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9 novembre 2012 5 09 /11 /novembre /2012 09:36

Le Mali et la France !

Nomades Touareg contre paysans africains à Tombouctou, une histoire qui se répète ?

Retour sur notre histoire coloniale avec en 1894, la prise de Tombouctou et le désastre militaire deTacoubao (77 morts dont onze officiers)

Complément historique à la chronique du 14 avril 2012 sur ce blog

 

            La conquête du Soudan, en gros le Mali actuel, est à mettre au compte des aventures coloniales de la Troisième République, d’une politique confuse, sans qu’on sache le plus souvent quels furent les motifs de ces conquêtes, nouveaux marchés, propagation d’une civilisation dite supérieure, évangélisation, volonté de puissance après la défaite de 1870, ainsi que le notait le grand historien colonial Henri Brunschwig, ou tout simplement fruit des initiatives d’acteurs politiques, militaires ou économiques, dont les initiatives heureuses ou malheureuses furent entérinées par le pouvoir politique.

            Car ces initiatives d’acteurs du terrain, ou des gouvernements, ce qu’on a appelé « le fait accompli » colonial furent nombreuses, et c’est cette problématique coloniale qui a fait l’objet de recherches historiques de ma part en ce qui concerne, la conquête du Soudan, du Tonkin, de Madagascar, et de Fachoda : à savoir si la conquête procédait du fait accompli d’un officier des troupes coloniales, d’un gouverneur, ou tout simplement d’un ministre des Colonies qui s’abstenait de donner des instructions, ou en donnait d’ambiguës, ou entérinait le fait accompli d’un acteur de terrain. (1)

            Il se trouve que dans le cas du Soudan, et notamment de la conquête du Haut Niger, ce que j’ai appelé « une conquête en cachette », l’histoire fait ressortir un cocktail de faits accomplis aussi bien au niveau des ministres que des officiers exécutants sur le terrain, et notamment le rôle du colonel Archinard, sorte de proconsul au petit pied, en particulier dans les épisodes qui concernent la conquête de Ségou et de Tombouctou, entre 1885 et 1895, analysés dans la partie intitulée « Cap sur Tombouctou »

     A partir du moment où le ministre entérinait un fait accompli, il l’assumait complètement.

     A la séance de la Chambre du 4 mars 1895, le député Le Hérissé stigmatisait la façon de procéder du gouvernement et corroborait l’analyse d’Archinard :

    « Si nos gouvernants avaient eu alors l’intention de ne pas marcher sur Tombouctou, si le sous secrétariat d’Etat avait eu la volonté de dire aux militaires du Soudan : vous n’irez pas plus loin ; il aurait pu télégraphier au colonel Combes : arrêtez- vous, n’allez pas au-delà de Djenné et de Ségou.

  Au lieu de cela, au lieu de donner des ordres nets et précis, que fait le Gouvernement ? Il envoie au colonel supérieur, le 7 août 1893, une dépêche conçue dans des termes les plus vagues et les plus insignifiants :

               Soyez très prudents, n’écoutez les ouvertures que si elles vous paraissent sérieuses ;

               Dans le langage habituel du ministère des Colonies, cela signifiait : allez faites ce que vous pourrez ; réussissez, nous serons avec vous ; et si vous ne réussissez pas, nous vous blâmerons et vous désavouerons. »

                Il est vrai qu’il existait dans l’exercice du commandement de l’époque une grande inertie, liée aux conditions de transmission des ordres et des comptes rendus, aux conditions de transport des hommes et de leurs approvisionnements.

               Succès ou échecs dépendaient beaucoup de la clarté et de la pertinence de la communication politique et militaire d’engagement de la campagne.

               Une fois le coup parti, les ministres n’avaient plus qu’à former le vœu que tout se passe bien.

               L’analyse du qui faisait quoi à Paris ou dans les territoires à conquérir, à la fois dans la communication des ordres et dans les comptes rendus, dans les différents contextes techniques de la communication matérielle des époques considérées était au cœur des recherches du livre cité.

               On rapporte qu’après avoir donné ses ordres, le général Moltke, partait à la pêche à la mouche (Guerre franco-prussienne de 1870).

             Pendant la guerre 1914-1918, et la deuxième guerre mondiale,  les commandements civils et militaires continuèrent à être confrontés à ce type de situation.

               Les ministres de la Marine et des Colonies pouvaient d’autant plus aller pêcher à la ligne que la conquête du Soudan s’effectuait en cachette du Parlement et de la presse, ce qui ne fut pas du tout le cas de la conquête du Tonkin et de Madagascar.

               Entre 1880 et 1895, la France partit successivement à la conquête du Sénégal, du Haut Sénégal, puis du Niger et de son bassin, avec  des étapes à Kayes, Bamako, Ségou, et enfin Tombouctou.

               Avec leurs nouvelles canonnières remontées à Koulikouro, sur le fleuve Niger, parce qu’elles y avaient été transportées en pièces détachées, quelques officiers de marine prirent l’initiative de se lancer à la conquête de Tombouctou, encouragés ou couverts par Archinard, dont un des rêves était effectivement la prise de Tombouctou, encore considérée à l’époque comme une ville mystérieuse.

               Pour résumer, un officier de marine, le lieutenant Boiteux,  débarqua à Tombouctou, fut pris pour cible par un parti touareg, une colonne, en pirogue, vint à son secours, sous les ordres du lieutenant- colonel Bonnier, et après avoir débarqué se fit surprendre au bivouac par un parti Touareg, le 15 janvier 1894, à Toucabao.

               Bilan : 77 morts dont onze officiers, deux sous-officiers, et 64 tirailleurs.

               Noter qu’une autre colonne commandée par le colonel Joffre, le Joffre devenu célèbre, devait atteindre la ville mystérieuse après le désastre.

               La morale de cette histoire ?

               Et tout cela, dans quel but ? Pour faire cocorico à Tombouctou ou pour trouver un « Eldorado » qui n’y existait pas. Paul Doumer (2) posa plus tard la bonne question :

                « Pourquoi étions- nous allés à Tombouctou ? »

               Il est évident que la crise actuelle du Mali et l’occupation du nord du pays par des partis arabes et Touareg reproduit une problématique locale de conflits permanents et récurrents entre tribus Touareg et peuples paysans du bassin du Niger, avec une extension géographique et politique moderne liée aux initiatives des groupes terroristes d’Al Quaida, mais est-ce que le fond du problème n’est pas celui de l’incapacité des gouvernements du Mali à prendre en compte les aspirations politiques des tribus Touareg, dont la culture a toujours été fortement enracinée et leur fierté proverbiale?

               Avec aussi une problématique historique de conflits entre peuples maures, bambaras, ou malinkés.

               En précisant qu’avant que la France ne vienne y faire une longue « incursion » coloniale, de l’ordre de soixante ans, le bassin du Niger a connu un certain nombre d’empires islamiques puissants, notamment au XIXème siècle, « L’Empire Peul du Macina » (1818- 1853),  celui de Cheikou Amadou, à Hamdallay, ou ceux des El Hadj Omar, Ahmadou, ou Samory.

               Et en indiquant enfin que les frontières de l’Etat actuel du Mali sont celles que la communauté internationale a entérinées lors de l’indépendance des anciennes colonies françaises d’Afrique.

               Jean Pierre Renaud

(1)  «  Le vent des mots, le vent des maux, le vent du large - Rôle de la communication et des communications dans les conquêtes coloniales de la France (1870-1900) » (prix de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer)  editionsjpr.com

(2)  Paul Doumer : homme politique de la Troisième République, franc-maçon et radical, gouverneur général  de l’Indochine (1896-1902), plusieurs fois ministre, président du Sénat (1927), Président de la République (1931), assassiné en 1932. Quatre de ses fils furent tués pendant la première guerre mondiale (1914-1918)

 

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