demeurent pas moins dans les esprits qu’elles ont contribué à façonner. » (C/31)

            « Les images vont nous apprendre énormément sur l’idéologie coloniale française, mais peut être plus encore sur l’image que nous portons, consciemment ou inconsciemment, en nous. »

            L’historienne Rey-Goldzeiger, (Aux origines de la guerre d’Algérie-2002 - Le Royaume Arabe- Politique algérienne de Napoléon III-1977) écrivait :

            « A partir de 1918 l’image du Maghrébin et du pays se modifie et va définitivement amener les stéréotypes maghrébins dans le conscient et plus grave, dans l’inconscient collectif. Pourquoi et comment ? » (C/37)

            Et dans le passage l’Impact de l’image, l’historienne de noter que :

             « L’étude en est beaucoup plus difficile et demande une recherche méthodologique nouvelle. Car la perception ne suffit pas pour faire entrer l’image dans le champ du conscient et de l’inconscient de ceux à qui elle est destinée. »

            Et de philosopher sur le déroulement du temps à propos de l’intrusion de plus en plus prégnante de l’image dans le domaine idéologique :

            « Les événements vont vite dans le temps court cher à Braudel, la conscience est plus lente et se situe dans le temps moyen ; quant à l’inconscient, il suit le temps long. Entre ces trois temps, il y a décalages. »(C/38)

            Les temps longs de l’histoire relèvent-ils du domaine de l’inconscient ? Est-ce qu’il ne faut pas manifester une certaine inconscience pour énoncer ce type de propositions ? S’agit-il d’histoire, de littérature, de psychologie, de psychanalyse, ou encore de philosophie ?

            Et de rattacher ses réflexions à la guerre d’Algérie, et à la difficulté que la France a rencontrée pour aboutir à une paix négociée en raison d’un décalage : « Question de décalage de temps ! »(C/38)

            Ou tout simplement en raison du décalage qui a toujours existé entre les ambitions de la France officielle, celle des pouvoirs établis, obnubilés de grandeur, toujours la grandeur, et toujours l’aveuglement, et celles du peuple français.

            Et plus loin : « Aussi l’image se fait vie et va alimenter jusqu’à l’inconscient qui s’appuie sur une symbolique de virilité, de chasse, et d’érotisme. »(C/39)

            « En quelques années, la conscience française, ainsi préparée est capable de percevoir l’image de la colonisation française, miracle qui a créé le Maghreb et le Maghrébin, d’intégrer à sa conscience la notion de supériorité de la civilisation française qui fait le bonheur des autres, de faire passer dans l’inconscient toute la puissance des mythes, qui bloque les actions rationnelles pour donner l’avantage à la passion. » (C/40)

            J’avoue que je n’avais jamais trouvé, jusque là, une explication du drame algérien par le rôle de l’inconscient colonial. Et d’expérience concrète de la guerre d’Algérie, j’ai souvent rencontré des soldats du contingent qui répugnaient, en toute conscience, à faire la guerre que la France officielle, celle des pouvoirs constitués légitimes, leur faisait faire, et qui n’était ni la leur, ni en définitive celle du peuple français. A l’expérience de leur épreuve, l’Algérie française n’était qu’un mythe, le contraire de celui que diffusait la propagande, mais malheureusement, il y vivait plus d’un million de Français.

 

            Continuons l’inventaire avec la communication de l’historien Meynier.

            Le titre de sa contribution a le mérite de la clarté en affichant : Volonté de propagande ou inconscient affiché ? Images et imaginaires coloniaux français dans l’entre-deux-guerres

            L’historien établit un constat qui ne va pas dans le sens des analyses de notre collectif, comme nous l’avons déjà noté, mais il pose la question :

            « Compte tenu de ce constat et des images officielles propagées, comment réagissent les Français ? Quels sont les référents inconscients qui se trouvent à l’arrière-plan lorsque l’on évoque les colonies

            Imaginaire colonial et inconscient colonial

            Inconscient français et mythes coloniaux : salvation et sécurisation. » (C/45)

            L’auteur n’hésite pas à rapprocher le mythe de Jeanne d’Arc à celui de Lyautey, ce qui est plutôt très hardi.

 

            Et dans sa conclusion :

            « Le Centenaire de l’Algérie française et l’Exposition coloniale de Vincennes confortent les stéréotypes que le discours savant lui-même avalise et pérennise. Le drame est que ces images des colonies, répondant prioritairement à un inconscient français prioritairement hexagonal, sont émises au moment même des prodromes de la « décolonisation ».

            Quoiqu’il en soit, l’imaginaire même de la France coloniale et impériale ramène d’abord au pré carré français et doit très peu au grand large. » (C/48)

            Alors cher lecteur, si on y trouve les concepts de stéréotypes, d’inconscient français et d’imaginaire, incursion scientifique plutôt surprenante de la part de l’historien, elle concerne beaucoup plus l’inconscient français, prioritairement hexagonal,  que l’inconscient colonial.

            Les conclusions de ce colloque étaient ambiguës, et ne pouvaient éviter de l’être, compte tenu de l’impasse faite sur les questions préalables de méthode, sur lesquelles nous reviendrons dans les conclusions.

            Il faut avancer dans la maîtrise de la méthodologie de lecture de l’image, qui est à la fois représentation figurative et forme de discours. D’une manière générale, peu d’historiens ont écrit sur les méthodes d’analyse et d’interprétation de l’image. Comme l’a montré Jean Devisse, il reste énormément à faire : ouvrir le chantier de la méthode mais également celui de la constitution d’un corpus. » (C/148)

            On peut effectivement se poser la question de la validité scientifique du corpus, car nous avons vu que son élaboration souffrait d’une grave carence d’évaluation quantitative  et qualitative, mais aussi de la capacité de la discipline historique à interpréter une image historique, sans faire appel au sémiologue.

 

            Ce qui n’empêcha pas les auteurs de la conclusion d’écrire :

            « La réflexion entamée  par ce colloque a soulevé davantage de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Elle doit donc se poursuivre par un débat international dont l’objectif n’est rien moins que, aussi bien dans l’Europe colonisatrice que dans ses anciennes colonies, la déconstruction d’un imaginaire que ces images, pendant des décennies, ont contribué à édifier. « (C/148)

 

            Il faut donc tout à la fois, ouvrir le chantier de la méthode, mais aussi chercher à déconstruire l’imaginaire édifié pendant des décennies !

            Tout cela est-il bien sérieux ?

            Le collectif de chercheurs dont nous avons dénoncé le discours s’est engouffré dans les voies obscures de l’inconscient collectif encensé par des historiens confirmés et aussi dans celles d’une célébrité médiatique provisoire.

 

            Il est tout de même difficile de fonder une interprétation de notre histoire coloniale, pour le passé et pour le présent de la France, sur le fameux ça, avec en arrière-plan l’obsession permanente de l’Algérie.

            Comment laisser croire aux Français qu’ils sont imbibés de culture coloniale, alors qu’elle leur a été étrangère, même au temps béni des colonies ?

 

Page 246 du livre

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12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 09:46

 

II    - LES SONDAGES- page 222 du livre

 

 

 

L’enquête de Toulouse

         Dans sa thèse de la Sorbonne (1994), l’historien Blanchard avait œuvre novatrice en réalisant un sondage  auprès de personnes âgées de plus 65 ans résidant dans le sud-est (750 questionnaires et 452 réponses reçues, sous le titre « Etude sur l’opinion publique, la presse et l’entreprise coloniale de la France au cours de la période de l’entre-deux guerres. »

            Enquête réalisée de septembre 1990 à novembre 1990

            Je laisse le soin aux statisticiens de juger de la qualité de ce sondage et des enseignements qu’il est possible d’en tirer, mais notons simplement qu’il a été réalisé sur un échantillon restreint à la fois sur le plan géographique et sur le plan démographique, et qu’au surplus, comme l’a indiqué son auteur, les questionnaires étaient adressées à un public classé à droite.

            Comment était-il possible de cibler ce public ? Mystère. A partir d’un fichier de parti politique ?

            En tout état de cause, ce sondage partiel n’a qu’un caractère anecdotique, d’autant plus qu’il n’a pas été, à ma connaissance, avancé par l’historien comme un moyen historique de faire avancer la connaissance de la culture coloniale ou impériale.

            Il en a été tout différemment du sondage effectué en 2003, à Toulouse, avec le concours puissant, moral et financier d’institutions publiques.

            Ce sondage mérite d’être analysé de façon approfondie tant dans sa méthode que dans les enseignements qu’en ont tirés ses initiateurs.

            Le livre Culture Impériale annonçait la couleur à la page 30 :

            La question de la mémoire est au centre des enjeux de notre société contemporaine. On peut dès lors reprendre au compte de la mémoire coloniale ce qu’écrivait Henri Rousso dans son ouvrage sur la mémoire relative à la période de Vichy :

            Car le travail de mémoire, c'est-à-dire l’organisation des souvenirs et des outils, et la cohésion donnée a posteriori au passé, fonctionne dans un groupe politique comme à l’échelle des individus : il conditionne la préservation de l’identité. Sous la forme d’une tradition ou d’un mythe, la mémoire permet la transmission des valeurs aux nouvelles générations. Par ses oublis, ses refoulements, ses occultations, elle permet de résister au sentiment d’altérité du temps qui change, ou encore d’absorber et d’assumer non sans un coût parfois élevé, les traumatismes vécus, subis ou infligés (24)

            Et dans la note de bas de page (24), les auteurs d’écrire :

            C’est l’une des conclusions majeures d’une étude réalisée tout au long de l’année 2003 dans la ville de Toulouse, dont les conclusions vont être publiées en 2004, sous le titre Mémoire de l’immigration, mémoire coloniale, mémoire urbaine, dans le cadre du programme interministériel Cultures, villes et dynamiques sociales (sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Emmanuelle Collignon et Sandrine Lemaire.(CI/p.30,31)

            Le livre Fracture Coloniale répète le message précédent (p.12) :

            L’idée de cet ouvrage remonte à 2003, lors de l’élaboration d’une enquête menée à Toulouse, portant sur les mémoires coloniales et de l’immigration. Ses résultats témoignent de manière incontestable de la vivacité des mémoires coloniales...

            Nous y sommes donc ! Dans les mémoires et non dans l’histoire, et avec l’affirmation de manière incontestable de la vitalité des mémoires coloniales. Et avec un rapprochement singulier entre Vichy et notre histoire coloniale !

            Et dans le même livre, dans la contribution intitulée Les enseignements de l’étude conduite à Toulouse sur la mémoire coloniale, les mêmes chercheurs écrivaient :

            En 2003, pour mener une étude sur l’état de l’opinion en France concernant les indices et la réalité de la « fracture coloniale », nous avons choisi une ville et sa périphérie – Toulouse- a priori « neutres » par rapport aux questions qui occupent le cœur de cet( ouvrage dans la ville rose, l’histoire coloniale n’a été ni omniprésente (à la différence de villes comme Bordeaux ou Marseille), ni absente (présence de troupes coloniales pendant les deux guerres mondiales et des rapatriés. (FC/247)

            Le lecteur aura noté qu’il s’agissait de mener une étude sur l’état de l’opinion en France, ce qui veut dire avec le postulat que l’étude est représentative de l’opinion publique en France.

            Est parue en janvier 2005, une autre synthèse de l’étude sous le timbre ACHAC, qui rappelle tout d’abord les objectifs et la méthodologie de l’étude :

            Nous avons souhaité, en premier lieu, dans l’étude que nous avons mise en œuvre et imaginée début 2002, mesurer les liens complexes entre l’histoire d’une partie de l’immigration et les permanences culturelles qui dominent toujours (ou non) la société française, que l’on pourrait appréhender ici comme une société postcoloniale : L’enjeu de cette étude réalisée au second semestre 2003 et analysée en 2004 - est donc non seulement de revenir sur le passé colonial de la France (en choisissant volontairement une ville « neutre de ce point de vue)- en explorant particulièrement la formation d’une culture coloniale en métropole -mais aussi de chercher à comprendre les enjeux contemporains qui nous ont été légués par la colonisation ? A savoir principalement les représentations collectives qui semblent structurer l’appréhension des populations ex-colonisées (comme des ex-espaces coloniaux tels l’Afrique noire, l’ex-Indochine ou le Maghreb), mais aussi les représentations des acteurs issus de l’immigration ex-coloniale ; enfin, de s’interroger collectivement sur les rapports intercommunautaires contemporains en tentant de les éclairer par cette période, par hypothèse fondatrice des rapports entre les français et les populations ex-coloniales.

            Notre démarche au sein de cette approche, s’appuie sur cinq hypothèses de départ : La mémoire sur la colonisation est faiblement structurée et l’insuffisance de son enseignement à l’école, son faible rayonnement médiatique et l’absence d’une politique patrimoniale depuis deux générations peuvent en être des raisons concrètes. L’appréciation de la colonisation reste un sujet très peu exploré. Nous postulions au départ que celle-ci devait être répartie entre « pro » et « anti » à peu près équitablement. Les liens entre colonisation et problèmes contemporains (les relations intercommunautaires notamment)) ont peu de chances d’être clairement identifiés par les acteurs et l’opinion publique ? L’intérêt que suscite la colonisation et la demande sociale concernant une meilleure connaissance de cette période sont probablement faibles et très localisés socialement. A priori, les mémoires collectives développées par les acteurs ayant été directement au contact du phénomène, ou l’ayant été par transmission d’une mémoire familiale, devraient être plus informés et plus sensibles à la période coloniale comme à ses conséquences contemporaines.

            L’objectif de l’étude était donc de revenir sur le passé colonial de la France, en explorant particulièrement la formation d’une culture coloniale en métropole, mais aussi de chercher à comprendre les enjeux contemporains qui nous ont été légués par la colonisation. A savoir les représentations collectives qui semblent structurer l’appréhension des populations ex-colonisées, mais aussi les représentations des acteurs issus de l’immigration ex-coloniale ; et enfin de s’interroger collectivement sur les rapports  intercommunautaires contemporains en tentant de les éclairer par cette période, par hypothèse fondatrice des rapports entre les français et les populations ex-coloniales.

                  Donc vaste sujet et ambitieux sujet d’étude qui suscite ce notre part quelques questions de fond sur la légitimité intellectuelle de la démarche.

            1° S’agit-il d’une étude menée par des historiens compétents en matière d’interprétation des représentations collectives ou  par des politologues ?

            2° Comment poser dès le départ une hypothèse fondatrice des rapports entre les français et les populations ex-coloniales ? Et sur quel fondement scientifique ? Alors que l’expression populations ex-coloniales est au surplus confuse, car de quelles populations s’agit-il ? Des immigrés de quelles générations, de quelles origines, ou des peuples anciennement colonisés ? Ce qui n’est pas tout à fait la même chose !

            3° Comment admettre que ces objectifs d’étude soient fondés sur des postulats de départ qui n’ont jamais été démontrés ?

            4° Et pour compliquer encore plus les enjeux méthodologiques, cette démarche s’appuie sur cinq hypothèses supplémentaires de départ.

            On aurait pu faire plus simple et plus ouvert en questionnement pour répondre à la question simple à poser aux Français : que savez-vous de votre histoire coloniale au jour d’aujourd’hui ? Et à poser aussi aux Français d’origine « coloniale » : que savez-vous de votre histoire coloniale ?

            5° On ne parle plus des indices et de la réalité de la fracture coloniale.

            Et nous laisserons le soin aux statisticiens de métier de nous dire s’il est possible de considérer que les sondages effectués sont représentatifs de l’opinion publique française ou simplement toulousaine, ce que nous pensons en qualité de béotiens. Il semble difficile d’admettre que Toulouse soit une ville « neutre », alors qu’elle a accueilli sans doute  beaucoup plus d’immigrés, notamment d’Afrique du Nord que la plupart des autres grandes villes françaises. Comme le démontre d’ailleurs les résultats du sondage quant aux origines directes ou indirectes des personnes interrogées.

            Les auteurs de l’étude ont précisé : Les conclusions de notre étude sont, bien entendues, locales, mais la représentativité du panel retenu permet de poser des hypothèses à l’échelon national.

            Il n’empêche que le discours qu’ils tiennent à partir de cette étude va bien au-delà des hypothèses.

            Rappelons que l’enquête par questionnaire par quotas  a porté sur 400 personnes, et qu’une deuxième enquête dite personnes ressources a donné lieu à 68 entretiens, avec fourniture d’une mallette pédagogique ambitieuse, difficile à exploiter par les personnes ressources dans le délai de trois semaines qui leur était accordé. Relevons pour mémoire que cette mallette contenait quelques uns des ouvrages de référence du collectif. Les personnes ressources étant des enseignants ou des animateurs associatifs.

            Les résultats de cette étude sont intéressants, même s’ils ne répondent pas tout à fait aux attentes de ses responsables.

            La synthèse énonce les tendances fortes de l’étude :

            Faible connaissance historique : une colonisation… identifiée d’abord et surtout par le prisme de l’Algérie… cette confusion pratiquement automatique entre l’histoire coloniale, l’histoire de l’immigration et la guerre d’Algérie.

            Omniprésence de la guerre d’Algérie

            Absence de référents et mémoires bloquées : en ce qui concerne l’histoire de l’immigration, et dans l’approche des entretiens individuels.

            Quête de connaissance

            Perception de l’Autre et intégration : Les relations entre immigrés et Français sont majoritairement considérées comme négatives.

            Les auteurs en tirent la conclusion que l’histoire coloniale doit changer de statut : d’une histoire marginalisée, en faire une histoire pleinement nationale et assumée sans culpabiliser les individus, ni nécessairement stigmatiser les institutions, ni manipuler les mémoires.

            Et que la situation décrite à Toulouse caractérise une fracture de la mémoire.

            Le même collectif avait fait paraître dans le livre La Fracture coloniale une description détaillée de cette étude et livré les résultats détaillés dans deux annexes ;

            On y notait la présence massive de l’Algérie, alors que les questionnés ne situaient pas nettement la fin de la guerre d’Algérie, que moins de la moitié avait entendu parler de l’Exposition coloniale, ce qui ne les empêchait pas de porter un jugement négatif sur la période coloniale.

            Les auteurs écrivaient : on voit à travers ces résultats que la mémoire coloniale est intriquée à d’autres strates mémorielles qui lui donnent sa configuration particulière, ses aspérités contextuelles. (FC/289)

            Le lecteur aura apprécié la clarté du propos, alors que l’étude en question montre clairement que le fameux champ mémoriel, s’il existe, est hanté par l’Algérie, et plus précisément par la guerre d’Algérie.

            Ce qui n’est pas surprenant compte tenu de l’origine géographique des familles des personnes interrogées :

            Si l’on s’en tient aux seuls parents, 47,3% ont au moins un parent né hors de France. Et si l’on remonte d’une génération (parent ou grand parent né à l’étranger), ce pourcentage est porté à 60,2%, dont plus de la moitié ont des ascendants nés dans une ancienne colonie. La première est l’Algérie, ce qui s’explique historiquement : dans les années 1950, Toulouse a accueilli une immigration maghrébine importante et, à partir de 1962, elle a été aussi l’un des lieux d’accueil d’une population émigrée (ou rapatriée) après les accords d’Evian, « pieds-noirs », mais aussi harkis et juifs d’Algérie. (FC/264)

            Quel qu’ait pu être le sérieux de cette enquête, elle soulève beaucoup de questions, tout d’abord sur sa représentativité, car on a vu que l’échantillon représentait pour moins de la moitié des personnes, des Français sans lien de famille avec l’outre-mer, et plus précisément le Maghreb et l’Algérie. Il est évident que la structure démographique de la France est très différente. Il n’est donc pas surprenant que l’Algérie soit omniprésente, et que l’étude fasse ressortir La focalisation des mémoires sur l’Algérie (FC/248).

            Partant de là, la plupart des conclusions avancées sont fondées :   

            1° sur une confusion intellectuelle courante et permanente entre deux champs de l’histoire, l’histoire coloniale et l’histoire de l’Algérie, pour ne pas dire de la guerre d’Algérie, et entre mémoire et histoire.

            2° sur une carence d’un raisonnement qui se croit autorisé à généraliser une situation, un exemple, sans aucune justification logique.

            Les appréciations portées ne peuvent qu’être relativisées, d’autant plus qu’elles sont souvent très hardies dans leur expression : la métaphore d’une oppression subie aujourd’hui,... un continuum historique entre la période coloniale et aujourd’hui… l’ « ethnicisation des rapports sociaux » semble travaillée par un « retour du colonial »…

            Il n’en reste pas moins que, par rapport à ces pays, la France est clairement en retard dans l’entreprise de reconnaissance publique des « pages noires » de son histoire coloniale ou tout simplement d’une « neutralité historique » sur ce passé, ce qui est de plus en plus perçu comme un déni de mémoire.

            Ces analyses soulèvent donc beaucoup de questions sur la légitimité intellectuelle de ces recherches, sur les méthodes d’analyse, sur la logique historique mise en œuvre, et sur la déontologie de ce type de recherche et de résultats : s’agit-il d’histoire ou de mémoire ? S’agit-il d’histoire coloniale ou d’histoire algérienne ?

            Il est vrai que cette confusion entre l’histoire de l’Algérie et l’histoire des colonies est partagée par beaucoup de chercheurs qui souvent ignorent tout simplement notre histoire coloniale.

            Nous sommes projetés bien au-delà de la période coloniale, et l’étude de Toulouse ne permet pas d’apporter la démonstration qu’une culture coloniale ou impériale française ait été transmise à la France d’aujourd’hui, sauf à dire que l’Algérie est l’alpha et l’oméga de cette histoire, ce qui n’est pas vrai.

            Ce sondage soulève bien d’autres questions, notamment sur son principe : est-il normal que la puissance publique ne se donne pas les moyens de faire réaliser elle-même un sondage de cette nature, avec le concours d’un des grands instituts de sondage du pays, et sous le contrôle de l’Insee ?

            Cette carence est d’autant plus regrettable que les résultats d’un sondage non contrôlé et non validé nourrissent la fameuse querelle des mémoires, sinon la guerre des mémoires, titre d’un opuscule signé par l’historien Stora,  pour user d’une autre expression plus violente, avec des arguments que les auteurs de cette étude présentent comme des arguments scientifiques. De même qu’ils présentent leurs travaux de recherche comme autant de pièces à conviction historiques, en avançant toujours dans l’entre-deux de la mémoire et de l’histoire. Comme le fait l’historien Stora dans son opuscule.

            Ils donnent ainsi des aliments, des munitions pour nourrir cette soit disante guerre des mémoires, en faisant fi de l’histoire. Le moment ne serait-il pas venu de lancer une grande enquête exhaustive sur ces thèmes de culture coloniale, de mémoire coloniale,  afin d’évaluer et de mesurer enfin ce qu’il reste de la mémoire des colonies en France, avec ou sans l’Algérie qui occupe toujours toute la scène.

            Où se situe aujourd’hui l’Etat ? Au sein d’une association de chercheurs, celle de l’Achac ?

 

Et en contrepoint des sondages

         Le lecteur a déjà  eu connaissance des travaux de l’historien Bancel, et notamment de sa contribution Le bain colonial : aux sources de la culture coloniale populaire, parue dans Culture coloniale. Dans ce texte, il expose le rôle colonial du scoutisme :

            Ici c’est par la mise en mouvement du corps que s’établit souterrainement le rapport au colonial…Ici, c’est par la mise en mouvement  du corps que se trame l’incorporation des valeurs coloniales. Autre métadiscours donc, et qu’on aurait tort de négliger, car il participe pleinement à la construction de cette culture coloniale qui constitue l’un des traits dominants de l’entre-deux guerres. (CC/188,189)

            Cette citation est parue fort opportune, d’autant plus que dans le livre suivant Culture impériale, le même historien cite un sondage mystérieux très intéressant sur la mise en condition psychique des administrateurs coloniaux, cohorte dont je fis partie de façon très éphémère.

            Dans le texte intitulé Eduquer : comment devient-on « homo impérialis, (cosigné D.Denis),  les coauteurs écrivent :

            Un fait peut nous inciter à réfléchir : sur l’ensemble des administrateurs coloniaux ayant exercé après 1945 (soit lors d’une période où plus aucun mouvement scout ne fait de la défense de l’Empire une priorité politique), 63% d’entre eux sont passés par l’un ou l’autre des mouvements scouts au cours des années 1930. Cet indice rend crédible l’hypothèse d’« une mise en condition » psychique pour le colonial, à cette époque, par le jeu et le mouvement. (CI/103)

            Comment peut-on écrire une telle stupidité ? Ou pour parler plus clairement : ces gens là se foutent du monde ! Ils nous plongent dans le nec plus ultra de l’histoire farfelue.

            J’ai fait parvenir un courrier à l’éditeur pour les auteurs, en demandant qu’on me donne la source et la date de ce sondage farfelu, mais j’attends encore une réponse.

            Ce dernier épisode des sondages vaut incontestablement le détour historique !

 

Fin du Chapitre 8   - Page 233

 

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12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 09:31

LE LIVRE SUPERCHERIE COLONIALE

 

Chapitre 8

Le sondage comme mesure de la culture coloniale ou impériale

I Page 209 du livre

            Etrangement, le collectif des chercheurs, qui tiennent imperturbablement le discours que nous dénonçons, semble ignorer la question préalable de la mesure et de l’évaluation quantitative et qualitative, à la fois des supports de la culture dite coloniale ou impériale et de leurs effets au cours des époques étudiées entre le 19ème et le 20ème siècle, donc dans une chronologie déterminée.

            Car il ne suffit pas de projeter sur le passé ses fantasmes et ses partis pris idéologiques, ou pour faire plus simple, à pratiquer un anachronisme permanent, pour démontrer leur réalité, leur enracinement, un des mots de l’historienne Lemaire.

            Or nous avons vu que cette évaluation était quasiment absente pour tous les supports d’information et de culture qui ont fait l’objet d’un examen dans les chapitres précédents consacrés aux livres scolaires, à la presse, aux expositions, aux cartes postales, au cinéma, et aux affiches.

            Cette carence est d’autant plus manifeste qu’avant l’existence de sondages d’opinion publique, les premiers datant de 1938, on ne peut avoir une idée de l’importance et des effets possibles d’une information, publicité, ou propagande coloniale, qu’en exploitant systématiquement la presse, nationale et provinciale, seul vecteur accessible et mesurable dans ses pages ou colonnes, en ne se contentant pas de limiter l’exercice au parcours d’une presse du midi de la France et dans l’espace de temps des années 1930 à 1945 (cf.thèse Blanchard).

            Nous avons vu qu’un seul exercice statistique sérieux de ce type avait été effectué avec le journal Ouest Eclair pour les années 1936-1939, et que cet exercice n’avait pas été fait à l’initiative de ce collectif. Il est possible que d’autres exercices de ce genre aient été réalisés dans d’autres facultés et soient encore ignorés.

            Ces chercheurs ont été d’une grande discrétion sur les quelques sondages faits avant 1939, et sur les nombreux sondages réalisés après 1945.

            L’historienne Lemaire n’a pas évoqué le sujet dans sa première contribution du livre Culture Coloniale, intitulée : Propager : l’Agence générale des Colonies (p.137), alors qu’elle a longuement analysé l’action de cette agence de propagande, en concluant ainsi son propos :

            Ainsi la légitimité de l’ordre colonial était parfaitement intériorisée. Elle se mesure encore actuellement à travers les mêmes images, les mêmes discours tenus sur des pays du « tiers monde » ou en « voie de développement » ou « les moins avancés ».(p.147)

            Une conclusion surprenante eu égard aux éléments d’analyse que nous avons fourni au lecteur, en lui rappelant que cette analyse fait référence à la période 1871-1931, et que cette agence de propagande, compte tenu de son organisation et de ses moyens, aurait fait des prodiges..

            Dans le chapitre précédent, le lecteur a pu mesurer la grande modicité de ses moyens comparativement à d’autres budgets.

            Dans le livre suivant, Culture Impériale, la même historienne a évoqué le sujet en recommandant de le traiter « avec « d’infimes précautions », sans doute un erratum pour « infinies », dans sa contribution intitulée : Promouvoir : fabriquer du colonial. (p.45).

            Mais sans faire référence explicitement aux travaux de l’historien Ch.R.Ageron sur les sondages d’opinion publique à l’égard des colonies, alors que le discours Lemaire sur la propagande coloniale de la République affirme à la fois son omniprésence et son influence sur la mentalité des Français, propagande qui aurait été organisée et menée, tout au long des années 30 particulièrement, de main de maître, sous l’égide de l’Agence générale des colonies, puis du Service Intercolonial d’information et de propagande, créé à l’initiative du Front Populaire.

            Il est peut être dommage que l’historienne n’ait pas pleinement utilisé les premiers sondages susceptibles de donner une mesure non idéologique des effets de la dite propagande, sondages réalisés en 1938 et 1939.

            Le même collectif de chercheurs s’est en revanche beaucoup attardé sur le sondage qui a été réalisé, sous son égide, dans l’agglomération de Toulouse, au cours de l’année 2003.

            Certains diront, il n’est jamais trop tard pour bien faire.

            Nous évoquerons donc successivement les travaux de Ch.R.Ageron et l’enquête de Toulouse, afin de savoir s’il est possible d’en tirer l’hypothèse qu’une culture coloniale ou impériale aurait existé, baigné les Français, juste avant la deuxième guerre mondiale, et dans les années qui l’ont suivi.

            Les travaux de cet historien sur l’opinion publique et les sondages ont fait l’objet d’une communication faite en 1984 au Colloque du CNRS Les prodromes de la décolonisation de l’empire français (1936-1984), communication intitulée  L’opinion publique face aux problèmes de l’Union Française, et d’un long article paru dans la Revue Française d’Outre-mer en 1990, article intitulé « Les colonies devant l’opinion publique française ((1919-1939). »

            Regrettons que le collectif de chercheurs ait ignoré ces deux contributions, de nature à enrichir, et sans doute nuancer, le discours que ce collectif a commencé à tenir quelques années plus tard, alors qu’il n’existait pas, faute de mieux, de meilleur instrument de mesure que le sondage pour évaluer l’engouement ou le désintérêt de l’opinion publique pour les colonies.

Un discours discret, tronqué, et ambigu sur les sondages

            En ce qui concerne les sondages antérieurs à 1940 :    

            Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’historienne Lemaire évoque le sujet dans la démonstration qu’elle tente de faire sur la propagande coloniale dans une contribution du livre Culture Impériale, intitulée Promouvoir : fabriquer du colonial (p.45).

            En conclusion de ce texte, elle écrit :

            Aussi, aux questions de savoir comment apprécier à partir de la presse, des débats parlementaires ou des élections- ce que pensaient réellement les Français sur l’Empire, ou tenter de mesurer ce qu’ils savaient, ce qu’ils ignoraient, on peut, avec d’infimes (sic) précautions, se servir notamment des sondages réalisés à l’époque. En les reprenant comme indicateurs de l’imprégnation de l’idée impériale en métropole, nous savons qu’à la question posée par l’IFOP à la fin de décembre 1938 : « Pensez–vous que la France doit rendre à l’Allemagne les colonies qui nous ont été confiées par la SDN ? » 70% des Français interrogées répondirent non, 22% oui, 8% ne se prononçant pas. Ces chiffres révèlent un changement d’opinion au cours de cette année 1938, en raisons d’une propagande qui a exploité la menace qui pesait sur l’Empire…. Cela reflète les positions du Parlement et du Sénat, le gouvernement déclarant préférer un « conflit armé » que de céder un « pouce de l’Empire »

            Ce sentiment est alors partagé par 53% des Français qui, lors d’un sondage de l’IFOP en février 1939, déclarent que « céder un morceau de notre Empire colonial est aussi pénible que de devoir céder un morceau du territoire national ». Un tel discours aurait été impensable un quart de siècle plus tôt. Mais en réalité, malgré cette réelle évolution, ce dernier sondage montre clairement que les Français attendaient plus de l’Empire qu’ils n’étaient prêts à lui sacrifier. Ainsi, le soutien de la France d’outre-mer était bien ancré dans les esprits. (p.58)

            Notre premier commentaire : remarques pertinentes sur la méthode, en début de propos, au sujet du problème posé par l’évaluation de l’état de l’opinion en matière coloniale, mais pourquoi ne pas en avoir tiré profit dans son analyse de la propagande coloniale et de ses effets, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent. Ce qu’elle n’a pas fait !

            L’historienne s’est abstenue, d’autre part, de citer le sondage d’octobre 1938, dont les résultats étaient assez différents, puisqu’à la question : «  Pensez-vous qu’il faut donner des colonies à l’Allemagne ? » 59% des Français interrogés avaient répondu oui, 33% non, 8% ne sachant pas.

            Donc 33% non, au lieu de 70% !

            En ce qui concerne le sondage de février 1939, il est dommage également  que l’historienne n’ait pas donné les résultats de la première question qui étaient assez différents.

            A la question posée aux Français de savoir « s’ils sont décidés à se battre plutôt que de céder la moindre partie de nos possessions coloniales », 44% répondirent non, 40% oui, 16% ne sachant pas.

            L’historien Ageron concluait au sujet des Français: Au moins ils sont perplexes, car ces majorités sont peu nettes.  (p.70,RFOM)

            Ce que l’on peut dire c’est que l’opinion publique était très partagée, volatile, et qu’elle était beaucoup plus soumise à l’évolution des tensions internationales, à l’approche de la deuxième guerre mondiale qu’à des convictions coloniales solidement ancrées… dans les consciences (CI/p.59).

            Il semblerait donc que l’évolution de l’opinion ait plus suivi celle de la situation internationale et de ses menaces de guerre que celle d’une propagande coloniale plus efficace.

            L’historien Ageron cite un autre sondage qui n’a pas été effectué dans les règles de l’art, mais dont les enseignements sont très intéressants, compte tenu de la couleur politique du journal et du chiffre important de lecteurs qui ont manifesté leur opinion. (RFHOM-286-p,66)

            En décembre 1936, en pleine période du Front Populaire, alors que le ministre socialiste des colonies, Marius Moutet tentait de redonner du tonus à la propagande coloniale, l’Oeuvre, journal radical de gauche, fit un sondage auprès de ses lecteurs. A la question : « Faut-il céder des colonies à l’Allemagne ? » 43% étaient prêts à céder des colonies à l’Allemagne, alors que 57% s’y refusaient. 182 555 lecteurs avaient répondu, un chiffre considérable. En 1939, l’Oeuvre tirait à 236 045 exemplaires.

            L’opinion des lecteurs était donc loin d’être unanime sur les colonies, en accord avec les résultats du sondage d’octobre 1938 cité plus haut, presque deux ans plus tard.

            Le sondage de février 1939 montrait que les convictions coloniales des Français étaient loin d’être  « ancrées », alors que le gouvernement effectuait en effet le forcing de la propagande de l’Empire, présenté comme le dernier recours de la France en cas de guerre.

            Dans sa contribution d’Images et Colonies, intitulée L’Empire et ses mythes (101,IC), l’historien Ageron écrivait au sujet des deux sondages d’octobre 1938 et février 1939 :

            On en déduira donc, pour employer le langage des coloniaux, qu’en février 1939 un Français sur deux avait accédé à la conscience impériale. En revanche deux Français sur cinq (43%) se refusaient à considérer que « l’Empire c’était la France »(103,IC)

            Et dans sa conclusion :

            A la veille de la Seconde Guerre mondiale, un seul thème du mythe impérial devenait obsessionnel : l’Empire par sa puissance économique et militaire garantira la sécurité de la France…

            L’Empire devint « la dernière carte de la France », le suprême recours, et beaucoup de Français naguère indifférents ou sceptiques se persuadèrent que l’Empire restait la seule porte ouverte sur l’avenir. (IC/109)

.           Sondages ou pas, l’historienne Lemaire n’hésite pas à conclure :

            La propagande, par une variété de supports inédite, a donc parfaitement atteint ses buts. Le masque posé sur la réalité coloniale fut dès lors efficace, les témoignages de cette réussite pouvant se lire dans les permanences de l’écran propagandiste qui s’exprime, entre autres, dans la vision contemporaine de l’ex-Empire colonial français et qui continuent d’abreuver en mythologies les discours nostalgiques les plus divers. (IC/59)

            Rien de moins ! Le verbe mythique qui nous abreuve encore ! Il ne manquerait plus, pour que le tableau soit complet, d’invoquer les figures imposées du révisionnisme historique et de la filiation supposée entre histoire coloniale et crise des banlieues !

            En conclusion, l’existence de ces premiers sondages d’opinion réalisés sur l’état de l’opinion par rapport à l’Empire colonial mérite effectivement d’être rappelée, même si leur signification est délicate à interpréter, tant l’évolution de l’opinion publique fluctuait avec l’évolution de la situation internationale. Il semble toutefois qu’ils marquent une réelle distance avec un Empire qui ne se trouvait pas en relation fusionnelle avec la nation française, comme ce collectif de chercheurs voudrait, à longueur de pages, le faire accroire.

            Et en définitive, ces sondages constituent quasiment la seule mesure des effets d’une propagande coloniale, qui tous supports confondus, aurait imprégné la nation française d’une supposée culture coloniale ou impériale.

            Le Colloque de 1993 avait également été discret sur les sondages ;

            Le conservateur Gervereau avait observé dans sa contribution sur l’affiche politique française :

            Aussi nous avons sondé la production commerciale pour comprendre quelles furent les premières représentations.  (C/1)

            Sans donner aucune autre précision de méthode.

            L’historien Rivet traitant des bâtisseurs d’Empire écrivait :

            Des sondages dans l’Illustration et le Monde colonial illustré durant l’entre deux guerres, et dans Paris Match après 1945, il ressort la place restreinte, secondaire des bâtisseurs d’Empire. C’est là une surprise pour le chercheur. (C/67)

            Sans donner aucune précision de méthode.

            En ce qui concerne les sondages postérieurs à 1945 :

            Le discours du collectif de chercheurs est encore plus incomplet et plus discret sur les sondages de cette période, alors qu’ils ont été nombreux, étudiés en détail par l’historien Ageron, afin de mesurer l’attachement des Français à l’Empire, et dès 1945, à l’Union Française. Car on aurait tort, comme on le fait trop souvent, de confondre l’Empire avec l’Union Française qui lui a succédé en 1945,  dans un état quasiment mort-né.

            Nous avons déjà souligné à ce sujet, que le titre Images d’Empire, d’un beau livre d’images, d’images qui à plus de 90% d’entre elles étaient postérieures à l’Empire, était trompeur.

            Evocation d’autant plus discrète qu’ils ont longuement traité et exploité les résultats du sondage que leur équipe a effectué en 2003, à Toulouse sur les mémoires urbaines, et tout particulièrement la mémoire coloniale. Sujet abondamment traité dans le livre La Fracture Coloniale (2005), sur lequel nous reviendrons plus loin.

            Le livre Culture Impériale fait allusion au seul sondage de 1949 :

            Un sondage réalisé en 1949 par l’INSEE auprès de mille bacheliers révélait que 85% d’entre eux estimaient que la France pouvait être « fière de son œuvre dans les pays français d’outre-mer »  et parmi les motifs les plus fréquemment invoqués pour cette prise de position la première place revenait à «  l’action sociale, civilisatrice, et culturelle. En outre 84% de ces lycéens pensaient que la France devait maintenir l’Union avec les territoires d’outre- mer, notamment pour des « raisons économiques et de défense nationale ».

            Notons simplement pour l’instant qu’il est difficile d’interpréter un état de l’opinion publique sans la mettre en rapport avec la situation nationale ou internationale, alors que le pays sortait à peine des convulsions de la guerre et que l’empire avait effectivement joué un rôle majeur dans son histoire.

            La contribution Blanchard Boëtsch du livre Images et Colonies, intitulée La Révolution Impériale, Apothéose coloniale et idéologie raciale livre un texte ambigu :

            L’effort de la guerre de l’Empire, qui vient de sauver la France, a sans aucun doute marqué les esprits. Mais très vite, les Français de métropole retrouvèrent leur indifférence d’avant-guerre pour cette Union française qui leur semble bien loin de leurs préoccupations du moment.

            Quand on interroge, dans les années 50 (il s’agit du sondage de 1949 cité dans Culture impériale !),  des jeunes bacheliers, ils sont près de 85% à se sentir fiers de l’oeuvre accomplie par la France « dans ses colonies ». De même au moment des indépendances, à la suite de ces milliers d’images qui formèrent une propagande incessante, beaucoup de métropolitains ne comprendront pas les revendications nationalistes dans les Territoires d’Outre-mer. (p.210)

            Commentaire étrange : 1) Les Français auraient donc été indifférents avant-guerre, alors que le discours de ce collectif de chercheurs nous répète à longueur de livres le contraire. 2) Pourquoi ne pas avoir parlé des autres sondages Ageron qui donnaient une appréciation plus juste de l’état et de l’évolution de l’opinion publique française sur les colonies ? 3) Enfin, juxtaposition surprenante entre ce sondage des jeunes et l’observation sur les indépendances.

            Le commentaire renvoyait d’ailleurs à une note 29 plus détaillée (p.213) plus détaillée, en tout petits caractères qui faisait état des mêmes informations que celles citées par l’historien Ageron.

            Les sondages effectués après la guerre donnent des indications intéressantes sur l’évolution de l’opinion :

            Deux sondages rapprochés montrent que l’opinion française ne tarda pas à estimer que la France était redevenue une Grande Puissance : 30% seulement était d’un avis contraire en décembre 1944, mais ils n’étaient plus que 10% à la fin de mai 1945. (CNRS/p.3)

            En réalité, les Français, dans leur majorité, acceptaient l’idée d’un empire rénové fondé sur l’égalité, par reconnaissance due aux soldats de l’Empire. Lors d’un sondage réalisé en mars 1946, les Français se prononçaient à la majorité très significative de 63% pour «  l’octroi aux populations des colonies des mêmes droits qu’aux citoyens français ». Même si certains avaient accepté le principe en l’assortissant de restrictions catégorielles, il reste que 22% seulement étaient d’un avis contraire, parce qu’ils redoutaient, disaient-ils, que « la France fût gouvernée par une majorité de Noirs et de Jaunes. » (3,4)

            Toutefois un sondage effectué en mai 1946 permet de préciser les limites de la générosité française. A la question : « Devons- nous administrer nos colonies surtout au profit de la France ou surtout au profit ders populations indigènes ? » 31% des personnes interrogées répondirent « Au profit de la France », 28% « Au profit des populations indigènes », et 25% au profit des deux. Les mentalités avaient donc évolué moins vite que ne pouvaient le laisser supposer les généreuses décisions des Constituants et les pieuses exhortations  de la presse. (p.4)

            Mais comme le souligne cet historien, les français ignoraient quasiment tout de cette Union Française qui était censée avoir remplacé l’Empire.

            Selon un sondage de l’INSEE, réalisé à la fin de l’année 1949, sur le thème des territoires d’outre-mer.

            32% des personnes interrogées (et 42% chez les ruraux) avouèrent n’avoir aucune information et 52% (56% chez les ruraux) se déclarèrent même indifférentes à ces questions…Ainsi 27% seulement des Français prêtaient quelque intérêt aux informations concernant leurs territoires d’outre-mer.

            Concernant le niveau des connaissances, le sondage se révélait encore plus accablant : 19% des Français ne connaissaient le nom d’aucun territoire d’outre-mer tandis que 28% seulement pouvaient en citer cinq ou plus. Ces pourcentages doivent être  considérés comme particulièrement faibles eu égard aux évènements de l’actualité. L’Afrique occidentale française n’était citée que par 12% des Français, l’AEF par 11%.(p.8)

            Ignorance qui n’empêchait pas les Français de répondre à la question :

            « Pensez-vous que la France a intérêt à avoir des territoires d’outre-mer ? Or 81% des gens interrogés répondirent par l’affirmative, alors que 14% n’avaient point d’avis.

            Un autre sondage fait en février 1950, celui cité par l’historien Blanchard, réalisé seulement auprès d’un millier d’élèves de classes terminales de l’enseignement secondaire et des classes préparatoires aux grandes écoles répondaient sur l’intérêt pour la France de maintenir « l’Union française avec les territoires d’outre-mer », 84% de ces grands élèves répondaient affirmativement…

            Les oscillations de l’opinion pendant les crises de l’Union française…

            Un sondage réalisé à l’automne 1951 montre que les Français en ignoraient totalement l’intérêt et il en fut ainsi jusqu’en 1953 où 12% des Français situaient le problème de l’Union française au 4ème rang des problèmes de la nation. L’indécise guerre d’Indochine ne parvenait pas à retenir leur attention. En mai 1953, trois français sur dix seulement déclaraient « suivre les nouvelles » de ce conflit et ils n’étaient plus que 23% en février 1954. Toutefois l’indifférence ou l’ignorance n’interdisent pas au public de porter jugement. Deux mois avant la capitulation de Diên Biên Phu, 60% des Français se prononçaient soit pour l’abandon de l’Indochine, soit pour la négociation avec le Viêt Minh

            Après 1945, la France était entrée dans un monde nouveau, un autre monde et l’opinion ne semblait pas plus convaincue qu’avant 1939 de l’intérêt d’une Union française que la plupart ignorait, une Union française qui s’inscrivait bien dans la continuité d’une France coloniale officielle, coloniale dans ses gouvernements, ses institutions, et ses partis politiques, mais pas du tout coloniale dans les profondeurs de la nation.

            Le pays n’a jamais fait de la guerre d’Indochine sa guerre, pas plus qu’il ne l’a fait plus tard de la guerre d’Algérie, à partir du moment où le contingent, c'est-à-dire l’expression la plus forte de la nation, s’est trouvé confronté à une guerre coloniale.

            En 1956, alors que le pays était engagé dans le conflit algérien,

            Un sondage réalisé en avril 1956 montre que 83% des Français percevaient désormais la situation du Maghreb (63%) et celle de l’Union française (20%) comme les problèmes dominants. Cela ne signifiait pas toutefois que pour cette majorité « la sauvegarde » des colonies et d’abord de l’Algérie fut devenue « le but essentiel de la politique française ». Les Français ne sont en avril 1956 que 17% à mettre cette « sauvegarde de l’Union française »  au premier rang des buts possibles qu’ils souhaitaient voir assignés à la politique du pays. Les objectifs prioritaires demeuraient à leurs yeux l’augmentation du niveau de vie, l’extension de la justice sociale (ensemble 32%) et le désarmement général (22%). Enfin ils situaient au dernier rang des objectifs qu’on leur proposait l’augmentation du prestige de la France (8%) et la construction de l’Europe (8%)

            En avril 1956, 31% seulement des Français croient que « l’Algérie sera encore française dans cinq ans » ; en juillet 1956, ils ne sont plus que 19%. Poussés par une question en forme de dilemme à dire ce qu’ils feraient « S’il fallait choisir entre deux solutions : donner l’indépendance ou écraser la rébellion », 39% choisissent d’accorder l’indépendance en avril 1956 et 45% en juillet 1956.

             L’historien Ageron  conclut son examen des sondages réalisés entre 1945 et 1962 :

            La connaissance de l’Outre-mer et l’intérêt porté au destin de l’Union française sont toujours restés de 1946 à 1962 le fait d’une minorité. Un quart seulement des Français prêtaient quelque intérêt aux informations concernant leurs territoires d’outre-mer et plus de la moitié d’entre eux ne pouvaient, en 1949, donner une définition même inexacte de l’Union française. En 1962, malgré les guerres coloniales et les indépendances, un quart de la population restait incapable de citer un seul des quinze Etats d’Afrique noire d’expression française…

            Ces disparités dans le niveau d’information expliquent peut être les jugements contradictoires portés sur l’attitude des Français face à l’Union française. Il n’est pas faux de dire que l’opinion a accepté tardivement et sans déchirement la décolonisation, à condition de préciser que ceux qui s’intéressaient au maintien de l’Union française étaient, bien que minoritaires, trop nombreux pour l’accepter facilement. Il est inexact en revanche de parler de « l’attachement viscéral des Français à leurs possessions d’outre-mer. »

            Alors quels enseignements est-il possible de tirer de ces sondages ? Leurs résultats plaident-ils en faveur de l’existence d’une culture coloniale ou impériale, qui aurait imprégné en profondeur la nation française, consciemment ou inconsciemment, et dont les racines produiraient encore ses rejets dans la société d’aujourd’hui ?

            Si telles était la situation de l’opinion aux différentes périodes de mesure par sondage, avec un faible attachement à l’ancien Empire colonial, au moins est-il possible de s’interroger sur l’efficacité de la propagande coloniale et de l’effet profond et durable qu’elle aurait sur la mentalité des citoyens français.

            Dans l’état actuel des recherches historiques sur la question, il ne parait pas possible de porter une juste appréciation sur un tel sujet. En ce qui concerne la période 1870-1945, notre opinion est tout à fait réservée. Le discours de ce collectif de chercheurs ne s’appuie pas sur un ensemble de sources identifiées et mesurées telles qu’elles permettraient, dans une chronologie déterminée, de conclure sur l’existence d’une culture coloniale ou impériale, souvent mélangée dans leur analyse, et encore moins sur la transmission de ses éléments aux générations de la France d’aujourd’hui.

            Que pouvons-nous constater ?

            Un trou béant dans les recherches d’analyse de la presse nationale et provinciale des années concernées, ainsi d’ailleurs que dans le domaine des autres supports d’information ou de culture, plus difficiles à quantifier.

            Des affirmations qui semblent fort imprudentes concernant le matraquage d’une propagande coloniale supposée et de ses effets non mesurés, dont l’analyse a démontré que, compte tenu  de ses moyens, c’était lui prêter à la fois beaucoup trop d’honneur et d’efficacité.

            Les deux périodes de la première et de la deuxième guerre mondiale ne peuvent être interprétées qu’avec beaucoup de précautions, étant donné l’effet conjoncturel très fort qu’elles avaient inévitablement sur l’opinion publique. Nous l’avons vu avec l’évolution d’une opinion publique mesurée par des sondages, dans les années qui ont précédé et succédé à la deuxième guerre mondiale.

            En ce qui concerne la période postérieure, 1945-1962, il semble difficile d’avancer  des conclusions pertinentes, sauf à dire que peu de temps après que le pays se soit remis des dommages de la guerre, celle d’Algérie a pesé de tout son poids sur l’évolution de l’opinion publique à l’égard des colonies, et qu’à lire les écrits de beaucoup d’historiens ou historiennes, on voit bien que la plupart du temps les fantômes de ce conflit colonial hantent leurs recherches, alors qu’on ne peut confondre l’histoire coloniale de la France avec celle de l’Algérie.

            Et à cet égard, le sondage réalisé à Toulouse, en 2003, par ce collectif de chercheurs nous parait tout à fait symptomatique.

Page 222 du livre

 

           

 

 

 

 

 

 

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11 octobre 2024 5 11 /10 /octobre /2024 10:26

 

FIN DU CHAPITRE 2 - La Presse  Pages 74 à 82 du livre SUPERCHERIE COLONIALE

Telle est la question posée, et l’auteur tente d’y répondre en mesurant les réactions de l’opinion publique face aux revendications coloniales de l’Allemagne et de l’Italie, en citant les sondages qui furent faits par l’IFOP. Il s’agissait des premiers sondages effectués en France !

Il aurait été intéressant de voir confrontés les résultats de ces sondages et ceux d’une analyse de la presse de la même époque, afin de mesurer la place qu’elle consacrait à l’actualité impériale, comme cela a été fait dans l’étude dont nous rapportons plus loin les résultats, avec le grand journal provincial Ouest-Éclair.

Car l’opinion publique était divisée à ce sujet : prête en 1937 à des concessions coloniales étendues à l’Allemagne, d’après un sondage effectué par le journal L’œuvre, elle continue à l’être en octobre 1938 avec l’un des premiers sondages réalisés par l’IFOP.

A la question : « Pensez-vous qu’il faut donner des colonies à l’Allemagne ? » 59 % des Français interrogés avaient répondu oui, 33 % non, et 8 % ne sachant pas, mais ce sondage avait été fait dans la période du lâche soulagement des accords de Munich, alors que le mois suivant, les résultats étaient contraires.

A la question posée par l’IFOP en décembre 1938 : « Pensez-vous que la France doive rendre à l’Allemagne les colonies qui nous ont été confiées par la SDN » 70 % des personnes répondaient non, 22 % oui, et 8 % ne savaient pas.

Mais en février 1939, dans un contexte international de plus en plus tendu, sous la menace d’une nouvelle guerre, à une nouvelle question de l’IFOP à savoir, « s’ils sont décidés à se battre plutôt que de céder la moindre partie de nos possessions coloniales », 44 % répondirent non, 40 %,,oui, et 16 % ne savaient pas.

Quelles conclusions peut-on tirer de ces sondages à la fois isolés et trop rapprochés ?

L’offensive impériale représentait avant tout une riposte directe aux menaces de l’Axe : elle a réussi à retourner l’opinion publique... La conquête coloniale s’étant .faite en dehors de l’opinion et presque à son insu, il n’est guère étonnant que les Français s’y soient montrés longtemps indifférents...

Ainsi peut-être le peuple français manifesta-t-il ses sentiments envers cet empire colonial qu’il n’aimait guère et qu’il désirait pourtant garder. (p. 73)

J’ajouterais volontiers qu’après l’indifférence au colonial, une grande curiosité française pour l’exotisme colonial (voir expositions), une indifférence persistante à l’impérial, les Français ne virent dans cet Empire que l’ultime recours de la nation en cas de conflit.

Nous reviendrons sur les sondages dans un chapitre spécial.

Avant de clore ce chapitre consacré à la presse et à son rôle sur l’opinion publique, je propose au lecteur de prêter son attention à un exercice de mesure de l’information coloniale dans la presse de province, et précisément au sein du plus grand quotidien provincial de l’époque, Ouest Éclair, exercice que j’aurais vivement conseillé de faire à notre collectif de chercheurs, avant d’avancer des affirmations et conclusions sans fondement.

Le contenu de l’exercice est d’autant plus intéressant qu’il ne confirme pas, en tout cas pour le grand journal provincial en question l’évolution de l’opinion publique signalée par l’historien Ageron, si l’on considère qu’un journal a tendance à aller dans le sens du poil de ses lecteurs.

Il s’agit d’un article rédigé par Mme K. K. Daouda et Jacques Thobie à partir du mémoire de Mme K. K. Daouda, article paru dans la Revue Française d’Outre-Mer en 1982, et intitulé « Ouest Eclair et l’Empire colonial français de 1936 à 1939 ».

Ouest Eclair était de tendance conservatrice, donc a priori plutôt favorable à l’Empire. La méthode utilisée est simple : mesurer la superficie des articles consacrés à l’Empire par rapport à la surface totale du journal.

A la lecture du tableau ci-dessous, le lecteur pourra se rendre compte qu’au cours des années 1936 à 1939, la surface des articles consacrés à l’empire colonial n’a pas dépassé 5 %, sauf en 1939, avec 5,2 %.

 

 

 

 

 

Articles consacrés à l’Empire colonial dans Ouest-Éclair

Année

1936

1937

1938

1939

pourcentage sur la surface totale du journal

0,86

4,10

2,39

5,20

nombre d’articles

informations

34

28

134

118

96

82

57

38

éditoriaux

6

16

14

19

surfaces en cm²

4.266

19.247

11.454

17.751

surface moyenne par article

125,4

143,6

119,3

311,4

On ne peut pas dire que l’actualité impériale encombrait les colonnes de ce journal, mais il est possible d’avancer qu’effectivement, à la veille de la deuxième Guerre mondiale, le sujet a pris un peu plus d’importance, notamment avec un plus grand nombre d’éditoriaux.

L’analyse des contenus montrait que le journal donnait une vision optimiste de l’Empire au cours du premier semestre 1936. Avec l’arrivée du Front Populaire au pouvoir, le journal désapprouve sa politique libérale en Algérie avec le projet Blum Viollette, mais approuve la répression nationaliste en Tunisie. Au cours de la dernière période le journal défend le maintien de l’Empire.

Les auteurs de l’analyse font ressortir :

  1. Une apologie sans faille de la colonisation...
  2. L’Afrique, c’est d’abord et avant tout l’Afrique du Nord, clé de voûte sans laquelle tout s’effondre...
  3. L’empire colonial constitue pour la France une réalité militaire et stratégique qui est partie intégrante de sa puissance et de sa capacité de défense et de riposte.

Et les auteurs de l’article de conclure :

« Resterait à savoir dans quelle mesure ces articles retenaient l’attention des lecteurs de ce quotidien régional. Mais est-il une réponse à cette question ? » (p.122)

En tout cas, il y avait moins de chances statistiques que les lecteurs soient intéressés par des sujets impériaux que par ceux qui occupaient la presque totalité des colonnes de ce journal.

Les travaux de l’association Images et Mémoires font également une place à l’analyse de la presse de province et aux articles qui étaient consacrés à la présentation des villages noirs qui accompagnèrent souvent certaines grandes expositions de province, principalement à la fin du XIXème siècle. Cette lecture est instructive parce qu’elle ne se réduit pas à la seule caricature qu’ont voulu en faire certains, celle des zoos humains. Nous y reviendrons dans le chapitre des Expositions coloniales.

Nous proposons quelques-uns de nos tests d’évaluation de la relation entre fait colonial et presse, en ce qui concerne la période 1870-1900, la fameuse période décrite comme d’imprégna­tion.

Le soi-disant guet-apens de Bac Lé (Tonkin 1884) : une colonne française lancée à la conquête de Lang Son est contrainte par l’armée chinoise à faire retraite. Au cours de l’année 1884, L’Illustration, diffusée à environ 50 000 exemplaires a consacré de 6 à 7 pages aux affaires du Tonkin, au premier semestre, sur 442 pages, et le Tonkin n’est mentionné que 8 fois dans les 486 pages du deuxième semestre. L’affaire de Bac Lé n’y est évoquée que sur deux colonnes. On ne peut donc pas dire que les affaires du Tonkin passionnaient la rédaction du journal, les lecteurs, ou tous les deux.

Une affaire beaucoup plus grave, la retraite de Lang Son qui a causé la chute du ministère Jules Ferry en 1885 ! Toujours dans le même hebdomadaire, au premier semestre, les affaires coloniales occupent une dizaine de pages sur 500 environ, avec quatre pages de couverture sur les 26 numéros. Les photos et les colonnes de texte sont principalement consacrées au retour de la dépouille du commandant Rivière tué à Hanoi en 1883.

Le deuxième semestre accorde une plus large place aux affaires du Tonkin, mais à la mort naturelle de l’amiral Courbet en mer de Chine, et non pas à la retraite de Lang Son. Sur les 26 numéros, 3 pages de couverture avec photos furent consacrés à l’amiral et seize pages au total sur environ 500 pages. Dans les sujets traités par l’hebdomadaire on trouvait en parallèle la mort de Gordon à Khartoum et celle de Victor Hugo.

Donc pas de passion pour ces sujets coloniaux !

La conquête de Madagascar en 1895. Cette campagne était couverte par de nombreux journalistes, comme c’était devenu la mode pour toutes les campagnes militaires des puissances coloniales de l’époque. Sans avoir effectué de pointage précis sur la presse de l’époque, il semble assuré que la présence de journalistes, la diffusion de leurs articles, l’hécatombe de soldats que connut cette campagne, ne contribua sûrement pas à rendre populaire les conquêtes coloniales, mais il serait intéressant de faire des recherches à ce sujet aussi bien dans la presse nationale que dans la presse provinciale qui donna un puissant écho à cette campagne.

Une étude de Jean Valette et Mariette Valette Rahamefy, intitulée L’esprit public bergeracois et l’expédition de Madagascar (1894-1896),- Tananarive,1963, donne un éclairage intéressant sur le sujet. Le contenu des trois journaux bihebdomadaires de Bergerac a été examiné à partir du nombre de fois dont ils ont parlé de Madagascar.

Leur conclusion a été :

« En premier lieu, que l’affaire de Madagascar eut en France, tout au moins en Dordogne, de très certaines répercussions, puisque les trois journaux considérés lui ont, chacun, pour des raisons diverses, accordé une grande place dans leurs colonnes. Mais quelles sont ces raisons ? Il ne semble pas qu’elles soient spécifiquement coloniales. En effet, la presse bergeraçoise n’a jamais participé à ce que l’on a pu appeler le "Parti colonial", et les grandes théories commerciales, humanitaires, etc., qui ont caractérisé les journaux de ce parti lui sont restées étrangères. Aussi est-ce beaucoup plus pour des raisons de politique intérieure : soutien du gouvernement, ou, au contraire, attaque contre le ministère ou le régime, que la presse bergeracoise s’est intéressée aux problèmes malgaches. Cette attitude explique donc les positions prises par les journaux républicain, orléaniste ou bonapartiste, qui sont conformes ainsi, sauf exceptions dues à des contingences locales, au clivage traditionnel des grandes tendances politiques françaises de l’époque. »

Donc des préoccupations beaucoup plus hexagonales que coloniales !

En ce qui concerne la conquête du Soudan, elle se fit, quasiment, et pendant longtemps, à l’abri du regard de la presse.

Dans l’état actuel des recherches, il parait possible d’avancer l’hypothèse que pendant toute la période des grandes conquêtes coloniales de 1870 à 1900, et sauf à certaines grandes occasions, par exemple Fachoda, la presse n’a pas accordé une grande place à l’actualité coloniale et joué un rôle assez réduit sur l’opinion publique.

C’était d’ailleurs une des conclusions du grand historien Henri Brunschwig.

Et en contrepoint, Maurras à la Une ? Et des mémoires d’études de l’Université de Provence, novateurs en méthodologie, ignorés.

Des recherches qui n’ont fait que butiner, picorer dans les journaux, sans jamais faire appel à une vraie méthode d’analyse statistique. Un historien qui tire des conclusions générales, alors qu’il a beaucoup plus fréquenté la presse de droite et d’extrême droite, notamment celle de Maurras, et celle du sud-est de la France, que celle de la France entière, de Paris et de toutes nos belles provinces.

N’écrit-il pas qu’au cours de la période qu’il a spécialement étudiée, celle des années 1930-1945 :

« La grande majorité des Français est en phase avec Charles Maurras quand il affirme, dans Pages africaines, qu’il était pourtant clair que ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était de nature à nuire à tous les empires coloniaux... » (CC/221).

C’est peut-être faire beaucoup d’honneur au journal de Maurras et à son influence sur la grande majorité des Français, alors que son journal avait en 1939 un tirage modeste de 45 000 exemplaires !

Alors que deux mémoires d’études précurseurs, le premier daté de 1975, et le deuxième de 1987, effectués sur le même type de sujet colonial et dans le même ressort de l’Université de Provence que celui choisi comme cadre d’analyse par l’auteur, proposaient la bonne méthode à utiliser pour analyser la presse dite coloniale, quelques années avant la thèse que l’auteur a défendue en 1993.

Première étude, celle de M. Huyn Huu Nghia, sous la direction de J. L. Miège, intitulée Fachoda et la presse marseillaise (sept.-dec.1898). Six quotidiens ont été examinés sous toutes les coutures, avec calcul des surfaces consacrées au sujet, repérage des articles en fonction de la pagination, classement selon la rubrique de rattachement, France, Angleterre, étranger, Afrique, armement et bruits de guerre.

L’auteur a représenté ses analyses quantitatives en tableaux de pourcentage, en histogrammes, et en graphiques, outils d’analyse dont il résulte :

« Pour l’ensemble des quotidiens marseillais, il apparaît deux périodes

  • Les mois d’octobre et de novembre sont des mois où les numéros furent nombreux.
  • Ils sont encadrés par les mois de septembre et de décembre de faible intérêt. »

La presse marseillaise a donc suivi pas à pas le déroulement du conflit :

  • Un développement de la crise en septembre ;
  • La crise elle-même en octobre ;
  • L’évacuation du 4 novembre et ses conséquences immédiates ;
  • Décembre, la fin de la crise.

L’auteur a complété son étude quantitative avec une analyse qualitative des articles de la presse marseillaise. Leur contenu avait une tonalité clairement anti-anglaise, mais les journaux n’ont jamais poussé à la guerre, et ont rapidement fait baisser la tension, quand un accord a pu être envisagé par le Ministre des Affaires étrangères Delcassé, dont l’action a été louangée par tous les journaux. Les mêmes journaux ont mis l’échec de la France sur le dos de l’affaire Dreyfus qui divisait le pays au cours de cette période.

Citons enfin une partie du commentaire de la conclusion :

« En effet, si l’opinion française baignait dans une indifférence rare devant tout ce qui concernait la colonisation, Marseille port de grand négoce, a été une exception. Ceci explique en partie, la crainte d’un conflit avec l’Angleterre : les armateurs marseillais n’auraient pu lancer leurs navires à travers une Méditerranée tenue par les Anglais. »

Le lecteur aura pu constater que le bain colonial n’avait pas tout à fait le même sens que celui du collectif de chercheurs.

Deuxième mémoire, celui présenté par M. Stephane Pellet. sous la direction du professeur Miège dont le sujet était : Le mouvement colonial et la presse vauclusienne (1869­/1899), L’étude s’attachait à l’analyse de quatre périodes, ouverture du canal de Suez (1869), chute du gouvernement Ferry (1885), conquête de Madagascar (1894), et Fachoda (1898).

Le mémoire avait l’ambition (réussie) de déterminer la place qu’occupait dans la presse locale du Vaucluse, les informations sur le monde colonial, actualités ou débats qui conduisaient les journaux d’Avignon et de Carpentras à traiter cette information... Pour chaque relation de faits ou prise de position, nous dirons "relation", il a été déterminé une longueur, en segment de colonne, un type de caractère gros, moyen ou petit, une grosseur de titre, gros moyen ou petit et un emplacement de page en 1 ère 2ème ou 3ème.

Conclusions de cet examen méthodique : quelques pourcents de la surface des journaux passés à la loupe consacrés aux affaires coloniales, et absence d’enthousiasme et de conviction des journaux vauclusiens pour la politique coloniale de la France.

FIN du Chapitre 2 page 82

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11 octobre 2024 5 11 /10 /octobre /2024 10:10

Page 67 "L'auteur fait-il référence à sa thèse universitaire;..."

Ses réflexions portent sur un certain nombre de sujets de presse, notamment sur la presse de droite qu’il a effectivement analysée dans sa thèse pour la période 1930-1945, sur celle de Maurras,

« L’ensemble de ce contexte politique se retrouve dans la multitude d’articles de presse concernant l’Exposition Internationale de 1931, qui est d’une remarquable uniformité et très révélatrice de cette évolution doctrinale » (CC/223).

L’auteur cite à ce sujet l’Ami du peuple, La Victoire, le Figaro, Candide, et en sous-titrant La presse au diapason colonial.

« Un rapide tour d’horizon du monde médiatique français permet de remarquer une démultiplication du nombre d’articles abordant, et cela dès la première page, des questions coloniales » (CC/225).

A ce sujet, l’auteur cite sa thèse universitaire pour appuyer sa démonstration (note 13 p. 225). Notons que les journaux cités ci-dessus avaient une audience très limitée.

 

.Enfin, après avoir cité d’autres titres, l’auteur écrit : « A travers ces quelques exemples (que l’on pourrait multiplier à l’iden­tique) on constate aisément que la presse dans son ensemble, montre alors un intérêt prononcé pour le domaine colonial au cours de cette année "impériale" ».

Oui, mais après 1931, et en 1932 ? Comme l’auteur en a fait état plus haut. De quoi, parlons nous en définitive ?

Dans La République Coloniale, les auteurs écrivent au sujet de la popularisation pour l’ailleurs… la création de journaux populaires, tels Le Tour du Mande et surtout le Journal des Voyages qui tirent à la fin des années 1870 à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires… Les grands journaux populaires généralistes illustrés, tels Le Petit Parisien, Le Petit Journal, L’Illustration, consacrent de nombreux articles aux explorations. Le thème est en vogue et fait vendre (p. 60).

Mes recherches personnelles sur les tirages annoncés ont été infructueuses.

Dans l’ouvrage Culture Impériale, l’historienne Lemaire relève « l’importance de l’emprise propagandiste sur l’information écrite » (CI/51).

Les actes du Colloque de 1993 n’ont fait qu’effleurer le sujet.

L’historienne Coquerv-Vidrovitch fit une intervention sur le thème Apogée et crise coloniale, en précisant qu’elle « abordera le contexte d’idéologie coloniale dans lequel s’est développée l’iconographie coloniale. C’est d’ailleurs pourquoi je ne présenterai pas pour ma part d’image » (C/27).

Donc pas d’images, mais pas non plus d’analyse de la presse, alors qu’elle propose ses réflexions sur l’opinion publique.

L’historien Rivet, dans sa communication sur Les Bâtisseurs d’Empire, fait état de sondages, sans plus de précisions

Des sondages dans L’Illustration et dans le Monde Colonial illustré durant l’entre deux guerres et dans Paris Match après 1945, il ressort la place restreinte, secondaire des bâtisseurs d’Empire. (C/67).

 

Le livre Images et colonies contient plusieurs contributions qui abordent ce sujet. L’historienne Hugon, sous le titre Conquête et exploration de l’Afrique noire (1880-1913) nous livre quelques réflexions sur les images et textes publiés dans la presse de l’époque, mais elle ne nous fournit aucune évaluation précise, sauf dans sa note 2 (p.23)

« La production d’images sur la conquête et l’exploration, bien qu’assez constante, connait cependant des périodes de pointe dues à l’actualité. Ainsi les expéditions françaises au Dahomey et à Madagascar font-elles l’objet de maintes gravures dans les années 1891-1893 et 1894-1896 respectivement : dans le supplément illustré du Petit Journal, quatorze gravures sur le Dahomey entre 1891 et 1893, dont dix pour la seule année 1892 (le supplément hebdomadaire comportait en général deux illustrations en couleur, soit environ cent gravures par an. »

L’historien Holo, L’œuvre civilisatrice de l’image à l’image (IC/158)(1880-1913) traite de différents sujets, le génie colonisateur, l’évangile du progrès, la supériorité occidentale, le parti colonial à la conquête de l’opinion, les discours et représentations, l’image couramment transmise de l’Afrique par la presse illustrée, et cite à la fois des textes et des images de presse à leur sujet, images et textes qui se répartissent chacun sur moitié de la surface.

Mais aucune évaluation de la presse et du discours colonial dont il pourrait faire état.

L’historien Meynier, L’organisation de la propagande (IC/113) (1919-1939), ne donne aucune évaluation sur la presse, alors qu’elle pouvait être l’instrument privilégié de cette propagande, sur l’existence de laquelle, il est d’ailleurs plutôt réservé, comme nous le verrons dans notre chapitre sur la propagande.

Émergent alors, après avoir traversé cette sorte de désert sans oasis, les seules contributions qui tentent d’apporter quelques informations sur le rôle de la presse, mais nous sommes à présent transportés dans la deuxième guerre mondiale, et dans le contexte historique tout à fait trouble que fut la période de Vichy.

Dans la contribution la plus longue, celle de l’historien Blanchard et de l’anthropologue Boëtsch, La Révolution Impériale (IC/186), le rôle de la presse est évoqué à plusieurs reprises. Les auteurs, après avoir rappelé le message diffusé par la presse de droite avant 1939, notent :

« Entre 1939 et 1944, la presse va largement promouvoir le discours sur l’Empire du nouveau régime, avec de nombreuses rubriques coloniales » (IC/190), mais en faisant référence à nouveau à la presse de droite de l’époque.

« Entre 1940 et 1944, les articles comme les dessins de presse, abordent plus régulièrement les questions coloniales qui occupent dorénavant une place plus importante dans la société française ». (IC/192).

 

Résultat : peu de lumières sur le rôle réel de la presse qui s’exerçait de toute façon dans un contexte historique exceptionnel, celui de l’occupation allemande.

La deuxième contribution intitulée La presse et l’Empire (IC/215), sous la seule signature de l’historien Blanchard ne dépasse pas une page et brosse un tableau rapide des différents organes de presse. et notamment de ceux qu’il connaissait le mieux, grâce à sa thèse, pour conclure :

« Presse collaborationniste, presse maréchaliste, ou presse sous contrôle allemand, toutes sont d’incessantes propagatrices de l’idée coloniale, sur des tons et avec des idées différentes mais aussi des buts souvent opposés. La presse .fut néanmoins. avec l’image, l’arme par excellence de Vichy, pour diffuser largement son discours colonial dans l’opinion publique » (IC/215).

Donc aucune évaluation, pour autant qu’elle ait pu avoir un réel intérêt, à l’époque considérée, pour apprécier l’ampleur des convictions coloniales de la presse tout au long de la période coloniale.

Dans cet esprit, il serait intéressant d’en savoir plus sur la note 13 p. 231, qui se réfère à la période de l’Union Française, et non de l’Empire, c’est-à-dire postérieure à 1945, quant au dépouillement de la presse : La presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle qui a fait l’objet dans le cadre des recherches entreprises par l’Achac d’un dépouillement systématique.

La démonstration du rôle de la presse dans la naissance d’une culture coloniale française et dans la transmission éventuelle de stéréotypes coloniaux répétés et définis à la France d’aujourd’hui est loin d’être faite, pour ne pas dire inexistante.

Alors que la presse a été un des supports constants de l’information et de la culture des Français tout au long de la période coloniale, avec ses images et ses textes, elle n’a fait l’objet, de la part de cette école de chercheurs, d’aucune évaluation sérieuse, période par période, selon les critères que nous avons déjà décrits ! Un tissu de considérations littéraires ou sociales sur le rôle des journaux plus qu’une véritable analyse historique !

Et pourtant le matériau existait et offrait la possibilité de nous dire si effectivement le fait colonial comptait peu, beaucoup, ou pas du tout dans les journaux de la capitale ou de la province, et si, dans le contenu de leurs articles et de leurs illustrations, ils réservaient un écho favorable ou défavorable à la conquête coloniale et à la colonisation.

Pour la période étudiée des années 1870 à 1962, on peut dire que l’encéphalogramme de leur recherche sur la presse est presque plat, à l’exception de la période 1940-1945, avec un regard rétrospectif sur la période 1930-1940, mais à la condition de se pencher sur la thèse de l’historien Blanchard, et c’est ce que nous allons faire à présent.

Dans sa contribution du livre Culture coloniale, intitulée L’Union nationale : la rencontre des droites et des gauches à travers la presse et autour de l’exposition de Vincennes, l’auteur écrit à la page 225 La presse au diapason colonial :

« Un rapide tour d’horizon du monde médiatique français permet de remarquer une démultiplication du nombre d’articles abordant, et cela dès la première page, des questions coloniales.

Avec en renvoi la note 13 de bas de page :

« Cette étude repose sur une analyse de 650 titres de quotidiens, hebdomadaires et revues édités en France entre 1925 et 1940. Pour plus de détails, on se reportera à notre travail de thèse Nationalisme et Colonialisme Paris I 1994. »

Et c’est effectivement ce que nous avons fait.

Le titre de cette thèse en circonscrit l’objet : « Nationalisme et Colonialisme, la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale », et la thèse ne consacre aucune place à l’analyse des images de cette époque en tant que telles. Le travail essentiel de recherche a porté sur les journaux de cette droite nationaliste. La note ci-dessus indique que l’analyse a porté sur 650 journaux ou revues, mais la thèse donne un chiffre inférieur « plus de 375 », et fournit la liste des principaux journaux examinés, soit 180 au total. Sont cités quelques journaux parisiens, Le Journal et Le Matin dont les tirages étaient en 1939 respectivement de 411.021 et de 312.597, contre 1.739.584 et 1.022.401 pour Paris Soir et Le Petit Parisien.

En ce qui concerne la presse de province, l’auteur ne cite que des titres du sud-est de la France dont les tirages étaient beaucoup plus faibles que ceux d’autres régions françaises. Le Petit Marseillais tirait à 150 000 exemplaires, alors que Ouest Eclair était à 350.000, et la Petite Gironde à 325.000.

Il serait donc difficile de prétendre à la représentativité nationale du corpus analysé, ce qui ne figurait d’ailleurs pas dans le propos de cette thèse.

Il était clair qu’elle portait sur une période de temps bien délimitée de 1930 à 1945, sur un objet également bien défini, la droite nationaliste et le colonialisme, à partir de sources historiques listées, mais qui de par leur nature, étaient centrées sur la presse nationaliste de droite, sur une presse provinciale localisée, et dans quelques cas, sur la presse populaire nationale.

Ce n’est donc pas dans cette thèse qu’il est possible de trouver la source qui pourrait accréditer, sans contestation possible, le discours de l’historien Blanchard et de son équipe sur le rôle de la presse dans la formation d’une culture dite coloniale, puis impériale.

 

Dans le long article que l’historien C.-R. Ageron a publié en 1990 dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, intitulé Les colonies devant l’opinion publique (1919-1939), article déjà évoqué dans le chapitre précédent, l’influence éventuelle de la presse sur la mentalité coloniale des Français est longuement évoquée. Cette contribution s’inscrit dans une chronologie rigoureuse et son contenu est précis.

L’historien constate qu’en 1921 la presse coloniale « ne touchait pas le grand public » (p. 36). « Lorsque la presse parisienne développa, vers 1925, la formule des pages magazines, on remarque que les plus grands quotidiens n’avaient pas de page coloniale, ni même de rubrique coloniale régulière. L’information coloniale revenait à un rédacteur de deuxième plan, dont ce n’était même pas la besogne essentielle » (p.41).

« Tous les efforts de propagande des gouvernements coloniaux et de la presse coloniale butaient donc sur ce cercle vicieux : sans le concours de la grande presse, ils ne pouvaient toucher qu’un public infime. Or celle-ci, étrangère à l’esprit colonial, jugeait "invendable" la propagande coloniale. A une époque où il était admis que la presse "faisait l’opinion"... » (p.41)

A partir de 1927, la situation commença à changer avec le lancement d’une grande campagne de propagande coloniale, notamment grâce au concours de la radio, et la presse d’information s’associa pour la première fois à la propagande coloniale. La presse coloniale spécialisée elle-même voyait ses tirages augmenter, mais ils étaient encore très modestes. Le plus fort tirage était celui de la Dépêche africaine avec 30 000 numéros.

L’auteur évoque l’intense campagne de propagande que le gouvernement encouragea et soutint financièrement pour la commémoration du Centenaire de l’Algérie, campagne à laquelle s’associa effectivement la presse. Sa remarque relative aux répercussions de cette campagne sur l’état d’esprit d’une catégorie de Français, remarque qui va dans le sens de la thèse historique que nous critiquons laisse un peu perplexe car, comment juger, même approximativement, d’une corrélation hypothétique entre cette campagne et une imprégnation idéologique ? Sauf sans doute à considérer que l’Algérie était un cas à part, ce qui est vrai.

L’auteur écrit en effet :

« Il semble que cette campagne ait non seulement été bien accueillie, mais qu’elle ait laissé des traces durables parmi les jeunes adultes. Des sondages d’opinion effectués en 1959 révélèrent que les français métropolitains qui se sentaient les plus solidaires "des populations européennes vivant en Algérie" appartenaient aux classes d’âge ayant eu vingt à trente-cinq ans en 1930, tandis que ceux qui avaient alors plus de trente cinq ans l’étaient moitié moins » (p.49).

Une fois passé l’immense succès populaire de l’Exposition Coloniale de 1931, l’opinion publique retomba comme un soufflé dans son indifférence habituelle pendant plusieurs années avec une diminution sensible des pages de presse consacrées à l’actualité coloniale et du nombre de causeries de Radio Paris (p.55).

Même le cinéma colonial ne trouvait plus son public :

« L’Afrique française de juillet 1934 rapportait que les directeurs de salle étaient unanimes : le documentaire colonial ne tenait plus l’affiche et les films romancés coloniaux étaient souvent ridicules » (p.56).

L’historien rappelle à juste titre que la France était alors frappée par la plus grande crise économique de son histoire (1931-1938) et qu’on s’interrogeait en France sur l’utilité des colonies (une fois de plus !). Comment ne pas voir aussi que ce changement de l’opinion publique avait été provoqué par l’évolution politique inquiétante de l’Allemagne et de l’Italie. L’Empire colonial devenait un atout essentiel pour la sécurité de la France, position que les gouvernements défendirent d’ailleurs dans leur propagande politique :

« Les idées-forces de la propagande impériale ne changeaient pas : l’Empire était le fondement essentiel de la sécurité de la France, le suprême recours » 

« Est-ce à dire que cette propagande, qui visait surtout les jeunes générations ait réussi à mobiliser l’opinion française, dont les coloniaux déploraient toujours, en 1937, l’indifférence et l’absence de réaction aux propagandes anti-colonialistes ? »    Page 74 

 

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11 octobre 2024 5 11 /10 /octobre /2024 09:44

SUPERCHERIE COLONIALE

Page 63 à 83

CHAPITRE 2

La presse

Première Partie

Aux nombreuses questions que l’on peut légitimement se poser sur l’existence ou non d’une relation, d’une filiation, pour ne pas utiliser le terme préféré de généalogie de nos historiens, entre l’histoire coloniale et l’histoire nationale, l’analyse de la presse nationale et régionale, c’est-à-dire des très nombreux journaux publiés entre 1871 et 1939, pourrait sans doute apporter un début de réponse, sinon une réponse.

Incontestablement, la presse constitue un des rares supports d’information et de culture qui a existé tout au long de cette période, à la différence des autres supports. Elle a également l’immense mérite de pouvoir faire l’objet d’un travail d’évaluation, de mesure statistique des textes et des images en termes de colonnes et de pages, ainsi que d’un examen qualitatif des contenus.

Les grandes conquêtes coloniales, Tombouctou (1893), Tonkin (1885), Dahomey (1892), Madagascar (1895), ou Fachoda (1898) ont fait l’objet d’articles de reportages, de gravures et de photographies. Il est donc possible, avec les archives de la presse de procéder à un sérieux travail d’évaluation statistique exhaustive ou par échantillon : surface et fréquence des articles, ou des images, dans la presse nationale et régionale par rapport à la surface totale des supports de presse d’information et de culture, analyse des contenus, favorables ou défavorables à la conquête. Nous verrons qu’un exercice de ce type a été effectué sur un grand quotidien provincial, ainsi que sur d’autres journaux de province.

Quelques chiffres tout d’abord pour fixer les idées (Histoire générale de la presse, 1972) :

En 1880, 94 titres de quotidiens parisiens, avec un tirage total de 3.500.000. Quatre journaux ont les tirages les plus importants : le Petit Journal 583.820, La Petite République : 196.372. La Lanterne : 150.531, le Figaro : 104.924.

La même source ne donne pas le chiffre des tirages de la presse provinciale à la même époque, mais le chiffre des quotidiens, beaucoup plus élevé que celui de Paris : 252 quotidiens en 1882.

En 1910. le tirage des quotidiens parisiens passe à 4.950.000 pour 76 titres. Quatre journaux ont les tirages les plus importants :

Le Petit Parisien : .................... 1.400.000

Le Petit Journal : ........................ 835.000

Le Journal : .................................. 810.000

Le Matin : ...................................... 670.000

En 1939, le tirage des quotidiens parisiens est de 5.500.000, et les quatre journaux les plus importants sont :

Paris Soir .................................. 1.739.584

Le Petit Parisien : .................... 1.022.401

Le Journal : .................................. 411.021

L’Humanité : ................................ 349.587

En 1939, la presse de province fait plus que jeu égal avec la presse parisienne avec un tirage total de 6 millions d’exemplaires pour une centaine de titres, dont les plus importants sont :

L’Ouest Eclair :............................ 350.000,

La Petite Gironde :..................... 325.000,

L’Echo du ²Nord : ....................... 300.000,

La Dépêche de Toulouse :.......... 260.000.

Ne figurent pas dans les premiers les journaux de la région de Marseille qui ont fait l’objet de l’attention privilégiée de l’historien Blanchard dans sa thèse.

Donc, un potentiel de textes et d’images d’archives considérable, disponible pour des chercheurs qui auraient l’ambition de mesurer l’importance du fait colonial dans l’information et la culture des lecteurs français tout au long de la période coloniale moderne.

Cette fresque rapide éclairera notre propos sur le parti historique qu’en a tiré notre nouvelle école de recherche historique dont nous critiquons tout à la fois les méthodes, les travaux et les conclusions, le seul travail de base à ce sujet étant la thèse de M. Blanchard dont nous analyserons le contenu.

Pour l’essentiel, ce discours est contenu dans Culture Coloniale pour la période 1871-1914, baptisée Imprégnation d’une Culture.

En effet les grands journaux participaient à cet intérêt, se faisant l’écho des conquêtes (CC/43), et plus loin, La grande presseLe Petit Journal et Le Petit Parisien – multiplient les sujets ayant trait aux expéditions coloniales ; d’autres journaux furent créés autour de ces thèmes porteurs comme le Journal des voyages en 1877 (CC/49).

Dans la phase baptisée, Fixation d’une appartenance (après 1914), « l’Agence (des Colonies) "inondait", gérait et générait son propre discours en s’assurant la maîtrise de sa production et des relais de diffusion. Interlocuteur privilégié, elle s’octroya ainsi un monopole en contrôlant tous les maillons de la chaîne d’informa­tion. » (CC/139).

Page 65

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10 octobre 2024 4 10 /10 /octobre /2024 16:04

LA PRESSE, page 74

« Les idées-forces de la propagande impériale ne changeaient pas : l’Empire était le fondement essentiel de la sécurité de la France, le suprême recours » (p.63).

« Est-ce à dire que cette propagande, qui visait surtout les jeunes générations ait réussi à mobiliser l’opinion française, dont les coloniaux déploraient toujours, en 1937, l’indifférence et l’absence de réaction aux propagandes anti-colonialistes ? » (p.64)

Telle est la question posée, et l’auteur tente d’y répondre en mesurant les réactions de l’opinion publique face aux revendications coloniales de l’Allemagne et de l’Italie, en citant les sondages qui furent faits par l’IFOP. Il s’agissait des premiers sondages effectués en France !

Il aurait été intéressant de voir confrontés les résultats de ces sondages et ceux d’une analyse de la presse de la même époque, afin de mesurer la place qu’elle consacrait à l’actualité impériale, comme cela a été fait dans l’étude dont nous rapportons plus loin les résultats, avec le grand journal provincial Ouest-Éclair.

Car l’opinion publique était divisée à ce sujet : prête en 1937 à des concessions coloniales étendues à l’Allemagne, d’après un sondage effectué par le journal L’œuvre, elle continue à l’être en octobre 1938 avec l’un des premiers sondages réalisés par l’IFOP.

A la question : « Pensez-vous qu’il faut donner des colonies à l’Allemagne ? » 59 % des Français interrogés avaient répondu oui, 33 % non, et 8 % ne sachant pas, mais ce sondage avait été fait dans la période du lâche soulagement des accords de Munich, alors que le mois suivant, les résultats étaient contraires.

A la question posée par l’IFOP en décembre 1938 : « Pensez-vous que la France doive rendre à l’Allemagne les colonies qui nous ont été confiées par la SDN » 70 % des personnes répondaient non, 22 % oui, et 8 % ne savaient pas.

Mais en février 1939, dans un contexte international de plus en plus tendu, sous la menace d’une nouvelle guerre, à une nouvelle question de l’IFOP à savoir, « s’ils sont décidés à se battre plutôt que de céder la moindre partie de nos possessions coloniales », 44 % répondirent non, 40 %,,oui, et 16 % ne savaient pas.

Quelles conclusions peut-on tirer de ces sondages à la fois isolés et trop rapprochés ?

L’offensive impériale représentait avant tout une riposte directe aux menaces de l’Axe : elle a réussi à retourner l’opinion publique... La conquête coloniale s’étant .faite en dehors de l’opinion et presque à son insu, il n’est guère étonnant que les Français s’y soient montrés longtemps indifférents...

Ainsi peut-être le peuple français manifesta-t-il ses sentiments envers cet empire colonial qu’il n’aimait guère et qu’il désirait pourtant garder. (p. 73)

J’ajouterais volontiers qu’après l’indifférence au colonial, une grande curiosité française pour l’exotisme colonial (voir expositions), une indifférence persistante à l’impérial, les Français ne virent dans cet Empire que l’ultime recours de la nation en cas de conflit.

Nous reviendrons sur les sondages dans un chapitre spécial.

Avant de clore ce chapitre consacré à la presse et à son rôle sur l’opinion publique, je propose au lecteur de prêter son attention à un exercice de mesure de l’information coloniale dans la presse de province, et précisément au sein du plus grand quotidien provincial de l’époque, Ouest Éclair, exercice que j’aurais vivement conseillé de faire à notre collectif de chercheurs, avant d’avancer des affirmations et conclusions sans fondement.

Le contenu de l’exercice est d’autant plus intéressant qu’il ne confirme pas, en tout cas pour le grand journal provincial en question l’évolution de l’opinion publique signalée par l’historien Ageron, si l’on considère qu’un journal a tendance à aller dans le sens du poil de ses lecteurs.

Il s’agit d’un article rédigé par Mme K. K. Daouda et Jacques Thobie à partir du mémoire de Mme K. K. Daouda, article paru dans la Revue Française d’Outre-Mer en 1982, et intitulé « Ouest Eclair et l’Empire colonial français de 1936 à 1939 ».

Ouest Eclair était de tendance conservatrice, donc a priori plutôt favorable à l’Empire. La méthode utilisée est simple : mesurer la superficie des articles consacrés à l’Empire par rapport à la surface totale du journal.

A la lecture du tableau ci-dessous, le lecteur pourra se rendre compte qu’au cours des années 1936 à 1939, la surface des articles consacrés à l’empire colonial n’a pas dépassé 5 %, sauf en 1939, avec 5,2 %

 

 

Articles consacrés à l’Empire colonial dans Ouest-Éclair

Année

1936

1937

1938

1939

pourcentage sur la surface totale du journal

0,86

4,10

2,39

5,20

nombre d’articles

informations

34

28

134

118

96

82

57

38

éditoriaux

6

16

14

19

surfaces en cm²

4.266

19.247

11.454

17.751

surface moyenne par article

125,4

143,6

119,3

311,4

On ne peut pas dire que l’actualité impériale encombrait les colonnes de ce journal, mais il est possible d’avancer qu’effectivement, à la veille de la deuxième Guerre mondiale, le sujet a pris un peu plus d’importance, notamment avec un plus grand nombre d’éditoriaux.

L’analyse des contenus montrait que le journal donnait une vision optimiste de l’Empire au cours du premier semestre 1936. Avec l’arrivée du Front Populaire au pouvoir, le journal désapprouve sa politique libérale en Algérie avec le projet Blum Viollette, mais approuve la répression nationaliste en Tunisie. Au cours de la dernière période le journal défend le maintien de l’Empire.

Les auteurs de l’analyse font ressortir :

  1. Une apologie sans faille de la colonisation...
  2. L’Afrique, c’est d’abord et avant tout l’Afrique du Nord, clé de voûte sans laquelle tout s’effondre...
  3. L’empire colonial constitue pour la France une réalité militaire et stratégique qui est partie intégrante de sa puissance et de sa capacité de défense et de riposte.

Et les auteurs de l’article de conclure :

« Resterait à savoir dans quelle mesure ces articles retenaient l’attention des lecteurs de ce quotidien régional. Mais est-il une réponse à cette question ? » (p.122)

En tout cas, il y avait moins de chances statistiques que les lecteurs soient intéressés par des sujets impériaux que par ceux qui occupaient la presque totalité des colonnes de ce journal.

Les travaux de l’association Images et Mémoires font également une place à l’analyse de la presse de province et aux articles qui étaient consacrés à la présentation des villages noirs qui accompagnèrent souvent certaines grandes expositions de province, principalement à la fin du XIXème siècle. Cette lecture est instructive parce qu’elle ne se réduit pas à la seule caricature qu’ont voulu en faire certains, celle des zoos humains. Nous y reviendrons dans le chapitre des Expositions coloniales.

Nous proposons quelques-uns de nos tests d’évaluation de la relation entre fait colonial et presse, en ce qui concerne la période 1870-1900, la fameuse période décrite comme d’imprégna­tion.

Le soi-disant guet-apens de Bac Lé (Tonkin 1884) : une colonne française lancée à la conquête de Lang Son est contrainte par l’armée chinoise à faire retraite. Au cours de l’année 1884, L’Illustration, diffusée à environ 50 000 exemplaires a consacré de 6 à 7 pages aux affaires du Tonkin, au premier semestre, sur 442 pages, et le Tonkin n’est mentionné que 8 fois dans les 486 pages du deuxième semestre. L’affaire de Bac Lé n’y est évoquée que sur deux colonnes. On ne peut donc pas dire que les affaires du Tonkin passionnaient la rédaction du journal, les lecteurs, ou tous les deux.

Une affaire beaucoup plus grave, la retraite de Lang Son qui a causé la chute du ministère Jules Ferry en 1885 ! Toujours dans le même hebdomadaire, au premier semestre, les affaires coloniales occupent une dizaine de pages sur 500 environ, avec quatre pages de couverture sur les 26 numéros. Les photos et les colonnes de texte sont principalement consacrées au retour de la dépouille du commandant Rivière tué à Hanoi en 1883.

Le deuxième semestre accorde une plus large place aux affaires du Tonkin, mais à la mort naturelle de l’amiral Courbet en mer de Chine, et non pas à la retraite de Lang Son. Sur les 26 numéros, 3 pages de couverture avec photos furent consacrés à l’amiral et seize pages au total sur environ 500 pages. Dans les sujets traités par l’hebdomadaire on trouvait en parallèle la mort de Gordon à Khartoum et celle de Victor Hugo.

Donc pas de passion pour ces sujets coloniaux !

La conquête de Madagascar en 1895. Cette campagne était couverte par de nombreux journalistes, comme c’était devenu la mode pour toutes les campagnes militaires des puissances coloniales de l’époque. Sans avoir effectué de pointage précis sur la presse de l’époque, il semble assuré que la présence de journalistes, la diffusion de leurs articles, l’hécatombe de soldats que connut cette campagne, ne contribua sûrement pas à rendre populaire les conquêtes coloniales, mais il serait intéressant de faire des recherches à ce sujet aussi bien dans la presse nationale que dans la presse provinciale qui donna un puissant écho à cette campagne.

Une étude de Jean Valette et Mariette Valette Rahamefy, intitulée L’esprit public bergeracois et l’expédition de Madagascar (1894-1896),- Tananarive,1963, donne un éclairage intéressant sur le sujet. Le contenu des trois journaux bihebdomadaires de Bergerac a été examiné à partir du nombre de fois dont ils ont parlé de Madagascar.

Leur conclusion a été :

« En premier lieu, que l’affaire de Madagascar eut en France, tout au moins en Dordogne, de très certaines répercussions, puisque les trois journaux considérés lui ont, chacun, pour des raisons diverses, accordé une grande place dans leurs colonnes. Mais quelles sont ces raisons ? Il ne semble pas qu’elles soient spécifiquement coloniales. En effet, la presse bergeraçoise n’a jamais participé à ce que l’on a pu appeler le "Parti colonial", et les grandes théories commerciales, humanitaires, etc., qui ont caractérisé les journaux de ce parti lui sont restées étrangères. Aussi est-ce beaucoup plus pour des raisons de politique intérieure : soutien du gouvernement, ou, au contraire, attaque contre le ministère ou le régime, que la presse bergeracoise s’est intéressée aux problèmes malgaches. Cette attitude explique donc les positions prises par les journaux républicain, orléaniste ou bonapartiste, qui sont conformes ainsi, sauf exceptions dues à des contingences locales, au clivage traditionnel des grandes tendances politiques françaises de l’époque. »

Donc des préoccupations beaucoup plus hexagonales que coloniales !

En ce qui concerne la conquête du Soudan, elle se fit, quasiment, et pendant longtemps, à l’abri du regard de la presse.

Dans l’état actuel des recherches, il parait possible d’avancer l’hypothèse que pendant toute la période des grandes conquêtes coloniales de 1870 à 1900, et sauf à certaines grandes occasions, par exemple Fachoda, la presse n’a pas accordé une grande place à l’actualité coloniale et joué un rôle assez réduit sur l’opinion publique.

C’était d’ailleurs une des conclusions du grand historien Henri Brunschwig.

Et en contrepoint, Maurras à la Une ? Et des mémoires d’études de l’Université de Provence, novateurs en méthodologie, ignorés.

Des recherches qui n’ont fait que butiner, picorer dans les journaux, sans jamais faire appel à une vraie méthode d’analyse statistique. Un historien qui tire des conclusions générales, alors qu’il a beaucoup plus fréquenté la presse de droite et d’extrême droite, notamment celle de Maurras, et celle du sud-est de la France, que celle de la France entière, de Paris et de toutes nos belles provinces.

N’écrit-il pas qu’au cours de la période qu’il a spécialement étudiée, celle des années 1930-1945 :

« La grande majorité des Français est en phase avec Charles Maurras quand il affirme, dans Pages africaines, qu’il était pourtant clair que ce droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était de nature à nuire à tous les empires coloniaux... » (CC/221).

C’est peut-être faire beaucoup d’honneur au journal de Maurras et à son influence sur la grande majorité des Français, alors que son journal avait en 1939 un tirage modeste de 45 000 exemplaires !

Alors que deux mémoires d’études précurseurs, le premier daté de 1975, et le deuxième de 1987, effectués sur le même type de sujet colonial et dans le même ressort de l’Université de Provence que celui choisi comme cadre d’analyse par l’auteur, proposaient la bonne méthode à utiliser pour analyser la presse dite coloniale, quelques années avant la thèse que l’auteur a défendue en 1993.

Première étude, celle de M. Huyn Huu Nghia, sous la direction de J. L. Miège, intitulée Fachoda et la presse marseillaise (sept.-dec.1898). Six quotidiens ont été examinés sous toutes les coutures, avec calcul des surfaces consacrées au sujet, repérage des articles en fonction de la pagination, classement selon la rubrique de rattachement, France, Angleterre, étranger, Afrique, armement et bruits de guerre.

L’auteur a représenté ses analyses quantitatives en tableaux de pourcentage, en histogrammes, et en graphiques, outils d’analyse dont il résulte :

« Pour l’ensemble des quotidiens marseillais, il apparaît deux périodes

  • Les mois d’octobre et de novembre sont des mois où les numéros furent nombreux.
  • Ils sont encadrés par les mois de septembre et de décembre de faible intérêt. »

La presse marseillaise a donc suivi pas à pas le déroulement du conflit :

  • Un développement de la crise en septembre ;
  • La crise elle-même en octobre ;
  • L’évacuation du 4 novembre et ses conséquences immédiates ;
  • Décembre, la fin de la crise.

L’auteur a complété son étude quantitative avec une analyse qualitative des articles de la presse marseillaise. Leur contenu avait une tonalité clairement anti-anglaise, mais les journaux n’ont jamais poussé à la guerre, et ont rapidement fait baisser la tension, quand un accord a pu être envisagé par le Ministre des Affaires étrangères Delcassé, dont l’action a été louangée par tous les journaux. Les mêmes journaux ont mis l’échec de la France sur le dos de l’affaire Dreyfus qui divisait le pays au cours de cette période.

Citons enfin une partie du commentaire de la conclusion :

« En effet, si l’opinion française baignait dans une indifférence rare devant tout ce qui concernait la colonisation, Marseille port de grand négoce, a été une exception. Ceci explique en partie, la crainte d’un conflit avec l’Angleterre : les armateurs marseillais n’auraient pu lancer leurs navires à travers une Méditerranée tenue par les Anglais. »

Le lecteur aura pu constater que le bain colonial n’avait pas tout à fait le même sens que celui du collectif de chercheurs.

Deuxième mémoire, celui présenté par M. Stephane Pellet. sous la direction du professeur Miège dont le sujet était : Le mouvement colonial et la presse vauclusienne (1869­/1899), L’étude s’attachait à l’analyse de quatre périodes, ouverture du canal de Suez (1869), chute du gouvernement Ferry (1885), conquête de Madagascar (1894), et Fachoda (1898).

Le mémoire avait l’ambition (réussie) de déterminer la place qu’occupait dans la presse locale du Vaucluse, les informations sur le monde colonial, actualités ou débats qui conduisaient les journaux d’Avignon et de Carpentras à traiter cette information... Pour chaque relation de faits ou prise de position, nous dirons "relation", il a été déterminé une longueur, en segment de colonne, un type de caractère gros, moyen ou petit, une grosseur de titre, gros moyen ou petit et un emplacement de page en 1 ère 2ème ou 3ème.

Conclusions de cet examen méthodique : quelques pourcents de la surface des journaux passés à la loupe consacrés aux affaires coloniales, et absence d’enthousiasme et de conviction des journaux vauclusiens pour la politique coloniale de la France.

FIN du Chapitre 2 page 82

 

 

 

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10 octobre 2024 4 10 /10 /octobre /2024 15:50

effectivement analysée dans sa thèse pour la période 1930-1945, sur celle de Maurras,

« L’ensemble de ce contexte politique se retrouve dans la multitude d’articles de presse concernant l’Exposition Internationale de 1931, qui est d’une remarquable uniformité et très révélatrice de cette évolution doctrinale » (CC/223).

L’auteur cite à ce sujet l’Ami du peuple, La Victoire, le Figaro, Candide, et en sous-titrant La presse au diapason colonial.

« Un rapide tour d’horizon du monde médiatique français permet de remarquer une démultiplication du nombre d’articles abordant, et cela dès la première page, des questions coloniales » (CC/225).

A ce sujet, l’auteur cite sa thèse universitaire pour appuyer sa démonstration (note 13 p. 225). Notons que les journaux cités ci-dessus avaient une audience très limitée.

Enfin, après avoir cité d’autres titres, l’auteur écrit : « A travers ces quelques exemples (que l’on pourrait multiplier à l’iden­tique) on constate aisément que la presse dans son ensemble, montre alors un intérêt prononcé pour le domaine colonial au cours de cette année "impériale" ».

Oui, mais après 1931, et en 1932 ? Comme l’auteur en a fait état plus haut. De quoi, parlons nous en définitive ?

Dans La République Coloniale, les auteurs écrivent au sujet de la popularisation pour l’ailleurs… la création de journaux populaires, tels Le Tour du Mande et surtout le Journal des Voyages qui tirent à la fin des années 1870 à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires… Les grands journaux populaires généralistes illustrés, tels Le Petit Parisien, Le Petit Journal, L’Illustration, consacrent de nombreux articles aux explorations. Le thème est en vogue et fait vendre (p. 60).

Mes recherches personnelles sur les tirages annoncés ont été infructueuses.

Dans l’ouvrage Culture Impériale, l’historienne Lemaire relève « l’importance de l’emprise propagandiste sur l’information écrite » (CI/51).

Les actes du Colloque de 1993 n’ont fait qu’effleurer le sujet.

L’historienne Coquerv-Vidrovitch fit une intervention sur le thème Apogée et crise coloniale, en précisant qu’elle « abordera le contexte d’idéologie coloniale dans lequel s’est développée l’iconographie coloniale. C’est d’ailleurs pourquoi je ne présenterai pas pour ma part d’image » (C/27).

Donc pas d’images, mais pas non plus d’analyse de la presse, alors qu’elle propose ses réflexions sur l’opinion publique.

L’historien Rivet, dans sa communication sur Les Bâtisseurs d’Empire, fait état de sondages, sans plus de précisions

Des sondages dans L’Illustration et dans le Monde Colonial illustré durant l’entre deux guerres et dans Paris Match après 1945, il ressort la place restreinte, secondaire des bâtisseurs d’Empire. (C/67).

 

Le livre Images et colonies contient plusieurs contributions qui abordent ce sujet. L’historienne Hugon, sous le titre Conquête et exploration de l’Afrique noire (1880-1913) nous livre quelques réflexions sur les images et textes publiés dans la presse de l’époque, mais elle ne nous fournit aucune évaluation précise, sauf dans sa note 2 (p.23)

« La production d’images sur la conquête et l’exploration, bien qu’assez constante, connait cependant des périodes de pointe dues à l’actualité. Ainsi les expéditions françaises au Dahomey et à Madagascar font-elles l’objet de maintes gravures dans les années 1891-1893 et 1894-1896 respectivement : dans le supplément illustré du Petit Journal, quatorze gravures sur le Dahomey entre 1891 et 1893, dont dix pour la seule année 1892 (le supplément hebdomadaire comportait en général deux illustrations en couleur, soit environ cent gravures par an. »

L’historien Holo, L’œuvre civilisatrice de l’image à l’image (IC/158)(1880-1913) traite de différents sujets, le génie colonisateur, l’évangile du progrès, la supériorité occidentale, le parti colonial à la conquête de l’opinion, les discours et représentations, l’image couramment transmise de l’Afrique par la presse illustrée, et cite à la fois des textes et des images de presse à leur sujet, images et textes qui se répartissent chacun sur moitié de la surface.

Mais aucune évaluation de la presse et du discours colonial dont il pourrait faire état.

L’historien Meynier, L’organisation de la propagande (IC/113) (1919-1939), ne donne aucune évaluation sur la presse, alors qu’elle pouvait être l’instrument privilégié de cette propagande, sur l’existence de laquelle, il est d’ailleurs plutôt réservé, comme nous le verrons dans notre chapitre sur la propagande.

Émergent alors, après avoir traversé cette sorte de désert sans oasis, les seules contributions qui tentent d’apporter quelques informations sur le rôle de la presse, mais nous sommes à présent transportés dans la deuxième guerre mondiale, et dans le contexte historique tout à fait trouble que fut la période de Vichy.

Dans la contribution la plus longue, celle de l’historien Blanchard et de l’anthropologue Boëtsch, La Révolution Impériale (IC/186), le rôle de la presse est évoqué à plusieurs reprises. Les auteurs, après avoir rappelé le message diffusé par la presse de droite avant 1939, notent :

« Entre 1939 et 1944, la presse va largement promouvoir le discours sur l’Empire du nouveau régime, avec de nombreuses rubriques coloniales » (IC/190), mais en faisant référence à nouveau à la presse de droite de l’époque.

« Entre 1940 et 1944, les articles comme les dessins de presse, abordent plus régulièrement les questions coloniales qui occupent dorénavant une place plus importante dans la société française ». (IC/192).

 

Résultat : peu de lumières sur le rôle réel de la presse qui s’exerçait de toute façon dans un contexte historique exceptionnel, celui de l’occupation allemande.

La deuxième contribution intitulée La presse et l’Empire (IC/215), sous la seule signature de l’historien Blanchard ne dépasse pas une page et brosse un tableau rapide des différents organes de presse. et notamment de ceux qu’il connaissait le mieux, grâce à sa thèse, pour conclure :

« Presse collaborationniste, presse maréchaliste, ou presse sous contrôle allemand, toutes sont d’incessantes propagatrices de l’idée coloniale, sur des tons et avec des idées différentes mais aussi des buts souvent opposés. La presse .fut néanmoins. avec l’image, l’arme par excellence de Vichy, pour diffuser largement son discours colonial dans l’opinion publique » (IC/215).

Donc aucune évaluation, pour autant qu’elle ait pu avoir un réel intérêt, à l’époque considérée, pour apprécier l’ampleur des convictions coloniales de la presse tout au long de la période coloniale.

Dans cet esprit, il serait intéressant d’en savoir plus sur la note 13 p. 231, qui se réfère à la période de l’Union Française, et non de l’Empire, c’est-à-dire postérieure à 1945, quant au dépouillement de la presse : La presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle qui a fait l’objet dans le cadre des recherches entreprises par l’Achac d’un dépouillement systématique.

La démonstration du rôle de la presse dans la naissance d’une culture coloniale française et dans la transmission éventuelle de stéréotypes coloniaux répétés et définis à la France d’aujourd’hui est loin d’être faite, pour ne pas dire inexistante.

Alors que la presse a été un des supports constants de l’information et de la culture des Français tout au long de la période coloniale, avec ses images et ses textes, elle n’a fait l’objet, de la part de cette école de chercheurs, d’aucune évaluation sérieuse, période par période, selon les critères que nous avons déjà décrits ! Un tissu de considérations littéraires ou sociales sur le rôle des journaux plus qu’une véritable analyse historique !

Et pourtant le matériau existait et offrait la possibilité de nous dire si effectivement le fait colonial comptait peu, beaucoup, ou pas du tout dans les journaux de la capitale ou de la province, et si, dans le contenu de leurs articles et de leurs illustrations, ils réservaient un écho favorable ou défavorable à la conquête coloniale et à la colonisation.

Pour la période étudiée des années 1870 à 1962, on peut dire que l’encéphalogramme de leur recherche sur la presse est presque plat, à l’exception de la période 1940-1945, avec un regard rétrospectif sur la période 1930-1940, mais à la condition de se pencher sur la thèse de l’historien Blanchard, et c’est ce que nous allons faire à présent.

Dans sa contribution du livre Culture coloniale, intitulée L’Union nationale : la rencontre des droites et des gauches à travers la presse et autour de l’exposition de Vincennes, l’auteur écrit à la page 225 La presse au diapason colonial :

« Un rapide tour d’horizon du monde médiatique français permet de remarquer une démultiplication du nombre d’articles abordant, et cela dès la première page, des questions coloniales.

Avec en renvoi la note 13 de bas de page :

« Cette étude repose sur une analyse de 650 titres de quotidiens, hebdomadaires et revues édités en France entre 1925 et 1940. Pour plus de détails, on se reportera à notre travail de thèse Nationalisme et Colonialisme Paris I 1994. »

Et c’est effectivement ce que nous avons fait.

Le titre de cette thèse en circonscrit l’objet : « Nationalisme et Colonialisme, la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale », et la thèse ne consacre aucune place à l’analyse des images de cette époque en tant que telles. Le travail essentiel de recherche a porté sur les journaux de cette droite nationaliste. La note ci-dessus indique que l’analyse a porté sur 650 journaux ou revues, mais la thèse donne un chiffre inférieur « plus de 375 », et fournit la liste des principaux journaux examinés, soit 180 au total. Sont cités quelques journaux parisiens, Le Journal et Le Matin dont les tirages étaient en 1939 respectivement de 411.021 et de 312.597, contre 1.739.584 et 1.022.401 pour Paris Soir et Le Petit Parisien.

En ce qui concerne la presse de province, l’auteur ne cite que des titres du sud-est de la France dont les tirages étaient beaucoup plus faibles que ceux d’autres régions françaises. Le Petit Marseillais tirait à 150 000 exemplaires, alors que Ouest Eclair était à 350.000, et la Petite Gironde à 325.000.

Il serait donc difficile de prétendre à la représentativité nationale du corpus analysé, ce qui ne figurait d’ailleurs pas dans le propos de cette thèse.

Il était clair qu’elle portait sur une période de temps bien délimitée de 1930 à 1945, sur un objet également bien défini, la droite nationaliste et le colonialisme, à partir de sources historiques listées, mais qui de par leur nature, étaient centrées sur la presse nationaliste de droite, sur une presse provinciale localisée, et dans quelques cas, sur la presse populaire nationale.

Ce n’est donc pas dans cette thèse qu’il est possible de trouver la source qui pourrait accréditer, sans contestation possible, le discours de l’historien Blanchard et de son équipe sur le rôle de la presse dans la formation d’une culture dite coloniale, puis impériale.

 

Dans le long article que l’historien C.-R. Ageron a publié en 1990 dans la Revue Française d’Histoire d’Outre-Mer, intitulé Les colonies devant l’opinion publique (1919-1939), article déjà évoqué dans le chapitre précédent, l’influence éventuelle de la presse sur la mentalité coloniale des Français est longuement évoquée. Cette contribution s’inscrit dans une chronologie rigoureuse et son contenu est précis.

L’historien constate qu’en 1921 la presse coloniale « ne touchait pas le grand public » (p. 36). « Lorsque la presse parisienne développa, vers 1925, la formule des pages magazines, on remarque que les plus grands quotidiens n’avaient pas de page coloniale, ni même de rubrique coloniale régulière. L’information coloniale revenait à un rédacteur de deuxième plan, dont ce n’était même pas la besogne essentielle » (p.41).

« Tous les efforts de propagande des gouvernements coloniaux et de la presse coloniale butaient donc sur ce cercle vicieux : sans le concours de la grande presse, ils ne pouvaient toucher qu’un public infime. Or celle-ci, étrangère à l’esprit colonial, jugeait "invendable" la propagande coloniale. A une époque où il était admis que la presse "faisait l’opinion"... » (p.41)

A partir de 1927, la situation commença à changer avec le lancement d’une grande campagne de propagande coloniale, notamment grâce au concours de la radio, et la presse d’information s’associa pour la première fois à la propagande coloniale. La presse coloniale spécialisée elle-même voyait ses tirages augmenter, mais ils étaient encore très modestes. Le plus fort tirage était celui de la Dépêche africaine avec 30 000 numéros.

L’auteur évoque l’intense campagne de propagande que le gouvernement encouragea et soutint financièrement pour la commémoration du Centenaire de l’Algérie, campagne à laquelle s’associa effectivement la presse. Sa remarque relative aux répercussions de cette campagne sur l’état d’esprit d’une catégorie de Français, remarque qui va dans le sens de la thèse historique que nous critiquons laisse un peu perplexe car, comment juger, même approximativement, d’une corrélation hypothétique entre cette campagne et une imprégnation idéologique ? Sauf sans doute à considérer que l’Algérie était un cas à part, ce qui est vrai.

L’auteur écrit en effet :

« Il semble que cette campagne ait non seulement été bien accueillie, mais qu’elle ait laissé des traces durables parmi les jeunes adultes. Des sondages d’opinion effectués en 1959 révélèrent que les français métropolitains qui se sentaient les plus solidaires "des populations européennes vivant en Algérie" appartenaient aux classes d’âge ayant eu vingt à trente-cinq ans en 1930, tandis que ceux qui avaient alors plus de trente cinq ans l’étaient moitié moins » (p.49).

Une fois passé l’immense succès populaire de l’Exposition Coloniale de 1931, l’opinion publique retomba comme un soufflé dans son indifférence habituelle pendant plusieurs années avec une diminution sensible des pages de presse consacrées à l’actualité coloniale et du nombre de causeries de Radio Paris (p.55).

Même le cinéma colonial ne trouvait plus son public :

« L’Afrique française de juillet 1934 rapportait que les directeurs de salle étaient unanimes : le documentaire colonial ne tenait plus l’affiche et les films romancés coloniaux étaient souvent ridicules » (p.56).

L’historien rappelle à juste titre que la France était alors frappée par la plus grande crise économique de son histoire (1931-1938) et qu’on s’interrogeait en France sur l’utilité des colonies (une fois de plus !). Comment ne pas voir aussi que ce changement de l’opinion publique avait été provoqué par l’évolution politique inquiétante de l’Allemagne et de l’Italie. L’Empire colonial devenait un atout essentiel pour la sécurité de la France, position que les gouvernements défendirent d’ailleurs dans leur propagande politique : (page 74

 

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10 octobre 2024 4 10 /10 /octobre /2024 15:30

SUPERCHERIE COLONIALE

Page 63 à 83

CHAPITRE 2

La presse

Première Partie

Aux nombreuses questions que l’on peut légitimement se poser sur l’existence ou non d’une relation, d’une filiation, pour ne pas utiliser le terme préféré de généalogie de nos historiens, entre l’histoire coloniale et l’histoire nationale, l’analyse de la presse nationale et régionale, c’est-à-dire des très nombreux journaux publiés entre 1871 et 1939, pourrait sans doute apporter un début de réponse, sinon une réponse.

Incontestablement, la presse constitue un des rares supports d’information et de culture qui a existé tout au long de cette période, à la différence des autres supports. Elle a également l’immense mérite de pouvoir faire l’objet d’un travail d’évaluation, de mesure statistique des textes et des images en termes de colonnes et de pages, ainsi que d’un examen qualitatif des contenus.

Les grandes conquêtes coloniales, Tombouctou (1893), Tonkin (1885), Dahomey (1892), Madagascar (1895), ou Fachoda (1898) ont fait l’objet d’articles de reportages, de gravures et de photographies. Il est donc possible, avec les archives de la presse de procéder à un sérieux travail d’évaluation statistique exhaustive ou par échantillon : surface et fréquence des articles, ou des images, dans la presse nationale et régionale par rapport à la surface totale des supports de presse d’information et de culture, analyse des contenus, favorables ou défavorables à la conquête. Nous verrons qu’un exercice de ce type a été effectué sur un grand quotidien provincial, ainsi que sur d’autres journaux de province.

Quelques chiffres tout d’abord pour fixer les idées (Histoire générale de la presse, 1972) :

En 1880, 94 titres de quotidiens parisiens, avec un tirage total de 3.500.000. Quatre journaux ont les tirages les plus importants : le Petit Journal 583.820, La Petite République : 196.372. La Lanterne : 150.531, le Figaro : 104.924.

La même source ne donne pas le chiffre des tirages de la presse provinciale à la même époque, mais le chiffre des quotidiens, beaucoup plus élevé que celui de Paris : 252 quotidiens en 1882.

En 1910. le tirage des quotidiens parisiens passe à 4.950.000 pour 76 titres. Quatre journaux ont les tirages les plus importants :

Le Petit Parisien : .................... 1.400.000

Le Petit Journal : ........................ 835.000

Le Journal : .................................. 810.000

Le Matin : ...................................... 670.000

En 1939, le tirage des quotidiens parisiens est de 5.500.000, et les quatre journaux les plus importants sont :

Paris Soir .................................. 1.739.584

Le Petit Parisien : .................... 1.022.401

Le Journal : .................................. 411.021

L’Humanité : ................................ 349.587

En 1939, la presse de province fait plus que jeu égal avec la presse parisienne avec un tirage total de 6 millions d’exemplaires pour une centaine de titres, dont les plus importants sont :

L’Ouest Eclair :............................ 350.000,

La Petite Gironde :..................... 325.000,

L’Echo du ²Nord : ....................... 300.000,

La Dépêche de Toulouse :.......... 260.000.

Ne figurent pas dans les premiers les journaux de la région de Marseille qui ont fait l’objet de l’attention privilégiée de l’historien Blanchard dans sa thèse.

Donc, un potentiel de textes et d’images d’archives considérable, disponible pour des chercheurs qui auraient l’ambition de mesurer l’importance du fait colonial dans l’information et la culture des lecteurs français tout au long de la période coloniale moderne.

Cette fresque rapide éclairera notre propos sur le parti historique qu’en a tiré notre nouvelle école de recherche historique dont nous critiquons tout à la fois les méthodes, les travaux et les conclusions, le seul travail de base à ce sujet étant la thèse de M. Blanchard dont nous analyserons le contenu.

Pour l’essentiel, ce discours est contenu dans Culture Coloniale pour la période 1871-1914, baptisée Imprégnation d’une Culture.

En effet les grands journaux participaient à cet intérêt, se faisant l’écho des conquêtes (CC/43), et plus loin, La grande presseLe Petit Journal et Le Petit Parisien – multiplient les sujets ayant trait aux expéditions coloniales ; d’autres journaux furent créés autour de ces thèmes porteurs comme le Journal des voyages en 1877 (CC/49).

Dans la phase baptisée, Fixation d’une appartenance (après 1914), « l’Agence (des Colonies) "inondait", gérait et générait son propre discours en s’assurant la maîtrise de sa production et des relais de diffusion. Interlocuteur privilégié, elle s’octroya ainsi un monopole en contrôlant tous les maillons de la chaîne d’informa­tion. » (CC/139).

Le chapitre 7 que nous consacrerons à la propagande coloniale fera plus que nuancer ce discours et dans la troisième phase dite, Apogée d’un dessein, Entre 1929 et 1931... « La grande presse est devenue coloniale en quelques mois... » et plus loin, une remarque de tonalité contraire : « Même si cet engouement sera bien vite mis de côté à la fin de l’année 1932, la mode de l’empire était sans doute passée. » (CC/213)

L’auteur fait-il référence à sa thèse universitaire ?

Ses réflexions portent sur un certain nombre de sujets de presse, notamment sur la presse de droite qu’il a effectivement analysée dans sa thèse pour la période.

 

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8 octobre 2024 2 08 /10 /octobre /2024 15:33

Introduction

L’analyse critique à laquelle nous allons procéder porte sur l’histoire coloniale de la France entre 1870 et 1962.

Un petit flash back historique nécessaire

Comme au cinéma, puisque nous sommes aussi dans le domaine des images, procédons à un rapide flash back historique que le lecteur conservera utilement dans sa mémoire pour se faire une opinion, à chacune des époques considérées, sur les discours du collectif de chercheurs dont nous allons critiquer les travaux.

Années 1880-1914 : la période des grandes conquêtes coloniales de la Troisième République, dans le sillage de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace Lorraine.

Première guerre mondiale 1914-1918, la boucherie : la France fit appel aux troupes indigènes de l’Empire. Cette guerre mit en péril les forces vives de la nation beaucoup plus mobilisées, dans les quelques vingt années qui la séparèrent de la deuxième guerre mondiale :

  • par la reconstruction du pays.
  • par la lutte contre les effets de la grande crise
    économique de 1929,
  • et enfin, par la menace de l’Allemagne hitlérienne
    et du communisme soviétique,

que par la consolidation d’un empire colonial.

Deuxième guerre mondiale – 1939-1945 une période très ambigüe avec l’affrontement entre de Gaulle et Pétain, et le rôle stratégique que se trouva jouer l’Empire, un Empire disputé par les deux camps. La France fit à nouveau appel aux troupes de l’Empire.

Après la Libération de son territoire, la France fut une fois de plus occupée à se reconstruire, à se refaire une santé nationale, et fut dans l’incapacité de faire évoluer l’Empire vers une Union Française toujours introuvable, et de plus en plus introuvable avec les insurrections encore circonstanciées de Sétif, puis beaucoup plus graves de Madagascar et d’Indochine, et enfin par la guerre d’Algérie, conflit de toutes les ambiguïtés de la France.

Nous veillerons donc à mener notre analyse toujours dans le respect de ces temps historiques, car il est impossible de mettre sur le même plan les images et les textes de ces différentes époques.

Comment comparer en effet la propagande par images de Vichy, pendant l’occupation allemande, alors que l’Empire était devenu le champ clos de toutes les luttes franco-françaises et alliées, avec celle des années. 1900, 1930 ou 1950, à supposer, ce qui est loin d’être démontré, comme nous le verrons, qu’il y ait eu alors une véritable propagande ?

Les ouvrages en question

Notre analyse porte sur les ouvrages suivants, car il faut bien appeler un chat un chat. Chaque fois qu’ils feront l’objet d’une citation, ils seront rappelés par les lettres en gras qui figurent entre parenthèse.

Actes du Colloque Images et Colonies
    des 20 au 22 janvier 1993 ; ........................................................ (C),
Images et Colonies ; fin 1993......................................................... (IC),
Thèse Blanchard ; Sorbonne, 1994.............................................. (TB),
Culture Coloniale ; 2003 .............................................................. (CC),
La République Coloniale ; 2003 .................................................. (RC),
Culture Impériale ; 2004 .............................................................. (CI),
La Fracture Coloniale ; 2005 ....................................................... (FC),
L’Illusion Coloniale ; 2006 ......................................................... (ILC).

Trois historiens ont largement contribué à la conception et à la rédaction de ces ouvrages et développé la thèse que nous contestons, Pascal Blanchard, le principal animateur et rédacteur, Nicolas Bancel, et Sandrine Lemaire.

Françoise Vergés (docteur en sciences politiques et professeur à l’Université de Londres) a été associée à la rédaction de La République Coloniale.

Les Actes du Colloque (janvier 1993)

L’ambiguïté des propos et donc, de l’objet des études, marque dès le départ l’introduction des Actes du Colloque (Blanchard et Chatelier). Alors que ses rédacteurs indiquent que l’examen n’a porté que sur une quarantaine d’illustrations (p.13), alors que la production iconographique du XXème siècle révèle un volume très important d’images dont l’estimation exacte reste à faire (p.13), tout en veillant à ne présenter que des images dont on peut évaluer la diffusion (p.14), les auteurs n’hésitent pas à écrire que « le temps colonial se réapproprie le présent, que l’image fut l’allié puissant du colonialisme », et que « cette multiplication des images coloniales et la variété de leurs supports, évoquent un véritable bain colonial... » (p.14).

Et nous voilà plongés, en dépit de ces incertitudes et de ces approximations, dans le bain colonial, dont les enjeux ne sont pas aussi limpides que ceux du célèbre bain biblique de la chaste Suzanne.

Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il convient de penser de ces affirmations audacieuses, tout en montrant, qu’au cours de ce fameux colloque, toutes les contributions se rapportant aux différents supports d’information ou de culture, et, tant s’en faut, n’ont pas fait preuve de la même belle et imprudente assurance historique.

Le deuxième ouvrage passé au crible est Images et Colonies (fin 1993). Beau travail de collecte d’images coloniales, mais la question qu’il pose est de savoir si son contenu apporte la preuve du discours tenu par ses responsables.

Images et Colonies

L’avant propos annonce la couleur, haut et fort (Blanchard). D’abord dans son titre : « Il est temps de décoloniser les images » (p.8).

Et dans le texte une succession d’affirmations péremptoires sur l’importance des images coloniales et sur leur influence.

« Nous avons travaillé sur les images vues par un large public français à l’époque coloniale de la fin du XIXe siècle aux indépendances... à force de diffusion et de matraquage, un message de propagande... Aujourd’hui encore ces images restent présentes dans la production iconographique... comment les Français ont pu être séduits et/ou trompés par ce qui fut pendant près d’un siècle une véritable propagande... pour comprendre les phénomènes contemporains... son groupe de recherches a recensé plus d’un million d’images qui ont été analysées au sein de son séminaire et présentées au cours d’un colloque international organisé par l’ACHAC à la Bibliothèque Nationale en janvier 1993. »

Il s’agit du Colloque évoqué plus haut.

La thèse Blanchard intitulée Nationalisme
et Colonialisme (Sorbonne 1994)

Idéologie coloniale, Discours sur l’Afrique et les Africains de la droite nationaliste française des années 30 à la Révolution Nationale.

Le lecteur aura remarqué que la recherche historique est très limitée dans son champ idéologique et chronologique, et qu’il n’est pas du tout question d’images coloniales. L’auteur a fait porter ses efforts sur la presse, et nous reviendrons sur le contenu de cette thèse à l’occasion du chapitre que nous consacrons à l’analyse du support d’information et de culture qu’est la presse.

Culture Coloniale (2003)

Cet ouvrage a la prétention de démontrer que la France a eu et a encore une culture coloniale. L’avant-propos (Blanchard et Lemaire), intitulé La constitution d’une culture coloniale en France, énonce tout un ensemble d’affirmations et de postulats.

« Cette culture devient un corps de doctrine cohérent où les différents savoirs sont assemblés... On distingue trois moments dans cette lente pénétration de la culture coloniale dans la société française le temps de l’imprégnation (de la défaite de Sedan à la pacification du Maroc), le temps de la fixation (de la Grande Guerre à la guerre du Rif) et le temps de l’apogée (de l’Exposition des Arts décoratifs à l’Exposition coloniale internationale de 1931). » (p. 7)

« Comment les Français sont devenus coloniaux sans même le vouloir, sans même le savoir... mais coloniaux au sens identitaire, culturel et charnel (p. 8) l’instrumentalisation étatique de la culture coloniale. Très vite le cinéma et l’image fixe renforcent et diffusent le bain colonial auprès de l’ensemble des populations… » (p.13)

« Une culture coloniale invisible (p.16)... un tabou (p.17)... l’amnésie coloniale (p.19). Dès les années 1880 : une iconographie univoque, multiple et omniprésente. Ces images véhiculées par les médias de masse… » (p.23)

« La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel à la construction de la nation française. » (p.25)

« Pour autant la culture coloniale aura fait son œuvre, aura tissé sa toile, aura touché les consciences et marqué les esprits. Elle aura surtout contribué à faire la France des Trente glorieuses et celle des générations suivantes. » (p.32)

« L’indigène au cœur de la culture coloniale. » (p.33)

« 1931 ou l’acmé de la culture coloniale... dans le pays. Celle-ci est maintenant établie, omniprésente, diffuse, et a sans aucun doute trouvé son rythme de croisière au moment où l’empire semble basculer vers un autre destin. » (p.35)

« La France semble s’être imprégnée alors en profondeur de l’idée coloniale. » (p.36)

« Loin d’être des aventures lointaines, les conquêtes coloniales sont un des ciments de la société française. » (p.39)

L’ensemble de ces affirmations montre que leurs auteurs n’ont décidément pas froid aux yeux en leur qualité d’historiens, d’autant plus qu’ils se sont refusés au départ à proposer une définition de leur objet d’étude : 

« Pourtant essayer de donner une définition de la culture coloniale c’est entrer dans un champ théorique et abstrait qui n’est pas l’objet de notre démarche tant la notion de culture de masse est complexe, comme le montre un ouvrage récent. » (p.8)

Dans de telles conditions, de quoi allons-nous parler exactement, cher lecteur ?

La République Coloniale (2003)

(Blanchard, Bancel, Vergés - Une écriture à trois p.9). Tel que décrit dans la préface de la nouvelle édition, l’objet de l’ouvrage dérive par rapport aux livres que nous venons de citer. Nous passons de la culture coloniale à la République Coloniale, mais très précisément au pourquoi, d’après les trois auteurs, de la situation actuelle de la France dans son rapport avec les populations d’origine coloniale.

La situation qu’ils décrivent : « Présence de la colonisation pour des centaines des milliers de jeunes Français qui subissent inégalités et discriminations (p.II)... ce retour du refoulé (p.III) ... il existe un impensé dans la République (p,IV). En n’écoutant pas les oubliés de l’histoire, on prend le risque de voir tous les révisionnismes, toutes les manipulations (p. V) les liens intimes entre République et colonie... Pour déconstruire le récit de la République coloniale (p.V). »

Ces quelques citations montrent que l’ouvrage esquisse une analyse qui dépasse le champ proprement historique et nous nous poserons la question de savoir si ces chercheurs ont été au-delà de l’incantation idéologique.

Des livres examinés à la loupe, c’est incontestablement celui dont l’outrance verbale et intellectuelle est la plus forte, celui qui développe toute la thématique d’idéologie historique de notre triade, le bain colonial des images, le matraquage de la propagande coloniale, l’omniprésence de l’Algérie, la généalogie existant entre culture coloniale et crise des banlieues, et pour finir, la mise en parallèle de la période de Vichy et de celle des colonies, le même type d’amnésie existant aujourd’hui pour la période coloniale, comme elle a existé pour Vichy et la collaboration.

Culture Impériale (2004)

Un discours également péremptoire sur les effets de la culture impériale.

« Trois quarts de siècles plus tard, la nostalgie de cette grandeur... reste encore vivante, même si elle prend des formes ambivalentes. (p.7). La France s’immerge… imbibée naturellement (p.9)... C’est une véritable culture impériale multiforme qui s’impose au cours des années 1931-1961... » Et les auteurs de renvoyer le lecteur, comme ils le font souvent dans leurs écrits, à leurs autres écrits, ici le livre Culture Coloniale, et la boucle est bouclée, sinon le cercle vicieux…

« Les processus par lesquels les Français sont devenus des coloniaux. Non pas des coloniaux fanatiques, ou simplement très au fait, ou encore particulièrement concernés par l’empire... mais pénétrés, imprégnés de cette culture impériale sans souvent en avoir une conscience claire et qui, sans manifester une volonté farouche de le défendre ou sans en connaître la géographie exacte, n’en témoignent pas moins de leur attachement à son égard. » (p.14).

Donc, le tout et son contraire, et heureusement pour nos bons auteurs, les Français imbibés consciemment ou pas de culture impériale (p.26), vont devoir s’en remettre aux bons soins du docteur Freud !

La Fracture Coloniale (2006)

Sous la direction de la triade Blanchard, Bancel et Lemaire)

Le lecteur est invité à présent à quitter les rivages d’une culture coloniale qui aurait imprégné la France en profondeur, qui produirait encore aujourd’hui ses effets, pour aborder les rives de la fracture coloniale.

« Retour du refoulé... qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer (p.10)... la colonisation a imprégné en profondeur les sociétés des métropoles colonisatrices, à la fois dans la culture populaire et savante (ce que l’on nommera ici une culture coloniale) (p.13). De ce champ de bataille mémoriel (p.23)… la banlieue est devenue un théâtre colonial. » (p.23).

Et nous y voilà, le tour est joué !

L’Illusion Coloniale (2006)

(Illustré par Deroo avec des commentaires de Lemaire) L’introduction commente :

« Mais en histoire les mythes sont des réalités, ils s’intègrent et en sont moteurs ou facteurs, lui donnent une autre résonance tout en lui octroyant une dimension supplémentaire. De la sorte, si la colonisation s’est insérée dans la vie quotidienne des Français – bien que la majorité d’entre eux ne soit jamais allée et n’ira jamais outre-mer – elle ne représente qu’un rêve, certes basé sur le concret de l’acte colonial, mais élaboré par des images flatteuses de l’action nationale aux colonies. » (p.1)

Ce texte confus reprend l’idée d’une colonisation... insérée dans la vie quotidienne, et énonce l’existence d’un rêve… élaboré par des images flatteuses.

« C’est la mise en place progressive de cette perception, de cette illusion que nous nous sommes attachés à restituer dans cet album... iconographies et extraits de documents variés révèlent un imaginaire qui n’en finit pas de ressurgir quotidiennement à travers le tourisme... Les interrogations sur l’avenir de celle qui se proclama longtemps : la "Plus grande France" et de ceux qui se revendiquent amèrement les "indigènes de la République". »

La thématique essentielle est là, un imaginaire qui sommeille et qui ressurgit pour produire encore des effets sur la situation intérieure française. Sommes-nous en présence d’un travail historique ou d’une construction idéologique qui surfe sur la vague médiatique des images d’un ouvrage de luxe, qui est un beau livre d’images ?

 

Nous verrons au fur et à mesure de notre analyse ce qu’il faut penser de ces théories historiques et idéologiques, mais le lecteur a déjà conscience de la généalogie de ces travaux, terme que ces historiens aiment bien utiliser pour expliquer la généalogie clandestine des phénomènes examinés, les travaux passant successivement, à partir des images, et des sources que nous avons citées, essentiellement le Colloque, le livre Images et Colonies, et la thèse Blanchard, d’une culture coloniale indéfinie, invisible mais en même temps prégnante, impensée mais en même temps bien présente, sans doute "faite chair", comme nous aurons l’occasion de le constater, à ce que l’on appelle communément la crise des banlieues, en fournissant des aliments pseudo-scientifiques aux animateurs des mouvements qui se revendiquent comme les indigènes de notre République.

Le choix des titres de plusieurs de ces ouvrages est en lui-même le symbole de l’ambiguïté et de l’audace des discours pseudo historiques qu’ils développent. Arrêtons-nous-y un instant :

Des titres attrape-mouches ou attrape-nigauds ? Avec quelle terminologie ?

Des titres coups de feu, sans points d’interrogation !

Culture, qu’est-ce à dire ? Herriot écrivait : « La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié », et si cette définition est la bonne, il aurait donc fallu que notre trio de chercheurs fonde sa recherche sur le présent de la France, et que par l’utilisation de méthodes statistiques éprouvées, ces dernières nous en apprennent plus sur le sujet. Des sondages, il en pleut chaque jour !

Et nos auteurs se sont bien gardés d’analyser en détail les différents sondages qui ont été faits sur ces sujets, les premiers datant des années 1938-1939.

Une culture constituée de quelles connaissances, partagée par qui, où, quand ?

Fracture coloniale ? « Une fracture est une rupture, une lésion osseuse formée par une solution de continuité avec ou sans déplacement de fragments », définition du Petit Robert. Comment appliquer cette définition à notre sujet, cassure entre quoi et quoi ?

Et à partir de quel continuum qui existerait ? Dans Culture Coloniale (p.25), ils écrivent :

La colonisation outre-mer n’est donc pas en rupture avec le passé, elle s’inscrit au contraire dans un continuum consubstantiel de la construction de la nation française...

Mais alors, continuité ou fracture, tout en notant que le propos frôle allégrement les mystères du christianisme !

Fracture politique, économique, humaine, linguistique ‘ ? Nous avons fait le recensement des différents sens donnés au titre Fracture coloniale dans le livre qui lui est consacré, et chacun peut y trouver son bonheur. La moitié des contributions n’apportent aucune lumière sur la nature de la fameuse fracture.

Dans son introduction, le trio écrit :

Pour autant, définir la fracture coloniale dans toutes ses dimensions n’est pas chose aisée (p.13) – effectivement – après avoir écrit (p.11), Autant de signes qui font de la fracture coloniale une réalité multiforme impossible à ignorer.

Et plus loin, la fracture coloniale est née de la persistance et de l’application de schémas coloniaux à certaines catégories de population (p.24).

Prenons quelques cas de figure Une fracture politique dans le cas de la Françafrique ? Une fracture linguistique ? Alors que la continuité linguistique est un des facteurs de l’immigration légale ou clandestine ? Une fracture coloniale ? Alors que beaucoup d’habitants des anciennes colonies, notamment de l’Algérie, mère de tous les phantasmes, émigreraient volontiers dans la patrie du colonialisme.

Il convient donc d’aller à présent au cœur de notre sujet et d’analyser le fameux corpus d’images el de textes, ou tout simplement les sources, qui ont été l’objet de leurs études, beaucoup plus d’images que de textes, semble-t-il.

Il s’agit des supports d’information et de culture que nous allons analyser, support par support, et à chacune des grandes périodes historiques que nous avons rappelées dans notre flash-back. Nous verrons s’ils existaient ou non, quelle était leur diffusion, et quels ont été leurs effets sur l’opinion publique à chacune des époques considérées, pour autant qu’ils aient pu être mesurés.

Il conviendra de comparer les résultats de cette analyse avec la thèse de ces historiens. Leur analyse des images et de leurs supports est-elle crédible ou non ? Pourquoi oui ou pourquoi non ? Et des textes examinés ? Avec quelle méthodologie d’évaluation, car dans ce champ de recherche, la méthode choisie est bien souvent le préalable nécessaire du sérieux de l’analyse.

Images ou textes, images avec ou sans textes, textes avec ou sans images, des matériaux d’analyse historique qu’il sera nécessaire d’inscrire dans une chaîne méthodologique d’interpré­tation : nature de l’image ou du texte, origine, date, contexte, cible choisie, tirage et diffusion, effets supposés ou mesurés sur un public, lequel ? Toutes questions qui appellent des réponses souvent difficiles, d’autant plus que cette interprétation risque le plus souvent, dans le cas des images, d’empiéter sur le domaine des sémiologues, dont le métier est précisément celui de l’interprétation des signes.

Nous examinerons successivement :

Chapitre 1 Les livres de la jeunesse, livres scolaires et illustrés

Chapitre 2 La presse des adultes

Chapitre 3 Les villages noirs, les zoos humains (avant 1914),
                   et les expositions coloniales (avant et après 1914)

Chapitre 4 Les cartes postales

Chapitre 5 Le cinéma

Chapitre 6 Les affiches

Chapitre 7 La propagande coloniale

Chapitre 8 Les sondages comme mesure de l’effet colonial sur l’opinion

Chapitre 9 Le "ça" colonial

Remarquons pour le moment que le seul support d’information et de culture, qui a été constant tout au long de la période coloniale est la presse nationale et provinciale. On en connaît les tirages et la diffusion, et il est possible d’en analyser les contenus. Avec la littérature, mais c’est là un sujet d’analyse et d’évaluation beaucoup plus difficile.

Et pour guide de notre lecture critique, une recommandation de Montaigne : « Choisir un conducteur qui ait une tête bien faite plutôt que bien pleine. »

Car nous n’avons pas l’ambition de nous substituer à l’historien, au sociologue, au psychanalyste ou au sémiologue, mais de soumettre la thèse que défendent ces historiens, leurs affirmations, les sources qu’ils avancent, les raisonnements mis en œuvre, à la critique d’un bon sens formé aux meilleures disciplines de la pensée.

Et nous n’hésiterons pas à appliquer le sage précepte des historiens, la citation des sources, quitte à citer nos propres sources, celles que nous avons été consulter dans les services d’archives.

Car il serait grave d’avancer, avec des preuves et une analyse insuffisantes, une nouvelle thèse de l’histoire, qui s’auto­proclame comme scientifique, et dont les propagandistes s’autori­sent à délivrer des ordonnances de bonne gouvernance sociale et culturelle.

Avec cette méthode de travail, nous avons un gros avantage sur les spécialistes, une liberté complète d’analyse et de propos.

Avec l’idée que la fameuse guerre des mémoires coloniales est une affaire montée de toutes pièces par des groupuscules dont la méthodologie n’a pas grand-chose à voir avec la science historique, s’il en existe une.

Dans le livre d’entretien que l’historien Stora vient de commettre, intitulé La guerre des mémoires, ce dernier se range sous la bannière de cette phalange d’historiens (p.33). Il s’y déclare un historien engagé (p.89), mais comment oser mettre sur le même plan un historien de cette pseudo guerre des mémoires, 45 ans après les indépendances et les accords d’Evian, avec d’autres figures du passé, Michelet au XIXe siècle, ou celle de l’historien Vidal-Naquet réagissant à chaud, comme intellectuel, contre les violences et les tortures de la guerre d’Algérie ? Et pourquoi ne pas citer une autre grande figure, celle de Marc Bloch, entré dans la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale et fusillé par les Allemands.

Quoi de commun entre ces historiens ?

Et comment interpréter enfin les récents propos de l’histo­rienne Coquery Vidrovitch sur l’historien Blanchard, surnommé historien entrepreneur : qu’est-ce à dire ? Il y aurait à présent des historiens du marché et donc une histoire du marché ? Avec l’Achac, association de recherche historique, soutenue par des fonds publics, et l’agence de communication toute privée Les bâtisseurs de mémoire ?

Comment distinguer entre l’histoire scientifique et l’histoire marchandise, celle des produits culturels qui surfent sur la mode médiatique des mémoires ?

Nous avons donc l’ambition d’aider le lecteur à ne pas prendre des vessies pour des lanternes historiques.

Et pour une mise en bouche historique,
une boulette de riz !

Outrances de pensée et de langage, grandiloquence, l’historienne Lemaire ne fait pas dans le détail pour décrire une propagande coloniale qui aurait fabriqué du colonial, tissé sa toile, éduqué, manipulé les citoyens français, grâce notamment à l’action de l’Agence des Colonies.

Nous verrons ce qu’il en est exactement dans le chapitre 7 consacré à la propagande coloniale, au risque de dégonfler la baudruche.

Pour l’instant, un mot bref sur une de ses trouvailles historiques à propos du riz indochinois et de son rôle dans la fabrication du colonial.

Dans le livre La culture impériale, elle intitule une de ses analyses : Du riz dans les assiettes, de l’Empire dans les esprits (CI/82)

Une formule magique ! Un vrai slogan de propagande, car l’analyse de l’historienne ne repose sur aucun fondement sérieux, comme nous le démontrerons.

Il aurait vraiment été difficile pour les Français d’avoir du riz dans leurs assiettes, alors que le riz importé, de mauvaise qualité, était destiné, pour 95%, à l’alimentation de la volaille et du bétail, et que les groupes de pression agricoles tentèrent, dans les années 30, sans succès, de limiter l’importation d’une céréale qui venait concurrencer leur blé.

Plutôt que du riz dans les assiettes, une boulette de riz historique !

Le lecteur aura le loisir de constater que le cas du riz indochinois est typique de la méthode de travail de ce cercle de chercheurs : insuffisance d’analyse, absence d’évaluation des faits décrits, grossissement avec une grosse loupe de telle ou telle considération, laquelle, comme par hasard, vient au secours d’une démonstration creuse, et idéologiquement orientée.

D’aucuns évoqueraient sans doute à ce propos le faux historique et la contrefaçon.

                                                    FIN     PAGE 30 DU LIVRE  

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