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7 juin 2017 3 07 /06 /juin /2017 14:10

« Le choc des décolonisations »

« De la guerre d’Algérie aux printemps arabes »

Pierre Vermeren

Lecture critique

Troisième partie

Suite et fin (e)

« La France, les Français et leurs anciennes colonies » (p,221 à 324)

        Chapitre XVII « Mirages médiatiques » (p,289)

        Un titre poétique pour un chapitre au contenu dérangeant, portant sur les nouvelles formes de propagande ou de contrôle de l’information qui touche l’ancien domaine colonial de la France.

       A l’heure actuelle : « Les acteurs et les pôles de pouvoir sont multiples. Entre la France et ses anciennes colonies, lobbys, groupes d’intérêt et de pression sont très divers : Etats, et services de renseignement, collectivités locales, médias (presse et télévision)…Or ces acteurs tentent peu ou prou d’influencer médias et auditeurs selon leurs intérêts. Fabriquer les opinions est un métier… L’information est une denrée que les régimes autoritaires veulent contrôler par tous les moyens. La présence durable et des contacts sur place sont irremplaçables : séjourner dans un grand hôtel avec les correspondants étrangers forge une information très différente. « (p,290)

        Une manipulation d’autant moins difficile avec une presse aux mains des grands groupes industriels que l’auteur décrit :

        « La plupart des médias français sont aux mains de 11 groupes privés… « Des médias audiovisuels très dépendants du service public » (p,292),avec pour résultat : « Pour toutes ces raisons, les régimes autoritaires contrôlent l’information diffusée en France et en langue française. Ce n’est pas pour eux une option, mais parfois une question de survie. Et certains médias français en profitent au passage pour renflouer leurs caisses. » (p,295)

      Comme le note l’auteur un peu plus loin et en ce qui concerne certains journalistes :

      « Faut-il ajouter que l’affaire Coleman leaks, un Wikileaks à la marocaine, qui éclate au cours de l’été 2014, tardivement dévoilée par la presse française avec une prudence homéopathique, révèle que de grands journalistes français en charge des affaires internationales et du Maroc, ont bénéficié de solides rémunérations marocaines en échange d’articles endossant la position du Maroc sur le Sahara ? » (p,302)

      « …. Les Français n’ont appris qu’en 2011 que la Tunisie de Ben Ali était une dictature policière, humiliant et pillant sa population… Amitié avec ses dirigeants oblige. » (p,297)

       Dans certaines affaires, les services de l’Etat ne sont pas en reste : « Du Biafra à la révolution tunisienne, la manipulation par les services de l’Etat français ? » (p,299)

Chapitre XVIII « L’immigration, porte ouverte sur le monde ou bonne conscience européenne ? » (p,305)

      L’auteur a eu raison de souligner à la page 306 une situation qui explique le peu d’intérêt des Français pour leurs colonies, hors leur exotisme :

        « Depuis 1830, la France colonise sans peupler : les paysans y sont riches et dotés de terres ; l’excédent démographique est capté par Paris et les régions industrielles ; et la Grande Guerre tue ou mutile 1 homme valide sur 4 »

           Riches ? Par rapport à qui, où et quand ? D’autres facteurs étaient en jeu.

          Je ne m’attarderai pas sur le contenu de ce chapitre, sauf à remarquer que l’auteur donne quelques informations sur des sujets tabous ou ignorés, par exemple,  en ce qui concerne les Antilles :

         « Le nombre des Antillais de métropole double entre 1954 et 1962, puis augmente de 50% entre 1962 et 1968. En 1968, on dénombre 61 000 personnes devenues 800 000 en fin de siècle…. » (p,312)

          L’auteur évoque également le regroupement familial et je fais partie de ceux qui s’étonnent de la prudence, pour ne pas dire du silence des autorités sur ces flux mal contrôlés :

        « Peu de statistiques existent sur le regroupement familial, car les pouvoirs publics communiquent peu sur la question… « (p,314)

        Des flux qui, à mes yeux, n’ont pas contribué à faciliter l’intégration de certains groupes de population qui habitent dans les quartiers sensibles.

         L’analyse consacrée  aux flux algériens est éclairante, mais conduit à se demander pourquoi la politique d’immigration algérienne a quasiment toujours bénéficié d’une mansuétude de la part de notre pays, pour ne pas dire d’un privilège à l’égard des ressortissants d’un pays qui n’a pas noué de saines relations avec la France, et alors qu’une des raisons légitimes de la politique du général de Gaulle, quant au largage de l’Algérie, était précisément la volonté que notre pays ne devienne pas un jour, compte tenu des mouvements démographiques prévisibles, la colonie de l’Algérie, une dynamique qui parait bien engagée, compte tenu notamment du rôle des intellectuels venus de la matrice algérienne, un rôle fort bien décrit par l’auteur.

        « L’histoire des migrations en France, a fortiori des Algériens, est souvent écrite par des intellectuels venus ou passés par Alger … Abdelmalek Sayad, assistant de Pierre Bourdieu… René Gallissot… Benjamin Stora… » (p,318)

         « Le discours de Français Hollande du 15 décembre 2014, dans une Cité nationale de l’histoire de l’immigration dirigée par Benjamin Stora, renvoie au premier acte de sa campagne présidentielle en 2011, la commémoration des cinquante ans du 17 octobre 1961, auquel l’historien de l’Algérie n’est pas étranger. La volonté affirmée de « réconcilier » Paris et Alger participe de ce mouvement complexe…

        Cette surreprésentation des intellectuels et hommes politiques liés à l’Algérie dans la sphère étroite de la politique multiculturelle française révèle le silence persistant des « sujets » de cette politique, les immigrés récents et leurs descendants, exception faite de plusieurs intellectuels originaires des DOM. Elle dit quelque chose de la volonté des générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, et par sa désintégration, de reconstruire une cité idéale sur ses décombres. Avec le recul, l’Algérie française apparaît à ces intellectuels et hauts fonctionnaires comme une société ségrégative, injuste, inégalitaire, raciste et autoritaire, un anti modèle à dépasser. » (p320)

        J’ai souligné l’expression générations marquées au fer rouge par l’Algérie française, parce qu’elle ne traduit pas à mes yeux les réalités historiques, sauf à dire que depuis plusieurs dizaines d’années, les Français sont manipulés par une nouvelle propagande insidieuse et beaucoup plus importante que ne fut jamais la propagande coloniale elle-même, beaucoup plus limitée et inefficace, fondée sur les « mirages exotiques », alors que la propagande distillée par ces groupes de pression cherche à investir les consciences et à manipuler notre histoire de France.

          L’expression « générations marquées au fer rouge » à rapprocher d’une autre expression qui se veut historique alors qu’elle n’a jamais été mesurée, celle de « mémoire qui saigne ».

        L’historien politique Stora a la paternité de cette expression historiquement saignante, c’est le cas de le dire.

 

Conclusion « Le legs singulier de la France coloniale »

         L’auteur souligne bien la situation française des colonies avec toutes les contradictions dont la France d’aujourd’hui souffre encore : les conquêtes coloniales ont largement été le fruit d’une alliance entre le sabre et le goupillon, la franc-maçonnerie dans les superstructures des colonies, mâtinée de christianisme à ses bases, faites de coups politiques relevant du fait accompli montés par la gauche républicaine ou entérinés par elle, à l’exemple de Jules Ferry au Tonkin, en 1883, ou de Mahy, originaire de la Réunion, en 1883, à Madagascar, lequel fut un bref ministre de la Marine et des colonies du 29 janvier 1883 au 21 février 1883.

        La gauche des décolonisations n’a pas été à la hauteur des enjeux en Indochine, à Madagascar, et en Algérie : c’est le gouvernement de Guy Mollet qui fit voter l’envoi du contingent en Algérie, un contingent dont je fis partie.

         « L’empire colonial a été une affaire d’élites. Les élites françaises, royales, impériales et républicaines ont agi à destination des élites colonisées. De sorte que les Français, en tant que peuple, n’ont été concernés qu’à trois reprises par leur empire, l’exposition coloniale de 1931 demeurant un simple spectacle. Une première fois lors de la venue des troupes coloniales en métropole en 1914 et 1939 ; une seconde fois lors de la guerre d’Algérie, quand l’envoi de 2 millions de soldats et des attentats en métropole ont fait connaître l’Algérie; et une troisième fois par l’installation en métropole de millions de  ressortissants de l’ancien empire, la question n’ayant d’ailleurs jamais été débattue. Mais de l’empire et de ses sociétés, ils n’ont toujours su que ce que les élites, leur gouvernement et les médias voulaient bien en dire. » (p,323)

      Je partage cette conclusion : paradoxalement, notre pays est devenu une sorte de nouvelle colonie du monde moderne, et je ne pense pas que la France coloniale, celle décrite à grands coups de brosse idéologique, par certains chercheurs,  réduite à une petite  élite ait jamais pu imaginer que notre pays allait devenir lui, une colonie de peuplement, alors qu’en dehors de l’Algérie, la France n’avait jamais pratiqué la colonisation de peuplement.

Jean Pierre Renaud   Tous droits réservés

 

 

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