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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 15:37

Chapitre 10

 

Les Blancs-Noirs

 

Chevilles ouvrières de la colonisation ou de la résistance ?

 

            Lorsque les colonisateurs français voulurent installer leur pouvoir et implanter leur administration en Afrique occidentale, ils eurent besoin de s’appuyer sur des interlocuteurs africains qui parlaient peu ou prou la langue française et comprenaient les langues ou dialectes, souvent nombreux, qui existaient dans les régions administrées.

Un truchement nécessaire, mais précaire

            Entre 1880 et 1920, toute colonisation serait mort-née, sans le concours et le truchement d’africains plus ou moins lettrés, ceux que l’on baptisa, au fur et à mesure du temps, c'est-à-dire de l’évolution des contacts, de la scolarisation, de différentes appellations, les blancs-noirs, les noirs civilisés, les nègres blancs, les acculturés, ou les évolués, au rythme assez lent de l’effort de scolarisation des jeunes noirs, et de la possibilité qui leur était donnée d’occuper des emplois dans le secteur public ou privé.

        De même que toute conquête militaire de l’Afrique occidentale n’aurait pas été possible sans le concours des tirailleurs africains.

            Dans la première phase de la colonisation, l’administration coloniale reposait donc sur les épaules des commandants, bons ou mauvais, et de leurs collaborateurs africains immédiats, de bonne ou de mauvaise qualité, avec un rôle clé donné à leurs interprètes. Car peu d’administrateurs connaissaient une langue locale.

            Le truchement de langage était donc absolument nécessaire, et souvent difficile à réaliser, mais il emportait inévitablement, comme conséquence, une grande part de truchement social et culturel, encore plus difficile à mettre en œuvre pour toutes les raisons que nous avons précédemment évoquées.

            Dans son livre « Noirs et Blancs dans l’Afrique Noire Française », Henri Brunschwig notait que jusqu’au XIXème siècle :

       « L’ensemble des populations de l’Afrique française ne connaissait pas d’humanité autre que noire… ces sociétés noires repliées sur elles-mêmes, n’étaient pas systématiquement hostiles à l’étranger. » (HB/90)

       Et avant la conquête… « Les rapports indirects ont toujours précédé les contacts entre blancs et noirs. Les lettrés des côtes ont frayé, puis contrôlé les pistes que, par la suite, les « commandants » blancs empruntèrent. En brousse ou en forêt, où il n’y avait pas, comme dans les villes du littoral ou dans les gros postes, de résidents blancs, ces rapports indirects ont persisté longtemps. Il en fut ainsi des relations commerçant blanc- colporteur et noir- paysans indigènes, ou officier blanc- milicien noir- villageois indigènes, ou commandant français- interprète noir - chef indigène.

            Les contacts sans intermédiaires ne se sont généralisés que tardivement, après 1920, quand il y eut partout des Noirs qui avaient appris le français dans les écoles publiques ou dans celles des missions. » (HB/214)

        Au cours de la période examinée,  les interprètes étaient donc une denrée rare, et il fallait nécessairement passer par leur truchement pour tenter de se faire comprendre, et la chose était d’autant plus difficile qu’un gouffre culturel séparait alors le monde des blancs de celui des noirs, fait à la fois d’ignorance, d’incompréhension, et quelquefois de mépris.

            Après la guerre de 1914-1918, le retour des tirailleurs dans leurs villages d’Afrique, donna naissance à une nouvelle catégorie d’interprètes, laquelle changea complètement la donne, en attribuant à ces blancs-noirs un réel pouvoir.

            Dans les chapitres qui précèdent nous n’avons fait qu’esquisser les regards que les deux mondes se portaient mutuellement, l’un sur l’autre, précisément à l’aide des quelques truchements qui pouvaient exister.

       Le rôle capital et ambigu des « répond-bouche »

            Le rôle de ces blancs-noirs, interprètes, commis secrétaires, plantons, ou gardes de cercle, était capital, mais avant tout, celui des interprètes, les « répond-bouche ».

            Ainsi qu’on le disait souvent, « le commandant passe, l’interprète reste ».

            Rôle central dans la rencontre entre deux mondes, mais rôle tout autant ambigu, comme le soulignait l’historien Brunschwig. Car, ils avaient un grand pouvoir à la fois sur leur commandant, et sur les noirs de leur cercle, qui étaient dans l’obligation de passer par leur intermédiaire pour exprimer demandes ou doléances auprès des autorités françaises.

            Nous verrons ce qu’il en était plus loin, à travers quelques exemples.

            Rôle ambigu étant donné la position clé qu’occupaient les interprètes dans le système colonial, et de la faculté que cela leur donnait pour influencer leur commandant de cercle, dans le sens qui leur convenait, avec naturellement une tentation permanente de corruption.

            L’administration coloniale n’était évidemment pas dupe, et elle s’efforça rapidement de donner un cadre à cette fonction et de fixer les conditions d’accès à ce corps. Chacune des colonies mit successivement en place ce type de corps. Ce fut le cas au Soudan en novembre 1895, où il y avait 29 interprètes officiels en 1906.

            Les interprètes furent alors recrutés au niveau des certificats primaires indigènes qui existaient déjà.

            Une telle mesure apportait quelques garanties, mais elle n’empêcha pas le développement de cas de corruption, sanctionnés ou amnistiés par l’administration.

      Un grand pouvoir

            Je serais tenté de dire que l’interprète avait autant de pouvoir, sinon plus, que le commandant qu’il était censé servir, car lui seul connaissait la langue de ses frères, leurs codes religieux, politiques, et sociaux, et surtout leur entrelacement.

            Et les vrais « rois de la brousse » n’étaient en définitive, à cette époque, peut-être pas ceux que l’on désignait ainsi.

            Dans « Oui mon commandant », Hampâté Bâ notait :

            «  A l’époque, aucun commandant de cercle ou de subdivision ne pouvait espérer mener une enquête valable à l’insu de son interprète et de son commis. » (MC/262)

            Et comme nous l’avons déjà vu, le même auteur a consacré un livre à la mémoire d’un interprète célèbre, « L’étrange destin de Wangrin ». Le récit de sa vie et de ses aventures nous donne la représentation du rôle capital, et dans le cas d’espèce, haut en couleurs, d’un interprète au cours de la première phase de colonisation, la période que nous étudions.

       « Un étrier d’or »   

            D’entrée de jeu, citons une phrase tout à fait éclairante sur les nouvelles fonctions du personnage, à Diagaramba :

            « C’est ainsi que Wangrin mit pour la première fois le pied dans l’étrier d’or que constituaient les fonctions d’interprète.

            Wangrin n’était pas seulement un interprète des palabres, mais il servait de secrétaire au commandant. Il distribuait le courrier, préparait les dossiers de chaque affaire et reclassait méthodiquement les archives. » (W/51)

            Après avoir, en qualité d’interprète compétent et efficace, assis son réseau de relations africaines,  Wangrin se convertit aux affaires, plus ou moins frauduleuses, y réussit pleinement en bâtissant une réelle fortune qui en fit un grand noir civilisé, propriétaire d’une des premières voitures de Bamako, sa torpédo, et d’avoir au service de son commerce un couple de blancs-blancs, dont la fameuse Dame Blanche-blanche qui fut, d’après l’histoire contée par notre auteur, et que nous avons déjà évoquée, l’une des causes de sa perte.

            L’auteur racontait qu’il avait réussi à supplanter son prédécesseur, un ancien sergent de l’infanterie coloniale, Racoutié, très fier de ses fonctions.

            « Je suis Racoutié, ancien sergent de fantimori (infanterie de marine), classe 1885, matricule 6666.

            Je suis présentement l’interprète du commandant. Je suis son œil, son oreille et sa bouche. Chaque jour, je suis le premier et le dernier auxiliaire qu’il voit. Je pénètre dans son bureau à volonté. Je lui parle sans intermédiaire.

            Griots, cordonniers, forgerons, captifs de case ici présents, je vous donne à partager cent mille cauris. Chantez mes louanges. Je vous dirai un jour celui que vous devrez insulter pour mon plaisir.

            Je suis Racoutié qui s’assied sur un banc en beau bois de caïlcédrat devant la porte du commandant blanc. Qui parmi vous ignore que le commandant a droit de vie et de mort sur nous tous. Que ceux qui l’ignorent sachent que ma bouche, aujourd’hui, Dieu merci, se trouve être la plus proche de l’oreille du commandant. » (W/45)

            Tout au long du récit des aventures de Wangrin, on le voit prendre une place de plus importante dans l’administration coloniale, jusqu’à faire participer, en 1914, un administrateur colonial à un vaste trafic de bœufs réquisitionnés vers la Gold Coast.

            A Bandiagara

            Dans le roman « Amkoullel », le même auteur donnait un autre exemple des pouvoirs d’un interprète, celui de Bandiagara, auquel sa mère, Kadidja, avait demandé un service :

            «  Kadidja, informée du prochain transfert de son mari (à Bougouni), alla trouver l’interprète Bâbilen Touré. Elle lui demanda d’intervenir en sa faveur auprès du commandant afin qu’il l’autorise à accompagner son époux (de Bandiagara à Bougouni). Que ne pouvait alors un interprète colonial, pourvu que le solliciteur sache étayer sa requête par  la « chose nocturne », le cadeau discret que l’on échange à la nuit tombée, à l’abri des regards ! Mais Kadidja disposait de suffisamment de fortune pour acheter tous ceux dont le concours lui était nécessaire, et elle n’hésitait jamais à y mettre le prix. Bâbilen lui conseilla de demander audience au commandant et de se rendre à son bureau avec une tête et un visage composés pour la circonstance.

            Charles de Brétèche avait déjà, et cela bien avant l’éclatement de la révolte de Louta, entendu parler de cette femme peule peu ordinaire ; il ne mit donc aucune difficulté à la recevoir. Il faut dire que Bâbilen avait comme on dit, « utilisé sa bonne bouche » en faveur de Kadidja. »(A/134)

            A la fin de cet entretien, elle reçut cette permission. Le lecteur doit savoir que son mari avait été condamné à rejoindre Bougouni, pour avoir été accusé d’avoir fomenté cette révolte de Louta.

      Aux commandants, les apparences du pouvoir !

            A la lecture de tous ces souvenirs sur la vie, les fonctions, et les aventures des interprètes cités, on comprend bien qu’à la différence des commandants, ils étaient complètement immergés dans la vie de leur pays, alors que les commandants n’étaient que de « passage » et n’apercevaient que les apparences, l’écume des sociétés qu’ils administraient. De plus, certains, tel Wangrin, disposaient d’un réseau d’influence et d’espionnage parallèle à celui du commandant.

            Wangrin réussit à prendre la place de Racoutié, en s’appuyant sur le réseau local d’influence qui existait à Diagaramba, et notamment sur celle d’Abougui Mansou.

            «  Celui-ci lui avait donné à entendre que tous les notables de Diagaramba, marabouts en tête, étaient pour Wangrin et qu’ils n’hésiteraient point à faire une marche de démonstration si, dans cette affaire, la balance de la justice penchait en faveur de Racoutié. »

            De plus, Wangrin avait l’appui du waldé dont il faisait partie, le plus turbulent de ceux qui existaient dans le pays.

            « L’alkati savait que, dans le pays de Diagaramba, mieux valait avoir Satan et sa horde contre soi plutôt que la langue d’Abougui Mansou. En effet la langue de cet homme était plus meurtrière qu’une pertuisane. » (W/49)

       Les premiers blancs-noirs au service des commandants de cercle veillaient soigneusement à ne pas se couper du milieu des notables locaux.

            Lorsque affecté à Ouagadougou, Hampâté Bâ se fut présenté au gouverneur, il fit des visites aux personnages importants de la ville, un marabout célèbre et réputé, un chérif, deux éminents coranistes, deux commerçants bien informés sur tout ce qui se passait dans le pays, et enfin, un berger.

            « Aucun fonctionnaire africain résidant à Ouagadougou ne pouvait alors se passer de ces sept personnages, sortes de manitous africains de la Haute Volta, et y vivre en paix. Ce tribut de politesse dûment payé, je pouvais commencer à m’installer. » (MC/94)

        Les interprètes au service de quel « maître » ?

            Dans le livre déjà cité, l’historien Brunschwig formulait un certain nombre de bonnes questions sur le rôle des interprètes :

            « A considérer certaines carrières d’interprètes, en essayant de pénétrer dans leur intimité, on se pose la question de savoir qui, au juste, ils servaient : la résistance africaine, active ou passive, la colonisation française, ou simplement eux-mêmes, à l’instar de Wangrin et consorts.

            La réponse n’est pas aisée, parce que les trois termes ne s’excluent pas…

             Et l’historien de relever :

             « Il faut rappeler l’extrême fragilité de la présence française en brousse et le nombre insuffisant, la compétence et la qualité – souvent médiocres – des administrateurs, ainsi que leurs fréquentes mutations. » (HB/116)

            Et plus loin encore quant à la grande ambiguïté de leur rôle :

            «  Cette ambiguïté rend perplexe si l’on cherche, en conclusion, à définir le rôle de l’interprète dans la colonisation. Il varie évidemment, selon l’époque, selon les lieux, et selon la personnalité de l’administrateur.

            Ce qu’on retiendra, c’est d’abord son importance fondamentale au cours de la période d’établissement et d’organisation du régime colonial : 1880-1920. A ce moment, il est indispensable aux Français. Après, l’instruction se développant, son rôle diminue et son influence décroît rapidement.

            Il faut noter que ce rôle est joué sur la  scène locale du cercle ou du poste, où l’interprète évolue entre l’administrateur et le chef ou la population coutumiers. Sa marge de manœuvre est donc plus ou moins large selon les qualités ou défauts de ces derniers.

            En troisième lieu, le cas des interprètes s’apparente à celui plus général du collaborateur, sans tenter ici une analyse approfondie. Nous constatons qu’ils ont été des ferments actifs de désagrégation des sociétés coutumières. Mais, surtout, à partir des créations rapides de « cadres locaux indigènes », après 1910, ces gens qui étaient auparavant des individus isolés, tendent à former une nouvelle classe sociale, entre celles des colons blancs et celle des paysans ou chefs coutumiers noirs. Et, c’est de cette classe des collaborateurs que les écrivains africains qualifient de nègres blancs, que surgiront beaucoup des leaders de la résistance et de l’indépendance africaine. » (HB/123)

            Jean Pierre Renaud                           Tous droits réservés

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 11:09

Chapitre 9

II

Mœurs et coutumes

 

Les premiers Blancs-Blancs avaient incontestablement plus de facilité pour décrire, et quelquefois interpréter les mœurs et coutumes qu’ils découvraient, en tout cas, pour celles qui avaient une parenté avec les nôtres, telles l’hospitalité, ou les salutations, le rôle des mères. Ils avaient beaucoup plus de peine à démêler les relations de parentèle qui existaient dans les sociétés africaines, les lignages, les rites du mariage, ou la propriété des terres.

L’hospitalité

Les récits des trois officiers que nous avons cités dans les premiers chapitres de ce livre, ont tous les trois, remarqué l’existence d’une très remarquable coutume africaine, celle de l’hospitalité.

Notre grand témoin notait :

«  L’Afrique de la brousse ignorait l’hôtel – et l’ignore encore. En bien des endroits, l’hospitalité rémunérée, importation occidentale amenée par la colonisation, demeurait limitée aux capitales et grands centres urbains que les africains traditionnels appelaient encore souvent – « toubaboudougou », villages de toubabs. En dehors de ces « toubaboudougous », n’importe qui pouvait, n’importe quand, venir demander l’hospitalité à n’importe qui. Les mots « je suis l’hôte que Dieu vous envoie » suffisaient à faire s’ouvrir les portes comme sous l’effet d’un Sésame magique. Le voyageur de passage était un hôte sacré, et il n’était pas rare que le chef de famille lui abandonne sa propre chambre » (MC/231)

Et dans Amoukell, l’auteur confirmait :

            « Jadis, dans l’Afrique de la savane – la seule dont je puisse parler véritablement parce que je la connais bien – n’importe quel voyageur arrivant dans un village inconnu n’avait qu’à se présenter au seuil de la première maison rencontrée et dire « je suis l’hôte que Dieu vous envoie » pour qu’on le reçoive avec joie. On lui réservait la meilleure chambre, le meilleur lit et les meilleurs morceaux… En échange, l’étranger de passage venait enrichir les veillées en racontant les chroniques historiques de son pays ou en relatant les évènements rencontrés au cours de ses pérégrinations… Cette coutume des « maisons ouvertes » permettait de circuler à travers tout le pays même sans moyens, comme je l’expérimentai moi-même plus tard bien souvent. » (A/408)

Les salutations

            A l’occasion de leurs contacts avec les noirs, les blancs ont souvent été frappés par la longueur des salutations échangées avec leurs interlocuteurs noirs, et effectivement les salutations revêtaient une grande importance sociale.

Notre grand témoin racontait un échange de politesse entre son instituteur, M.Bodje et le vieux chef de Say, en juin 1915. Outre son intérêt pour illustrer cette coutume, l’anecdote avait un intérêt historique, car Say n’était pas n’importe quelle cité,  et le royaume de Ségou (musulman) s’était toujours brisé les dents contre elle.

    « Ils  se présentèrent au chef de village qui  n’était pas n’importe qui : doyen d’âge, maître du couteau sacrificiel et l’un des sept grands maîtres des fétiches du Pondori et du Djenneri – autant dire presque une idole vivante. Ce chef traditionnel, hostile à l’Islam, n’avait eu peur que d’un seul homme : le colonel Archinard, chef des peaux allumées. Ce grand sorcier blanc à « cinq ficelles » n’a-t-il pas réussi à pactiser avec le grand génie Ttummelew qui lui a livré le secret du bosquet de tamariniers au sud de Djenné, seul endroit d’où l’on pouvait partir pour prendre sûrement la ville ?

Et un dialogue interminable de s’engager entre M.Bodge et le vieux chef, un dialogue qui exaspère M.Bodge.

« Il me glisse de temps en temps à l’oreille en français : « Va-t-il bientôt finir d’égrener son chapelet de noms ». Il est tout de même resté suffisamment « noir » pour savoir que, chez nous, les litanies de salutations sont interminables et qu’il serait de la plus grande incorrection de s’y dérober. » (A/403)

            La parole
La parole, dans toute sa substance, car l’écrit n’existait que pour une       petite élite, lettrée, musulmane, et dans les régions islamisées.
            « A l’école des maîtres de la parole
   « Le plus souvent, je restais après le dîner chez mon père Tidjani pour assister aux veillées. Pour les enfants, ces veillées étaient une véritable école    vivante, car un maître conteur africain ne se limitait pas à narrer des contes, il            était également capable d’enseigner sur de nombreuses autres matières,       surtout lorsqu’il s’agissait de traditionalistes confirmés comme Koullel, son             maître, Modibo Koumba ou Danfo Sibé de Bougouni. De tels hommes      pouvaient aborder presque tous les champs de la connaissance d’alors, car      un « connaisseur » n’était jamais un spécialiste, au sens moderne du mot,    c’était une sorte de généraliste… le fait de n’avoir pas eu d’écriture n’a donc   jamais privé l’Afrique d’avoir un passé, une histoire et une culture. » (A/253)
            Les griots
            Et les griots jouaient un rôle essentiel dans la transmission de la    parole ! Baladins, fous du roi, courtisans, savants, conteurs, musiciens, ou         chanteurs, mais aussi savants, tels les généalogistes, les griots incarnaient de multiples personnages ! Griots, mais aussi griottes !
            Beydari (son père captif de case) avait fait venir cinq griots généalogistes - chanteurs : trois hommes et deux femmes. L’une d’elles était    la célèbre griotte Lennegui, l’une des seules à pouvoir chanter d’une voix   aussi fluette que puissante, dans l’aigu comme dans le grave… Comme elle             connaissait parfaitement la famille dont descendait Hampâté, elle était la plus     qualifiée pour chanter notre généalogie et les exploits de nos ancêtres. »     (A/283)
Et ainsi que tous les « initiés »de l’histoire africaine de l’ouest le savent,   beaucoup de griots  y furent célèbres, notamment auprès des grands           Almamys du bassin du Niger, qu’il s’agisse d’Ahmadou ou de Samory. Mais ils savent aussi que les premiers blancs n’avaient qu’une petite idée des rôles       multiples qu’ils remplissaient dans la société africaine.

Dans son récit, Mage évoquait la figure d’un très grand griot de la cour d’Ahamadou, Dialy Mahmadou, poète et musicien, très semblable à nos troubadours de l’histoire de France.

                        La famille
Qu’il s’agisse des noirs de religion musulmane ou animiste, la structure    familiale type était celle de la polygamie, avec un nombre d’épouses qui variait   en fonction de la richesse des hommes, notamment en raison du régime de la    dot qui régnait alors.
Dans le cas de la religion musulmane, le Coran, avait fixé à quatre le        nombre de femmes épouses d’un seul mari.

Les blancs connaissaient déjà l’existence de la polygamie, mais ils en découvraient à présent à la fois la puissance et l’omniprésence, très éloignée       de notre conception religieuse ou civile du mariage monogame. Et ils n’avaient       qu’une toute petite idée de la place centrale qu’occupait la mère dans une         famille.

            En ce qui concerne la polygamie, Hampâté Bâ se livrait à un plaidoyer     pro domo qui  peut             surprendre le lecteur.

            Notre grand témoin justifiait ainsi ce type d’état matrimonial, et les avantages que cela pouvait avoir pour une veuve :
            « Il était alors impensable en Afrique, d’abandonner une femme seule,     telle une feuille volante, à plus forte raison si elle avait des enfants, ce qui   l’aurait condamnée à vivre aux crochets de sa propre famille, généralement de   l’un de ses frères. La solution classique consistait à l’intégrer, par voie de    mariage, dans un nouveau foyer où elle retrouvait les droits légitimes d’une             épouse, et ses enfants, un père. Le mariage jouait alors, pour les femmes           veuves ou divorcées et leurs enfants, un rôle de protection sociale. Après       réunion du conseil de famille, si personne d’autre n’avait demandé la femme    en mariage, on chargeait généralement un cousin ou un parent qui n’avait pas    encore atteint les quatre épouses autorisées par la loi islamique de l’épouser       (dans les sociétés africaines traditionnelles, les veuves épousaient             généralement l’un des frères du mari défunt. »(A/229)
                        Et comme le soulignait Hampâté Bâ :
            , «Les mariages étaient conclus dès l’enfance entre cousins et       cousines, » c'est-à-dire entre membres des associations traditionnelles de     jeunes, les waaldés.
            Le culte de la mère
Hampâté Bâ vouait un véritable culte à sa mère Kadidja :
                        « Kadidja, ma mère

            Si j’avais respecté les règles de la bienséance africaine, c’est de ma         mère que j’aurais dû parler en premier en commençant cet ouvrage, ne serait-           ce que pour respecter l’adage malien qui dit : tout ce que nous sommes et tout         ce que nous avons, nous le devons une fois seulement à notre père, mais       deux fois à notre mère… c’est pourquoi, en Afrique, la mère est respectée      presque à l’égal d’une divinité. » (A/61) 

Une anecdote historique pour confirmer ce culte maternel qui concerne     l’Almamy Samory.

            L’odyssée de Samory débuta lorsqu’il prit la décision de libérer sa mère   qui avait été capturée et enlevée par un roitelet du Haut Niger. Il y mit du            temps, mais il y réussit, en se lançant d’ailleurs, par la même occasion, dans            la conquête successive de territoires qui firent, dans les années 1880, la   grandeur de son empire, comme nous l’avons vu plus haut dans le récit Péroz.

     Mais lorsqu’il se heurta aux ambitions françaises de contrôle du Haut Niger, dans les années 1885-1890, et que les hostilités furent quasi-   permanentes entre les deux conquérants, la colonne Humbert réussit à    chasser Samory de sa capitale de Bissandougou, les sofas de l’Almamy             partaient à l’assaut en scandant le nom de Sokhona, qui était celui de la mère    de Samory.

            La mère avait d’autant plus d’importance que le système de filiation, qui  prédominait alors très largement, était celui de la filiation maternelle, le fils n’héritant pas du père, mais de son oncle, en qualité de neveu.

Une société structurée en profondeur

      La complexité des sociétés fréquentées n’apparaissait évidemment pas   au premier regard, alors que les communautés villageoises étaient faites de      relations de croyance, de parenté, d’âges, d’adhésion et d’autorité, qui        s’entrecroisaient très étroitement. L’individuel n’avait guère de place dans ces   champs sociaux où le collectif était le maître.

            Pour atteindre l’âge adulte, l’enfant, garçon ou fille, devait franchir tout     un processus de socialisation, marqué notamment par des phases majeures,            telle que la circoncision ou l’excision, et les jeunes étaient encouragés à   adopter des formules d’action collective, tels que les waldés.

         Les waldés, associations de jeunes, garçons ou filles

         Hampâté Bâ décrit avec précision ce type de groupement, ainsi que sa    vie concrète ; il concernait aussi bien les filles que les garçons, valentines ou valentins, tels qu’il les nomme. Dans la cité de son adolescence, l’auteur en fut d’ailleurs un des responsables.

«  Fondation de ma première association

  Le moment était venu de fonder notre première association d’âge. Mes camarades décidèrent de me choisir comme chef. Il n’y a rien de surprenant,     tous les membres de ma famille étant ou ayant été chefs d’association. En           attendant, il nous fallait faire reconnaître notre waldé et lui donner une vie           officielle. La première démarche consistait à nous relier à une association           aînée. Il nous fallait aussi choisir un doyen, « un père » qui serait notre     mawdo, sorte de président d’honneur toujours choisi parmi une association          d’adultes et qui jouait traditionnellement un rôle de conseiller, de représentant      officiel, et éventuellement de défenseur en cas de difficulté avec la             population…  lequel fixa la date de notre première réunion solennelle, au             cours de laquelle nous devions élire nos dirigeants et fixer le règlement        intérieur de notre waldé. Chaque association était en effet organisée selon          une hiérarchie qui reproduisait la société du village ou de la communauté.     Outre le mawdo, doyen et président d’honneur extérieur à l’association, il devait y avoir un chef (amirou), un ou plusieurs vice -chefs (diokko), un juge       ou cadi (alkaali), un ou plusieurs commissaires à la discipline ou accusateurs      publics (moutassibi), enfin un ou plusieurs griots pour jouer le rôle             d’émissaires ou de porte-parole…  les séances devaient être présidées par le       chef, qui était assisté du second chef et du cadi…

  Certains lecteurs occidentaux s’étonneront peut-être que des gamins     d’une moyenne d’âge de dix  à douze ans puissent tenir des réunions de           façon aussi réglementaire et en tenant un tel langage.

  C’est que tout ce nous faisions tendait à imiter le comportement des       adultes, et depuis notre âge le plus tendre le milieu dans lequel nous   baignions était celui du verbe. La vie des enfants dans les associations d’âge        constituait, en fait, un véritable apprentissage de la vie collective et des             responsabilités, sous le regard discret mais vigilant des aînés qui en         assuraient le parrainage. » (A/247)

          Esclaves et captifs ?

Un sujet sensible, complexe à analyser, propre à nourrir les          interprétations les plus contradictoires.

            Les récits des premiers blancs à fréquenter le monde noir de l’Afrique      de l’Ouest ont tous relaté l’existence de l’esclavage, soit qu’ils aient croisé sur   leur route des convois d’esclaves, soit qu’ils aient assisté à des guerres de       rapine humaine, soit qu’ils aient constaté l’existence de marchés d’esclaves.

  Ils ont également observé la situation particulière des captifs qui partageaient l’activité ou la vie familiale de leurs propriétaires, et c’est ici que les interprétations sont les plus délicates, afin de déterminer leur statut civil.

Le père de l’auteur avait des captifs, en racheta, et en affranchit :

  « Au cours de sa vie, Hampâté racheta quinze captifs. Il en affranchit six, les    neuf autres s’étant toujours refusé à le quitter » (A/53)

Il racheta également un jeune captif maltraité, dénommé Beyadari.

            Ce dernier joua un grand rôle dans la vie familiale de l’auteur, une sorte   de père bis.

            Dans une note de son livre « Wangrin », notre grand témoin écrivait au   sujet des captifs :

      « En Afrique, les captifs, et notamment les captifs de case, étaient considérés comme des parents. Selon leur âge, ils pouvaient avoir droit au titre de père         ou de frère, etc … » (W/374)

Et en sorte de conclusion provisoire, indiquons que de nombreux   captifs jouèrent un rôle politique ou militaire important dans les empires de    Samory ou d’Ahmadou.

  Lors de sa première phase, la colonisation française usa de          bienveillance à l’égard de cette coutume, pour au moins deux raisons :

            - la première, parce que beaucoup de tirailleurs s’engageaient à nos         côtés avec l’espoir de s’enrichir par la capture de captifs déjà aux mains de       nos adversaires,

            - la deuxième, étant donné que la France aurait été bien incapable de mettre un terme rapide à une pratique si fortement enracinée dans les mœurs,         et dont la suppression aurait entraîné de très grandes perturbations sociales.

           Jean Pierre Renaud                       Tous droits réservés

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 10:39

Chapitre 9

 

Derrière le miroir des Blancs-Blancs, un monde noir invisible aux blancs

Croyances, mœurs et coutumes

 

            Il est évident que les récits des premiers explorateurs ne découvraient que la surface du monde noir, et encore. Pour recourir à une image, les premiers Blancs-Blancs ne voyaient que la peau du fruit, et quasiment rien de la pulpe et du cœur, du noyau ou des pépins.

            Le monde noir demeurait invisible, inconnu des blancs, et il le restera longtemps, peut-être d’ailleurs, jusqu’à la décolonisation de ces territoires.

 

            Il ne pouvait guère en être autrement, en raison le plus souvent de l’ignorance des langues locales, de la relative brièveté des contacts, de la grande distance qui existait entre les codes sociaux, ceux des blancs et ceux des noirs, et aussi, pourquoi ne pas le dire, de la croyance imbue des blancs dans la supériorité de leur civilisation et de la race à laquelle ils appartenaient.

 

            Au cours de la première période de colonisation, les Blancs-Blancs étaient complètement entre les mains des Blancs-Noirs,  leurs interprètes, leurs commis, ou leurs gardes, leur truchement « obligé » entre les deux mondes. Nous évoquerons leur rôle capital plus loin.

 

            A lire les récits du monde noir vivant de cette époque, on a l’impression de fréquenter un univers de mythes et de légendes, de songes et de prédictions, de génies et de sciences occultes, de renouer avec un passé aboli, celui des elfes et des faunes, des devins et de sorciers, et de retrouver la familiarité d’une ambiance sociale souvent superstitieuse.

            Ou encore, l’univers vaudou d’Haïti décrit par Seabrook, avec ses divinités, ses sacrifices, ses transes, sa magie, et ses zombis dans son roman « L’île magique », paru en 1929.

            Et plus récemment,  celui de la forêt gabonaise de Dedet, dans « La mémoire du fleuve », lequel a évoqué une autre famille de croyances et de rites mystérieux sur les rives du Gabon. 

 

            Notre source

            C’est le grand mérite d’Amadou Hampâté Bâ, traditionaliste célèbre et reconnu, de nous plonger dans cet univers alors invisible aux blancs avec deux de ses livres, « L’étrange destin de Wangrin », et « Amkoullel ».

            En ce qui concerne le premier livre, auquel il a déjà été fait allusion plus haut, il écrivait dans son Avertissement :

            « Ce livre est le fruit d’une promesse, faite à un homme que je connus en 1912.

            J’étais écolier et n’avais que douze ans ; lui était interprète du grand commandant de cercle de mon pays. »

 

            L’auteur nous raconte donc la destinée étonnante et tumultueuse de Wangrin, un interprète très puissant, un Blanc-Noir à succès, devenu un homme d’affaires riche, puis clochard. Héros haut en couleur, familier, acteur, et otage, toute sa vie, des devins et des sorciers, complètement immergé dans les croyances magiques qui  imprégnaient la culture et la civilisation des Bambaras du bassin du Niger.

 

            Le deuxième livre, « Amkoullel », est une biographie de l’enfance et de la jeunesse de l’auteur, bon musulman, mais encore attaché aux traditions du monde invisible, lorsqu’elles ne contrarieraient pas ses convictions musulmanes. 

            Il fut d’ailleurs affilié à la société bambara d’initiation enfantine Tiebleni, sinon, il lui aurait été impossible de fréquenter ses camardes de Bougouni, en plein milieu bambara qui était alors le sien. (A/192)

            Dans ce livre, on voit des Commandants confrontés à ce monde des croyances, des fétiches, et des marabouts, un univers qui leur échappait, des marabouts, qu’ils combattaient quelquefois, ou dont, d’autres fois, ils recherchaient la coopération, comme ce fut notamment le cas à Bandiagara, lors de la déclaration de la guerre 1914-1918.

            Dans cette confrontation, les Commandants disposaient de peu de cartes, car il leur manquait les clés de ce monde invisible.

 

Croyances

 

            A lire les récits des premiers blancs qui venaient à la rencontre de peuples et cultures inconnus, on voit bien qu’ils passaient largement à côté de ce monde invisible des croyances, entrevoyant à peine les formes de l’islam africain, perdus dans la sorte de labyrinthe des peuples, de leurs dialectes, de leurs religions, de leurs coutumes, très différentes, selon qu’il s’agissait du désert, de la savane, de la forêt, ou des côtes.

 

            Premiers signes d’un monde invisible

            Un grand-père Peul initié

            Le grand-père maternel de l’auteur, Pâté Poullo, nous introduit dans ce nouveau monde, lorsqu’il abandonna ses richesses, troupeaux, et pouvoir, pour rejoindre l’Almamy El Hadj Omar :

            «  Je ne suis pas venu non plus auprès de toi pour acquérir un avoir, car en ce monde, tu ne peux rien m’apporter que je ne sache déjà je suis un  « silatigui », un initié peul, je connais le visible et l’invisible. J’ai, comme on dit « l’oreille de la brousse » ; j’entends le langage des oiseaux, je lis les traces des petits animaux sur le sol et les taches lumineuses que le soleil projette à travers les feuillages ; je sais interpréter les bruissements des grands vents et des quatre vents secondaires, ainsi que la marche des nuages à travers l’espace, car pour moi, tout est signe et langage. Ce savoir qui est en moi, je ne peux l’abandonner, mais peut-être te sera-t-il utile quand tu seras en route avec tes compagnons, je pourrai « répondre de la brousse » pour toi et te guider parmi ses pièges.

            C’est te dire que je ne suis pas venu à toi pour les choses de ce monde. Je te prie de me recevoir dans l’islam, et je te suivrai partout où tu iras, mais à une condition : le jour où Dieu fera triompher ta cause, et où tu disposeras du pouvoir et de grandes richesses, je te demande de bne jamais me nommer à aucun  poste de commandement, ni chef d’armée, ni chef de province, ni chef de village, ni même chef de quartier, car à un Peul qui abandonné ses troupeaux, on ne peut rien donner qui vaille davantage.(A/36)

 

            Le caïman sacré de Bandiagara

            Et plus loin, dans le même roman, il raconte le déroulement d’une dispute entre deux bandes d’enfants organisés en association, dites waaldé, dispute très semblable à celles contées chez nous par Louis Pergaud, mais avec un arrière-plan de croyances qui n’étaient pas celles des enfants de Franche Comté :

            « Aussitôt les arbitres des deux camps intervinrent pour arrêter la lutte. Assez malmenés dans la mêlée générale, la moitié des camarades de Si Tangara avaient fui, les uns courant se cacher derrière les dunes rouges, les autres dans le bosquet d’acacias ; d’autres encore aveint traversé la rivière et regagné Bandiagara. Nous avions remporté la victoire, mais à un prix élevé : nombre d’entre nous avaient été sérieusement blessés.

            Nous traînâmes Si Tangara en prisonnier jusqu’à l’entrée de la poche d’eau où vivait le caïman sacré de Bandiagara, que tout le monde appelait « Mamma Bandiagara » (l’ancêtre de Bandiagara).

            - Jure par le caïman sacré que tu ne nous provoqueras plus jamais, lui dis-je, et que tu ne t’allieras pas avec une autre waaldé pour nous combattre. En compensation, nous sommes prêts à fusionner avec ta waaldé. A nous tous, nous pouvons constituer une force redoutable capable de tenir tête à toutes les waaldés rivales du quartier nord. » (A/304)

 

            Un syncrétisme de croyances insaisissable

            Les Blancs abordaient ce monde noir inconnu, forts de leurs certitudes rationnelles ou de leurs convictions religieuses monothéistes, quand ils en avaient, et ils se trouvaient confrontés à un univers dans lequel le visible et l’invisible se mélangeaient constamment, bien incapables de déterminer une frontière entre le visible et l’invisible, ne sachant jamais où se situaient les pouvoirs religieux, entre les marabouts, les sorciers, les féticheurs, les devins, ou les géomanciens.

            Il fallut d’ailleurs beaucoup de temps pour que nos meilleurs ethnologues fassent un peu de clarté sur ce nouveau monde des croyances, des prédictions, et des interdits.

            Sur les nouveaux continents, la colonisation française fut confrontée à cette immense difficulté de compréhension des autres cultures et croyances, étrangères naturellement, mais aussi et souvent, étranges pour nos systèmes de pensée.

             Dans la plupart d’entre elles, les ancêtres faisaient l’objet d’un véritable culte, la vie quotidienne était en permanence animée par des êtres invisibles, que ce soit en Afrique, en Asie, ou à Madagascar.

            Seul l’Islam, lorsqu’il existait en Afrique occidentale, surtout dans les régions du Sahel et du bassin du Niger, donnait une impression de « rationalité » religieuse, étant précisé, comme le souligne d’ailleurs Hampâté Bâ, que l’Islam, nouveau conquérant des âmes, s’était bien gardé de remettre en cause les croyances qui ne contrariaient pas les sourates du Coran. A plusieurs reprises, le même témoin distinguait d’ailleurs les vrais et les faux marabouts.

 

            Kati, symbole d’un pluralisme des croyances

            A Kati, ville de garnison à proximité de Bamako :

            « Il y avait alors à Kati trois sanctuaires : l’église chrétienne avec son école et sa crèche ; la mosquée, avec sa medersa (école) et sa zaouïa (lieu de réunion et des prière des membres d’une confrérie soufi), enfin le djetou, bois sacré des Bambaras, où se célébraient généralement leurs cultes. » (A/438)

           

Marabouts et prédictions

            Khadidja, la mère bien-aimée d’Hampâté Bâ, en consultation auprès d’une femme marabout de Bandiagara, pour l’aider à sauver son mari, Tidjani Thiam, injustement emprisonné :

            « Dans un quartier de Bandiagara vivait une vieille femme marabout célèbre et respectée, née à Hamdallaye (capitale de l’empire peul du Macina) au temps du vénérable Cheikou Amadou, on l’avait surnommée « dewel asi », c'est-à-dire « la petite femme qui a creusé » (sous-entendu : creusé la connaissance mystique) ; elle enseignait les sciences islamiques traditionnelles : le coran bien sûr, mais aussi les hadith (paroles et actes du prophète), la grammaire arabe, la logique, la jurisprudence selon les quatre grandes écoles juridiques islamiques, plus les traditions spirituelles soufi et tout cela en tissant de très jolies nattes de paille habilement ornées de dessins symboliques… Ma mère lui rendit visite. Je viens auprès de toi, lui dit-elle, afin que tu me bénisses et me conseilles. » (A/106)

            Plus loin, Hampâté Bâ évoquait une autre rencontre de sa mère avec un marabout, alors qu’il sortait d’une grave maladie :

            « J’étais encore très faible. Ma mère, inquiète, alla consulter un marabout réputé pour ses étonnantes voyances et que l’on avait surnommé Mawdo molebol gotel, «  le vieux (ou le maître) qui n’a qu’un poil », ce qui signifiait « le vieux (ou le maître) qui n’a qu’une seule parole », et aussi « qui est unique en son genre ». Après avoir dressé un thème probablement de nature géomancienne ou numérale, il déclara :

            « O Kadidja, sois heureuse, car dès que ton fils quittera la ville, sa santé évadée lui reviendra totalement. Son séjour à l’étranger est inévitable et il y restera assez longtemps, avant de te revenir, mais il n’y sera pas malheureux. Il s’y fera un nom et il y fondera une famille… En guise de conclusion, il ajouta : « dans sa vie, ton fils jouira des bonnes grâces des grands. Un jour même, il bâtira une maison à étages…

             Cette « maison à étages » existe aujourd’hui à Abidjan…(A/510)

 

            Une prédiction à partir d’un rêve

            A plusieurs reprises, la mère de l’auteur se fit prédire son avenir.

            Une fois, dans son enfance, pour  un rêve qu’elle avait fait :

            « C’est à peu près à cette époque que la petite Kadidja fit un rêve qui la marqua profondément en raison des prédictions auxquelles il donna lieu et qui se vérifièrent l’une après l’autre, tout au long de sa vie. Dans ce rêve, elle voyait le saint Prophète pénétrer dans la cour de la maison familiale. Il lui disait d’aller chercher ses frères et sœurs et de venir partager avec lui un grand plat préparé par sa mère. Ils s’assirent tous autour du plat et mangèrent jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Alors le Prophète, gardant auprès de lui les frères et sœurs de Kadidja, leva les yeux sur elle et lui demanda de sortir… »

 

            A son réveil, elle devint triste, convaincue que le Prophète l’avait abandonnée et elle raconta son rêve à sa mère :

            « Rassure-toi, lui dit-elle, ton oncle Eliyassa Hafiz Diaba est un grand marabout qui connaît la science de l’interprétation des songes... lui saura trouver la vraie signification de ton rêve… il trempa une plume de roseau dans une encre spéciale et couvrit la natte de formules coraniques, de lettres et de signes selon un agencement spécial… »

 

            Il lui demanda d’aller faire un don à un pauvre

            « Quand elle revint, il fit alors les prédictions suivantes, fondées sur les différents éléments du rêve comme sur les signes observés par lui sur la natte :

            Ma nièce Kadidja survivra à tous ses parents elle héritera de tous ses frères et sœurs, car elle sera la dernière à mourir après une très longue vie. Aucun de ses frères et sœurs n’aura d’enfants. Elle se mariera deux fois. De son premier mariage, elle aura trois enfants. Ils vivront difficilement, mais si un seul survit, il sera suffisant. Il sera un grand soutien pour elle. Son deuxième mariage la ruinera. Elle donnera six enfants à son deuxième mari, mais ces enfants seront plutôt une charge pour elle. Kadidja connaîtra de grandes difficultés dans sa vie, mais elle triomphera de tous ses ennemis, hommes ou femmes, et elle surmontera tous les événements pénibles qui jalonneront son existence »

            Cette prédiction étonnante dans sa précision, se réalisera au fil du temps dans les moindres détails. « A/65)

 

            L’auteur évoque naturellement le milieu des croyances dans lequel baignaient les différentes ethnies qui peuplaient le bassin du Niger, en partie converties à l’Islam, et en partie restées attachées à leurs croyances animistes ancestrales, notamment chez les Bambaras. Il nous donne donc une large ouverture sur ce monde alors, et encore, caché aux blancs.

            Il évoque notamment un dieu très célèbre du bassin du Niger, le dieu Komo.

 

Le Dieu  Komo

 

            La société du Komo était une société secrète Bambara dont l’auteur apprit l’existence, dans un village où sa mère fut obligée d’accoucher au cours d’un voyage.

            De nos jours, les amateurs de masques ou les curieux de cultures africaines, connaissent les masques et le nom du Komo.

            «  Le chef du village dépêcha auprès de ma mère le doyen d’âge de la communauté (de Donngorma). Il était accompagné du « maître du couteau » de la société secrète Komo de Donngorna, comme je l’apprendrai plus tard. Le Komo est une antique société religieuse Bambara réservée aux adultes et dont le dieu, représenté par un masque sacré est également appelé Komo. Quant au « maître du couteau », c’est le sacrificateur, et souvent le maître initiateur de cette société.

 

            Le « maître du couteau » examina attentivement le nouveau-né. Il lui tâta les os de la tête…puis il se retira sans rien dire… le doyen d’âge, vêtu d’une tunique jaune se fit apporter une calebasse d’eau claire. Il la prit dans sa main droite et avança jusqu’au seuil du vestibule où se tenait ma mère. Il s’accroupit et dit s’adressant au nouveau né :

            « Oo Nji Donngorna (envoyé de Donngorna), tu es venu chez nous de la part de celui qui t’a envoyé. Sois le bienvenu. Apporte- nous une nouvelle réjouissante. Voici ton eau, accepte-la en échange de notre bien-être et de notre longévité…

            Il tendit la calebasse d’eau à ma mère : verses-en quelques gouttes dans la bouche de ton fils… avant de quitter la maison, le vieillard prévint les femmes :     Dînez de bonne heure ce soir, et enfermez-vous aussitôt dans la maison. Le dieu Komo de Donngorna fera une sortie exceptionnelle pour venir saluer son hôte étranger Nji Donngorma, mais les femmes, les enfants et tous ceux qui ne sont pas initiés, ne sont pas autorisés à le voir. S’ils le faisaient, ils risqueraient la mort. Le Komo les tuerait impitoyablement. Restez donc bien enfermés ! (A/171)

 

:           Wangrin et son monde magique

 

            L’auteur racontait :

            «  Mais Wangrin n’était le fidèle exclusif d’aucune religion. Il reconnaissait la puissance divine partout où elle se logeait. A défaut de ses marabouts thaumaturges, il décida de s’adresser à son dieu personnel Gongoloma-Sooké pour lui demander de le préserver contre le mal qui pourrait venir du commandant de Chantalba. La lutte promettait d’être d’autant plus dure que Romo mettrait sans doute la main à la pâte. Or une guerre doit être préparée…

            Wangrin tira du fond d’un sac en peau de chat noir une petite pierre maculée de sang. C’était la pierre symbolisant le lien qui l’unissait à Gongoloma-Sooké. C’est sur cette pierre que Wangrin avait immolé son poulet - offrande d’alliance et d’allégeance.

            Il alla acheter un poulet noir et un poulet blanc.

            Quand il fut de retour, il posa la petite pierre devant lui, se saisit du poulet noir de ses deux mains et dit :

            O caillou ! Tu symbolises la première force du cosmos. Tu contiens du fer, lequel contient du feu.

            Tu es, ô caillou, l’habitat de l’esprit de Gongoloma-Sooké, mon dieu protecteur.

            Un orage de malheurs se prépare contre moi. .. C’est pourquoi, caillou ! Habitat de Gongoloma-Sooké ! je te commande, par « Kothiema sunsun » et « Bathiema sunsun » (paroles cabalistiques du culte Komo), d’ouvrir grandes les petites portes invisibles de ta peau pétrifiée, afin que j’y fasse goutter le sang de ce poulet noir, symbole de la nuit de peine qui menace de tomber sur moi.         Gongoloma-Sooké viendra boire le sang du poulet et me dira ce que je devrai faire pour triompher de mes ennemis…

            Il ne devait pas se contenter de cette cérémonie animiste. Il estima indispensable de se contenter des marabouts de fortune qu’il trouverait sur sa route.     En quelques jours, il avait monté un véritable arsenal d’occultistes de tous bords et de tous gabarits : géomanciens, magiciens, interprètes de songes et de cris d’animaux, décrypteurs des empreintes d’animaux, etc.. » (W/256)

 

            L’auteur raconte plus loin les chasses à l’éléphant clandestines de Wangrin et les péripéties des poursuites engagées par l’administration coloniale qui n’arrivait jamais à le « coincer ».

            « Un combat entre deux sorciers (versés dans les sciences occultes) ne se livre pas à la manière des lutteurs de foire, mais à coups de pratiques magiques, lancement d’effluves qui aveuglent, paralysent, rendent fou ou, parfois, tuent froidement l’adversaire. Or - et Romo le savait - Wangrin était passé maître en ces matières, à force de fréquenter et de faire travailler les plus grands dignitaires de la sorcellerie bambara, peule, dogon, marka, yarsé, samo, bobo, mossi, gourma, gourounsi, pomporon… (W/296)   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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II Chapitre 8

Les Peaux Allumées

En fin de chapitre, deux références

René Maran   " Batouala"

Ahmadou Kourouma " Les Soleils des Indépendances"

II Suite 
        L’école
            Les récits d’Hampâté Bâ nous donnent une description précise, à la fois de son vécu scolaire d’enfant, avant la grande guerre, et de l’organisation des écoles françaises de l’époque. Sa vie d’enfant à l’école était assez semblable à celle d’une école primaire de nos campagnes, sauf que les Commandants suivaient de près le  fonctionnement concret des écoles et intervenaient directement dans le choix des élèves ; ce fut le cas pour l’auteur, comme il le raconte en détail, et cela motiva tout d’abord le refus de sa mère de voir son fils fréquenter l’Ecole des Blancs, l’école des infidèles.
            Le commandant de Bandiagara, le commandant Maillet, dont la réputation n’était pas celle d’un « bouffe-nègre » avait demandé qu’on lui présente les nouveaux écoliers. A cette occasion, il lui offrit une belle pièce en argent de cent sous, en lui demandant de s’endimancher pour venir chaque dimanche sur le terrain de tennis ramasser les balles perdues dans le décor.
            L’auteur suivit d’abord les cours de l’école de Bandiagara, animée par des moniteurs de l’enseignement primaire indigène, puis celle de Djenné dirigée par un instituteur issu de l’Ecole Normale de Gorée
            La principale méthode d’apprentissage utilisée était celle « du langage en action »… « Grâce à cette méthode, je mis peu de temps à pouvoir m’exprimer en français. Cela n’a rien d’étonnant quand on pense que la plupart des enfants africains, vivant dans des milieux où cohabitaient plusieurs communautés ethniques… étaient déjà peu ou prou polyglottes et habitués à absorber une nouvelle langue aussi facilement qu’une éponge s’imbibe d’un liquide » (A/340)
            L’auteur racontait son premier contact avec le moniteur de l’enseignement primaire indigène, M Moulaye Haïdara, métis maure d’une famille chérifienne du Sokoto (Mali). Il était accompagné de Madani, fils du chef. Le maître mit l’auteur à l’avant dernière place et Madani, à la dernière :
            « Après un moment, je me levai pour céder ma place à Madani et m’installer à la sienne.
            - Qui vous a permis de changer de place ? S’écria le maître en bambara.
            Je me levai et répondis dans la même langue, que parlaient d’ailleurs la plupart des enfants :
            - Madani est mon prince, monsieur, je ne peux pas me mettre devant lui.
            - Ici, c’est moi qui désigne les places, on ne les choisit pas, tu entends.
            - J’entends monsieur.
            - Reprenez les places que je vous ai données. Ici, il n’y a ni princes, ni sujets,  il faut laisser tout cela derrière la rivière. » ( A/331)
            Ces quelques traits dessinent, dans la phase des premiers  balbutiements de la colonisation, un premier portrait des écoles françaises du bassin du Niger, avant tout destinées à former les futurs collaborateurs de l’administration française, mais en concurrence frontale, dans les régions déjà islamisées avec les écoles coraniques.

            L’anecdote est très intéressante parce qu’elle exprime le régime des castes qui existait alors, et dont les effets se sont poursuivis jusqu’à nos jours.

            La justice
            Dans son roman « Amkoullel », l’auteur nous donne l’exemple d’un procès « politique » mené contre Tidjani Thiam au profit du roi Aguibou Tall, que le pouvoir colonial avait nommé ; le tribunal de deuxième degré était alors présidé par le commandant de cercle lui-même, assisté d’assesseurs indigènes.
            A maintes reprises dans ses récits, l’auteur dénonce une justice à deux vitesses, celle des Blancs et celle des Noirs.
            Dans le livre « Oui, mon commandant », il écrivait au sujet d’une affaire qui mettait en cause des administrateurs des colonies :
            « L’affaire était alors entre les mains du président de la Cour d’Assises de Dakar, instance qui prenait largement son temps pour se prononcer, même dans les cas les plus graves comme le disaient à l’époque les africains : si la justice des commandants de cercle est aussi rapide qu’un lièvre poursuivi quand elle s’exerce contre nous, la justice française, elle, marche comme une tortue malade. »(MC/224)
            Une ségrégation institutionnelle donc, comme les exemples cités, et les situations concrètes maintes fois décrites, l’illustraient bien.
            L’auteur décrivait avec précision le classement de la population par classes et catégorie.
            « Sous l’effet de la colonisation, la population de l’Afrique occidentale s’était divisée automatiquement en deux grands groupes, eux-mêmes subdivisés en six classes qui vinrent se superposer aux classes ethniques naturelles.
            Le premier était celui des citoyens de la République française, le second celui des simples sujets.
            Le premier groupe était divisé en trois classes, les citoyens français pur sang, nés en France, les citoyens français des quatre communes de plein exercice du Sénégal (Gorée, Saint Louis, Dakar et Rufisque, enfin les africains naturalisés français...
            Le second groupe, celui des sujets, comprenait à son tour, trois classes :au sommet de la hiérarchie venaient les sujets français du Sénégal… puis venaient, dans les autres territoires, les sujets français « lettrés » … et les sujets français « illettrés ».
            A côté de cette division officielle de la société, l’humour populaire en avait créé une autre qui se réduisait à quatre classes, celle des « blancs-blancs » (ou toubabs), qui comprenaient les Européens d’origine, celle des blancs-noirs qui comprenait tous les indigènes petits fonctionnaires et agents de commerce lettrés en français, travaillant dans les bureaux et factoreries des blancs-blancs, qu’ils avaient d’ailleurs tendance à imiter ; celles des nègres des blancs, qui comprenait tous les indigènes illettrés mais employés à un titre quelconque par les blancs-blancs ou les blancs-noirs (domestiques, boys,…) ; enfin, celle des noirs-noirs, c'est-à-dire les africains restés pleinement eux-mêmes et constituant la majorité de la population. C’était le groupe supportant patiemment le joug du colonisateur, partout où il y avait joug à porter. « (MC/186)
            Les Blancs en dérision
            Derrière les murailles des tatas, aux veillées des villages, les noirs-noirs ne se privaient pas de moquer les blancs-blancs. La chose était d’autant plus facile que la plupart du temps les blancs-blancs ne parlaient pas le dialecte du pays, et qu’il existait une vieille tradition de moquerie, celle des associations de plaisanterie, au sein desquelles on pouvait se moquer de l’autre de façon toujours indirecte.
            A Diagaramba, la scène du casque colonial :
            « Un matin de l’an 1906, alors que chacun, à Edika, était occupé à mâcher de la cola et à converser, on vit déboucher un convoi de cinq porteurs chargés de bagages ficelés à la manière européenne, suivis d’un cavalier. Ce dernier portait une veste kaki et un pantalon bouffant. Il était chaussé de belles bottes et coiffé d’un casque conique appelé le « casque colonial ».
            Cette coiffure ridicule ne faisait pourtant rire personne; bien au contraire, elle inspirait la peur. C’était en effet la coiffure officielle et réglementaire des blancs, ces fils de démons venus de l’autre rive du grand lac salé et qui, avec leurs fusils qui se cassent en deux et se bourrent par le cul, avaient mis quelques années seulement pour anéantir les armées du pays et assujettir tous les rois et sujets.
            Aussi, quand un homme apparaissait coiffé du casque colonial, fût-ce un vieux casque sale et défoncé, on ne pensait qu’à une chose ; aller chercher poulets, œufs, beurre et lait pour les offrir à «  Monsieur Casqué », comme en offrande conjuratoire contre les malheurs pouvant découler de sa présence. » (W/25)
            Le chant de la griote Flateni
            « La célèbre griote Flateni, ancienne griote du roi Aguibou Tall, accompagnait généralement les cortèges du 14 juillet. De sa voix émouvante et puissante, qui dominait la foule, elle chantait les vieux péans de guerre où l’on célébrait les exploits des héros toucouleurs de l’armée d’El Hadj Omar aux batailles de Médine, Tyayewal ou autres. Ses chants tiraient les larmes aux plus endurcis, mais il arrivait aussi qu’ils les fassent pleurer de rire, car elle n’était pas tendre pour les toubabs, « peaux allumées » et « gobeurs d’œufs ». Heureusement, les dignitaires coloniaux ne comprenaient pas le peul. La population ne pouvait faire autrement que subir la colonisation, mais chaque fois qu’elle le pouvait, elle se payait largement la tête des colonisateurs, à leur nez et à leur barbe ». (A/383)  
            Les surnoms des commandants
            Incontestablement, une évocation à la fois triste et drôle !
            « Les populations africaines, si rapides à épingler les travers ou les qualités d’un homme à travers un surnom, savaient bien faire la différence…
         C’est ainsi que l’ai connu le commandant « Touk-toïga »,  « Porte-baobab », qui ne se privait pas de faire transporter des baobabs à tête d’hommes sur des dizaines de kilomètres ; les commandants « Diable boiteux » ou « Boule d’épines » qu’il était risqué d’approcher sans précaution, ou « Koun-flen-ti », « Brise-crânes…mais il faut le dire, ils étaient souvent aidés dans leurs actions inhumaines ou malhonnêtes par de bien méchants blancs-noirs : le commandant « Koursi- boo », « Déculotte-toi » (sous-entendu, « pour recevoir cinquante coups de cravache sur les fesses ») était assisté par le brigadier des gardes « Wolo- boost » ou « Dépouille-peau » ; le commandant « Porte baobab » avait un garde au nom évocateur : « Kankari », « Casse-cous », le commandant « Yiya maaya », « Voir et mourir » avait son ordonnance « Makari baana », « Finie la compassion »…
       Mais il y avait aussi les commandants « Fana nyouman », Bon papa » ; « Fana te son », « Calomniateur n’ose » ; « Ndoun-gou-lobbo », « Heureux hivernage » ; « Lourral maayi », « La mésentente est morte » ; et « Alla- y-nya »  « Dieu l’a lustré » ; sans parler du docteur « Maayede woumi », « La mort est aveuglée » ; de l’instituteur »Anndal rimi », « Le savoir a fructifié » ; et de l’ingénieur « Tiali kersi « , « Les cours d’eau sont mécontents, car il les aménageait…
            Enfin, une anecdote de détente !
            « O imbécillité drue !
            Un jour, un commandant de cercle décida d’accomplir une tournée dans la région. Or, on était à la saison des pluies,  et la route longeait un terrain argileux encaissé entre deux rivières. Il appela le chef de canton : il faut me faire damer cette route par tes villageois pour la durcir et la tenir au sec. Je ne veux pas que ma voiture s’enfonce :
            - Oui, mon commandant, dit le chef de canton, qui ne pouvait dire autre chose.
            Alors il appela les habitants de plusieurs villages, leur dit de prendre leurs outils à damer, sortes de tapettes en bois en forme de pelles aplaties dont on frappait le sol pour le compacter et le durcir, et les envoya sur la route. Jadis, toutes les routes de l’Afrique, sur des milliers de kilomètres, ont été ainsi damées à main d’homme.
            Et voilà les villageois, hommes, femmes et enfants, qui se mettent à taper dans le sol humide et bourbeux ; ils tapent, ils tapent à tour de bras, au rythme d’in chant qu’ils ont composé pour la circonstance et tout en tapant, ils chantent et ils rient. J’ai entendu leur chant, en voici quelques passages :
            O imbécillité, O imbécillité drue !
            Elle nous ordonne de dépouiller,
            De dépouiller la peau d’un moustique pour en faire un tapis, un tapis pour le Roi ; mon commandant veut que sa voiture passe ; il ressemble à l’homme qui veut faire sa prière sur une peau de moustique étendue sur le sol…;
            Mon commandant nous croit idiots, mais c’est lui qui est un imbécile pour tenter de faire une route dans de la boue humide…
            Le commandant… vint visiter le chantier. Les frappeurs chantèrent et rirent de plus belle. Le commandant tout réjoui, se tourna vers l’interprète : mais ils ont  l’air très content, s’exclama-t-il. Il  y avait des secrets que ni les interprètes, ni les commis, ni les gardes ne pouvaient trahir : « Oui, mon commandant ! », répondit l’interprète. (MC/338)
            Le système colonial des blancs
            La dernière partie de ces textes sera consacrée à une réflexion sur le système colonial français, le pourquoi de ce système. Les avis sont naturellement partagés sur sa validité, son utilité, et son éthique supposée, mais il ne parait pas inutile d’entrouvrir le débat en citant à nouveau notre grand témoin qui fut un observateur très averti de la colonisation française dans l’Afrique de l’Ouest, compte tenu de l’ensemble de son parcours humain, professionnel, et aussi religieux. Il écrivait :
            « Une entreprise de colonisation n’est jamais une entreprise philanthropique, sinon en paroles l’un des buts de la colonisation, sous quelques cieux et en quelque époque que ce soit, a toujours été de commencer par défricher le terrain conquis, car on ne sème bien ni dans un terrain planté ni dans la jachère. Il faut d’abord arracher des esprits comme de mauvaises herbes, les valeurs, coutumes et cultures locales pour pouvoir y semer à leur place les valeurs, les coutumes et la culture du colonisateur, considérées comme supérieures et seules valables et quel meilleur moyen d’y parvenir que l’école.,
            Mais, comme il est dit dans le conte Kaïdara, toute chose a une face diurne et une face nocturne. Rien, en ce bas monde, n’est jamais mauvais de A jusqu’à Z et la colonisation eut aussi des aspects positifs, qui ne nous étaient peut-être pas destinés à l’origine, mais  dont nous avons hérité et qu’il nous appartient d’utiliser au mieux. Parmi eux, je citerai surtout l’héritage de langue du colonisateur en tant qu’instrument précieux de communication entre ethnies qui ne parlaient pas la même langue et moyen d’ouverture sur le monde extérieur – à condition de ne pas laisser les langues locales, qui sont le véhicule de notre culture et de notre identité. » (A/492)
            Une évocation rapide du regard des noirs dans Batouala, le roman de René Maran, couronné par le prix Goncourt en 1921
            Administrateur colonial, l’auteur, d’origine antillaise, a dépeint, dans un  récit haut en couleurs, d’une chaleur toute tropicale, les aventures amoureuses et la jalousie dans un couple noir de Bandas du Congo. Le roman baigne dans l’ambiance d’une nature exubérante et tout imprégnée de sexualité, de magie, de sorciers, et d’esprits du monde invisible.

            Les  Blancs Blancs y sont naturellement caricaturés, notamment le Commandant qui sévissait alors dans les lieux, mais quoi de plus normal, étant donné que l’histoire n’est pas celle des Blancs-Blancs, ou celle des relations entre Blancs-Blancs et Noirs-Noirs, mais celle de héros du pays.

            Retenons simplement une des notations du romancier quant à la perception qu’avaient les Bandas des Blancs-Blancs :

            «Les blancs, aha ! Les blancs…; n’affirmait-on pas que leurs pieds n’étaient qu’une infection. Quelle idée aussi que de les emboîter en des peaux noires, blanches ou couleur de banane mûre. Et s’il n’y avait que leurs pieds à puer, Llalala, mais tout leur corps transpirait une odeur de cadavre (B/38)

            En effet, les Blancs avaient souvent la réputation d’exhaler une odeur de cadavre.

 

            Et enfin, un « flash-back » rapide avec Ahmadou Kourouma et son livre « Les soleils des Indépendances », lequel évoque le présent et le passé de son pays d’origine.

            Ainsi commence le récit de la vie de Fama, le prince déchu de la lignée des Doumbouya :

            « Il y avait une semaine qu’avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons le en malinké : il n’avait pas soutenu un petit rhume… » (p.9)

            On se réunit, un griot pérore, mais :

            « Bâtard de griot ! Plus de vrai griot ; les réels sont morts avec les grands maîtres de guerre d’avant la conquête des Toubabs. » (p.14)

            Le prince déchu évoque le passé :

            « Odeurs de tous les grands marchés d’Afrique : Dakar, Bamako, Bobo, Bouaké ; tous les grands marchés que Fama avait foulés en grand commerçant. Cette vie de grand commerçant n’était plus qu’un souvenir parce que tout le négoce avait fini avec l’embarquement des colonisateurs. Et des remords ! Fama bouillait de remords pour avoir tant combattu et détesté les Français un peu comme la petite herbe qui a grogné parce que le fromager absorbait tout le soleil ; le fromager abattu, elle a reçu tout son soleil mais aussi le grand vent qui l’a cassée. Surtout, qu’on n’aille pas toiser Fama comme un colonialiste. Car il avait vu la colonisation, connu les commandants français qui étaient beaucoup de choses, beaucoup de peines : travaux forcés, chantiers de coupe de bois, routes, ponts, l’impôt et les impôts, et quatre-vingt autres réquisitions que tout conquérant peut mener, sans oublier la cravache du garde cercle et du représentant et d’autres tortures.

            Mais l’important pour le Malinké est la liberté du négoce et les Français étaient aussi et surtout la liberté du négoce qui fait le grand Dioula, le Malinké prospère. Le négoce et la guerre, c’est avec ou sur les deux que la race malinké comme un homme entendait marchait, voyait, respirait, les deux étaient à la fois ses deux pieds, ses deux yeux, ses oreilles et ses reins. La colonisation a tué la guerre, mais favorisé le négoce, les Indépendances ont cassé le négoce et la guerre ne venait pas. Et l’espèce malinké, les tribus, la terre, la civilisation se meurent, percluses, sourdes et aveugles…et stériles.

             C’est pourquoi, à tremper dans la sauce salée à son goût, Fama aurait choisi la colonisation et cela malgré que les Français l’aient spolié, mais avec la bénédiction de celui qui…Parlons-en rapidement plutôt. Son père mort, le légitime Fama aurait dû succéder comme chef de tout le Horodougou, mais il buta sur intrigues, déshonneurs, maraboutages et mensonges, parce que d’abord un garçonnet, un petit garnement européen d’administrateur, toujours en culotte courte sale, remuant et impoli, comme la barbiche d’un bouc, commandait le Horodougou. Evidemment Fama ne pouvait pas le respecter ; ses oreilles en ont rougi et le commandant préféra qui ?  Le cousin Lacina, un cousin lointain qui, pour réussir marabouta, tua sacrifices, intrigua, mentit et se rabaissa à un point tel que… Mais l’homme se presse, sinon la volonté et la justice divines arrivent toujours tôt ou tard. Savez-vous ce qui advint ? Les indépendances et le parti unique ont destitué, honni et réduit le cousin Lacina à quelque chose qui ne vaut pas plus que les chiures d’un charognard…

            Mais au fond, qui se rappelait encore parmi les nantis les peines de Fama ? Les soleils des Indépendances s’étaient annoncés comme un orage lointain et dès les premiers vents Fama s’était débarrassé de tout : négoce, amitiés, femmes pour user les nuits, les jours, l’argent et la colère à injurier la France, le père, la mère de la France. Il avait à venger cinquante ans de domination et de spoliation. Cette période d’agitation a été appelée les soleils de la politique. Comme une nuée de sauterelles les Indépendances tombèrent sur l’Afrique à la suite des soleils de la politique. Fama avait comme le petit rat du marigot creusé le trou pour le serpent avaleur de rats, ses efforts étaient devenus la cause de sa perte, car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les Indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté aux mouches. Passaient encore les postes de ministres, d’ambassadeurs, pour lesquels lire et écrire n’est pas aussi futile que des bagues pour un lépreux. On avait pour ceux-là des prétextes de l’écarter, Fama demeurant analphabète comme la queue d’un âne. Mais quand l’Afrique découvrit d’abord le parti unique, (le parti unique, le savez-vous ? ressemble à une société de sorcières, les grandes initiées dévorent les enfants des autres), puis les coopératives qui cassèrent le commerce, il y avait quatre-vingt occasions de contenter et de dédommager Fama qui voulait être secrétaire général d’une sous-section du parti ou directeur d’une coopérative…. Les deux plus viandés et gras morceaux des Indépendances sont sûrement le secrétariat général et la direction d’une coopérative…Le secrétaire général et le directeur, tant qu’ils savent dire les louanges du président, du chef unique et de son parti, le parti unique, peuvent bien engouffrer tout l’argent du monde sans qu’un seul œil ose ciller dans toute l’Afrique.

            Mais alors qu’apportèrent les Indépendances à Fama ? Rien que la carte d’identité nationale et celle du parti unique… (p.25) »

 

            Raccourci coloré, truculent, et lucide de l’histoire de cinquante ans de colonisation française et des premières années d’Indépendance !

            La lecture complète du récit nous donne la possibilité de pénétrer dans l’intimité des croyances, des traditions, et d’une culture africaine, qui imprégnaient encore très fortement la vie concrète des personnages décrits par l’auteur.     

 

            Jean Pierre Renaud                                     Tous droits réservés

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17 février 2024 6 17 /02 /février /2024 11:33

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                     Deuxième Partie

Premiers regards noirs sur les blancs

Regards noirs sur les blancs, les « peaux allumées », et, en opposite, le monde des noirs invisible

 

            Les pages qui suivent sont le fruit d’un travail délicat qui a consisté à tenter de reconstituer et d’esquisser :

  • les représentations que les noirs avaient des blancs dans la première période de la colonisation française en Afrique Occidentale, c’est-à-dire dans les années 1890-1920.
  • et en opposite, les traits de sociétés et de cultures qui constituaient alors, pour les blancs,  le monde noir invisible.

 

            Nous avons vu dans les chapitres précédents comment les premiers blancs décrivaient cette Afrique encore inconnue, à la fois dans le détail pour les itinéraires suivis et les populations rencontrées, et en même temps, à grands traits, les organisations politiques, les croyances et les coutumes, mais sans aller évidemment au cœur de la vie intime, matérielle et spirituelle, de ces peuples.

            Ces récits étaient inévitablement des descriptions superficielles des mondes noirs rencontrés, car ils étaient très variés, et accusaient naturellement un grand décalage entre les apparences et la réalité, entre le visible et l’invisible. 

            Mais, ainsi que le lecteur a pu le constater, le regard des blancs, premiers découvreurs de mondes étranges et étrangers, n’était ni péjoratif, ni raciste, même s’il était largement imprégné de la supériorité de la civilisation occidentale.

            Pour tenter de comprendre la façon dont les noirs se représentaient les blancs, il fallait recourir au truchement des noirs eux-mêmes, rois, chefs de villages, ou interprètes, dont le rôle fut capital, et nous y reviendrons.

            Nous avons vu dans un des chapitres précédents que le voyage à Paris du prince Karamoko, fils de Samory, avait été organisé précisément pour faciliter le truchement entre deux adversaires, qui auraient pu, grâce à ce moyen, devenir des partenaires.

Cette tentative fut un échec.

 

Fragments de représentation des blancs et truchements noirs :

 

            Le 10 août 1889, le capitaine Péroz avait été invité par la Société d’Emulation de Besançon, dont il était membre, à faire une conférence pour présenter son dernier livre « Au Soudan », livre qui racontait sa mission de négociation d’un traité de protectorat avec Samory, conférence déjà évoquée au chapitre 4.  

            Le président de la société savante, M.Besson, notait dans son discours de présentation, que Samory se représentait la France, comme « un ensemble d’îles pauvres et peu habitées, placées à l’embouchure du Sénégal » et ajoutait que le livre « nous transportait dans un monde absolument nouveau ».

            Le récit du capitaine Toutée observait que les noirs percevaient les blancs comme des fantômes.

            Au cours de la première période de colonisation, les blancs étaient complètement entre les mains de leurs interprètes et secrétaires, pour tenter de saisir l’image que les noirs pouvaient avoir des blancs, mais cette situation continua, plus ou moins, selon les périodes et les territoires, jusqu’à la fin de la période coloniale.

            Le capitaine Toutée évoquait les fausses images que les blancs de la côte colportaient sur les noirs, tant était grande leur ignorance du monde noir, mais un certain nombre de noirs avaient déjà une certaine connaissance du monde blanc qu’ils avaient eu l’occasion de fréquenter sur les côtes de Guinée.

            Il s’agissait des commerçants, dioulas ou sarakolés, qui transportaient et vendaient des marchandises entre le Soudan et la côte. Certains sarakolés s’étaient par ailleurs engagés sur des bateaux et avaient navigué entre New York, Bombay, ou Shanghaï (Richard Molard, p,103).

            Grâce à son ancienne appartenance dioula et au commerce qu’il entretenait régulièrement avec la Sierra Léone, Samory disposait de bonnes informations sur les blancs. Ahmadou, avait à ses côtés, un homme qui jouait un grand rôle, Samba N’Diaye, surnommé l’ingénieur, qui avait passé vingt ans de sa vie à Saint Louis.

            Dans les chapitres qui suivent, nous essaierons de retracer les représentations que les noirs avaient des blancs au cours de la première période de colonisation, à partir d’une bonne source, semble-t-il, celle d’Amadou Hampâté Bâ, dont les écrits proposent une mine d’informations sur le sujet. Notre grand témoin  historique sera donc Hampâté Bâ. L’ensemble de ses récits très documentés et chronologiquement datés donnent un éclairage tout à fait intéressant sur les deux sujets à traiter.

Chapitre 8
Regards noirs sur les blancs, les « peaux allumées »

En fin de chapitre :

 René Maran " Batouala"

Ahmadou Kourouma

"Les Soleils des Indépendances"

 

La chronologie

            Les récits d’Hampâté Bâ couvrent une période qui s’inscrit en grande partie dans la première période de la colonisation, avant la première guerre mondiale, 1914-1918, pendant et après cette guerre.

            La Grande Guerre de 1914-1918, la rupture d’image, avec un avant et un après : la guerre 1914-1918 fut une première rupture capitale de l’image du blanc en Afrique occidentale.

            Hampâté Bâ racontait dans son livre « Amkoullel » :

            « Quand les rescapés rentrèrent au foyer en 1918-1910, ils furent la cause d’un nouveau phénomène social qui ne fut pas sans conséquence sur l’évolution future des mentalités : je veux parler de la chute du mythe de l’homme blanc invincible et sans défauts. Jusque-là, en effet, le Blanc avait été considéré comme un être à part : sa puissance était écrasante, imparable, sa richesse inépuisable, et de plus il semblait miraculeusement préservé par le sort de toute tare physique ou mentale. Jamais on n’avait vu d’administrateurs des colonies infirmes ou contrefaits…Mais, depuis, les soldats noirs avaient fait la guerre dans les tranchées aux côtés de leurs camarades blancs. Ils avaient vu des héros, des hommes courageux, mais ils en avaient vu aussi pleurer, crier, avoir peur. Ils avaient découvert des contrefaits et des tarés, et même, chose impensable, à peine croyable, ils avaient vu dans les villes des Blancs voleurs, des Blancs pauvres, et même des Blancs mendiants.

         Et 1919 vit naître une nouvelle ère !

            Quand ces tirailleurs rentrèrent au pays, ils racontèrent, au fil des veillées, tout ce qu’ils avaient vu. Non, l’homme blanc n’était pas un surhomme bénéficiant d’on ne savait quelle protection divine ou diabolique, c’était un homme comme eux, avec le même partage de qualités et de défauts, de force et de faiblesse… C’est là, en 1919, que commença à souffler, pour la première fois un esprit d’émancipation et de revendication qui devait finir, avec le temps, par se développer dans d’autres couches de la population. » (A/470)

            Dans un autre livre, « Oui, mon Commandant ! », le même auteur, en route pour Ouagadougou, notait :

            « En cinq ans, les choses avaient subtilement changé un peu partout. Certes, l’accueil réservé aux fonctionnaires était toujours le même, mais il me parut moins fondé sur la peur du Blanc et de son auxiliaire que sur le respect naturel de l’autorité établie, et, surtout, sur l’hospitalité due à l’étranger de passage bien avant l’arrivée des Blancs. Une nouvelle vision des choses, née avec le retour des anciens combattants de la Grande Guerre et la chute du mythe du « Blanc invulnérable », faisait peu à peu son chemin. » (MC/240)

            Pourquoi cette guerre des Blancs ?

            Un mot enfin à ce sujet sur la teneur, tout à fait éclairante, des conversations que la déclaration de guerre provoqua à Bandiagara,  avec une grande variété des raisons que les noirs proposaient pour expliquer cette guerre. L’un d’entre eux déclara :

            « Depuis un long moment, nous discutons en vue de comprendre pourquoi les Français nos maîtres, et les Allemands  que nous ne connaissons pas, sont entrés en guerre. Pour les uns, c’est une question de femmes (la page 389 évoque ce thème de façon crue et colorée). Pour les autres, c’est une question de champs. O frères de ma mère, vous n’y êtes pas, la vérité est tout autre. La voici, sans méandres ni aspérités, unie et bien plate comme la plaine de la zone inondable : nous constituons, pour les « peaux allumées », un bien matériel très important. Aux uns, ils ont enseigné leur langue, aux autres leur façon de cultiver,  à d’autres encore le métier de la guerre, et ainsi de suite…

            Et pourquoi les toubabs d’Europe se sont-ils déclaré la guerre ? Mes frères, je vais vous le dire : les Français sont entrés en guerre pour nous conserver, rien que pour nous conserver, et les allemands pour nous avoir. Il ne faut pas chercher une autre explication. » (A/390)

            Les « peaux allumées »

            Le récit Toutée nous a déjà donné l’occasion d’évoquer les impressions que les Noirs éprouvaient au contact des Blancs, impressions de créatures étranges, venues d’ailleurs, d’un entre deux mondes.

Hampâté Bâ racontait ses premiers contacts avec les premiers Blancs :

         « Une braise qui ne brûle pas »

            Quelques temps après notre retour à Bougouni, le commandant de Courcelles, qui effectuait une tournée de recensement, passa à la maison. J’avais entendu dire que les Blancs-Blancs (comme on appelait les Européens par opposition aux Blancs- Noirs ou Africains européanisés) étaient des « fils du feu » et que la clarté de leur peau était due à la présence en eux d’une braise ardente. Ne les appelait-on pas les « peaux allumées » ? Les Africains les avait baptisés ainsi parce qu’ils avaient observé que les Européens devenaient tout rouges lorsqu’ils étaient contrariés ; mais moi j’étais persuadé qu’ils brûlaient. Tenaillé par la curiosité, je demandai à Nassouni de me cacher derrière les pans de son grand boubou…..bien caché derrière elle, j’avançai tout doucement ma main droite sur le côté. Le plus légèrement que je pus, je posai le bout de mon index sur la main gauche du commandant qui reposait au bord de la table. Contrairement à mon attente, je ne ressentis aucune brûlure. J’en fus extrêmement déçu. Désormais, pour moi, le Blanc était « une braise qui ne brûle pas »…

            Un jour que nous étions en train de nous amuser (avec mon petit frère) au bord du chemin, je vis surgir devant nous un Blanc-Blanc vêtu d’un costume extraordinaire, accompagné de deux acolytes blancs-noirs : un garde de cercle et un interprète. Les blancs, c’est bien connu, sont de puissants sorciers qui émettent des forces maléfiques et mieux vaut ne pas s’attarder en leur compagnie. Mais là, impossible de fuir, nous étions coincés. Je saisis donc mon petit frère et le plaçai entre mes jambes pour le protéger du « mauvais œil » qui émanait du Blanc-Blanc et de ses compagnons blancs-noirs…

         Le blanc-blanc lui caresse la tête…

… Son costume était d’une blancheur remarquable, mais au lieu de flotter et de laisser l’air circuler librement autour du corps comme les vêtements africains, il épousait strictement les formes du Blanc, comme si c’était pour lui une carapace de protection. Immédiatement, une vieille légende, qui remontait aux premières arrivées des blancs par voie de mer et que j’avais entendue, me revint à l’esprit. Les Blancs, disait-on lors, étaient des « fils de l’eau », des êtres aquatiques qui vivaient au fond des mers dans de grandes cités. Ils avaient pour alliés des djinns (génies) rebelles que le prophète Salomon avait jadis précipité dans les profondeurs de l’océan et à qui le séjour sur terre était interdit à jamais. Ces djinns fabriquaient pour eux, dans leurs ateliers, des objets merveilleux. De temps en temps, ces fils de l’eau sortaient de leur royaume aquatique, déposaient quelques uns de leurs objets merveilleux sur le rivage, ramassaient les offrandes et disparaissaient à jamais. » (A/186)

            Le lecteur se rappelle sans doute l’anecdote citée plus haut, rapportée de la cour de Samory, d’après laquelle la France était constituée d’îles situées au large du Sénégal.

            Blancs et noirs à Bandiagara :

            « Leurs balayures ou leurs ordures, était tabou pour les nègres. On ne devait, ni les toucher, ni même les regarder. Or un jour, j’entendis le cordonnier Ali Gomni, un ami de mon oncle maternel Hammadou Pâté, déclarer que les excréments des Blancs, contrairement à ceux des africains, étaient aussi noirs que leur peau était blanche...

            Discussion entre petits camarades et expédition matinale pour vérifier à proximité du quartier des Blancs le dire du cordonnier, à l’endroit où les corvées de prisonniers  venaient vider les tinettes des blancs. …

… Même en observant la scène de loin, nous sommes vite convaincus : les blancs déposent « mou » et « noir ». A/236)

            Plus loin, l’auteur citait : « les blancs sont de la race « allons vite-vite ». (A/322)

            Mais le lecteur doit savoir aussi qu’au contact des Blancs-Blancs et de leurs acolytes, les Blancs-Noirs, les noirs éprouvaient le plus souvent, à cette même époque, beaucoup de crainte. Les commandants de cercle ou de subdivisions jouaient un rôle capital dans cette nouvelle partition de la peur du blanc.

            Les Commandants

            Les « dieux de la brousse », ainsi qu’ils ont souvent été baptisés, les administrateurs des colonies, disposaient de très grands pouvoirs qui les faisaient craindre de leurs administrés noirs. L’Afrique occidentale française avait été découpée en cercles et subdivisions, des fractions de cercles, à la tête desquels la France avait mis ces fameux commandants. Il y en eut de 120 à 150, et la superficie de ces cercles pouvait être considérable. Les quelques hommes qui assuraient ces commandements disposaient de pouvoirs incontestablement exorbitants, notamment sur le plan judiciaire, en tout cas, dans cette première phase de la colonisation. Dans la dernière partie de l’ouvrage, nous tenterons d’expliquer les raisons, bonnes ou mauvaises, du système colonial que la France mit alors en place en Afrique.

            Il est évident que ces commandants placés dans des situations exceptionnelles, et dotés de pouvoirs exceptionnels, pouvaient incarner le meilleur comme le pire de la colonisation française, mais au fur et à mesure de la mise en place du système colonial, leur recrutement et leur contrôle s’améliora.

            Hampâté Bâ ne se livrait d’ailleurs pas à un réquisitoire contre ces commandants. Ses jugements étaient nuancés, et se nourrissaient de beaucoup d’anecdotes sur les défauts ou les qualités des administrateurs qu’il avait côtoyés ou servis. Ses livres constituent une sorte de galerie de portraits des commandants qu’il connut dans sa vie, ou au cours de sa carrière, des portraits souvent moqueurs de ces hommes qui n’étaient ni tous bons, ni tous mauvais.

            A cheval et il faut saluer !

            Hampâté Bâ rapportait dans la biographie qu’il rédigea sur un interprète célèbre Wangrin, un véritable roman d’aventures, « L’étrange destin de Wangrin », l’accueil que lui fit son nouveau commandant de Bonneval, à Dioussola, et l’habitude qu’il avait de monter chaque jour à cheval pour inspecter ses chantiers.

             «  Un commandant de cercle à cheval était tel un soleil au zénith. Il n’y avait que les mauvais sujets français pour ne pas le voir à vingt cinq cinquante, ou même cent mètres de distance...

            Car il fallait en effet saluer le commandant à son passage, sauf à être punis par plusieurs jours de prison.

Certains administrateurs des colonies punissaient cette faute de quinze jours de prison ferme. C’était là un avantage attaché à la dignité de grand et de petit commandant de cercle. Ces condamnations, relevant du code de l’indigénat, étaient prononcées sans jugement. (W/222)

            Dans le livre « Oui, mon Commandant ! », le même témoin décrit à maintes reprises la toute puissance des administrateurs.

            Conversation entre Hampâté Bâ, nouveau commis expéditionnaire au cercle de  Dori et le planton Fodé Diallo :

            « Dieu te garde de tenter quoique ce soit contre le plus petit et le plus vil des Blancs, à plus forte raison contre un membre du corps des administrateurs des colonies. Ce sont les maîtres absolus du pays. Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle les dieux de la brousse. Ils ont tous les droits sur nous et nous n’avons que des devoirs, y compris celui de les considérer et de les servir eux d’abord, et le Bon Dieu ensuite. Si par malheur, tu touchais à un seul cheveu du commandant, on te ferait mourir d’une mort qu’aucune bouche ne saurait décrire, et toute ta famille, tout ton village, paieraient cher ton crime de lèse-majesté. » (MC/150)

            Le lecteur notera que, d’après le planton, le comportement du commandant de Coutouly s’expliquait par une intoxication incurable, sa jalousie amoureuse, raison pour laquelle il tenait sa femme, une belle Peule du Fouta Djalon, constamment enfermée dans une chambre contiguë à son bureau.

            « Les confidences du planton m’avaient remis dans mes gonds. Le fait pour le commandant, d’avoir épousé officiellement une femme indigène, chose très rare à l’époque où les « dieux de la brousse » pratiquaient plutôt la réquisition de force ou l’union temporaire appelée « mariage colonial ».

            Le même témoin racontait que lors du décès de son enfant, le même commandant avait décrété la fermeture des bureaux et la mise du drapeau en berne. (MC/164)

            Des commandants intouchables

            Et dans une affaire qui mettait en cause la très grave responsabilité d’un autre administrateur, dans le même cercle, pour la mort de plusieurs noirs à la prison de Dori, notre grand témoin observait, qu’en dépit des recommandations du gouverneur Hesling et de l’inspecteur Arnaud, venu sur les lieux, l’administrateur en question n’avait fait l’objet que d’un blâme avec inscription au dossier.

            « Cet événement fut l’un des premiers à me faire toucher du doigt la réalité de ce qu’était à la colonie, un Blanc par rapport aux noirs, et me confirma la supériorité imprescriptible des administrateurs des colonies sur les autres Blancs. » (MC/179)

            Et enfin, autre notation, à Ouagadougou :

            « Les administrateurs des colonies avaient tellement confiance en leur pouvoir qu’ils ne prenaient jamais au sérieux les menaces proférées par les indigènes. »(MC/213)

            Portraits et anecdotes

            Le livre d’Hampâté Bâ est truffé d’anecdotes et de portraits des administrateurs qu’il a fréquentés.

            A déjà été évoqué plus haut le portrait d’un administrateur actif, celui de Coutouly, mais citons à présent celui de l’administrateur « Saride » (un faux nom), capitaine de réserve, un « commandant de cercle libidineux »

            « L’administrateur Saride partit donc tout joyeux pour Tenkodogo, pays de beaux chevaux et de belles femmes. Il était  marié et sa femme l’accompagnait, mais cela ne l’empêchera pas, on le verra, de chercher aventure auprès de femmes africaines.

            « Un jour de foire, il vit passer une jeune femme peule de toute beauté… Elle se nommait Aminata Diallo…

            Saride mit tout en œuvre pour séduire Aminata, des tours pendables et non pendables, et le lecteur trouvera dans ces pages savoureuses, avec la description des rivalités entre commandant et marabout amoureux d’Aminata, le récit des épisodes rabelaisiens de cette histoire, qui connut en définitive une fin tragique. Après son procès, Saride fut muté à Ouagadougou, et se suicida avec sa compagne, une dame Larisse, qui n’était pas son épouse, et dont une affaire judiciaire en métropole révéla la véritable situation. (MC/199 à 228)

            Les femmes, un sujet « sensible »

            Les Blancs mirent très longtemps pour se faire accompagner de leur épouse, quand ils étaient mariés, et pour de multiples raisons, notamment le risque permanent d’épidémies récurrentes, et une absence généralisée de confort dans les lieux de résidence, et dans les résidences elles-mêmes.

            D’où la pratique fréquente du « mariage colonial », déjà évoqué, sorte de concubinage, entre un blanc et une noire, le temps d’un séjour, dans la région d’affectation.

            Il n’est pas dans mes intentions de disserter sur le sujet, mais cette pratique rencontrait moins d’objections dans la tradition africaine de beaucoup de ses communautés que dans les homélies des missionnaires.

            Nous avons vu que le commandant de Coutouly avait épousé, dans les formes de notre droit, une femme Peule, et le récit d’Hampâté Bâ donnait un autre exemple de mariage à la régulière, celui du commandant Bailly.

            Le roman « Amkoullel » nous donne un autre exemple d’histoire d’amour romantique entre le commandant militaire affecté aux Etats du roi Aguibou Tall, à Bandiagara, le capitaine Alphonse et une jeune fille de la cité.

            Quand il vit Fanta Kounta, il « tomba follement amoureux de la jeune fille et usa du droit du plus fort pour en faire, conformément à l’usage des hauts fonctionnaires coloniaux, « sa femme coloniale »…Le capitaine Alphonse n’avait pas épousé Fanta pour satisfaire un désir passager mais parce qu’il l’aimait réellement. »(A477)

            Cette romance imposée connut d’ailleurs une fin tragique, Fanta Kounta mourut quelque temps après son mariage d’une fièvre pernicieuse.

            Le roman de Wangrin nous donne une certaine lumière sur le pouvoir d’attraction que pouvait exercer une blanche sur le « blanc-noir » qu’était Wangrin.

            Au sommet de sa réussite, d’interprète reconverti dans les affaires, et cousu d’or et d’argent , Wangrin fit la connaissance d’une française, épouse d’un commerçant, lors d’un voyage à Dakar, et de fil en aiguille, le couple vint à Bamako au service des affaires de Wangrin.

            Et ce qui devait arriver, arriva, la séduction de Dame Blanche-blanche par le héros.

             Mais ici encore, une histoire à la fin tragique, car Wangrin devint un clochard, la destinée qui lui avait été plusieurs fois annoncée par les signes successifs des devins et des marabouts.

Ce fut du reste Dame Blanche-blanche qui fut à l’origine du dernier signe du destin, la perte de son fétiche, Borofin, sa pierre - alliance avec Congoloma-Sooké, son dieu personnel. En faisant le ménage de la chambre, elle se saisit du fétiche de Wangrin, contenu dans une peau de chat noir, qu’elle mit au feu.(W/334)

            Les symboles du pouvoir colonial

            Les technologies de rupture

            Les récits d’Hampâté Bâ nous donnent peu d’informations sur les effets que produisit l’introduction, sinon l’irruption, des technologies modernes de l’époque qu’étaient le télégraphe, les bateaux à vapeur sur le Niger, les charrettes, ou les armes à feu qui permirent aux Blancs de conquérir leurs terres… sur les mœurs du Bassin du Niger. Les notations les plus intéressantes concernent déjà ce que nous pourrions appeler les déchets de la société de consommation.

            Mais tout d’abord quelques mots de ces technologies, décrites le plus souvent en termes imagés.

            La corde de fer

            Dans « Wangrin », au sujet du télégraphe :

            « Le grand commandant est exactement renseigné des faits et gestes de tous ses administrés. Crois-tu que la mystérieuse corde de fer qui est tendue partout à travers le pays est là pour rien ? As-tu déjà appliqué ton oreille contre l’un des poteaux qui soutiennent cette corde de fer ? Si oui, tu auras entendu le langage secret que la corde bourdonne constamment ; c’est ainsi qu’à votre insu la « corde-espionne » renseigne le commandant sur tout ce qui se passe au loin. » (W/153)

            Les pirogues métalliques

            Et plus loin, dans le rêve de la bergère peule :

            «  Sur cette eau agitée voguait une immense pirogue métallique. Du milieu de cette pirogue bizarre sortait, par un gigantesque foyer, un panache de fumée noire, drue comme un « tiba duuke krum », le nuage d’orages et de giboulées.

            La barque métallique eut raison des vagues  et accosta ; beaucoup de blancs-blancs et quelques noirs habillés en blancs-blancs débarquèrent. Parmi les blancs- blancs, il y en avait un qui criait à tue-tête : Wangrin ! Wangrin ! Où es-tu ? » (W/200)

            Dans « Amkoullel », alors arrivé au port de Ségou, l’auteur se rappelait :

            « Une fois toutes les formalités remplies, notre petit convoi se dirige vers le port. Stupéfait, je vois une embarcation métallique gigantesque se balancer légèrement sur les flots. Par une sorte d’anus latéral, elle évacue régulièrement de longs jets d’eu à grands coups de pch-pch-pchh !... tandis que des volutes de fumée s’échappent de deux grosses cheminées inclinées. C’est la première fois que je vois un bateau à vapeur. A côté des longues pirogues bozos élégantes et silencieuses, on dirait une sorte de gros monstre fluvial cuirassé de fer et n’arrêtant pas de pisser et de fumer » (A/411)

            Indiquons que la navigation de bateaux à vapeur sur le fleuve Niger ne datait que des années 1885-1890, et que le monstre en question, un des premiers bateaux de passagers, portait le nom de l’officier de marine explorateur que nous avons évoqué dans un des chapitres précédents : il s’agissait du « Mage ».

            Dans le livre « Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large », nous avons raconté comment les premières canonnières venues démontées de France avaient été remontées à Koulikoro, sur le fleuve Niger, pour partir à la conquête du Soudan, de Bamako à Tombouctou, à la fin du dix-neuvième siècle

            Le musée des ordures

            « Juste comme nous allions quitter les lieux, Daouda aperçoit un peu plus loin plusieurs « villages d’ordures », autrement dit de grands tas d’ordures ménagères qui s’étalent derrière le mur d’enceinte du quartier résidentiel.  Poussés par la curiosité, nous allons les examiner. A notre plus grande stupéfaction, nous y découvrons une mine de trésors ! Les blancs y jettent toutes sortes d’objets particulièrement précieux : boites d’allumettes vides, boites en fer de diverses tailles, flacons et bouteilles de toutes les couleurs, papiers dorés et argentés, morceaux d’étoffe de couleur couverts dépareillés ou cassés (y compris des couteaux, quelle aubaine !), tessons de vaisselle joliment décorés, vieilles casseroles, rasoirs à manche cassé, fourneaux de pipe fêlés, planchettes, clous, bobines vides, bouts de crayon, montures de lunettes, et surtout de gros catalogues illustrés, entre autres celui de la Manufacture d’armes et cycles de Saint Etienne qui, à Bougouni, m‘avait valu une certaine notoriété auprès de mes camarades. Nous ramassons ce qui peut tenir dans nos bras, bien décidés à revenir une autre fois pour compléter notre collection, puis, chargés de notre butin nous revenons triomphalement à Bandiagara…

              Par la suite, Daouda et moi retournerons souvent à Sinvci pour prélever de nouveaux trésors dans les « villages d’ordures », créant ainsi, sans nous en rendre compte un véritable musée d’ordures ménagères de Blancs. » (A/240)

       Jean Pierre Renaud                               Tous droits réservés

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12 février 2024 1 12 /02 /février /2024 10:58

Printemps 2024

Russie Europe

Attention danger !

Tout est possible !

 

            A voir où vont les choses en Russie, les barbares du Goulag sont de retour !

L’ancien KGB Poutine gesticule dangereusement.

Il n’a pas oublié son passé et a l’ambition de se refaire une santé en retrouvant tous les accents de la propagande soviétique que j’ai connue au cours de ma jeunesse.

            Le nouveau tsar a simplement changé la rhétorique coco en se faisant le chantre d’une nouvelle morale de la nouvelle « Sainte Russie » qui incarnerait aujourd’hui le camp du bien face au camp du mal, celui d’un Occident décadent.

            Cette nouvelle Russie du délire et de la mort rejoue un jeu mortel que l’Europe et la France a connu, en 1870-1871, 1914-1918, 1939-1945, avec toutes les épreuves que ma famille a traversées.

            A chacune de ces occasions mortifères pour l’Europe et notre pays, la question s’est posée de savoir comment stopper cette spirale, avant qu’il ne soit trop tard, même au prix de victimes.

            Historiquement, il a toujours été trop tard !

            Allons-nous recommencer ? Allons-nous laisser le nouveau tsar mettre sous son joug les pays du nord et l’Ukraine ?

            Ne serait-il pas imaginable que les membres les plus solides de l’Union Européenne et la Grande Bretagne mettent sur pied une force militaire d’interposition « sanitaire » sur nos frontières avec la Russie ?

                                      Debout l’Europe !

Jean Pierre Renaud                           Tous droits réservés

           

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 10:11

« La Comédie du Pouvoir »

Le titre de l’Editorial par Yves Thréard dans le  Figaro du 9 février 2024

Pages 2 et 3 : « Macron complète son gouvernement au prix d’une crise dans sa majorité »

En petits caractères

« Faute d’avoir obtenu satisfaction, François Bayrou a renoncé à entrer au gouvernement. L’équipe a été complétée jeudi soir par 20 ministres et secrétaires d’Etat, un mois après la nomination de Gabriel Attal à Matignon »

A lire ces deux pages, je dirais plutôt

« La Farce du Pouvoir »

 

Quatre plumes du journal nous livrent les confidences recueillies dans les coulisses de ce théâtre médiatique, des confidences et bruits de couloir politiques anonymes qui ont animé cet épisode.

Toujours anonymes : j’en ai compté huit : « petit comité », « proches », « une source », « un visiteur régulier du Palais », « un confident du chef de l’Etat », « l’un de ses proches », « un député Renaissance », « les réseaux sociaux »…

Je vous avouerai que chaque fois que je lis ce type d’écriture politique, je me demande ce que peuvent en penser et en tirer les Français qui le lisent également, sauf à dire que ce type de texte a pour cible les cercles du Figaro qui recoupent souvent les réflexes du microcosme parisien, le système parisien.

Personnellement, j’apprécie ces textes qui fleurent les parfums des anciennes cours des princes… et notre capitale compte un nombre appréciable de ces nouvelles cours.

Bayrou aurait déclaré à ce sujet : « Je pense que l’enjeu de 2027 c’est précisément qu’on arrive à réconcilier la France qui se bat en bas avec la France qui décide en haut. »

Au moins, l’homme de Pau aurait - il enfin compris qu’une crise grave ébranlait les fondements de notre République, celle de la solidarité entre la France d’en haut et la France d’en bas, avec la nécessité existentielle de redistribuer les pouvoirs.

L’homme de Pau aurait-il enfin compris qu’il avait semé des graines sur le terreau parisien de la macronie ? Commémorer à tout va ne veut pas dire incarner.

Bayrou vient d’être relaxé d’un délit qui mettait en cause le Modem, d’autant plus curieusement que cette relaxe revenait à dire que Bayrou n’était pas le vrai « chef » du Modem : le Parquet de Paris semble avoir fait le même constat.

Paris ou Province ? Sur ce blog, je milite depuis des années, non pas pour une « décentralisation » des pouvoirs au profit de nos provinces, mais pour un « transfert du pouvoir non régalien au profit de nos régions et départements.

Jean Pierre Renaud                    Tous droits réservés

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6 février 2024 2 06 /02 /février /2024 10:45

La Méthode Hidalgo

L’entourloupe politique

Votation sur les SUV

Le 4 février 2024

Le Média France Info !

Le 5 février 2024 à 10 heures

« Votation sur les SUV : les Parisiens approuvent à près de 55% le triplement des tarifs de stationnement pour les voitures les plus lourdes »

Sauf qu’un peu moins de 6% d’électeurs parisiens ont voté hier !

Il est vrai qu’à ce tarif statistique, c’est beaucoup mieux que le succès d’Hidalgo aux Présidentielles 2022, 1,75%...

Revenons à la politique sérieuse !

  La question posée est tout à fait caractéristique de la méthode Hidalgo qui laisse à croire qu’à cette occasion elle a fait progresser la vie de la cité.

&

         Le Canard Enchaîné du 5 février 2024 a publié une caricature qui nous rappelle un bon souvenir, celui de la crise des retraites, au cours de laquelle, en violation de ses fonctions légales de maire, elle se crut autorisée à encourager les syndicats à faire la grève des poubelles.

         Avec la crise agricole, le Canard a remis au goût du jour le Paris des poubelles et des rats, avec une caricature intitulée « Le Siège de Paris »

« Nous allons peut-être devoir manger des rats ? Comme en 1870 ? »

« La bonne nouvelle, c’est qu’on a de quoi tenir longtemps ! »

Sauf s’il s’agit non pas de rats mais de surmulots aux dires d’une certaine conseillère de Paris…

Jean Pierre et Marie Christine Renaud

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3 février 2024 6 03 /02 /février /2024 11:04

Chapitre 7

Commentaire sur les trois témoignages Mage, Péroz et Toutée

Rappelons tout d’abord que ces trois témoignages se situent à trois époques différentes (1864-1865), (1886-1887), et (1894-1895) et qu’ils émanent de trois officiers de la marine et de l’infanterie coloniale.

                      Le grand historien colonial Henri Brunschwig notait dans son livre « L’Afrique noire au temps de l’Empire français », qu’à la différence d’autres nations, notamment la Grande Bretagne, la France n’avait pas été une des premières à se lancer dans des explorations. Il relevait également que les explorations françaises eurent souvent «  un caractère artisanal », et furent surtout le fait d’officiers chargés de missions politiques.

             Ces trois témoignages portent sur trois contrées géographiques différentes, le bassin du Niger (Ségou), le Haut Niger (Bissandougou), et l’hinterland du Dahomey.

           Les trois récits décrivent leur voyage exploratoire dans trois types de royaumes africains, ceux d’Ahmadou, fils d’El Hadj Omar, de Samory, et des rois du Dahomey.

           Il s’agit de véritables reportages de voyage, géographiques, militaires et politiques, mais avec une dimension scientifique qui n’est pas négligeable.

         Les voyageurs décrivaient de façon minutieuse les régions traversées, établissaient leur carte topographique, et y joignaient souvent leurs observations botaniques, géologiques,  ou zoologiques.

            Incontestablement, ces trois récits ne s’inscrivent pas dans un discours dépréciatif des civilisations africaines, et le témoignage de Toutée est significatif à cet égard, loin de certains discours racistes de l’époque.

           Et comment ne pas noter que ces officiers de l’infanterie coloniale ne rentraient absolument pas dans la catégorie des « traîneurs de sabre » dont l’historien Person, auteur d’une somme monumentale sur Samory, affublait volontiers ces officiers ?

       Mais il est évident qu’avec le recul que nous donne l’histoire de ces pays, une meilleure connaissance de ces royaumes africains, on ne peut s’empêcher de penser que ces officiers n’avaient pas d’autre solution que de proposer une description superficielle des mondes noirs qu’ils rencontraient.

           Leur témoignage s’inscrit dans la première période de la conquête coloniale au cours de laquelle ces officiers remplissaient une sorte de fonction de reporters, recueillant le maximum d’informations sur les contrées traversées, mais passant inévitablement à côté du fonctionnement concret des sociétés africaines, de leurs mœurs, traditions, et croyances.

       Et pourtant, deux de ces officiers, Mage et Péroz, avaient la possibilité de s’entretenir à peu près correctement avec leurs partenaires africains dans un des dialectes couramment utilisés en Afrique occidentale, mais leur mission était de courte durée, et sa nature n’était pas « ethnologique » .

           Grâce à cette capacité de s’entretenir dans les dialectes locaux, ces deux officiers avaient la possibilité de mieux analyser les sociétés rencontrées, mais il leur fallait aussi recourir à leurs interprètes, l’interprète avait toujours un rôle essentiel, et c’est souvent par leur truchement qu’ils pouvaient entrevoir les réalités d’une Afrique encore largement inconnue, et vivante.

          C’est aussi grâce à ce truchement qu’ils pouvaient se former une opinion sur l’image que les blancs renvoyaient alors dans le monde noir de l’époque, souvent celle du premier blanc rencontré, du mystère qui l’entourait, pour ne pas dire de la magie qui était toujours familière aux noirs.

           Il convient à présent de tenter d’esquisser, à partir de quelques témoignages d’intellectuels noirs, le portrait que le monde noir se faisait du blanc dans les débuts de la colonisation.

 Jean Pierre Renaud                Tous droits réservés

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